Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Comparutions

[1] Madame C. T., prestataire, a pris part à l’audience par vidéoconférence. Elle était accompagnée par Monsieur Dany Pascazio, Conseiller syndical à la CSN, qui agissait à titre de représentante et par Monsieur É. F., Directeur de succursale à la SAQ et représentant syndical au moment où la prestataire a été congédiée, qui agissait à titre de témoin.

Décision

[2] Le Tribunal conclut que la prestataire n’a pas perdu son emploi en raison de son inconduite en vertu des paragraphes 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi ») puisque son geste ne reflète pas le caractère délibéré requis par la Loi.

Introduction

[3] La prestataire a déposé une demande de prestations d’assurance-emploi devant débuter le 6 avril 2014. Le 16 mai 2014, la Commission sur l’assurance-emploi du Canada (la « Commission ») avise la prestataire qu’elle n’a pas droit aux prestations régulières de l’assurance-emploi parce qu’elle a cessé de travailler pour la Société des Alcools du Québec (la « SAQ »), le 4 mars 2014, en raison de son inconduite. La Commission ajoute qu’étant donné que la période de prestations commence le 6 avril 2014, la prestataire n’a pas droit aux prestations à partir de cette date seulement. Le 1er août 2014, suite à la demande de révision de la prestataire, la Commission l’avise que la décision rendue le 16 mai 2014, en lien avec l’inconduite, est maintenue. La prestataire a déposé un Avis d’appel auprès du Tribunal de la sécurité sociale (le « Tribunal »), le 25 août 2014.

Mode d'audience

[4] Cet appel a été instruit selon le mode d’audience de vidéoconférence pour les raisons énoncées dans l’Avis d’audience daté du 13 novembre 2014. L’audience par vidéoconférence prévue le 20 janvier 2015 a été ajournée, à la demande de la prestataire. L’audience a été tenue le 10 mars 2015.

Question en litige

[5] La prestataire a-t-elle perdu son emploi en raison de son inconduite en vertu des articles 29 et 30 de la Loi ?

Droit applicable

[6] Le paragraphe 29 de Loi indique :

Pour l’application des articles 30 à 33 :

  1. a) « emploi » s’entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;
  2. b) la suspension est assimilée à la perte d’emploi, mais n’est pas assimilée à la perte d’emploi la suspension ou la perte d’emploi résultant de l’affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l’exercice d’une activité licite s’y rattachant;
  3. […]

[7] Le paragraphe 30 de la Loi précise :

  1. (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :
    1. a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;
    2. b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.
  2. (2) L’exclusion vaut pour toutes les semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent son délai de carence. Il demeure par ailleurs entendu que la durée de cette exclusion n’est pas affectée par la perte subséquente d’un emploi au cours de la période de prestations.
  3. (3) Dans les cas où l’événement à l’origine de l’exclusion survient au cours de sa période de prestations, l’exclusion du prestataire ne comprend pas les semaines de la période de prestations qui précèdent celle où survient l’événement. »
  4. […]

Preuve

[8] La lettre de congédiement du 4 avril 2014 indique que l’enquête a permis d’établir que la prestataire s’est approprié, sans droit et sans autorisation, des sommes d’argent estimées à 106.85$, à partir de son tiroir-caisse. Elle a effectué des transactions frauduleuses d’annulation de vente à plusieurs reprises, durant le quart de travail du 22 février 2014. En raison du lien des gestes reprochés, le lien de confiance nécessaire au maintien de l’emploi est définitivement rompu et la prestataire a été congédiée (GD3-18).

[9] Le 15 mai 2014, la Commission communique avec la prestataire qui indique avoir vu un médecin, mais que celui-ci ne l’avait pas placé en arrêt de travail. Elle confirme avoir commis le vol, mais explique qu’elle ne se souvient que vaguement de l’incident puisqu’elle avait consommé des médicaments et de l’alcool.

[10] Le 1er avril 2014, Dr Lamoureux indique que la prestataire a commis un geste répréhensible à son travail le 22 février 2014. Elle explique que la combinaison de la médication (antidépresseur et ativan) et alcool font un très mauvais mélange et provoque des « black-out », c’est-à-dire que la personne agit sans conscience de ses actes, elle est comme une somnambule. Elle indique connaître la prestataire depuis 2002 et assure qu’elle n’a pas pu faire ce geste de façon délibéré. Elle indique que la prestataire souffre d’une amnésie partielle à ce sujet et est toujours en dépression, qui fut exacerbée cet hiver. Elle est en traitement (GD3-25).

