Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli, la décision de la majorité des membres du conseil arbitral datée du 7 juillet 2010 est annulée, et l’appel interjeté par l’intimée devant le conseil arbitral est rejeté.

Introduction

[2] Le 7 juillet 2010, une majorité de membres du conseil arbitral a établi ce qui suit :

  • En l’espèce, l’intimée a accumulé un nombre suffisant d’heures d’emploi assurable pour être admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi, au titre de l’article 7 de la Loi sur l’assurance-emploi (ci-après « la Loi »).

[3] L’appelante a porté la décision en appel devant le Bureau du juge-arbitre le 26 juillet 2010.

Mode d'audience

[4] Le Tribunal a tenu une audience en personne après la conférence préparatoire qui a eu lieu par téléphone le 22 août 2014. Les parties ont accepté les étapes de la procédure indiquées dans l’avis d’audience daté du 12 septembre 2014. Lors de l’audience, l’appelante était représentée par l’avocat Michael Stevenson. L’intimée, qui était également présente, était représentée par l’avocate Amita Vulimiri.

Droit applicable

[5] En application des articles 266 et 267 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable de 2012, la division d’appel du Tribunal est saisie de tout appel interjeté devant le Bureau du juge-arbitre, mais non tranché par ce dernier avant le 1er avril 2013. Au 1er avril 2013, le Bureau du juge-arbitre n’avait pas décidé s’il accueillerait ou rejetterait l’appel de l’appelante. L’appel a donc été transféré du Bureau du juge-arbitre à la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (ci-après le « Tribunal »). La permission d’en appeler est réputée avoir été accordée par le Tribunal le 1er avril 2013, en application de l’article 268 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable de 2012.

[6] Afin de garantir l’équité, la présente affaire sera examinée en fonction des attentes légitimes de l’appelante au moment du dépôt de son appel devant le Bureau du juge-arbitre. Pour cette raison, la décision relative au présent appel sera rendue en application de la Loi dans sa version antérieure au 1er avril 2013.

[7] En application du paragraphe 115(2) de la Loi dans sa version antérieure au 1er avril 2013, les seuls moyens d’appel devant le Tribunal sont les suivants :

  1. a) le conseil arbitral n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) le conseil arbitral a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) le conseil arbitral a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Questions en litige

[8] Les questions que doit trancher le Tribunal sont les suivantes :

  1. i) Déterminer si le conseil arbitral a commis une erreur en concluant que l’intimée était admissible au bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi, même si elle n’avait pas accumulé le nombre d’heures requis au cours de sa période de référence;
  2. ii) Déterminer si l’article 12 du Règlement sur l’assurance-emploi (ci-après « le Règlement ») est ultra vires;
  3. iii) Déterminer si l’article 7 de la Loi et l’article 12 du Règlement violent la Loi canadienne sur les droits de la personne (ci-après « la LCDP »);
  4. iv) Déterminer si l’article 7 de la Loi et l’article 12 du Règlement établissent une distinction à l’égard des personnes en fonction de l’incapacité ou de l’incapacité perçue, en contravention du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après « la Charte »);
  5. v) Si les dispositions contestées violent le paragraphe 15(1) de la Charte, déterminer si la violation peut être justifiée en vertu de l’article premier de la Charte;
  6. vi) Si le Tribunal conclut que l’article 7 de la Loi et l’article 12 du Règlement sont discriminatoires et qu’ils ne peuvent être justifiés par l’application de l’article premier, déterminer le redressement qui s’impose.

Arguments

[9] L’appelante invoque les arguments suivants à l’appui de l’appel :

  • La majorité des membres du conseil arbitral a refusé d’exercer sa compétence et a commis une erreur de droit en omettant d’appliquer l’article 7 de la Loi, lorsqu’elle a accueilli l’appel de l’intimée dans l’« intérêt de la justice naturelle »  même si elle avait conclu que la prestataire [traduction] « n’avait pas accumulé le nombre d’heures d’emploi assurable requis et qu’elle n’était donc pas admissible au bénéfice des prestations »;
  • La majorité des membres du conseil arbitral a commis une erreur de droit parce qu’elle ne dispose pas du pouvoir nécessaire pour faire preuve de souplesse dans l’application de la Loi, même dans les cas qui lui suscitent le plus la sympathie;
  • La majorité des membres du conseil arbitral a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des dispositions claires et non équivoques de la Loi et de la jurisprudence pertinente;
  • Le fait de ne pas réglementer les heures de travail indépendant reliées à un emploi sur le marché du travail ne signifie pas que l’article 12 du Règlement est ultra vires, c’est-à-dire qu’il excède les pouvoirs de sa loi habilitante, c’est-à-dire de l’article 7 de la Loi plus précisément, ou de la Loi dans son ensemble;
  • L’article 12 de la Loi sert seulement à apporter des précisions concernant les heures réglementaires qui pourraient être prises en compte, au titre du paragraphe 7(4) de la Loi, pour déterminer si un prestataire est une personne qui devient ou redevient membre de la population active (DEREMPA);
  • Si le travail indépendant devait faire partie des heures réglementaires décrites à l’article 12 du Règlement, il ne cadrerait pas avec l’objet de la disposition et de la Loi en général;
  • Le Tribunal devrait refuser d’examiner la contestation de l’intimée fondée sur la LCDP;
  • La contestation de l’intimée vise uniquement l’application de l’article 7 de la Loi et de l’article 12 du Règlement, et ne porte pas sur un acte discriminatoire lié à la fourniture d’un service et qui pourrait nécessiter la protection de la LCDP;
  • La nature de la plainte de l’intimée ne cadre pas avec la portée de la LCDP, et le Tribunal ne devrait pas être saisi de la plainte;
  • L’intimée ne s’est pas acquittée du fardeau défini par la Cour suprême du Canada en ce qui concerne la preuve d’une demande fondée sur une discrimination par suite d’un effet préjudiciable;
  • L’intimée n’a pas démontré en l’espèce, à l’aide d’éléments de preuve, qu’il y avait un lien de causalité direct entre une de ses caractéristiques personnelles et le refus des prestations;
  • Les désavantages que subit une personne handicapée ne sont pas causés en totalité ou en partie par les dispositions contestées;
  • L’intimée n’a pas établi que les dispositions contestées contrevenaient au paragraphe 15(1) de la Charte;
  • Dans l’éventualité où le Tribunal conclurait que l’article 7 de la Loi et l’article 12 du Règlement contreviennent au paragraphe 15(1) de la Charte, la violation est justifiée en vertu de l’article premier de la Charte.

[10] L’intimée fait valoir les arguments suivants à l’encontre de l’appel :

  • L’article 12 du Règlement est ultra vires parce qu’il est incompatible avec l’exercice du pouvoir spécifique délégué par le législateur en vertu du paragraphe 7(4) de la Loi et qu’il ne concorde pas avec l’objet de la Loi, dans son ensemble, et avec l’exigence imposée aux DEREMPA, plus particulièrement;
  • L’article 12 du Règlement est ultra vires parce qu’il fait totalement abstraction du travail indépendant;
  • L’alinéa 7(4)c) de la Loi ne confère pas à la Commission le pouvoir discrétionnaire de décider quel travailleur devrait ou ne devrait pas travailler 910 heures; le devoir de la Commission consiste plutôt à déterminer quelles sont les circonstances au cours desquelles des « heures reliées à un emploi sur le marché du travail » sont accumulées;
  • Les circonstances au cours desquelles des « heures reliées à un emploi sur le marché du travail » peuvent être accumulées comprennent tous les « emplois », y compris le travail exécuté pour son propre compte ainsi que les contrats de louage de services;
  • L’article 12 du Règlement est ultra vires non pas en raison de ce qu’il prévoit, mais plutôt en raison de ce qu’il ne prévoit pas;
  • Les paragraphes 7(3) et 7(4) de la Loi et l’article 12 du Règlement défavorisent l’intimée en raison d’une incapacité, en contravention de l’article 5 de la LCDP, parce qu’ils ne considèrent pas les heures qu’elle a accumulées à titre de travailleuse indépendante pendant sa période de participation à la vie active comme des heures reliées à un emploi sur le marché du travail;
  • Si un tribunal administratif établit qu’une disposition de sa propre loi est en conflit avec des lois en matière de droits de la personne, il ne doit pas tenir compte de cette disposition pour trancher l’appel;
  • La Cour suprême du Canada a rejeté l’argument selon lequel un tribunal établi par une loi peut refuser de trancher une question en matière de droits de la personne qui relève de sa compétence si ce dernier juge qu’il serait préférable qu’elle soit examinée par une autre instance;
  • À première vue, l’intimée a fait l’objet d’une discrimination lorsqu’elle a été déclarée personne qui redevient membre de la population active et que le bénéfice des prestations régulières lui a été refusé parce qu’elle avait accumulé moins de 910 heures d’emploi assurable au cours de sa période de référence;
  • Les dispositions discriminatoires n’ont pas de motif justifiable;
  • L’application des paragraphes 7(3) et 7(4) de la Loi et l’article 12 du Règlement a entraîné un déni du droit de l’intimée à l’égalité de bénéfice de la Loi et a établi une distinction à son égard au motif d’une incapacité, en contravention du paragraphe 15(1) de la Charte, parce qu’ils ne reconnaissent pas le travail qu’elle a exécuté pour son propre compte pendant qu’elle était sur le marché du travail et qu’ils l’obligent donc à satisfaire à l’exigence imposée aux DEREMPA;
  • La preuve déposée par l’appelante indique que les personnes handicapées éprouvent généralement plus de difficultés à trouver un emploi que celles qui ne sont pas handicapées;
  • La majorité des membres du conseil arbitral a tiré des conclusions de fait qui appuient l’affirmation de l’intimée selon laquelle le rejet de sa demande de prestations est fondé sur son invalidité;
  • L’intimée s’est vu refuser le même bénéfice de la Loi que celui accordé à des ingénieurs et à d’autres professionnels qui ne sont pas atteints d’un handicap visible qui touche de manière préjudiciable leur capacité de trouver un emploi;
  • Pour ces derniers, le travail indépendant est peut-être une question de choix, mais l’intimée, elle, n’a pas eu d’autres choix, compte tenu de son invalidité, et elle s’est donc retrouvée dans une « situation sans issue », comme l’a décrite la majorité des membres du conseil arbitral;
  • Il est discriminatoire de demander à l’intimée de satisfaire à l’exigence imposée aux DEREMPA, car c’est en raison de son invalidité qu’elle est devenue travailleuse indépendante;
  • Les dispositions contestées créent un désavantage par la perpétuation d’un préjudice ou l’application de stéréotypes;
  • Les dispositions contestées violent le droit de l’intimée à l’égalité de bénéfice de la Loi et établissent une distinction à son égard, en contravention de l’article 15 de la Charte. Elles ne peuvent donc pas être justifiées par l’application de l’article premier de la Charte.

