Assurance-emploi (AE)

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Comparutions

L’appelante a participé à l’audience. K. C. a participé à l’audience à titre de témoin pour l’appelante.

Décision

[1] Le membre conclut que l’appelante était fondée à quitter volontairement son emploi; par conséquent, l’appel est accueilli.

Introduction

[2] L’appelante a présenté une demande initiale de prestations d’assurance‑emploi (les prestations) le 17 avril 2014 (pièce GD3-10). Le 12 juin 2014, elle a reçu une décision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) rejetant sa demande de prestations parce que la Commission avait déterminé que l’appelante avait quitté volontairement son emploi sans justification (pièces GD3-31 et GD3-32). Le 3 juillet 2014, l’appelante a présenté une demande de révision de cette décision (pièces GD3‑22 et GD3-23). Le 20 août 2014, l’appelante a reçu une décision de révision qui maintenait la décision originale lui refusant des prestations (pièce GD2‑12). L’appelante a interjeté appel de cette décision au Tribunal de la sécurité sociale (le Tribunal) le 19 septembre 2014 (pièces GD2-1 à GD2-3).

Mode d’audience

[3] L’audience a été tenue par téléconférence pour les raisons énoncées dans l’avis d’audience daté du 28 octobre 2014 (pièces GD1-1 à GD1-3).

Question en litige

[4] La question à trancher est celle de savoir si une exclusion pour avoir quitté volontairement un emploi sans justification aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi) doit être maintenue.

Droit applicable

[5] Selon l’alinéa 29c) de la Loi, « le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :

  1. (i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,
  2. (ii) nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,
  3. (iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
  4. (iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,
  5. (v) nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent,
  6. (vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,
  7. (vii) modification importante de ses conditions de rémunération,
  8. (viii) excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci,
  9. (ix) modification importante des fonctions,
  10. (x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur,
  11. (xi) pratiques de l’employeur contraires au droit,
  12. (xii) discrimination relative à l’emploi en raison de l’appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,
  13. (xiii) incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi,
  14. (xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement. »

[6] Selon l’article 30 de la Loi, « (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

  1. a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;
  2. b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.
  3. (2) L’exclusion vaut pour toutes les semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent son délai de carence. Il demeure par ailleurs entendu que la durée de cette exclusion n’est pas affectée par la perte subséquente d’un emploi au cours de la période de prestations.
  4. (3) Dans les cas où l’événement à l’origine de l’exclusion survient au cours de sa période de prestations, l’exclusion du prestataire ne comprend pas les semaines de la période de prestations qui précèdent celle où survient l’événement.
  5. (4) Malgré le paragraphe (6), l’exclusion est suspendue pendant les semaines pour lesquelles le prestataire a autrement droit à des prestations spéciales.
  6. (5) Dans les cas où le prestataire qui a perdu ou quitté un emploi dans les circonstances visées au paragraphe (1) formule une demande initiale de prestations, les heures d’emploi assurable provenant de cet emploi ou de tout autre emploi qui précèdent la perte de cet emploi ou le départ volontaire et les heures d’emploi assurable dans tout emploi que le prestataire perd ou quitte par la suite, dans les mêmes circonstances, n’entrent pas en ligne de compte pour l’application de l’article 7 ou 7.1.
  7. (6) Les heures d’emploi assurable dans un emploi que le prestataire perd ou quitte dans les circonstances visées au paragraphe (1) n’entrent pas en ligne de compte pour déterminer le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées, au titre du paragraphe 12(2), ou le taux de prestations, au titre de l’article 14.
  8. (7) Sous réserve de l’alinéa (1)a), il demeure entendu qu’une exclusion peut être imposée pour une raison visée au paragraphe (1) même si l’emploi qui précède immédiatement la demande de prestations — qu’elle soit initiale ou non — n’est pas l’emploi perdu ou quitté au titre de ce paragraphe.

Preuve

[7] L’appelante a travaillé chez W.C. S. Wholesale du 29 mars 2011 au 28 mars 2014 (pièces GD3-23).

[8] L’appelante a écrit une lettre, qu’elle a soumise lorsqu’elle a interjeté appel devant le Tribunal. Elle y décrit le lieu de travail comme un bureau à aires ouvertes. Plusieurs membres de la parenté du propriétaire y travaillaient. Ces employés ne se conformaient pas nécessairement aux règles et aux politiques de l’entreprise, comme les autres employés – qui n’étaient pas de la parenté – étaient censés le faire. Cela créait des tensions entre l’appelante et d’autres employés.

[9] Des caméras avaient été installées dans les locaux. W. S., le fils du propriétaire, était celui qui les avait installées et qui surveillait les moniteurs. Une caméra avait été placée derrière le bureau de l’appelante et donnait une vue plongeante de sa blouse. La caméra a par la suite été repositionnée.