[11] Le 28 juillet 2014, la Commission communique avec l’employeur qui confirme qu’il peut fournir l’enregistrement caméra, que la prestataire est syndiquée et qu’ils sont en grief. Il indique qu’il arrive que de nouveaux vins soient présentés aux employés dans le cadre de leur travail, mais que la procédure est claire et que le vin doit être recraché. Cette procédure est expliquée et suivie par tous les employés (GD3-29).

[12] Le 31 juillet 2014, la Commission communique avec la prestataire et son représentant. La prestataire indique qu’elle vivait une dépression qui s’est accentuée depuis décembre suite à sa séparation. Elle prenait des médicaments prescrits soit des antidépresseurs, syntroïd pour la glande thyroïde et ativans pour le stress. Le 22 février 2014, elle faisait un quart de travail du 17h00 à 22h00. Elle a pris un ativan le matin et un second vers 15h00 et s’est présenté au travail le ventre vide. Elle n’aurait pas dû se présenter au travail, mais avait besoin d’argent. Elle était un peu assommée par les 2 ativans et n’était pas dans son état normal. Il y avait une bouteille ouverte et indique avoir pris le 7/8 de la bouteille en allant régulièrement en arrière pour se servir un verre. Elle indique qu’elle savait qu’elle ne pouvait pas boire en succursale, mais que sa douleur était trop grande et qu’il fallait l’étouffer. Elle indique que les ativans mélangés avec l’alcool lui ont fait perdre la tête et qu’elle ne savait plus ce qu’elle faisait. Elle ne se serait jamais dit « je vais voler ». Elle dit avoir eu un « black-out » total de ce qui s’est passé. Elle a agi sans s’en rendre compte. Elle a 53 ans et a toujours été une employée exemplaire. Le vol d’argent n’est pas une façon d’agir qu’elle aurait faite délibérément si elle avait été dans son état normal. Elle indique qu’elle savait qu’elle ne devait pas prendre les ativans avec de l’alcool, mais ne savait pas que ça ferait un black-out comme effet secondaire. Son médecin a enlevé les ativans de sa médication. Elle prend régulièrement du vin avec ses antidépresseurs et ça ne cause aucun problème. Personne n’a les mêmes effets secondaires quand ils combinent l’alcool et les médicaments. En lien avec le fait que l’employeur a indiqué qu’ils ne pouvaient consommer de l’alcool pendant leur quart de travail, la prestataire indique que cela est vrai sur papier, qu’ils doivent recracher le vin, mais que dans la réalité personne ne recrache et qu’il n’y a pas de crachoir dans les succursales. Il est régulier d’avoir des bouteilles ouvertes en arrière pour les clients et que tous les employés boivent le vin sans le recracher. Le représentant et la prestataire soulignent la cause Tucker (GD3-31/32).

[13] E. F. a témoigné à l’audience et a indiqué travailler à la SAQ depuis 16 ans dans 6 à 7 succursales différentes. Il est actuellement Directeur de la succursale X à X. Au moment des événements de février 2014, il était aussi délégué régional pour le syndicat. Il a été délégué pendant 13 ans. Il représentait 25 succursales pour un total de 300 membres. Il indique qu’il y a plusieurs politiques qui existent à la SAQ, mais que leur contenu est généralement transmis par « flash meeting » ou pour certaines, lors de formations. Il indique qu’il y a une politique pour cracher le vin lors de dégustation, mais qu’il existe un laxisme sur l’application de cette politique sauf en cas de zèle de la part d’un directeur. Il ne sait pas si avis disciplinaire a déjà été émis dans le cas où une personne ne recracherait pas. Il indique ne jamais avoir vu de crachoir sauf dans des formations. Personnellement, il ne recrache pas le vin et les employés de sa succursale ne le font pas non plus. Des budgets sont prévus pour les employés aient des dégustations de vin. Des dégustations sont aussi offertes par des représentants, lorsque de nouveaux produits sont disponibles et pour la clientèle. Il est aussi permis d’ouvrir une bouteille afin de faire goûter la clientèle. Pour une semaine normale, près d’ une dizaine de dégustations peuvent être offertes. Il est fréquent qu’il y ait des bouteilles ouvertes en succursales et aucun encadrement n’est nécessaire pour les dégustations. S’il y a des bouteilles en arrière et que la personne entre pour son travail et ne l’a pas dégusté, elle peut le faire sans permission. « Les bouteilles sont là pour ça ». Enfin, en lien avec la preuve vidéo, il indique ne pas les avoir vu et qu’il est rare que la SAQ la montre. Elle les garde en cas d’arbitrage.