Norme de contrôle judiciaire

[11] Les parties et le Tribunal conviennent que la norme de contrôle judiciaire applicable aux questions de droit est la norme de la décision correcte, et la norme de contrôle judiciaire à appliquer aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable – Canada (PG) c. White, 2011, CAF 190; Canada (PG) c. Romano, 2008 CAF 117; Stone c. Canada (PG), 2006 CAF 27.

Analyse

Faits et procédures

[12] L’intimée est ingénieure de profession. Elle est née à Cracovie, en Pologne, et était âgée de 37 ans au moment où elle a présenté sa demande de prestations, le 1er avril 2010.

[13] Elle a obtenu un baccalauréat en génie civil en 1997 à l’Université de Waterloo ainsi qu’une maîtrise, dans le même domaine, en 2000 à l’Université de la Colombie-Britannique.

[14] Elle est spécialisée, lorsque cela lui a été possible, en génie de l’environnement et en gestion de projets, des domaines qui exigent qu’elle communique personnellement avec des collègues, des clients externes, des fournisseurs et d’autres compagnons de travail.

[15] Elle est atteinte d’une forme grave de dystonie depuis son enfance. Cette affection neurologique permanente cause des contractions involontaires des muscles et des spasmes. Sous l’effet de la contraction involontaire des muscles, le corps effectue des mouvements répétitifs, souvent accompagnés de contorsions, et adopte des postures irrégulières. Ces contractions peuvent aussi causer une élocution qui semble forcée. L’état de l’intimée peut être quelque peu incommodant et déroutant pour une personne qui n’en connaît pas la cause.

[16] Compte tenu des difficultés importantes qu’elle éprouvait à trouver un emploi assurable dans son domaine, lesquelles étaient en grande partie attribuables à sa dystonie et à l’idée que se faisaient des employeurs éventuels au sujet de sa capacité de s’acquitter de ses fonctions, elle a finalement accepté plusieurs contrats à titre de travailleuse indépendante. Ces contrats lui étaient proposés par des collègues au sein d’organisations qui savaient qu’elle effectuait un travail de grande qualité. Durant sa période de participation à la vie active, elle a travaillé pour son propre compte et a accumulé 777 heures, notamment dans le cadre de ses fonctions d’experte-conseil en développement de programmes à l’Institut de technologie de la Colombie-Britannique et d’experte-conseil en organisation et en développement d’infrastructure de programme à la Vancouver Area Cycling Coalition.

[17] Elle a ensuite réussi à obtenir un poste temporaire à temps partiel au sein d’Environnement Canada. Le travail a commencé en septembre 2009 et a pris fin le 31 mars 2010. Elle a également travaillé à l’Institut de technologie de la Colombie-Britannique où elle a occupé un poste temporaire à temps partiel du 12 décembre 2009 au 26 février 2010. Au cours de sa période de référence, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’elle soit mise à pied par l’Institut de technologie de la Colombie-Britannique en février et par Environnement Canada à la fin de mars 2010, elle a accumulé 699 heures d’emploi assurable.

[18] La période de référence de l’intimée à prendre en compte pour établir son admissibilité au bénéfice des prestations était la période de 52 semaines précédant le dépôt de sa demande de prestations. Au cours de la période qui précédait le dépôt de sa demande présentée le 10 avril 2010, l’intimée avait accumulé 699 heures d’emploi assurable. Durant la période de 52 semaines qui a précédé le début de sa période de référence, elle n’a accumulé aucune heure d’emploi assurable, puisque la Commission n’a pas pris en compte ses 777 heures de travail indépendant. Sa demande de prestations régulières d’assurance-emploi a donc été refusée puisqu’elle n’avait pas accumulé d’heures reliées à un emploi sur le marché du travail, au sens de l’article 7 de la Loi et de l’article 12 du Règlement, durant sa période de participation à la population active. L’intimée devait donc avoir accumulé les 910 heures requises pour une DEREMPA.

[19] L’intimée a porté en appel la décision concernant le rejet de sa demande de prestations régulières devant un conseil arbitral dont la majorité des membres a tranché en faveur de l’intimée le 7 juillet 2010. Le 26 juillet 2010, l’appelante a interjeté appel de la décision rendue par la majorité des membres du conseil arbitral en invoquant le nombre d’heures requis pour être admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi au titre de l’article 7 de la Loi.

[20] Lors de l’audience d’appel de l’appelante, l’intimée a contesté la validité de l’exigence imposée aux DEREMPA ou l’application de cette exigence au regard de sa demande en alléguant que les dispositions pertinentes de la Loi contreviennent à la Charte, qu’elles sont ultra vires et qu’elles violent la LCDP.

[21] L’intimée a continué de chercher un emploi et, en juin 2011, elle a été embauchée comme spécialiste des sciences physiques pour doter un poste temporaire à Ressources naturelles Canada. Elle a ensuite obtenu une autre affectation temporaire, ce qui lui a permis de prolonger sa période d’emploi jusqu’au 1er mars 2013. Elle a également touché des prestations d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada de juin 2011 à novembre 2011, date à laquelle sa période d’essai de travail a pris fin.

i) Le conseil arbitral a-t-il commis une erreur de droit en concluant que l’intimée était admissible aux prestations régulières d’assurance-emploi même si elle n’avait pas accumulé le nombre d’heures requis au cours de sa période de référence?

[22] Lorsqu’il a accueilli l’appel, le conseil arbitral tiré les conclusions suivantes :

[Traduction]

« La décision rendue par la minorité s’appuie sur la jurisprudence traditionnelle. La prestataire est considérée comme une personne qui devient ou redevient membre de la population active, et elle doit avoir accumulé au moins 910 heures d’emploi assurable. N’ayant pas accumulé le nombre d’heures d’emploi assurable requis, elle n’est pas admissible au bénéfice des prestations, et ce, malgré le fait qu’elle a travaillé, puisque ce travail a été exécuté dans le cadre de « contrats ».

La prestataire a expliqué qu’il lui a été difficile de trouver un emploi permanent à temps plein. Les employeurs percevaient son handicap neurologique visible comme un sujet d’embarras. N’ayant pas eu d’autres choix que d’accepter de travailler « à contrat », la prestataire s’est donc retrouvée dans le secteur du « travail indépendant », ce qui explique pourquoi elle n’a pas cotisé au régime de l’assurance-emploi.

La majorité des membres du conseil arbitral constate que les dispositions législatives en vigueur (et la jurisprudence qui en découle) ne tiennent pas compte du fait que le nombre d’emplois qui procurent une « rémunération assurable » et qui sont offerts aux personnes ayant un handicap physique est restreint.

Décision

La prestataire a décrit les difficultés auxquelles doivent faire face les personnes ayant un handicap physique; elles peuvent seulement travailler pour leur propre compte ou exercer un emploi dans le cadre d’un contrat. Le travail qu’elles exécutent ne leur permet donc pas de toucher une rémunération assurable. Quelle que soit son intention, la prestataire se retrouve dans une situation « sans issue ». Compte tenu de ces motifs et des conclusions tirées par la majorité et dans l’intérêt de la justice naturelle, l’appel est accueilli. »

[23] Le Tribunal est d’avis que la majorité des membres du conseil arbitral a commis une erreur de droit et a rendu une décision erronée lorsqu’elle a établi que l’intimée était admissible au bénéfice des prestations régulières d’assurance-emploi même si elle n’avait pas accumulé le nombre d’heures requis au cours de sa période de référence.

[24] Comme le précise l’alinéa 7(3)b) de la Loi, l’intimée devait exercer un emploi assurable pendant 910 heures pour remplir les conditions requises. Malheureusement, elle n’a accumulé que 699 des 910 heures d’emploi assurable requises. Elle n’était donc pas admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[25] L’exigence énoncée à l’article 7 de la Loi ne permet aucun écart et ne confère ni au conseil arbitral ni au Tribunal le pouvoir discrétionnaire de corriger le manque d’heures d’emploi assurable afin de faire établir une période de prestations, même dans les cas qui suscitent le plus la sympathie – Canada (PG) c. Lévesque, 2001 CAF 304.

ii) L’article 12 du Règlement est-il ultra vires?

