Sur cette page
Comparutions
La prestataire, B. P., a participé à l’audience par téléphone.
Décision
[1] Le Tribunal conclut que la prestataire a prouvé qu’elle était fondée à quitter volontairement son emploi, aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance‐emploi (la Loi).
[2] L’appel est accueilli.
Introduction
[3] La prestataire a travaillé pour Food Services (Ontario) Inc. (employeur) jusqu’au 28 janvier 2014.
[4] Le 10 février 2014, la prestataire a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi. Dans sa demande, la prestataire a indiqué qu’elle avait quitté son emploi en raison de discrimination, de harcèlement et de conflit personnel au travail.
[5] Le 9 avril 2014, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) a informé l’employeur que la demande de prestations d’assurance-emploi de la prestataire avait été approuvée parce qu’elle avait conclu que la prestataire était fondée à quitter son emploi, étant donné que c’était la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances.
[6] Le 30 avril 2014, l’employeur a demandé à la Commission de réexaminer sa décision du 9 avril 2014.
[7] Le 27 août 2014, la Commission a informé la prestataire qu’après réexamen, elle avait modifié sa décision du 9 avril 2014 et que, par conséquent, elle n’aurait pas droit aux prestations d’assurance-emploi à compter du 28 janvier 2014, parce qu’elle avait quitté volontairement son emploi sans justification au sens de la Loi. Elle a indiqué qu’elle croyait que son départ ne constituait pas la seule solution raisonnable dans son cas.
Mode d'audience
[8] Le présent appel a été instruit par téléconférence pour les motifs indiqués dans l’avis d’audience daté du 2 février 2015.
Question en litige
[9] La prestataire a-t-elle prouvé que son départ volontaire constituait la seule solution raisonnable dans son cas?
Droit applicable
[10] Article 29 de la Loi :
Pour l’application des articles 30 à 33 :
- a) emploi s’entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;
- b) la suspension est assimilée à la perte d’emploi, mais n’est pas assimilée à la perte d’emploi la suspension ou la perte d’emploi résultant de l’affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l’exercice d’une activité licite s’y rattachant;
- b.1) sont assimilés à un départ volontaire le refus :
- (i) d’accepter un emploi offert comme solution de rechange à la perte prévisible de son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où son emploi prend fin,
- (ii) de reprendre son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où il est censé le reprendre,
- (iii) de continuer d’exercer son emploi lorsque celui-ci est visé par le transfert d’une activité, d’une entreprise ou d’un secteur à un autre employeur, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment du transfert;
- (c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :
- (i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,
- (ii) nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,
- (iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
- (iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,
- (v) nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent,
- (vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,
- (vii) modification importante de ses conditions de rémunération,
- (viii) excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles‐ci,
- (ix) modification importante des fonctions,
- (x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur,
- (xi) pratiques de l’employeur contraires au droit,
- (xii) discrimination relative à l’emploi en raison de l’appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,
- (xiii) incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi,
- (xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.
[11] Paragraphe 30(1) de la Loi :
- (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :
- a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;
- b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.
[12] Paragraphe 30(2) de la Loi :
- (2) L’exclusion vaut pour toutes les semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent son délai de carence. Il demeure par ailleurs entendu que la durée de cette exclusion n’est pas affectée par la perte subséquente d’un emploi au cours de la période de prestations.
Preuve
[13] La prestataire a travaillé pour Food Services (Ontario) Inc. (employeur) du 7 mai 2012 au 28 janvier 2014.
[14] Le 10 février 2014, la prestataire a présenté une demande de prestations d’assurance‐emploi. Dans sa demande, la prestataire a indiqué qu’elle avait quitté son emploi pour des raisons de discrimination, de harcèlement et de conflit personnel dans son milieu de travail.
[15] Le 13 février 2014, l’employeur a émis un relevé d’emploi et a indiqué comme raison de cessation d’emploi qu’il s’agissait d’un départ volontaire (code E).
[16] Le 8 avril 2014, la prestataire a indiqué à la Commission que son chef d’équipe l’intimidait et ne l’aidait pas à résoudre ses problèmes liés au travail. Elle a dit que son gestionnaire lui avait demandé de consigner son temps de travail, de façon à pouvoir évaluer sa charge de travail. Elle a ajouté qu’elle avait postulé pour un autre poste au service du crédit, mais que sa candidature n’avait pas été retenue parce qu’elle faisait l’objet d’une évaluation de rendement.