[14] La prestataire indique que les événements ont eu lieu un samedi. Les dégustations sont plus fréquentes la fin de semaine comme il y a plus d’achalandage. Elle indique qu’elle était en dépression. Elle s’est présentée au travail malgré le fait qu’elle ne se sentait pas bien. Il y avait une dégustation et elle pensait qu’en prenant du vin, que cela calmerait son état d’anxiété et en atténuerait le stress ressenti. Elle indique qu’elle se souvient être allée plusieurs fois prendre un verre, mais ne peut confirmer le nombre de verres. La prestataire indique qu’elle n’avait jamais vécu ce type de « black-out ». Elle avait déjà pris de l’alcool avec ses antidépresseurs, mais les ativans avaient été ajoutés à sa médication seulement depuis quelques mois. Elle indique que n’a pas vu la preuve vidéo de l’employeur. Elle se souvient d’avoir pris du vin, du fait qu’il y a eu beaucoup de clients pendant son quart de travail, mais ne se souvient pas d’avoir pris l’argent ni d’être sortie du magasin après son quart de travail. Elle indique avoir eu un « black-out » et qu’elle fonctionnait sur « le pilote automatique ». Elle se souvient d’avoir manipulé de l’argent, d’avoir fait des dépôts, mais ne se souvient pas d’avoir pris de l’argent. Elle indique qu’elle ne savait pas que le mélange des ativans et de l’alcool pouvait engendrer cet effet et n’est pas certaine qu’il était indiqué de ne pas prendre ce médicament avec de l’alcool sur sa bouteille de prescriptions et ne croit pas que le pharmacien l’en ai avisé Elle avait déjà pris de l’alcool avec ses antidépresseurs et n’a jamais eu de problème.

Arguments des parties

[15] Le prestataire a fait valoir que :

  1. La décision est non fondée en faits et en droit. La décision de la Commission est basée sur une conclusion de faits erronés, sans tenir compte d’éléments portés à sa connaissance.
  2. La prestataire soutient avoir commis ce vol en n'étant pas dans son état normal que ce n'était pas délibéré. La prestataire était en dépression, ce qui est une maladie reconnue.
  3. La position de la Commission est basée sur le fait que la prestataire a bu de l’alcool, mais le congédiement est en lien avec le vol d’argent et non la consommation d’alcool par conséquent, il n’y a pas de lien direct et immédiat entre l’inconduite et le congédiement.
  4. Le représentant soumet que la situation de la prestataire ne se distingue pas de l’arrêt Tucker tel que le soutient la Commission. Il indique qu’il n’y avait rien de volontaire, d’intentionnel ou de délibéré dans les gestes reprochés à la prestataire (le vol) et que par conséquent, il n’y a pas présence d’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.
  5. Le représentant soumet les CUB38274, CUB60421 et CUB57010 indiquant pour le CUB38274 que le geste avait été causé par l’alcoolisme et n’avait pas été planifié; pour le CUB60421 statuant sur l’impact d’un premier verre d’alcool face aux répercussions sur le travail; pour le CUB57010 pour lequel le geste de falsifier des certificats médicaux n’était pas intentionnel, mais en raison de maladie.