[26] L’intimée soutient que l’article 12 du Règlement est ultra vires parce qu’il fait totalement abstraction du travail qu’elle a exécuté pour son propre compte. Elle allègue plus précisément qu’au titre de l’article 12, les heures de travail indépendant ne sont pas considérées comme des « heures reliées à un emploi sur le marché du travail », en contravention de l’objet de la loi, et que la Commission outrepasse son autorité réglementaire que lui confère l’alinéa 7(4)c) de la Loi.

[27] L’appelante soutient que le fait que les heures de travail indépendant ne soient pas considérées comme des « heures reliées à un emploi sur le marché du travail » ne signifie pas que l’article 12 du Règlement est ultra vires, c’est-à-dire qu’il excède les pouvoirs prévus à l’article 7 de la Loi, plus particulièrement, ou à la Loi, dans son ensemble. Les personnes qui exercent un emploi aux termes d’un contrat de louage de services sont habituellement des travailleurs indépendants ou des entrepreneurs, et leurs emplois sont toujours exclus des emplois assurables. Étant donné que les travailleurs indépendants décident eux-mêmes de leur propre mise à pied, leur situation de chômage n’est pas de nature involontaire et est donc exclue du champ d’application de la Loi dans le cadre du régime d’assurance-emploi.

[28] Les dispositions pertinentes de la Loi et du Règlement sont ainsi libellées :

Définition et interprétation

Définitions

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi,

"emploi assurable"
"emploi assurable" S’entend au sens de l’article 5;

"assuré"
"assuré" Personne qui exerce ou a exercé un emploi assurable;

Emploi assurable

Sens de « emploi assurable »

5. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

  1. a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;
  2. b) l’emploi du genre visé à l’alinéa a), exercé au Canada au service de Sa Majesté du chef du Canada;
  3. c) l’emploi à titre de membre des Forces canadiennes ou d’une force policière;
  4. d) un emploi prévu par règlement pris en vertu des paragraphes (4) et (5).

Conditions requises pour recevoir des prestations

Versement des prestations

7. (1) Les prestations de chômage sont payables, ainsi que le prévoit la présente partie, à un assuré qui remplit les conditions requises pour les recevoir.

Conditions différentes à l’égard de la personne qui devient ou redevient membre de la population active

  1. (3) L’assuré qui est une personne qui devient ou redevient membre de la population active remplit les conditions requises si, à la fois :
    1. a) il y a eu arrêt de la rémunération provenant de son emploi;
    2. b) il a, au cours de sa période de référence, exercé un emploi assurable pendant au moins neuf cent dix heures.

Personne qui devient ou redevient membre de la population active

  1. (4) La personne qui devient ou redevient membre de la population active est celle qui, au cours de la période de cinquante-deux semaines qui précède le début de sa période de référence, a cumulé, selon le cas :
    1. a) moins de quatre cent quatre-vingt-dix heures d’emploi assurable;
    2. b) moins de quatre cent quatre-vingt-dix heures au cours desquelles des prestations lui ont été payées ou lui étaient payables, chaque semaine de prestations se composant de trente-cinq heures;
    3. c) moins de quatre cent quatre-vingt-dix heures reliées à un emploi sur le marché du travail, tel qu’il est prévu par règlement;
    4. d) moins de quatre cent quatre-vingt-dix de l’une ou l’autre de ces heures;
    5. e) l’emploi d’un particulier au Canada à titre de promoteur ou coordonnateur d’un projet dans le cadre d’une prestation d’emploi.

Heures reliées à un emploi sur le marché du travail

12. (1) Pour l’application de l’alinéa 7(4)c) de la Loi, le nombre d’heures réglementaires est de 35 heures par semaine pour chacune des semaines suivantes :

  1. a) toute semaine pour laquelle le prestataire a reçu ou recevra :
    1. (i) soit l’indemnité prévue pour un accident du travail ou une maladie professionnelle, autre qu’une somme forfaitaire ou une pension versées par suite du règlement définitif d’une réclamation,
    2. (ii) soit une rémunération dans le cadre d’un régime d’assurance-salaire, en raison d’une maladie, d’une blessure ou d’une mise en quarantaine, d’une grossesse, des soins à donner à un ou plusieurs enfants visés au paragraphe 23(1) de la Loi ou des soins ou du soutien à donner à un membre de la famille visé au paragraphe 23.1(2) de la Loi ou à un enfant gravement malade,
    3. (iii) soit des indemnités visées à l’alinéa 35(2)f),
    4. (iv) soit une rémunération en raison de laquelle, en vertu de l’article 19 de la Loi, aucune prestation n’est payable au prestataire,
    5. (v) soit un versement au titre d’une subvention pour le soutien du revenu dans le cadre de la stratégie du poisson de fond de l’Atlantique, autre qu’un versement de subvention à titre de soutien pour retraite anticipée;
  2. b) toute semaine durant laquelle, selon le cas :
    1. (i) le prestataire suivait un cours ou un programme d’instruction ou de formation vers lequel il avait été dirigé par la Commission ou l’autorité désignée par elle,
    2. (ii) il exerçait un emploi dans le cadre des prestations d’emploi intitulées Travail indépendant ou Partenariats pour la création d’emplois, mises sur pied par la Commission en vertu de l’article 59 de la Loi, ou dans le cadre d’une prestation similaire offerte par un gouvernement provincial ou un autre organisme et faisant l’objet d’un accord conclu aux termes de l’article 63 de la Loi,
    3. (iii) il ne pouvait établir un arrêt de rémunération en raison de la répartition de sa rémunération conformément à l’article 36,
    4. (iv) son délai de carence s’écoulait,
    5. (v) il purgeait une exclusion aux termes de l’article 28 de la Loi ou il était exclu du bénéfice des prestations en vertu de l’article 30 de la Loi à l’égard d’une semaine de chômage pour laquelle les prestations auraient autrement été payables;
  3. c) une semaine de chômage résultant d’un arrêt de travail attribuable à un conflit collectif à l’usine, à l’atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi.

[29] Pour trancher la présente question, le Tribunal doit se rappeler qu’il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Il ne suffit pas de simplement examiner le langage de la disposition législative en question – Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27.

[30] La Loi sur l’assurance-chômage et la loi qui l’a remplacée sont en vigueur depuis 1940 et ont évolué avec le temps. Lorsqu’elle a été créée, l’assurance-emploi avait pour objectif fondamental d’améliorer la sécurité économique et sociale des Canadiens (Voir : Allocution de l’honorable N.A. McLarty devant la Chambre des communes, le 28 juillet 1940, page 1987, à la pièce « B » versée à l’affidavit de Michael Duffy, le 31 mai 2012).

[31] Le régime d’assurance-emploi est un programme de sécurité du revenu essentiel pour les travailleurs canadiens. Son objectif principal consiste à appuyer la transition vers le marché du travail en offrant un soutien de revenu temporaire aux assurés admissibles à la suite d’un arrêt de rémunération causé par une perte de revenu d’emploi attribuable à la perte d’un emploi, à la maladie, à la naissance ou à l’adoption d’un ou de plusieurs enfants, ou à la nécessité de donner un soutien ou des soins à un membre de la famille gravement malade. Il n’a pas pour but de servir de régime sur lequel il est possible de dépendre pour toucher un revenu; il s’agit plutôt d’une assurance sociale fondée sur une participation appréciable à la population active (Affidavit de Michael Duffy, le 31 mai 2012, au paragr. 9).

[32] Le régime d’assurance-emploi vise à faire bénéficier les personnes qui exercent un emploi assurable, au sens de l’article 5 de la Loi. Un emploi assurable au sens de la Loi s’entend d’un emploi exercé aux termes d’un contrat de louage de services dans le cadre duquel un travailleur consent à fournir ses services à un employeur moyennant un salaire ou toute autre forme de rémunération (Affidavit de Michael Duffy, le 31 mai 2012, au paragr. 10).

[33] De plus, le régime est entièrement financé au moyen des cotisations versées par les employeurs et les employés. Comme tout autre régime d’assurance, il met en commun les risques afin qu’une partie importante des coûts associés à la perte d’emplois soient répartis entre les travailleurs et les employeurs. Toutefois, le fait de cotiser au régime ne donne pas nécessairement droit au versement de prestations. Un prestataire doit quand même remplir les conditions d’admissibilité établies par la loi, comme toute personne qui souscrit une police d’assurance (Affidavit de Michael Duffy, le 31 mai 2012, aux paragr. 11, 12 et 13).

[34] Chaque travailleur doit avoir participé de manière appréciable à la vie active avant de pouvoir recevoir des prestations. La partie du régime d’assurance-emploi liée aux prestations de revenu a été conçue pour fournir un soutien rapide aux assurés admissibles qui vivent un arrêt de rémunération en raison de la perte involontaire de leur revenu d’emploi (Affidavit de Michael Duffy, le 31 mai 2012, aux paragr. 17 et 19).

[35] Pour s’assurer que les principes d’assurance étaient appliqués au régime de l’assurance-emploi, seuls les emplois exposés à un risque réel de chômage bénéficieraient d’une couverture. Il a été déterminé que les travailleurs indépendants seraient exclus de toute couverture dans le cadre du régime de l’assurance-emploi (Voir : Allocution de l’honorable N.A. McLarty devant la Chambre des communes le 26 juillet 1940, pièce « B » versée à l’affidavit de Michael Duffy, le 31 mai 2012).