[17] Le 9 avril 2014, la Commission a informé l’employeur que la demande de prestations d’assurance-emploi de la prestataire avait été approuvée parce qu’elle avait conclu que la prestataire était fondée à quitter volontairement son emploi, puisque que son départ constituait la seule solution raisonnable, compte tenu des circonstances.
[18] Le 30 avril 2014, l’employeur a demandé à la Commission de réviser sa décision du 9 avril 2014.
[19] Le 10 juillet 2014, la prestataire a indiqué à la Commission qu’elle avait prévu continuer à travailler jusqu’à ce qu’elle obtienne sa prime annuelle, soit à la fin février, et qu’elle trouve un autre emploi. La prestataire a déclaré qu’elle était mère de famille monoparentale et qu’elle ne pouvait pas se permettre de quitter son emploi. Elle a expliqué qu’elle était partie parce qu’elle était victime de harcèlement et d’intimidation depuis octobre 2012. La prestataire a dit à l’employeur qu’elle quittait son emploi pour contribuer aux soins de la grand-mère de son conjoint et qu’elle ne recevrait aucune rémunération pour le faire.
[20] Le 10 juillet 2014, l’employeur a dit à la Commission que la prestataire avait démissionné pour aller prendre soin de la grand-mère de son conjoint. L’employeur a dit qu’elle avait porté des accusations d’intimidation et de harcèlement à son endroit. Selon l’employeur, aucune preuve d’intimidation ou de harcèlement n’a été mise en lumière, mais il est plutôt ressorti que l’employeur examinait les problèmes de rendement de la prestataire et que cette dernière était « contrôlée ». La prestataire n’aimait pas être « contrôlée » et elle estimait qu’elle faisait l’objet de microgestion et se sentait harcelée. L’employeur a déclaré qu’il ne nourrissait aucune intention malveillante à l’égard de la prestataire, mais qu’il tentait plutôt de cerner ses problèmes de rendement et d’y remédier.
[21] L’employeur a déclaré qu’il n’avait jamais imposé à la prestataire un plan officiel d’amélioration du rendement; qu’il avait plutôt opté pour un suivi des heures et un « contrôle » de la prestataire dans le but de repérer le vrai problème et éventuellement de le résoudre sans recourir à un plan d’amélioration du rendement.
[22] Le 27 août 2014, la Commission a informé la prestataire qu’après réexamen, elle avait changé sa décision du 9 avril 2014, de telle sorte qu’elle n’avait plus droit au bénéfice des prestations d’assurance-emploi à compter du 28 janvier 2014, parce qu’elle avait quitté volontairement son emploi sans justification au sens de la Loi. Elle a indiqué que son départ ne constituait pas la seule solution raisonnable dans son cas.
Observations
[23] La prestataire a fait valoir ce qui suit :
- a) elle a été intimidée et traitée de manière injuste;
- b) elle a subi du harcèlement qui se traduisait par la microgestion de ses tâches;
- c) son chef d’équipe faisait tout pour qu’elle échoue;
- d) on lui a confié une charge de travail ingérable;
- e) elle s’est vu refuser de l’aide;
- f) elle s’est vu refuser un nouveau poste.
[24] L’intimée a fait valoir ce qui suit :
- a) La Commission a d’abord conclu que la prestataire était fondée à quitter son emploi. Par conséquent, puisqu’aucune circonstance ne justifiait une exclusion, la prestataire s’est vu accorder des prestations d’assurance-emploi, en application des articles 29 et 30 de la Loi.
- b) Après avoir réexaminé l’affaire, à la demande de l’employeur, la Commission a conclu que la prestataire n’avait pas démontré qu’elle était fondée à quitter son emploi et a donc imposé une exclusion pour une durée indéterminée prenant effet le 18 mai 2014, conformément aux articles 29 et 30 de la Loi.
Analyse
[25] La Loi a pour objet d’indemniser les personnes qui ont perdu involontairement leur emploi et qui n’ont pas de travail (Gagnon [1988] RCS 29).
[26] Aux termes du paragraphe 30(1) de la Loi, un prestataire est exclu du bénéfice des prestations pour une période indéterminée s’il quitte volontairement un emploi sans justification. Le critère à appliquer consiste à déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances, le prestataire n’avait aucune autre solution raisonnable que de quitter son emploi au moment où il l’a fait.
[27] À l’audience, la prestataire a déclaré qu’elle avait été embauchée en mai 2012 à temps plein. Après plusieurs mois, elle a été mutée à un nouveau poste en remplacement d’un congé de maternité. Elle a expliqué qu’on lui avait confié beaucoup plus de tâches que ce qui était habituellement confié à la personne en congé de maternité. Elle est devenue surchargée et a demandé de l’aide à son gestionnaire, mais elle n’en a pas obtenu.