[16] L’intimée a soutenu que :

  1. La Commission soutient que la preuve est claire à l’effet que le congédiement de la prestataire est le résultat direct des transactions d’annulation de vente commises à plusieurs reprises durant son quart de travail du 22 février 2014. L’employeur a conservé les enregistrements caméra comme preuve, car la prestataire a déposé un grief à l’encontre de son congédiement.
  2. De plus, lors du dépôt de sa demande, la prestataire a rempli un questionnaire dans lequel elle admet les fautes reprochées et a, à deux reprises, reconnu avoir commis le vol. Les faits ont établi qu’elle est entrée travailler même si elle n'était pas en état de travailler et qu’en plus, pour une raison ou une autre, elle a consommé de l'alcool pendant son quart de travail alors qu’elle savait que c’était défendu.
  3. La Commission se doit de conclure que si ce geste ne revêt pas un caractère délibéré, il manifeste sûrement une « conduite à ce point insouciante qu'elle frôle le caractère délibéré », pour utiliser les termes de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Tucker. La prestataire a fourni une lettre de son médecin confirmant que la combinaison d’antidépresseur, ativan et alcool fait un très mauvais mélange et provoque des « black-outs ». La Commission soutient que la prestataire était suivie par un médecin et prenait de la médication prescrite par ce dernier, toute personne prenant des médicaments est avisée des combinaisons dangereuses et de ses effets secondaires par son médecin et par son pharmacien, d’ailleurs il est habituellement clairement inscrit sur le flacon les contre-indications avec la prescription. Il est connu de tous qu'une combinaison de médicaments avec alcool peut occasionner des problèmes de santé et affecter notre jugement, il est raisonnable de croire que la prestataire connaissait ces faits lorsqu'elle a décidé de boire du vin pendant son quart de travail.
  4. La prestataire soutient qu’elle était en détresse psychologique, qu’elle a bu les sept huitièmes d’une bouteille de vin afin de faire taire sa souffrance intérieure. Le fait qu'elle était en détresse psychologique majeure ne peut être une justification des gestes commis. La Commission s’appuie sur le CUB55850 appuyé par la décision de la Cour d’appel fédérale A-33-03.
  5. Le présent dossier se distingue facilement de l'arrêt Tucker (A-381-85) dans lequel la prestataire, un agent de bord pour la compagnie C.P. Air, avait pris un médicament qui n'avait pas été prescrit à son intention, ce qui l'avait empêchée d'accomplir ses fonctions à bord l'avion. Le résultat de cette décision concluait qu’elle ne s'était pas intoxiquée intentionnellement donc qu’il ne pouvait y avoir inconduite.
  6. La Commission conclut que le geste d’annuler des transactions de vente et de s’approprier de ces sommes d’argent constituent des gestes d’inconduite au sens de la Loi parce que, bien que la prestataire invoque ne pas avoir commis ce geste de façon délibérée, elle s’est intoxiquée en toute connaissance de cause. La Commission s’appuie sur Mishibinijima c. Canada (P.G.), 2007 CAF 36 et Canada (P.G.) c. Lemire, 2010 CAF 314 pour conclure qu’il s’agit d’inconduite.

Analyse

[17] La prestataire a indiqué que la décision est mal fondée en faits et en droit. Elle soutient qu’elle n’était pas dans son état normal et que par conséquent, le vol n’avait pas été fait de manière délibérée. Elle a indiqué qu’elle prenait une médication pour une dépression et des ativans, prescrits depuis deux mois avaient été ajoutés à celle-ci afin de réduire son anxiété. Comme elle ne se sentait pas bien, elle indique avoir pris plusieurs verres de vin pendant ses heures de travail et avoir eu un « black-out », se souvenant très peu de son quart de travail. Son employeur lui aurait indiqué qu’elle aurait pris de l’argent dans la caisse, ce qu’elle n’a pas remis en cause, ayant eu un « black-out » et ayant peu de souvenirs de ce quart de travail.

[18] La Commission soutient que le geste d’annuler des transactions de vente et de s’approprier ces sommes d’argent constitue de l’inconduite au sens de la Loi parce que, bien que la prestataire invoque ne pas avoir commis ce geste de façon délibérée, elle s’est intoxiquée en toute connaissance de cause.

[19] L’employeur a congédié la prestataire parce que la prestataire s’est « approprié, sans droit et sans autorisation, des sommes d’argent estimées à 106.85$ à partir de votre tiroir-caisse » (GD3-18). La prestataire a effectué plusieurs transactions frauduleuses d’annulation de ventes pendant son quart de travail du 22 février 2014 (GD3-17).

[20] L’inconduite n’est pas définie en tant que telle dans la Loi. Néanmoins, la jurisprudence a établi que : « pour constituer de l'inconduite, l'acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d'une telle insouciance ou négligence que l'on pourrait dire que l'employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement au travail » (Canada (Procureur général) c. Tucker A- 381-85).