[36] Étant donné que le travailleur indépendant n’exerce pas son emploi dans le cadre d’une relation employeur-employé où la disponibilité du travail, la charge de travail et les heures de travail ne relèvent pas de la volonté de l’employé, il a été établi que l’assurabilité de ces emplois ne cadrait pas avec la portée de l’assurance-emploi (Voir : Exposé chronologique : l’évolution de l’assurance-chômage de 1940 à 1980, pages 7 à 11, pièce « G » versée à l’affidavit de Michael Duffy, le 31 mai 2012).

[37] Par la suite, le comité Gill a été chargé de formuler des recommandations visant à améliorer le régime. Il a constaté que le régime excluait les personnes travaillant dans des conditions exemptes de toute relation employeur-employé, et a recommandé qu’aucun changement ne soit apporté à cet égard (Voir : Rapport du Comité d’enquête relatif à la Loi sur l’assurance-chômage, pages 1-17, 112 à 118, pièce « S » versée à l’affidavit de Michael Duffy, le 31 mai 2012).

[38] En 1968, le rapport Cousineau recommandait que le régime continue d’exclure les travailleurs indépendants. Le rapport avait finalement conclu que les travailleurs indépendants devaient être exclus parce qu’ils ne sont pas visés par la portée du régime et qu’ils n’exercent pas leur emploi aux termes d’un contrat d’emploi conclu avec une autre partie (Voir : Report of the Study for Updating the Unemployment Insurance Programme, vol. 2, chap. VI, pages 13-15, pièce « H » versée à l’affidavit de Michael Duffy, le 31 mai 2012).

[39] En 1970, le livre blanc L’assurance-chômage au cours des années 70 avait recommandé que les travailleurs indépendants continuent d’être exclus dans le cadre du nouveau régime proposé. Les mêmes aspects, c’est-à-dire le fait que l’emploi et le chômage d’un travailleur indépendant relèvent de sa volonté et que la Loi n’a pas pour objet d’assurer la rentabilité de son entreprise, ont été cités à titre de facteurs justifiant cette recommandation (Voir : L’assurance-chômage au cours des années 70, page 18. Voir la pièce « J », Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent du travail, de l’emploi et de l’immigration, le 15 septembre 1970. Voir la pièce « K », Rapport du Comité permanent du travail, de l’emploi et de l’immigration sur le livre blanc sur l’assurance-emploi, pièce « I » versée à l’affidavit de Michael Duffy, le 31 mai 2012).

[40] De façon similaire, en 1981, un groupe de travail sur l’assurance-chômage a conclu dans un document intitulé L’assurance-chômage dans les années 1980 que les travailleurs indépendants devraient continuer d’être exclus du régime. Dans les recommandations portant sur les changements à apporter à la conception du régime, le rapport indiquait plus particulièrement que toute définition de l’emploi assurable devrait comprendre l’énoncé suivant : « […] tous les dollars gagnés et toutes les heures travaillées dans le cadre d’une relation "employeur-employé" assujettie à un contrat de louage de services et au contrôle ». (Voir : L’assurance-chômage dans les années 1980, pages 73 et 74, pièce « O » versée à l’affidavit de Michael Duffy, le 31 mai 2012).

[41] En 1986, la Commission Forget a conclu qu’en assurant les travailleurs indépendants « nous exposerions le Régime d’assurance-chômage à de graves problèmes ». En formulant sa recommandation de continuer d’exclure les travailleurs indépendants, la Commission a insisté sur le fait que, d’un point de vue moral, le risque associé à ces travailleurs est, à terme, incompatible avec le régime (Voir : Rapport de la Commission d’enquête sur l’assurance-chômage, pages 255 à 258 et 265, pièce « P » versée à l’affidavit de Michael Duffy, le 31 mai 2012).

[42] En 2009, le gouvernement a adopté la Loi sur l’équité pour les travailleurs indépendants afin d’offrir aux travailleurs indépendants des prestations de maternité, des prestations parentales, des prestations de maladie et des prestations de soignants sur une base volontaire. Ces derniers étaient toutefois encore exclus des prestations régulières d’assurance-emploi.

[43] Le fondement de cette position repose sur le fait que les travailleurs indépendants décident eux-mêmes de leur mise à pied, que leur situation de chômage n’est pas de nature involontaire et qu’elle ne cadre donc pas avec la portée de l’assurance-emploi en tant que régime d’assurance (Voir : Discours du Trône prononcé à la Chambre des communes le 19 novembre 2008, pièce « T » versée à l’affidavit de Michael Duffy, le 31 mai 2012; communiqué de presse émis par le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences le 3 novembre 2009, pièce « U » versée à l’affidavit de Michael Duffy, le 31 mai 2012).

[44] Compte tenu des termes de la Loi et de son objet ainsi que de l’historique des travailleurs indépendants au regard du régime de l’assurance-emploi, le Tribunal peut-il conclure que l’article 12 du Règlement est ultra vires?

[45] Le paragraphe 2(1) de la Loi précise qu’un assuré est une personne qui exerce ou a exercé un emploi assurable. Selon l’alinéa 5a) de la Loi, un emploi assurable est l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services exprès ou tacite, c’est-à-dire un emploi exercé dans le cadre d’une relation employeur-employé assujettie à un contrat de louage de services et à un contrôle par l’employeur des décisions prises concernant les mises à pied.

[46] L’alinéa 7(4)c) de la Loi précise le nombre d’heures réglementaires reliées à un emploi sur le marché du travail qu’il faut prendre en compte pour déterminer si une personne est une DEREMPA, alors que l’article 12 du Règlement définit les paramètres énoncés à l’alinéa 7(4)c) de la Loi en ce qui concerne les heures réglementaires (490) reliées à un emploi sur le marché du travail.

[47] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal ne peut arriver à la conclusion que l’article 12 du Règlement excède les pouvoirs de l’article 7 de la Loi, plus particulièrement, ou de la Loi, dans son ensemble, parce que les heures accumulées à titre de travailleur indépendant ne sont pas considérées comme des heures reliées à un emploi sur le marché du travail.

[48] Au contraire, si le travail exécuté pour son propre compte faisait partie des heures réglementaires décrites à l’article 12 du Règlement, cette inclusion irait clairement à l’encontre de l’article 7 de la Loi, plus particulièrement, et de la Loi en général.

[49] Le Tribunal estime que, lorsqu’ils sont lus en parallèle, les dispositions de la Loi et du Règlement forment un cadre harmonieux. L’intention et l’objectif pertinents de la législature – c’est-à-dire d’exclure le travail indépendant, sauf dans certaines circonstances précises, sont manifestes à la lecture de la Loi et dans l’intention du législateur.

[50] Au final, le Tribunal conclut que l’article 12 du Règlement est intra vires, c’est-à-dire qu’il respecte les limites du pouvoir de l’article 7 de Loi et de la Loi dans son ensemble.

iii) L’article 7 de la Loi et l’article 12 du Règlement violent-ils la Loi canadienne sur les droits de la personne?

[51] La présente question est soulevée en vertu de l’article 5 de la LCDP, lequel est ainsi libellé :

5. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

  1. a) d’en priver un individu;
  2. b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

[52] L’intimée soutient que les paragraphes 7(3) et 7(4) de la Loi et l’article 12 du Règlement établissent une distinction à son égard au motif de son invalidité, en contravention de l’article 5 de la LCDP.

[53] L’intimée allègue aussi qu’étant donné que le Tribunal a le pouvoir de trancher les questions de droit, il a la compétence nécessaire pour rendre une décision concernant les questions en matière de droits de la personne soulevées dans le cadre d’un appel et pour accorder les mesures de redressement qui s’imposent, s’il est démontré qu’il y a eu discrimination – Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes), [2006] 1 R.C.S. 513.

[54] L’appelante ne conteste pas la compétence du Tribunal de trancher les questions en matière de droits de la personne. Elle est cependant d’avis que le Tribunal devrait refuser d’examiner la contestation de l’intimée fondée sur la LCDP.

[55] À l’appui de son argumentation, l’appelante soutient que la contestation de l’intimée vise uniquement l’application de l’article 7 de la Loi et de l’article 12 du Règlement et qu’elle ne porte pas sur un acte discriminatoire lié à la fourniture d’un service et pouvant nécessiter la protection de la LCDP. Dans de telles circonstances, la nature de la plainte ne cadre pas avec la portée de la LCDP et la contestation ne devrait pas être portée à l’attention du Tribunal.

[56] L’intimée répond que non seulement elle conteste les dispositions législatives, mais qu’elle soutient que la mesure ministérielle qui vise à exclure le travail indépendant des « heures reliées à un emploi sur le marché du travail », conformément à la Loi, est un « service » au sens de la LCDP.

[57] Pour appuyer son argument selon lequel le fait d’établir une distinction en vertu de la Loi revient à refuser un service destiné au public, l’intimée se fonde sur les décisions rendues par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (PG) c. Druken, [1989] 2 CF 24 et par le Tribunal canadien des droits de la personne dans l’affaire McAllister-Windsor c. Canada (Développement des ressources humaines), TCDP 2001 CanLII 20691.