[10] Lorsque B. S. (B.), le propriétaire, se fâchait contre des employés, il leur criait après, leur lançait des jurons et les humiliait. L’entreprise embauchait de nombreux étudiants et il se comportait de la même manière envers eux. Le bureau de B. se trouvait au centre de cette grande pièce et, comme il n’y avait pas de murs, tous pouvaient entendre ce qu’il disait. L’appelante était censée être la superviseure des étudiants, mais si B. voulait qu’ils fassent quelque chose pour lui, il leur disait de mettre de côté leurs tâches pour commencer à faire le travail qu’il voulait leur faire faire. L’appelante estimait que cette façon de faire sapait son autorité et nuisait aux tâches qui lui étaient assignées (pièce GD3-39).

[11] L’entreprise de K. C. a été mandatée par l’employeur pour réaliser un examen des pratiques commerciales de l’entreprise et formuler des suggestions d’amélioration en vue de sa croissance. L’examen a permis de relever de nombreuses défaillances. Bon nombre concernaient le harcèlement, la vie privée, des droits de la personne et les façons de se comporter. K. C. a cessé de travailler avec B. quand ce dernier s’est mis à invectiver publiquement un des employés de K. C. d’une façon très cavalière et abusive (pièces GD2-13 et GD2-14).

[12] K. C. a déclaré que B. avait la mèche courte. Il entretenait des conversations bruyantes et agressives avec son fils ou avec d’autres employés. Ces disputes étaient entendues d’un bout à l’autre du bureau en raison de l’aménagement ouvert des lieux. La situation rendait les autres employés, y compris l’appelante, mal à l’aise. Il y avait un fort taux de roulement du personnel pour cela et aussi en raison de l’attitude abusive manifestée par B., et par son fils W. S., à l’égard des employés.

[13] L’appelante a indiqué que dans le cadre de ses fonctions, elle devait faire des chèques à l’intention d’associés de l’entreprise, d’employés et d’autres personnes. Certains des chèques étaient faits pour des dépenses d’affaires dont la légitimité était douteuse, de l’avis de l’appelante. Pour certains des chèques qu’on lui demandait de faire, il n’y avait pas de factures ni de pièces justificatives. L’appelante a fait savoir qu’elle n’était pas à l’aise de voir son nom et sa réputation associés à cette pratique. Elle craignait que s’il devait y avoir un audit, elle pourrait se trouver impliquée car elle faisait ce genre de choses et elle ne voulait pas voir son nom associé à de tels agissements.

[14] L’employeur a indiqué qu’il avait un comptable qui lui disait quelles dépenses étaient légitimes et lesquelles ne l’étaient pas (pièce GD328).

[15] L’appelante a indiqué que ses heures de travail ont été réduites de cinq heures par semaine. Elle a confirmé que son salaire était demeuré inchangé. Lorsque l’appelante a interrogé B. à ce sujet, il lui a dit d’un ton abrupt qu’il ne changerait pas ses pratiques. Au terme d’une longue discussion, B. a suggéré à l’appelante de retourner chez elle et lui a dit qu’ils en reparleraient le lendemain.

[16] L’appelante est retournée au travail le jour suivant. Plusieurs employés étaient aussi présents à cette réunion, dont B. A., une employée à temps partiel qui travaillait au bureau de la paie. L’appelante était contrariée que B. A. assiste à la réunion. L’appelante s’est fait dire par B. que rien n’allait changer. Elle a alors informé B. qu’elle ne pouvait plus faire de chèques pour des dépenses personnelles.

[17] Il devenait très difficile de travailler dans ce climat de travail. Compte tenu des chèques pour des dépenses d’affaires douteuses qu’on lui demandait de faire, du comportement grossier de B., du traitement inéquitable des employés sans lien de parenté avec le propriétaire et des privilèges de ceux ayant des liens de parenté, et de la réduction de ses heures de travail, l’appelante estimait qu’elle n’avait d’autre choix que de quitter cet emploi (pièces GD3-24 à GD3-26).

[18] L’entreprise est située dans une petite ville. B. y a grandi tout comme bon nombre de propriétaires d’entreprise de la région. B. est devenu un leader au niveau des affaires dans ce milieu. De par son engagement communautaire et ses liens d’affaires, il est ami ou fait affaire avec la plupart des autres propriétaires d’entreprise de la région. Bon nombre de ces entrepreneurs ont fréquenté la même école que B. et ont grandi avec lui. De plus, il n’y a pas beaucoup d’emplois disponibles dans la région car le nombre d’entreprises y est relativement limité.

[19] La Commission a indiqué que l’appelante n’avait pas épuisé toutes les solutions raisonnables qui s’offraient à elle avant de quitter son emploi. Une des solutions aurait été de chercher un autre emploi avant de quitter le sien.

[20] L’appelante a déclaré que, dans le passé, si un des employés de B. cherchait un autre emploi, B. recevait un appel de l’employeur éventuel. En raison des relations personnelles ou d’affaires que B. entretenait avec la plupart des propriétaires d’entreprise, ceux-ci l’appelaient pour obtenir des références ou pour l’informer de la situation. B. faisait d’habitude échouer la démarche de l’employé car il était fâché de constater ce qu’il percevait comme un manque de loyauté de la part de l’employé. L’appelante, sachant cela, a réalisé que si elle devait chercher un autre emploi avant de partir de l’entreprise, B. l’apprendrait sans tarder. L’appelante estimait que cela ne ferait qu’empirer sa situation.