[21] La prestataire s’appuie sur l’arrêt Tucker et indique que le vol n’avait pas le caractère délibéré requis par l’inconduite. La Commission quant à elle soutient que la situation de la prestataire se distingue de l’arrêt Tucker dans lequel la prestataire, un agent de bord, avait pris un médicament qui n'avait pas été prescrit à son intention, ce qui l'avait empêchée d'accomplir ses fonctions à bord de l'avion. Le résultat de cette décision concluait qu’elle ne s'était pas intoxiquée intentionnellement donc qu’il ne pouvait y avoir inconduite.

[22] La Cour d’appel fédérale a aussi précisé au sujet de l’inconduite : « Il y a donc inconduite lorsque la conduite du prestataire est délibérée, c'est-à-dire que les actes qui ont mené au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels. Autrement dit, il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l'exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu'il soit congédié » (Mishibinijima c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 36).

[23] Ainsi, la première question à laquelle le Tribunal doit répondre dans le présent appel est de savoir si le vol commis par la prestataire, constituait un acte délibéré, c’est-à- dire que le Tribunal doit se demander si ce vol était un geste conscient, voulu et délibéré et de ce fait, constituait de l’inconduite.

[24] La prestataire ne remet pas en cause le vol d’argent. Elle a indiqué se fier à l’information reçue de son employeur à ce sujet puisque ses souvenirs sont flous, mais soutient que ce vol n’a pas été commis de manière délibérée puisqu’elle avait pris des médicaments et de l’alcool et a eu un « black-out ».

[25] La prestataire confirme avoir pris plusieurs verres de vin rouge, format dégustation, sans être en mesure d’en établir le nombre précis. Le 3 juillet 2014, elle avait indiqué à la Commission, avoir pris les 7/8 d’une bouteille de vin. À l’audience, elle a indiqué avoir fait plusieurs aller-retour sans se souvenir du nombre précis de verres consommés. C’est le mélange de sa consommation d’alcool et des médicaments pour traiter sa dépression et son anxiété, pris au cours de la journée, en plus d’un ventre vide qui aurait contribué à avoir un « black-out » et causer le vol d’argent dans la caisse, ce dont elle n’a pas ou peu de souvenirs. Elle a indiqué qu’elle avait pris ses médicaments pour traiter sa dépression puis avait pris à deux reprises avant son quart de travail, des ativans afin de l’aider à réduire son anxiété. Elle prenait cette nouvelle médication depuis 2 mois. Puis, ne se sentant pas très bien et comme il y avait une dégustation de vin offerte sur les lieux du travail, elle a décidé de prendre du vin rouge comme l’alcool avait pour effet de réduire son anxiété. Elle a indiqué qu’elle avait déjà consommé de l’alcool avec ses antidépresseurs (sans ativan) et qu’elle n’avait eu aucun effet secondaire.

[26] La prestataire a aussi soumis une lettre de son médecin attestant que la combinaison de la médication (antidépresseurs et ativan) et de l’alcool « fait un très mauvais mélange et provoque des « black-out », i.e. que la personne agit sans conscience de ses actes, elle est comme somnambule ». Le médecin ajoute que la prestataire « souffre d’une amnésie partielle à ce sujet » (GD3-25). La prestataire a ajouté que les ativans avaient été retirés de sa médication et qu’elle était suivie par un psychologue depuis les événements.

[27] Selon les témoignages de la prestataire et du témoin, la consommation d’alcool est permise par l’employeur sur les lieux du travail et fait partie du travail en soi. Les dégustations d’alcool sont nombreuses et régulières et l’alcool demeure facilement accessible aux employés pour dégustation. Il existe une politique selon laquelle l’alcool devrait être recraché, mais cette politique est peu ou pas appliquée selon les différentes succursales. Enfin, le Tribunal note que l’employeur ne fait aucun reproche à la prestataire en lien avec sa consommation d’alcool puisque la lettre de congédiement est basée uniquement sur le vol de 106.85$ du tiroir-caisse.

[28] Comme la Cour l’a indiqué dans Pearson, le principe selon lequel « l'intention coupable n'était pas un volet essentiel de l'inconduite. Il y indique que, dans la mesure où l'omission ou l'acte sur lequel s'appuie un employeur pour congédier son employé est délibéré, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une omission ou d'un acte conscient, voulu ou intentionnel, l'inconduite est prouvée » (Canada (Procureur général) c. Pearson, 2006 CAF 199).