[58] Cependant, dans une décision récente, Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Agence du revenu) [2012] CAF 7 [Murphy], la Cour d’appel fédérale a revu la décision qu’elle avait rendue dans l’affaire Druken et a tiré la conclusion suivante :

« [7] Notre Cour a rendu sa décision dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Druken, [1989] 2 C.F. 24 (C.A.F.) [Druken], en se fondant sur la conclusion que la plainte en question concernait un acte discriminatoire lié à la fourniture d’un service en vertu de l’article 5, un fait que le procureur général a admis et qui n’a donc pas été contesté (voir la réserve exprimée à ce sujet par le juge Robertson aux paragraphes 78 à 80 de Canada (Procureur général) c. McKenna, [1999] 1 C.F. 401 (C.A.)). Cependant, malgré cette concession, il ressort à l’évidence de cet arrêt et du redressement accordé (Druken, page 29, alinéa a) que la plainte visait seulement l’applicabilité des alinéas 3(2)c) et 4(3)d) de la Loi sur l’assurance-chômage, S.C. 1974-1975-1976, ch. 80, et de l’alinéa 4(3)d) du Règlement sur l’assurance-chômage, C.R.C., ch. 1576, de sorte que, pour les raisons déjà exposées, une plainte de cette nature ne porte sur aucun des actes pouvant faire l’objet de plaintes sous le régime de la LCDP. »

(Souligné par mes soins)

[59] En rejetant la plainte formulée dans le cadre de l’affaire Murphy, la Cour a conclu que la discrimination alléguée ne découlait pas d’une mesure ministérielle qui aurait pu être perçue comme un service. Les attaques visaient directement l’applicabilité des dispositions de la Loi et ne portaient sur aucun des actes pouvant faire l’objet d’une plainte fondée sur la LCDP.

[60] Dans une décision récente, Matson et al. c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2013 TCDP 13 (CanLII), le Tribunal canadien des droits de la personne a repris l’argument de la Cour d’appel fédérale :

« [143] Les arrêts Heerspink, Craton, Larocque et Tranchemontagne étayent la prétention des plaignants et de la Commission selon laquelle les lois sur les droits de la personne ont préséance sur d’autres lois incompatibles et, de ce fait, peuvent faire en sorte qu’une disposition légale qui entre en conflit avec elles soient inopérantes. Cela concorde également avec d’autres affaires fédérales concernant les droits de la personne, telles que Druken, Gonzalez, McAllister-Windsor et Uzoaba, ainsi que d’autres affaires provinciales en matière de droits de la personne, qui se sont servies d’une loi sur les droits de la personne pour rendre inopérantes des dispositions légales incompatibles. Cependant, même si ces affaires étayent le principe de la primauté des lois sur les droits de la personne et la capacité qu’elles ont de rendre les dispositions légales inopérantes, rien ne donne à penser dans ces affaires que la Loi autorise le dépôt de plaintes qui visent le libellé d’autres lois.

[144] Le fondement du conflit entre les dispositions légales applicables dans les arrêts Heerspink, Craton et Larocque et les affaires fédérales et provinciales que les plaignants et la Commission ont invoquées a été formulé sous la forme de plaintes de "discrimination" aux termes de la loi sur les droits de la personne qui s’appliquait dans ces affaires. Les plaintes elles-mêmes ne visaient pas le libellé d’autres lois. Un "acte discriminatoire", au sens de la loi applicable, était présent.

[145] À cet égard, le paragraphe 40(1) de la Loi prévoit que des individus peuvent déposer une plainte s’ils ont des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire. Selon l’article 39 de la Loi, un "acte discriminatoire" s’entend d’un acte visé aux articles 5 à 14.1 de la Loi. Il n’existe dans ces articles aucun acte discriminatoire qui prévoit l’examen d’un texte de loi en vue de déterminer sa conformité à la Loi.

[146] Même si la Commission a souligné que l’article 2 et les paragraphes 49(5) et 62(1) de la Loi montrent que le législateur entendait que la Loi s’applique au libellé d’autres textes de loi fédéraux, ces dispositions ne changent ou n’ajoutent rien aux actes discriminatoires visés aux articles 5 à 14.1 de la Loi. Les paragraphes 49(5) et 62(1) traitent peut-être de la primauté de la Loi en cas de conflit avec d’autres textes de loi fédéraux mais, là encore, le principe de la primauté des lois sur les droits de la personne ne veut pas dire qu’il est possible de contester un texte de loi en vertu de la Loi, à défaut de l’existence d’un acte discriminatoire.

[147] Dans le même ordre d’idées, l’inclusion et l’abrogation de l’ancien article 67 de la Loi n’ont rien changé ou ajouté aux actes discriminatoires visés aux articles 5 à 14.1 de la Loi. Dans le même sens que le paragraphe 62(1), l’ancien article 67 de la Loi agissait comme une exception légale à la possibilité que la Loi ait préséance sur la Loi sur les Indiens et que, de ce fait, elle rende inopérante certaines de ses dispositions. Là encore, toutefois, le principe de la primauté des lois sur les droits de la personne ne veut pas dire que le libellé d’autres lois peut être contesté en vertu de la Loi, à défaut de l’existence d’un acte discriminatoire au sens de la Loi.

[148] Au vu du raisonnement qui précède, je ne conclus pas que l’arrêt Murphy est supplanté par des arrêts jurisprudentiels de la Cour suprême du Canada. Je ne trouve pas non plus de sources à l’appui de la thèse voulant que la Loi autorise le dépôt de plaintes contestant l’effet discriminatoire d’autres lois fédérales, à défaut de l’existence d’un acte discriminatoire au sens de la Loi. À mon avis, les arrêts Heerspink, Craton et Larocque, de même que les affaires fédérales et provinciales que les plaignants et la Commission ont invoquées, concordent en fait avec la décision qu’a rendue la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Murphy. À l’instar de l’analyse faite dans ces affaires, la Cour d’appel fédérale a prescrit qu’il devait y avoir un "service", au sens de l’article 5 de la Loi, pour que le Tribunal ait compétence. De plus, les commentaires que la Cour d’appel fédérale a formulés dans cet arrêt ne mettent pas en doute la primauté de la Loi en cas de conflit avec un autre texte de loi.

[149] Cependant, l’arrêt Murphy précise toutefois que la contestation d’un texte de loi, et rien d’autre, n’est pas un service et, de ce fait, n’est pas un acte discriminatoire au sens de la Loi. Jusqu’au prononcé de l’arrêt Murphy, dans le cadre d’affaires telles que Forward et Watkin, la compréhension judiciaire du terme "services", au sens de l’article 5 de la Loi, a été clarifiée, conformément à la juste méthode d’interprétation des lois sur les droits de la personne qui a été adoptée dans les arrêts Heerspink, Craton, Action Travail des Femmes et Tranchemontagne (voir l’arrêt Watkin, au paragraphe 34). Comme je l’ai mentionné plus tôt, ni les plaignants ni la Commission n’ont contesté les critères généraux que l’on applique à l’heure actuelle pour déterminer si une conduite s’applique à un "service" au sens de l’article 5 de la Loi.

[150] Comme j’ai conclu que la plainte dont il est question en l’espèce est une contestation d’un texte de loi, et rien d’autre, que l’arrêt Murphy n’est pas supplanté par la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et que la Loi n’autorise pas le dépôt de plaintes visant l’effet discriminatoire d’autres lois fédérales, à défaut de l’existence d’un acte discriminatoire au sens de la Loi, de ce fait, vu que les plaignants n’ont pas relevé l’existence d’un acte discriminatoire au sens de l’article 5 de la Loi, la présente plainte est rejetée. »

[61] Le Tribunal canadien des droits de la personne a réitéré cette position dans une autre décision récente, soit Andrews et al. c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2013 TCDP 21 (CanLII) :

« [71] La Commission soutient qu’avant l’arrêt Murphy de la Cour d’appel fédérale, un long courant jurisprudentiel dans le régime fédéral en matière de droits de la personne a reconnu que la Loi primait sur d’autres lois incompatibles, conformément aux principes établis dans les affaires Heerspink, Craton, Larocque et Tranchemontagne. À ce sujet, la Commission se fonde sur les décisions suivantes : Druken; Gonzalez; McAllister-Windsor; Canada (Procureur général) c. Uzoaba, [1995] 2 C.F. 569 (Uzoaba) [1995 CanLII 3589 (CF)]; les motifs dissidents des juges Dickson et Lamer dans Bhinder c. CN, [1985] 2 R.C.S. 561 (Bhinder) [1985 CanLII 19 (CSC)]; et les motifs dissidents des juges McLachlin et L’Heureux-Dubé dans Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854 (Cooper) [1996 CanLII 152 (CSC)]. 

[72] Dans les circonstances en l’espèce, la Commission soutient que le Tribunal est aux prises avec deux courants jurisprudentiels contradictoires d’instances supérieures : (i) la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, qui déclare qu’en l’absence d’une déclaration claire du contraire dans la loi, les lois en matière de droits de la personne rendent inopérantes les lois incompatibles; (ii) l’arrêt Murphy de la Cour d’appel fédérale, qui tire la conclusion opposée. Selon le principe de stare decisis, la Commission fait valoir que le Tribunal doit suivre les principes établis par la Cour suprême du Canada.

[73] Le Tribunal a récemment examiné la jurisprudence de la Cour suprême du Canada qui portait sur la primauté des lois en matière de droits de la personne à la lumière de l’arrêt Murphy de la Cour d’appel fédérale. Dans une décision datée du 24 mai 2013, le membre instructeur Ed Lustig a rejeté les plaintes de Jeremy et Mardy Matson et de Melody Schneider : Matson et al c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2013 TCDP 13, (Matson) [CanLII]. Les Matson et Mme Schneider, qui sont frères et sœurs, soutenaient qu’en raison de leur héritage Indien matrilinéaire, par lequel ils ont eu droit à l’inscription au sens du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens, ils ont été traités différemment d’autres Indiens dont l’héritage était patrilinéaire et qui ont par conséquent obtenu le statut d’Indien au sens du paragraphe 6(1) de la Loi sur les Indiens. Ils faisaient valoir que les dispositions sur l’inscription de la Loi sur les Indiens, appliquées à leur situation, constituaient de la discrimination fondée sur le sexe, la situation de famille, la race et l’origine nationale ou ethnique, en contravention de l’article 5 de la Loi.