[28] La prestataire a dit qu’en octobre 2012, son chef d’équipe a commencé à la harceler. En octobre 2013, elle a porté plainte à son superviseur contre son chef d’équipe pour harcèlement et traitement inéquitable. Après cette plainte, elle a été invitée à inscrire son temps (suivi des heures de travail) chaque jour et le harcèlement a continué. La prestataire a donné beaucoup de détails concernant le harcèlement dans sa demande d’appel et à l’audience.
[29] La prestataire a indiqué qu’en novembre, elle avait postulé un poste au service du crédit afin de fuir la microgestion et le harcèlement. Malheureusement, elle n’a pas obtenu le poste parce que la politique de l’entreprise interdisait la mutation d’une personne dont le rendement faisait l’objet d’un examen.
[30] La lettre de démission de la prestataire indiquait qu’elle quittait son emploi pour prendre soin de la grand-mère de son conjoint. La prestataire a expliqué qu’elle ne s’en occupait que quelques fois par semaine et qu’elle n’était pas payée pour le faire. Elle a ajouté que les soins à sa grand-mère par alliance n’étaient pas la véritable raison de sa démission.
[31] Le Tribunal estime que la prestataire était crédible à l’audience, car elle s’est montrée sincère et cohérente dans ses commentaires et ses réponses aux questions lorsqu’elle était sous serment.
[32] Le Tribunal accepte la déclaration de la prestataire à l’effet que le harcèlement dans son milieu de travail était la raison principale pour laquelle elle avait démissionné.
[33] Les articles 29 et 30 de la Loi prévoient une exception à la règle générale selon laquelle les assurés qui se retrouvent involontairement en chômage ont droit à des prestations. Cette exception doit donc recevoir une interprétation stricte (Goulet A‐358‐83).
[34] Le sous-alinéa 29c)(i) de la Loi prévoit que le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment le harcèlement, de nature sexuelle ou autre, son départ constitue la seule solution raisonnable dans son cas.
[35] Le Tribunal estime que la prestataire a démontré qu’elle faisait l’objet de harcèlement au travail. Le harcèlement se traduisait par :
- - un traitement inéquitable de la part de son chef d’équipe
- - l’inaction de son employeur pour régler sa plainte de harcèlement déposée en octobre 2013
- - le fait que l’employeur lui ait imposé un système de suivi de ses heures et qu’il exerçait sur elle une microgestion
- - le fait que son employeur empêchait les autres de l’aider
- - la politique de l’employeur qui lui interdisait de changer d’emploi parce qu’un plan d’amélioration du rendement lui avait été imposé, alors que ce n’était pas le cas.
[36] La Cour d’appel fédérale a confirmé le principe selon lequel lorsqu’un prestataire quitte volontairement son emploi, il lui incombe de démontrer que son départ était la seule solution raisonnable dans son cas.
Canada (PG) c. White, 2011 CAF 190
[37] À l’audience, la prestataire a dit qu’avant de démissionner, elle avait cherché un emploi auprès d’un autre employeur et qu’elle avait passé quelques entrevues d’emploi. Elle a ajouté qu’elle espérait pouvoir rester chez son employeur actuel jusqu’à la fin de février pour pouvoir obtenir sa prime annuelle. Elle a indiqué qu’étant mère de famille monoparentale, elle ne pouvait se permettre de rester sans emploi. Cependant, elle ne pouvait plus tolérer le harcèlement continuel et la microgestion et a donc décidé de démissionner le 28 janvier 2014 parce qu’aucune autre solution raisonnable ne s’offrait à elle.
[38] Le Tribunal estime que la prestataire a prouvé qu’elle n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’elle l’a fait et que, par conséquent, elle était fondée à le faire en raison du harcèlement. La prestataire a essayé de se sortir de cette situation en postulant un nouvel emploi, tant au sein de l’entreprise qu’à l’extérieur.
[39] Le Tribunal estime que le fait que la prestataire ait choisi de ne pas attendre sa prime annuelle de la fin février même si elle était mère de famille monoparentale et qu’elle avait besoin d’argent, confirme que le stress causé par le harcèlement était tel que la seule solution raisonnable qui s’offrait à elle était de démissionner.
[40] Le Tribunal conclut que la prestataire était fondée à quitter son emploi parce que son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas, en application des articles 29 et 30 de la Loi.
Conclusion
[41] L’appel est accueilli.