[29] Même si certains éléments ne peuvent être expliqués par la prestataire en raison de son « black-out », le Tribunal ne met pas en doute sa crédibilité. La prestataire a livré un témoignage constant à travers les différentes communications qu’elle a eu avec la Commission et lors de son audience au Tribunal. Elle ne nie pas avoir commis le vol, son employeur ayant indiqué en avoir une preuve vidéo, mais n’a qu’un vague souvenir des événements. Elle a indiqué avoir perdu le sens du temps et de ses gestes. La prestataire avait déjà pris de l’alcool avec ses antidépresseurs, mais n’avait pas eu d’effets secondaires. Avec l’ajout des ativans à sa médication, elle ne croyait pas avoir des effets différents. Elle ne croit pas avoir été avisée par son pharmacien qu’il pourrait y avoir des effets secondaires si l’alcool était mélangé à sa médication ni que cela était indiqué sur le flacon. Elle a indiqué avec consommé plusieurs verres d’alcool (grandeur dégustation), mais ne peut en indiquer le nombre précis. Elle a travaillé pendant tout son quart de travail sans se souvenir de la manière dont elle est entrée chez elle.

[30] De plus, la lettre du médecin confirme la possibilité de « black-out » par le mélange de sa médication et de l’alcool et atteste que la prestataire souffre d’une amnésie partielle face aux événements.

[31] Le Tribunal note aussi que les témoignages de la prestataire et du témoin sont concordants en ce qui a trait à la tolérance de l’employeur face à la consommation d’alcool en succursale malgré la politique existante.

[32] Le Tribunal prend en note que la prestataire était traitée pour une dépression, mais qu’elle continuait à travailler. Sa médication avait été modifiée environ deux mois auparavant par l’ajout d’ativan pour l’aider à gérer son anxiété. Le Tribunal est d’avis que la prestataire ne s’attendait pas à avoir ce type de réaction en combinant l’alcool et sa médication. Néanmoins, le Tribunal est d’avis qu’elle aurait dû prendre de l’information à ce sujet avant d’en faire la consommation, particulièrement dans le cas où son travail lui offrait des opportunités de faire ce mélange de médicaments et d’alcool. Le Tribunal ne remet pas en doute que la consommation d’alcool soit permise chez son employeur ni le fait que l’alcool ne soit pas toujours recraché. Néanmoins, le Tribunal est d’avis que l’employeur tolère cette consommation dans une certaine limite et dans le cadre de dégustations de produits puisque l’employée doit, être en mesure d’exercer les fonctions pour lesquelles elle a été engagée. Le fait que la prestataire ait pris plusieurs verres d’alcool peut donc est contraire aux attentes de son employeur. Néanmoins, comme mentionné, ce ne sont pas ces gestes qui lui sont reprochés par son employeur ni ceux qui ont causé son congédiement.

[33] Aussi, le Tribunal note que la Cour indique clairement que la consommation d’alcool ou de drogues ne peut excuser les actes d’un prestataire lorsqu’il commet une inconduite. Néanmoins, pour qu’il y ait inconduite, le geste doit avoir un caractère délibéré et relevé d’un acte conscient.

[34] Selon la lettre médicale, le mélange des médicaments que la prestataire prenait et de l’alcool peut causer un « black-out ». De plus, la lettre atteste que la prestataire souffre d’une amnésie partielle face aux événements. Aussi, tel que mentionné précédemment, le Tribunal a trouvé la prestataire crédible. Enfin, comme la vidéo des événements n’a pas été transmise, le Tribunal n’est pas en mesure de juger de lui-même de l’attitude, de l’état et des réactions de la prestataire au moment des faits. De plus, la consommation d’alcool de la prestataire n’ayant pas été adressée par son employeur, le Tribunal est d’avis que celle-ci ne lui a pas été reprochée et n’a pas entraîné son congédiement. Enfin, l’employeur a indiqué que la prestataire a fait plusieurs annulations frauduleuses de ventes au cours de son quart de travail, mais n’a pas fourni de détails à ce sujet. Ainsi, il est impossible de déterminer si celles-ci avaient par exemple été faites à la fin du quart de travail ou à son début, ce qui aurait pu permettre d’appuyer la capacité de la prestataire de faire son travail ou non. Enfin, il est étonnant qu’aucun autre employé ou superviseur n’ait eu connaissance de l’état de la prestataire pendant ce quart de travail ou qu’elle ait été en mesure de faire plusieurs aller-retour pour prendre un verre de vin sans attirer l’attention.