[21] L’appelante a indiqué qu’elle ressentait des symptômes de stress du fait de devoir travailler dans cette situation. Elle a consulté un médecin à ce sujet, qui lui a prescrit des médicaments. L’appelante a confirmé qu’elle n’a pas demandé à prendre congé pour faire un temps d’arrêt par rapport au stress qu’elle vivait au travail (pièces GD3-29 et GD3-30).

Observations

[22] La prestataire soutient ce qui suit :

  1. a) Elle était mal à l’aise de faire des chèques pour des dépenses d’affaires douteuses et s’inquiétait de la possibilité de s’exposer à des risques juridiques si un audit devait être effectué.
  2. b) Elle était bouleversée de la façon agressive et grossière dont le propriétaire s’adressait à elle et à d’autres.
  3. c) L’appelante était stressée en raison des tactiques d’intimidation utilisées par l’employeur à son sujet et à l’égard d’autres employés.

[23] L’intimée soutient ce qui suit :

  1. a) La situation que vivait l’appelante était loin d’être idéale.
  2. b) La situation que vivait l’appelante n’était pas intolérable, mais seulement déplaisante.
  3. c) L’appelante aurait dû continuer d’occuper son emploi jusqu’à ce qu’elle en trouve un autre.

Analyse

[24] Dans les cas de départ volontaire, le critère à appliquer, compte tenu de toutes les circonstances, consiste à déterminer si le prestataire avait une autre solution raisonnable à sa disposition que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait.

[25] Dans l’arrêt Hernandez (2007 CAF 320), la Cour d’appel fédérale a confirmé le principe selon lequel le prestataire se devait d’explorer auprès de son employeur la possibilité que la nature ou les conditions de travail de son emploi soient modifiées pour pallier à ses inquiétudes.

[26] L’appelante a essayé de discuter de ses préoccupations avec l’employeur. Durant leur rencontre, celui-ci a suggéré qu’elle se donne le temps de réfléchir à la situation et revienne le lendemain. Lorsqu’elle est arrivée au travail le jour suivant, d’autres employés étaient présents ainsi que des membres de la parenté. L’employeur a dit à l’appelante qu’il n’allait pas répondre à ses questions à moins qu’elle s’engage à demeurer comme employée. L’appelante s’est fait dire que l’employeur n’allait pas changer quoi que ce soit à ses pratiques.

[27] Comme l’appelante avait besoin de cet emploi, elle est demeurée en poste aussi longtemps qu’elle pouvait et elle espérait pouvoir convaincre B. de changer ses façons de faire. L’érosion de ses tâches et de ses heures de travail, le comportement toujours aussi abusif manifesté par B. et le fait que B. admette que les choses n’allaient pas changer ont été les incidents finaux qui ont amené l’appelante à quitter son emploi.

[28] L’appelante était consciente de la position de B. dans la communauté. Elle savait que si elle cherchait à trouver un autre emploi avant de partir, B. l’apprendrait. Il détruirait ses chances d’obtenir un emploi auprès du nouvel employeur éventuel et ne ferait qu’ajouter aux difficultés qu’elle vivait au sein de son entreprise.

[29] Selon le sous-alinéa 29c)(i), un prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi en présence de harcèlement, de nature sexuelle ou autre. L’employeur de l’appelante lui criait après et elle a aussi été invectivée, traitée de façon grossière et dépréciée. En raison de la configuration ouverte des locaux à bureaux, cela s’est fait au vu et au su de tous les autres employés. L’appelante était aussi outrée de l’emplacement de la caméra de surveillance, que le fils de l’employeur avait placée de sorte à donner une vue plongeante de sa blouse lorsqu’elle était à son bureau. Ce n’est qu’après qu’elle ait fait une plainte à ce sujet que la caméra a été repositionnée. Il s’agissait là d’une autre forme de harcèlement que l’appelante a dû endurer.

[30] Selon le sous-alinéa 29c)(xi), un prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi en présence de pratiques de l’employeur contraires au droit. L’appelante se faisait demander de faire des chèques d’affaires pour des raisons douteuses. L’appelante n’était pas à l’aise que son nom soit associé à cette pratique.

[31] Le membre estime que l’appelante a épuisé toutes les solutions raisonnables qui s’offraient à elle avant de quitter son emploi. Elle a essayé de parler avec son employeur, sans succès. Elle ne pouvait pas chercher un emploi en raison des liens que B. entretenait dans la communauté. Elle craignait qu’il apprenne qu’elle cherchait un autre emploi et qu’il empire sa situation. L’appelante avait déjà subi une réduction de ses heures de travail et ne pouvait avoir l’assurance qu’aucun autre changement ne serait apporté à son détriment.

[32] Le membre conclut que l’appelante était fondée à quitter volontairement son emploi.

Conclusion

[33] L’appel est accueilli.

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