[...]

[77] Je ne propose pas de procéder à cette analyse de nouveau en l’espèce. J’ai examiné ces décisions, ainsi que les motifs du Tribunal, en détail et je partage l’avis selon lequel la jurisprudence susmentionnée de la Cour suprême du Canada et l’arrêt Murphy ne sont pas en contradiction. Je reconnais que les lois en matière de droits de la personne, y compris la Loi, peuvent rendre inopérantes d’autres lois incompatibles, suivant les arrêts Heerspink, Craton, Larocque et Tranchemontagne, appuyés par l’arrêt Action Travail des Femmes. Cependant, cela n’empêche pas qu’il doit exister un acte discriminatoire au sens de la Loi, donnant ainsi compétence au Tribunal d’examiner la plainte, comme la Cour d’appel fédérale l’a exprimé dans l’arrêt Murphy.

[78] Contrairement aux observations de la Commission, ce point de vue prend aussi appui dans un long courant jurisprudentiel fédéral qui a précédé Murphy. Comme je l’ai expliqué en détail dans mon analyse portant sur la signification de "service" au sens de l’article 5 de la Loi, les affaires Druken, Gonzalez et McAllister-Windsor portaient sur le principe selon lequel les avantages fournis par la Loi sur l’assurance-chômage et la Loi sur la Citoyenneté constituaient un service au sens de l’article 5 de la Loi. Ces décisions, avec Gould, Watkin, Pankiw, McKenna et Forward, font partie de l’évolution de la jurisprudence qui a aidé à définir la portée de l’article 5 de la Loi. Bien que l’expression "service" ait pu être interprétée différemment dans les affaires Druken, Gonzalez et McAllister-Windsor que dans l’arrêt Murphy, je ne suis pas d’avis que ces décisions renoncent à l’exigence juridique selon laquelle le Tribunal doit conclure qu’il y a eu "acte discriminatoire" au sens de la Loi.

[...]

[109] Conformément à l’article 10 de la Loi sur les Indiens, les bandes ont la capacité de contrôler leur propre effectif en fonction de leurs propres règles d’appartenance. L’appartenance à une bande, dans la mesure où les bandes ont décidé d’exercer ce contrôle, n’est donc pas régie par la Loi sur les Indiens comme telle, mais par un ensemble de règles permises par la loi. Une contestation au sujet de l’appartenance n’est donc, dans le contexte qui nous intéresse, pas une contestation de la loi et, par conséquent, peut davantage être considérée comme un "service", fourni par la bande, au sens de l’article 5 de la Loi. Pour les motifs susmentionnés, on ne peut dire la même chose de l’inscription à titre d’Indien, dont les modalités sont précisément définies dans la Loi sur les Indiens. Par conséquent, la portée de ce qui constitue ou non un "service" n’est pas définie par la relation entre un individu et l’État, comme le soutient la Commission, mais plutôt par la question de savoir si ce qui est contesté constitue une attaque directe à l’acte de législation du Parlement, qui relève alors de la Charte, ou constitue un acte discriminatoire au sens de l’article 5 de la Loi et au sens des motifs qui précèdent. »

[62] La contestation soulevée par l’intimée vise-t-elle à remettre en question les textes de lois et rien d’autre? Y a-t-il absence de service et, par conséquent, il ne s’agit pas d’un acte discriminatoire au sens de la LCDP ou d’un acte discriminatoire relevant du champ d’application de la LCDP?

[63] Conformément aux décisions rendues dans Murphy, Andrews et Matson, le Tribunal est d’avis que la discrimination alléguée ne découle pas d’une action ministérielle pouvant être perçue comme un « service » au sens de l’article 5 de la LCDP, que les attaques visaient directement l’applicabilité des dispositions de la Loi et que la discrimination en question ne correspond à aucun des actes pouvant faire l’objet d’une plainte fondée sur la LCDP.

[64] Compte tenu des faits non contestés portés à sa connaissance, l’appelante ne disposait pas d’un pouvoir discrétionnaire pour établir que l’intimée était une personne qui redevient membre de la population active et pour appliquer en conséquence l’exigence imposée aux DEREMPA. Il s’agissait d’un exercice purement mathématique.

[65] Dans l’affaire Canada (PG) c. Lévesque, 2001 CAF 304, la Cour d’appel fédérale a soutenu ce qui suit :

« [2] La prestataire a accumulé 594 heures de travail au lieu des 595 heures requises par le paragraphe 7(2) de la Loi sur l’assurance-emploi (L.C. 1996, c. 23). Il lui manque une heure de travail pour rencontrer les conditions requises par cet article afin d’être éligible aux prestations de chômage. Cette exigence de la Loi ne permet aucun écart et ne donne aucune discrétion. Ni le conseil arbitral ni le juge-arbitre ne pouvaient relever la prestation de son défaut. »

[66] Dans la décision CUB 80061, le juge-arbitre a confirmé la décision du conseil arbitral de la façon suivante :

« La prestataire, qui a cessé de travailler en raison d’une blessure, a présenté une demande de prestations et la Commission l’a rejetée puisque la prestataire n’avait pas accumulé un nombre suffisant d’heures d’emploi assurable au cours de sa période de référence (pièce 5-3).

Le conseil arbitral a rejeté l’appel de la prestataire (pièce 11) pour les raisons suivantes :

Le conseil ne trouve aucun élément de preuve confirmant que la prestataire a accumulé des heures d’emploi assurable au cours de sa période de référence. Le conseil note que les heures indiquées à la pièce 3 n’ont pas été accumulées au cours de la période de référence et que, de toute façon, ces heures ont été utilisées pour établir sa période de prestations de maladie. Par conséquent, le conseil tient pour avéré que la prestataire n’a accumulé aucune heure au cours de la période de référence et qu’elle n’est donc pas admissible au bénéfice des prestations.

En vertu de la Loi et de l’article 12 du Règlement, ce doit être un exercice purement mathématique. La Loi et la jurisprudence sont incontournables, comme l’a mentionné le juge Cullen dans la décision CUB 23847 : "[...] les restrictions imposées au pouvoir discrétionnaire du conseil arbitral, ainsi qu’au mien, demeurent aussi rigoureuses que s’il manquait dix semaines ou plus. Il n’y a pas de texte officiel autorisant une modification des exigences de la Loi, même dans les circonstances qui suscitent le plus notre sympathie."

La prestataire interjette maintenant appel de la décision du conseil devant le juge-arbitre, invoquant un déni de justice naturelle (pièce 12-2).

Le dossier ne contient pas le moindre élément de preuve étayant le motif d’appel invoqué par la prestataire, ni aucun autre motif d’appel possible. Le conseil a rendu la bonne décision et rien ne justifie l’intervention du juge-arbitre. »

[67] Et finalement, dans une autre décision CUB 71814, où la prestataire n’avait pas accumulé les 910 heures requises pour une DEREMPA, le juge-arbitre s’est ainsi exprimé :

« [3] La prestataire a accumulé 447 heures d’emploi assurable, ce qui n’est pas suffisant pour être admissible au bénéfice des prestations. Elle avait travaillé dans une auberge pendant sa période de référence et avait accumulé 148,75 heures d’emploi assurable. Même en additionnant ces heures, on est encore loin des 910 heures requises pour une personne qui devient ou qui redevient membre de la population active au sens de la Loi.

[4] La prestataire, qui est une personne sympathique, a fait connaître à la cour et à l’avocat, de façon franche et éloquente, son point de vue sur les injustices sociales. Toutefois, sur la question de fond relative au manque d’heures d’emploi assurable, je ne peux malheureusement pas intervenir étant donné qu’il faut appliquer rigoureusement la Loi et que je ne peux y déroger. »

(Souligné par mes soins)

[68] Pour être admissible au bénéfice des prestations, l’intimée devait accumuler 910 heures d’emploi assurable, comme le précise l’alinéa 7(3)b) de la Loi. Malheureusement, elle n’avait accumulé que 699 des 910 heures d’emploi assurable requises. Elle n’avait donc pas rempli les conditions requises pour recevoir des prestations d’assurance-emploi.

[69] Ayant conclu que la présente plainte vise à contester les textes de lois et rien d’autre et que la LCDP ne permet pas le dépôt de plaintes contestant l’effet discriminatoire d’autres lois fédérales, à défaut de l’existence d’un acte discriminatoire au sens de la LCDP, je rejette donc ce motif, puisque l’intimée n’a pas relevé l’existence d’un acte discriminatoire au sens de l’article 5 de la LCDP.

iv) L’article 7 de la Loi et l’article 12 du Règlement établissent-ils une distinction entre les personnes en fonction de l’invalidité ou de l’invalidité perçue, en contravention du paragraphe 15(1) de la Charte?

[70] L’intimée soutient que les paragraphes 7(3) et 7(4) de la Loi et l’article 12 du Règlement ont entraîné un déni de son droit à l’égalité de bénéfice de la Loi et qu’ils établissent une distinction à son égard en raison de son invalidité, en contravention du paragraphe 15(1) de la Charte. En effet, ces dispositions ne considèrent pas les heures accumulées au cours de sa période de participation à la population active dans le cadre de son travail indépendant, une situation bien involontaire, comme des heures reliées à un emploi sur le marché du travail, et l’obligent donc à accumuler les 910 heures requises pour une DEREMPA.

[71] Elle soutient également que la justification d’une telle discrimination ne peut être démontrée au sens de l’article premier de la Charte.