[35] Néanmoins, le Tribunal s’est interrogé à savoir si la prestataire s’était consciemment mise dans une situation où elle ne serait pas en mesure d’effectuer son travail. En effet, pouvait-elle s’attendre à avoir des effets pouvant nuire à son travail si elle prenait de l’alcool avec sa médication. Sur ce, il est vrai que le pharmacien de la prestataire a la responsabilité de l’informer des effets secondaires possibles. Tout comme la prestataire a une responsabilité de prendre ce type d’information. Or, le fait que la prestataire prenait un verre à l’occasion malgré sa médication avait probablement renforcé sa croyance qu’elle pouvait le faire sans avoir d’effets secondaires. Néanmoins, il est de connaissance générale que la consommation d’alcool et de médicaments ne doit pas être faite ensemble.

[36] Dans Mishibinijima, la Cour indique que « le juge‑arbitre a ensuite examiné les faits ayant mené au congédiement du demandeur et il a analysé ces éléments de preuve à la lumière de la jurisprudence de la présente Cour, […]. Sa revue de la jurisprudence l’a amené à conclure que l’alcoolisme ne peut excuser les actes et les omissions d’un prestataire lorsqu’ils constituent une inconduite. Il a donc conclu, à la page 5 de ses motifs, que le demandeur avait perdu son emploi en raison de son inconduite; il s’est expliqué en ces termes : Je conclus que le conseil a rendu une décision entachée d’une erreur de fait et de droit. Les éléments de preuve ont permis d’établir clairement que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite découlant de son absentéisme chronique et de son défaut de respecter les conditions de l’entente qu’il avait conclue avec son employeur » (Mishibinijima c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 36).

[37] De plus, dans Pearson, la Cour indique que de « reconnaître aux employés qui ont été congédiés parce qu'ils ont abusé de substances qui affaiblissent les facultés, comme l'alcool et les drogues, le droit de toucher des prestations régulières d'assurance-emploi équivaudrait à modifier de façon fondamentale la nature et les principes de la Loi et du régime d'assurance-emploi. L'article 21 de la Loi sur l'assurance-emploi et l'article 40 du Règlement sur l'assurance-emploi traitent déjà des prestations versées en cas de maladie, et le défendeur a touché de telles prestations » (Canada (Procureur général) c. Pearson, 2006 CAF 199).

[38] Pour sa part, la prestataire transmet le CUB38274 dans laquelle l’alcoolisme a été qualifié de maladie et où les absences répétées ne constituaient pas de l’inconduite puisqu’il ne s’agissait pas d’un geste planifié. Puis, le CUB60421 dans laquelle le juge- arbitre s’est prononcé en faveur du prestataire sur l’impact d’un premier verre d’alcool pouvait être interprété comme dénotant de l’indifférence face aux répercussions sur le travail. Elle s’appuie aussi sur le CUB57010 où le prestataire avait falsifié ses certificats médicaux alors qu’il souffrait d’apnée du sommeil et où le juge-arbitre avait rejeté l’appel de la Commission, considérant qu’il ne s’agissait pas d’inconduite. Le Tribunal est d’avis que la situation de la prestataire se distingue des CUB présentés comme les gestes reprochés à la prestataire ne sont pas répétitifs (CUB38274) et ne sont pas liés à son absence du travail (CUB38274, CUB57010 et CUB60421).

[39] Quant à elle, la Commission s’appuie sur le CUB55850 (appuyé par la décision CAF A-33-03) et indique que l’état psychologique d’une prestataire ne peut être une excuse pour que l’assurance-emploi supporte le fardeau de la perte de l’emploi. Le Tribunal note aussi que cette décision précise que l'inconduite doit toujours être accompagnée d'un acte délibéré ou d'un acte posé de façon consciente. Le Tribunal est d’avis que la situation de la prestataire se distingue de ce cas puisqu’il est question de dépendance et de toxicomanie ce qui n’est pas le cas de la prestataire.