[72] L’appelante est d’avis que l’intimée ne s’est pas acquittée du fardeau défini par la Cour suprême du Canada, soit celui d’établir avec succès une demande fondée sur une discrimination par suite d’un effet préjudiciable. En l’espèce, l’intimée n’a pas démontré, au moyen de la preuve, l’existence d’un lien de causalité direct entre une de ses caractéristiques personnelles et le refus des prestations.

[73] La jurisprudence établit un critère à deux volets pour évaluer une plainte fondée sur le paragraphe 15(1) : (1) La loi crée-elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue? (2) La distinction crée-t-elle un désavantage par la perpétuation d’un préjudice ou l’application de stéréotypes?

[74] La première étape de l’analyse fondée sur le paragraphe 15(1) vise à s’assurer que les tribunaux examinent seulement les distinctions que la Charte visait à interdire. Le paragraphe 15(1) ne protège que les distinctions fondées sur des motifs énumérés ou analogues.

[75] Un motif analogue est « une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle » : Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, par. 13 [1999 CanLII 687 (CSC)].

[76] Cependant, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue ne suffit pas pour établir une violation au titre du paragraphe 15(1). À la seconde étape, il faut démontrer que la mesure législative a un effet discriminatoire parce qu’elle perpétue un préjugé ou un stéréotype – Withler c. Canada (PG), 2011 CSC 12 [Withler].

[77] L’analyse des droits garantis par la Charte doit être effectuée en fonction de l’objet visé et du contexte, alors que la principale préoccupation du paragraphe 15(1) consiste à combattre la discrimination qui se présente sous forme de perpétuation d’un désavantage ou d’un stéréotype. Dans le cadre de son analyse finale, le Tribunal doit se demander si, compte tenu de tous les facteurs contextuels pertinents, y compris la nature et l’objet des dispositions législatives contestées se rapportant à la situation de la prestataire, la distinction contestée crée une discrimination en perpétuant un désavantage à l’égard du groupe ou en lui appliquant des stéréotypes – Withler.

Régime législatif

[78] Le Tribunal a d’abord procédé à l’examen approfondi du régime législatif avant d’établir que l’article 12 du Règlement était intra vires, c’est-à-dire qu’il respecte les limites de l’article 7 de la Loi, plus précisément, et de la Loi, dans son ensemble.

[79] Le Tribunal tient toutefois à préciser, comme d’autres tribunaux l’ont fait avant lui, que le régime d’assurance-emploi est un régime contributif qui fournit une assurance sociale aux Canadiens qui ont subi une perte de revenu à la suite de la perte de leur emploi ou qui sont incapables de travailler en raison d’une maladie, d’une grossesse ou de la naissance d’un enfant ou des responsabilités parentales dont ils doivent s’acquitter pour prendre soin d’un nouveau-né ou d’un enfant nouvellement adopté.

Déterminer si l’intimée a subi un traitement différentiel

[80] Dans la jurisprudence liée à la Charte et précédant la décision Withler, la première étape à suivre pour démontrer que la mesure législative en question a instauré une distinction préjudiciable consiste à comparer l’effet de la mesure législative sur un « groupe de comparaison » exempt de la caractéristique discriminatoire.

[81] L’intimée a d’abord soutenu que le groupe de comparaison au regard duquel il faut mesurer la distinction préjudiciable qu’elle a subie devrait comprendre des professionnels qui doivent traiter avec des pairs, des subordonnés, des supérieurs, des clients, des responsables de la réglementation et des membres du public, mais qui n’ont pas un handicap visible ou une affection physique qui pourraient être perçus comme une invalidité susceptible de nuire à leur capacité de communiquer de vive voix avec ces personnes.

[82] L’intimée a admis qu’elle n’avait pas pu présenter de preuve statistique relative à un groupe spécialisé de ce genre, mais elle est d’avis que le dépôt d’une telle preuve n’est plus obligatoire pour étayer une demande fondée sur l’article 15.  Elle soutient qu’une fois qu’elle aura établi la distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue, comme l’invalidité, il faudra passer à la deuxième étape de la demande, soit l’analyse de la Charte.

[83] Elle se fonde sur la preuve non contredite qu’elle a présentée et selon laquelle il lui a été beaucoup plus difficile de trouver un emploi convenable que les autres ingénieurs qui n’ont pas une invalidité visible ou perçue. Elle soutient que, parce qu’elle était incapable de trouver un emploi convenable, elle n’a pas eu d’autres choix que de travailler pour son propre compte durant sa période de participation à la population active. Étant donné qu’au titre de l’article 12 du Règlement, son travail indépendant, une situation qui était bien involontaire, n’était pas considéré comme une forme de participation à la vie active, elle aurait dû accumuler les 910 heures requises pour une DEREMPA afin d’être admissible et elle s’est donc vu refuser les prestations.

[84] Selon elle, l’effet de l’exigence imposée aux DEREMPA et le fait que son travail indépendant ne soit pas reconnu ont contribué à établir une distinction préjudiciable fondée sur son invalidité.

[85] L’appelante soutient cependant que, dans la décision Withler, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué que, dans les cas où il n’y a tout simplement pas, à première vue, de distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue, il est alors plus difficile d’établir une distinction. La Cour a également précisé que dans les cas de discrimination indirecte, comme dans la présente affaire, « le demandeur aura une tâche plus lourde à la première étape ».

[86] Le Tribunal ne peut que constater l’absence d’élément de preuve à l’appui de l’argumentation de l’intimée. Comme l’a souligné l’appelante, il n’y a aucune preuve statistique permettant d’établir les points suivants :

  • les personnes handicapées sont moins susceptibles de présenter une demande de prestations d’assurance-emploi;
  • les personnes handicapées sont moins susceptibles de recevoir des prestations d’assurance-emploi;
  • les personnes handicapées sont plus susceptibles d’être assujetties aux dispositions relatives aux DEREMPA et d’être obligées d’accumuler les 910 heures de travail requises pour être admissibles au bénéfice des prestations;
  • les personnes handicapées sont plus susceptibles de travailler pour leur propre compte;
  • les personnes handicapées qui sont assujetties aux dispositions relatives aux DEREMPA sont moins susceptibles d’atteindre le seuil des 910 heures.

[87] Sans donnée statistique adéquate, le Tribunal ne peut présumer que l’intimée s’est vu refuser une prestation qui a été accordée à d’autres ou qu’en raison d’une caractéristique personnelle et contrairement aux autres, elle porte un fardeau qui cadre avec les motifs énumérés ou analogues énoncés au paragraphe 15(1).

[88] Néanmoins, le Tribunal sait qu’une violation au titre du paragraphe 15(1) peut être démontrée par d’autres moyens et peut exister même si aucune autre personne possédant les mêmes caractéristiques que la prestataire ne subit le même traitement injuste – Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 RCS 497.

[89] Par définition, les lois qui confèrent une protection sociale entraînent une différence de traitement. Lorsque ces lois définissent des catégories de bénéficiaires et des conditions d’admissibilité, elles traitent différemment les personnes qui sont exclues de leur champ d’application et à qui les prestations sont par conséquent refusées – Canada (PG) c. Lesiuk, 2003 CAF 3.

[90] Bien que le Tribunal se doute qu’il existe un lien de causalité entre le refus des prestations et les caractéristiques alléguées, il est disposé à accepter le fait, compte tenu de la preuve présentée par l’intimée, que cette dernière a été traitée différemment en raison de son invalidité.

Déterminer si le traitement différent subi par l’intimée est fondé sur des motifs énumérés ou analogues

[91] Dans la présente instance, le motif invoqué en vertu de la Charte est l’invalidité, et il ne fait aucun doute qu’une distinction fondée sur une invalidité ou une invalidité perçue peut constituer le fondement d’une contestation formulée en vertu de l’article 15.

[92] Ce point amène donc le Tribunal à la dernière étape de l’analyse du paragraphe 15(1), c’est-à-dire examiner la question de savoir si le traitement différentiel établit une distinction à l’égard de l’intimée.

Déterminer si le traitement différentiel correspond à une discrimination en vertu du paragraphe 15(1)

[93] L’objet de l’article 15 est d’« empêcher qu’il y ait atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles au moyen de l’imposition de désavantages, de stéréotypes ou de préjugés politiques ou sociaux, et de promouvoir une société dans laquelle tous sont également reconnus dans la loi en tant qu’êtres humains ou que membres de la société canadienne, tous aussi capables, et méritant le même intérêt, le même respect et la même considération ». ­– Voir Law, précité.

[94] C’est à la troisième étape de l’analyse du paragraphe 15(1) que l’on traite le plus directement du concept de dignité humaine.

[95] La Cour suprême du Canada a défini quatre facteurs contextuels en rapport avec la troisième étape de l’analyse d’une discrimination : (i) la préexistence d’un désavantage, de stéréotypes, de préjugés ou de vulnérabilité; (ii) la correspondance, ou l’absence de correspondance, entre le ou les motifs sur lesquels l’allégation est fondée et les besoins, les capacités ou la situation propres au demandeur ou à d’autres personnes; (iii) l’objet ou l’effet d’amélioration de la loi, du régime ou de l’activité contesté eu égard à une personne ou à un groupe défavorisés dans la société; (iv) la nature et l’étendue du droit touché par l’activité gouvernementale contestée – Voir Law, précité.

[96] L’intimée reconnaît que le fait de diminuer une exigence d’admissibilité fondamentale pour répondre aux besoins de certains groupes de prestataires pourrait en théorie entraîner d’autres réductions qui toucheraient d’autres groupes, et que cela pourrait à terme mener à une situation où les prestations d’assurance-emploi deviendraient une forme d’assistance sociale offerte à toutes les personnes qui en ont besoin.