[40] Le Tribunal est d’avis en se basant sur la jurisprudence que la consommation d’alcool ne peut excuser des gestes répréhensibles tels que le vol. Néanmoins, cette consommation n’est pas reprochée à la prestataire. De plus, le Tribunal est d’avis que la prestataire ne pouvait s’attendre à avoir un « black-out » en prenant du vin avec sa nouvelle médication. Le Tribunal croit que la situation de la prestataire se rapproche de celle de l’arrêt Tucker où la prestataire avait pris des médicaments qui ne lui étaient pas destinés et n’avait pas été en mesure d’accomplir ses tâches.

[41] Ainsi, dans le cas de la prestataire, le Tribunal est d’avis que bien qu’elle ait pris des médicaments qui lui étaient destinés, le fait qu’ils aient été récemment ajoutés à sa médication soutient que la prestataire n’était pas en mesure d’en évaluer précisément les effets secondaires. Le fait que la prestataire ait pris de l’alcool offert par son employeur sur les lieux du travail, dans le cadre d’une pratique permise par celui-ci combinée à un état d’anxiété et une conviction que cela atténuerait son stress sans avoir d’effet secondaire, le Tribunal est d’avis que la prestataire ne pouvait s’attendre à ce que ce mélange crée un « black-out » de sorte qu’elle ne soit plus en mesure d’effectuer correctement les tâches liées à son travail et ait pu annuler des transactions de vente et même s’approprier de l’argent sans en avoir réellement connaissance, ce qu’atteste la lettre médicale.

[42] De plus, le Tribunal n’est pas en mesure de déterminer à partir de quand la prestataire n’était plus dans un état « normal » ni le déroulement précis des événements et des transactions annulées. Était-ce au début de son quart de travail alors qu’elle n’avait pris qu’un seul verre ou à la fin de celui-ci alors qu’elle n’était probablement plus en état d’effectuer ses tâches. De plus, bien que la prestataire ne nie pas avoir pris plusieurs verres d’alcool, il n’est pas démontré qu’un seul verre aurait pu être suffisant pour causer ce « black-out ». Par conséquent, le Tribunal est d’avis que la prestataire n’a pas commis un geste délibéré ou conscient en faisant des transactions d’annulation pendant son quart de travail.

[43] En se basant sur la preuve et les arguments présentés et particulièrement en s’appuyant sur la lettre du médecin, le Tribunal est d’avis qu’il ne peut établir que la prestataire a consciemment et délibérément pris de l’argent dans la caisse. Le fait d’avoir pris un ou plusieurs verres d’alcool n’est pas en lui-même la cause de la réaction de la prestataire mais bien le mélange de cette alcool avec sa médication récente qui a entraîné la réaction et causé le « black-out ».

[44] Enfin, pour être qualifiée d’inconduite, une relation directe entre l’acte commis et le congédiement doit exister et il est établi que la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite pourrait entraver ses obligations envers son employeur et mener jusqu’à son congédiement.

[45] Le Tribunal constate que la consommation d’alcool de la prestataire sur les lieux du travail ne lui a pas été reprochée et que l’employeur n’en fait aucunement mention dans sa lettre de congédiement. Celle-ci ne peut dont être la cause de son congédiement. Seul le vol a été reproché à la prestataire et c’est ce vol qui doit être la cause du congédiement afin de permettre la relation directe entre l’acte commis et le congédiement pour constituer de l’inconduite. Or, il est assuré que le fait de voler peut entraver les obligations du prestataire envers son employeur, mais dans la situation présente, le Tribunal est d’avis que le fait qu’elle ait pris de l’alcool ce qui a causé son « black-out » ne peut être attribuable à son congédiement puisque ce n’est pas ce geste qui lui est reproché par son employeur et qui a causé ce congédiement. Le Tribunal ne peut donc établir que le fait de prendre de l’alcool avec ses médicaments, soit la cause directe du congédiement.

[46] Ainsi, en se basant sur la preuve présentée, le Tribunal est d’avis que bien que le vol soit un geste répréhensible, la prestataire ne l’a pas commis de manière délibérée ou consciente et par conséquent, celui-ci ne peut être considéré comme de l’inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi.

Conclusion

[47] L’appel est accueilli.

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