[97] L’intimée soutient toutefois que le fait de l’exempter de l’exigence imposée aux DEREMPA en considérant son travail indépendant, une situation bien involontaire, comme forme de participation à la vie active signifierait seulement qu’elle remplirait les conditions requises pour recevoir le même montant de prestations que les autres prestataires de sa région qui ont travaillé un nombre équivalent d’heures et ont touché la même rémunération, et ce, pendant une période d’une même durée.

[98] Le fait d’exiger des DEREMPA qu’elles paient un « prix » plus élevé que les autres prestataires pour recevoir des prestations d’assurance-emploi constitue un préjudice en soi. Toutefois, lorsque cette exigence est fondée sur la présomption que ces personnes profiteraient autrement du régime et que la valeur de leur travail n’est pas prise en compte, on ne peut que conclure qu’il est discriminatoire d’assujettir l’intimée à l’exigence imposée aux DEREMPA parce que cette dernière a été obligée de devenir travailleuse indépendante en raison de son invalidité.

[99] L’appelante soutient que les exigences d’admissibilité minimales énoncées à l’article 7 de la Loi, y compris la définition des heures requises pour qu’une DEREMPA soit admissible au bénéfice des prestations et le nombre d’heures requis, sont des éléments essentiels à un régime d’assurance dont le fonctionnement nécessite l’application de certains paramètres. Ces exigences permettent de s’assurer que les prestations sont versées à la population cible, car elles visent à s’assurer que les personnes qui reçoivent des prestations ont une participation minimale à la vie active, laquelle est mesurée en heures d’emploi assurable travaillées.

[100] L’appelante allègue que l’intimée n’a pas établi, à l’aide de la preuve, que les dispositions contestées, au motif de son invalidité, avaient eu une incidence disproportionnée. Ce sont les circonstances personnelles de l’intimée et ses choix professionnels qui ont fait en sorte qu’elle n’était pas admissible au bénéfice des prestations. L’intimée voudrait que son travail indépendant soit reconnu afin qu’elle puisse satisfaire aux exigences d’admissibilité prévues par la Loi d’une façon qui n’est pas prévue par celle-ci. Enfin, l’intimée n’a pas démontré que l’objet ou l’effet des dispositions en question contrevenait au paragraphe 15(1) de la Charte.

[101] Selon le premier facteur contextuel, le Tribunal doit examiner s’il y a préexistence d’un désavantage, de stéréotypes, de préjugés ou de vulnérabilité à l’égard de la personne ou du groupe.

[102] Bien qu’il soit certainement vrai que les personnes handicapées font face à des obstacles depuis longtemps pour intégrer le marché du travail et que ces obstacles reposent sur des stéréotypes et des préjudices, il n’a pas été démontré au Tribunal que l’assurance-emploi traînait un long passé de désavantages, de stéréotypes, de vulnérabilité et de préjudices causés par l’exigence imposée aux DEREMPA.

[103] En fait, la preuve démontre qu’une fois qu’une personne handicapée est sur le marché du travail, ses habitudes de travail ressemblent beaucoup à celles des personnes qui ne sont pas handicapées. La majorité des femmes handicapées (66 %) et titulaires d’un degré universitaire ont participé à la vie active. De plus, 68,4 % des personnes handicapées et âgées de 35 à 44 ans, soit le groupe d’âge de l’intimée durant la période visée, ont participé à la vie active. La preuve démontre que les personnes handicapées sont en fait plus susceptibles de recevoir des prestations d’assurance-emploi à la suite d’une cessation d’emploi que celles qui ne sont pas handicapées.

[104] L’exigence imposée aux DEREMPA ne crée et ne renforce aucun stéréotype selon lequel les personnes handicapées ne sont pas des atouts importants pour le marché du travail. De plus, elle ne porte pas atteinte à la dignité de ces personnes en donnant à penser que leur travail ne mérite pas autant de reconnaissance. Toute personne qui accumule le nombre d’heures d’emploi assurable requis sera admissible au bénéfice des prestations.

[105] Dans le cadre d’une analyse des effets préjudiciables comme celle-ci, le Tribunal doit établir une distinction entre les effets qui sont causés en totalité et en partie par une disposition contestée et les circonstances sociales qui existent indépendamment de la disposition en question – Symes c. Canada, [1993] 4 RCS 695, [1993] ACS no 131 (QL) (CSC).

[106] Dans ce contexte, le Tribunal n’est pas d’avis que le régime d’assurance-emploi a comme effet de perpétuer un désavantage historique qui aggrave la situation des personnes handicapées ou qui renforce des stéréotypes à leur égard.

[107] Selon le deuxième facteur contextuel, le Tribunal doit examiner la correspondance entre le ou les motifs et les besoins, les capacités ou la situation propres à l’intimée et à d’autres personnes.

[108] Le Tribunal estime que le régime d’assurance-emploi correspond aux besoins de l’intimée et des personnes handicapées. La preuve présentée au Tribunal démontre que ces dernières sont plus susceptibles que les personnes qui ne sont pas handicapées de recevoir des prestations du régime d’assurance-emploi. Le Tribunal ne peut conclure, à la lumière de la preuve portée à sa connaissance, que les personnes handicapées sont désavantagées par l’application de la Loi, même dans les cas où elles subissent des désavantages au sein de la société en raison de leur invalidité.

[109] Les heures accumulées par l’intimée dans le cadre de son travail indépendant n’ont pas été prises en compte non pas en raison de son invalidité ou de toute autre embûche rencontrée ou préjudice subi par les personnes handicapées, mais parce que le travail indépendant a toujours excédé la portée du régime d’assurance-emploi qui s’applique à tous les Canadiens.

[110] En outre, le législateur était conscient que certaines personnes handicapées ne seraient pas admissibles au bénéfice des prestations et qu’elles devraient toucher un revenu provenant d’autres sources pour compenser les effets négatifs pouvant découler de l’exclusion. Les autres sources de revenus sont notamment : le Fonds d’intégration pour les personnes handicapées dans la société canadienne; la Prestation fiscale pour le revenu de travail, qui comprend un supplément spécial pour les personnes handicapées; le Régime enregistré d’épargne-invalidité; et les prestations d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada, que l’intimée a d’ailleurs reçues pendant un certain temps.

[111] Le troisième facteur contextuel porte sur l’effet d’amélioration des dispositions législatives et se rapporte presque essentiellement aux situations relatives à ce qu’il est convenu d’appeler la discrimination positive. La présente affaire ne concerne pas une allégation de discrimination formulée par une personne « avantagée ».

[112] Conformément au quatrième facteur contextuel, le Tribunal doit examiner la nature et l’étendue du droit touché par la loi contestée. Plus les effets des dispositions législatives sont graves et localisés pour le groupe touché, plus il est probable que la discrimination soit fondée. En l’espèce, les effets ne sont ni graves ni localisés pour les personnes handicapées. En fait, la preuve présentée n’appuie aucunement l’argument selon lequel les effets de la disposition contestée sont localisés. Le traitement différentiel existe entre les personnes qui n’ont pas accumulé le nombre d’heures requis pour une DEREMPA et celles qui ont atteint ce seuil. Il ne concerne d’aucune façon les personnes handicapées.

[113] Bien que l’intimée soit une personne handicapée, elle n’est pas exclue de la participation au régime d’assurance-emploi. Le Tribunal a constaté qu’elle a effectivement exercé un emploi assurable pendant la durée de l’appel interjeté par l’appelante. L’intimée, comme tous les Canadiens, sera admissible au bénéfice des prestations d’assurance-emploi à l’avenir si elle subit un arrêt de rémunération et qu’elle satisfait aux exigences de la Loi.

[114] En raison des motifs susmentionnés, le Tribunal conclut que l’intimée ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le droit dont elle disposait en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte a été violé.

[115] Le Tribunal conclura en reprenant les termes du juge Létourneau dans l’affaire Lesiuk :

« [51] Je prends acte des observations du juge Iacobucci, dans l’arrêt Law, au paragraphe 88, où il affirme qu’il n’est pas toujours nécessaire pour le demandeur de produire une preuve attestant une atteinte à sa dignité et qu’il y aura des cas où le juge pourra conclure à une telle atteinte à la suite d’un raisonnement ou parce qu’il l’aura reconnue d’office. Cependant, je crois que je forcerais à l’excès, au point de le déformer, le concept de connaissance judiciaire, et que j’agirais au mépris de l’équité dans cette affaire si je devais conclure, sur ce seul fondement, qu’il y a violation de la dignité humaine à la lumière du contexte historique, social, politique et juridique de la défenderesse et à la lumière des nouvelles conditions d’admissibilité aux prestations d’assurance-emploi. Les événements qui caractérisent le contexte de la défenderesse, de même que la raison d’être des nouvelles conditions d’admissibilité, sont trop sujets à controverse pour se prêter à l’exercice de ce pouvoir judiciaire. Il ne saute nullement aux yeux que la distinction en cause a pour effet de porter atteinte à la dignité de la défenderesse ou des personnes dans son cas. Les conditions d’admissibilité ne sont pas la manifestation d’un manque de respect ou d’une perte de dignité. Il s’agit d’un instrument administrativement nécessaire conçu pour répondre aux exigences d’un régime viable d’assurance par cotisations. »

Conclusion

[116] L’appel est accueilli, la décision de la majorité des membres du conseil arbitral datée du 7 juillet 2010 est annulée, et l’appel interjeté par l’intimée devant le conseil arbitral est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.