Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli et la cause référée à la division générale du Tribunal (section de l’assurance-emploi) pour une nouvelle audience.

Introduction

[2] En date du 5 avril 2013, un conseil arbitral a conclu que :

  • La répartition de la rémunération de l’Appelant avait été effectuée conformément aux articles 35 et 36 du Règlement sur l’assurance-emploi (le « Règlement »).

[3] L’Appelant a déposé une demande pour permission d’en appeler de la décision du conseil arbitral en date du 29 avril 2013. La demande pour permission d’en appeler a été accordée le 5 janvier 2015.

Mode d'audience

[4] Le Tribunal a déterminé que cet appel procéderait par téléconférence, pour les raisons suivantes :

  • la complexité de la ou des questions en litige;
  • du fait que la crédibilité des parties ne figurait pas au nombre des questions principales;
  • du caractère économique et opportun du choix de l’audience;
  • de la nécessité de procéder de la façon la plus informelle et rapide possible tout en respectant les règles de justice naturelle.

[5] L’Appelant et son procureur, Me Christian Lajoie, ont assistés à l’audience. L’Intimée, représentée par Elena Kitova, a également assistée à l’audience.

La loi

[6] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) la division générale a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) la division générale a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] Le Tribunal doit décider si le conseil arbitral a erré en fait et en droit en concluant que la répartition de la rémunération de l’Appelant avait été effectuée conformément aux articles 35 et 36 du Règlement.

Arguments

[8] L’Appelant soumet les motifs suivants au soutien de son appel:

  • Le conseil arbitral a erré dans son calcul du revenu prévu à l'alinéa 35 (10) du Règlement
  • Le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit;
  • Le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire et sans avoir tenu compte des éléments portes à sa connaissance;
  • Selon l’Appelant, toutes les dépenses annuelles de l'entreprise doivent être prises en compte;
  • Le conseil arbitral a eu tort d'établir le revenu d'une entreprise sur une période plus courte que douze mois en vertu des concepts comptables. Ces concepts s'appliquent également en matière d'assurance emploi;
  • Ce sont les revenus générés sur une période de 12 mois qui doivent être calculés en vertu de l'alinéa 35(10)c). Ainsi, ii s'agit de soustraire des revenus bruts générés durant l'année les dépenses d'exploitation encourues dans l'année. Le revenu ainsi calculé est par la suite reparti conformément au paragraphe 36(6) sur le nombre de semaines ou ont été fournis les services;
  • C'est à tort que le conseil arbitral a exclu des dépenses d'exploitation en vertu de l'alinéa 35(10)c) du Règlement, soit les dépenses d'amortissement.  Seules sont exclues les dépenses en immobilisation et l'amortissement n'est pas une dépense en immobilisation;
  • Les bénéfices non repartis doivent servir à maintenir l'entreprise toute l'année et à assurer la survie de l'entreprise entre les saisons de déneigement.

[9] L’Intimée soumet les motifs suivants à l’encontre de l’appel :

  • La décision du conseil arbitral n’est pas fondée sur une erreur de droit ou de faits et il n’a pas excédé ou refusé d’exercer sa juridiction;
  • L’article 35(1)(b) du Règlement défini le mot « emploi » comme tout emploi à titre de travailleur indépendant, exercé soit à son compte, soit à titre d'associé ou de coïntéressé. Dans le présent dossier, l’appelant possédait 30% des parts de l’entreprise, sa conjointe en possédait 30% aussi et ses enfants, 20% chacun. Il était administrateur ainsi que dirigeant en tant que président.
  • L’article 36(6) du Règlement précise que la rémunération du prestataire qui est un travailleur indépendant ou la rémunération du prestataire qui provient de sa participation aux bénéfices ou de commissions est répartie sur les semaines où ont été fournis les services qui y ont donné lieu.
  • Puisque c’est une entreprise saisonnière (déneigement), les bénéfices ne devaient pas à être répartis sur 52 semaines;
  • La Cour d’appel fédérale (CAF) a déterminé que les profits constituaient des revenus au sens du Règlement. Citant l'affaire Caron Bernier (A-136-96), la CAF a maintenu la décision en rappelant les trois constantes dégagées dans la jurisprudence relative aux travailleurs indépendants dans la considération des revenus de leur entreprise: 1) le statut juridique de l'entreprise n'importe pas; 2) le temps consacré ne change rien; 3) la réception présente de revenus venant de l'entreprise n'est pas requise, seul un droit à un tel revenu suffit;
  • L’Intimée était justifiée de considérer les bénéfices non répartis à titre de revenu et de les répartir puisque ces bénéfices représentent des revenus que l’Appelant pourrait retirer de l’exploitation de l’entreprise;
  • L’Intimée est d’avis que la décision du conseil arbitral est conforme à la législation ainsi qu'à la jurisprudence en la matière et elle est raisonnablement compatible avec les faits au dossier. Le conseil s'en est remis à l'ensemble de la preuve qui lui était présentée et il a expliqué ses conclusions dans un raisonnement cohérent et logique;
  • Le conseil arbitral est le mieux placé pour évaluer la preuve et la crédibilité et le Tribunal ne peut se substituer au conseil arbitral en l’absence d’une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire, ou prise sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Normes de contrôle

[10] L’Appelant n’a fait aucune représentation quant à la norme de contrôle applicable.

[11] L’Intimée soumet que la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision d’un conseil arbitral et d’un juge-arbitre relativement à des questions de droit est la norme de la décision correcte - Martens c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 240.  La norme de contrôle applicable aux questions mixte de fait et de droit est celle du caractère raisonnable - Canada (PG) c. Hallée, 2008 CAF 159.

[12] Le Tribunal retient que la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision d’un conseil arbitral et d’un juge-arbitre relativement à des questions de droit est la norme de la décision correcte - Martens c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 240 et que la norme de contrôle applicable aux questions mixte de fait et de droit est celle du caractère raisonnable - Canada (PG) c. Hallée, 2008 CAF 159.

Analyse

[13] Lorsqu’il a rejeté l’appel de l’Appelant,  le conseil arbitral a simplement déclaré ce qui suit :

« Suite à l'étude des faits au dossier et du témoignage du prestataire, le conseil arbitral reconnait que les bénéfices générés par l'entreprise sont des revenus, aux termes des articles 35 et 36 du Règlement sur l'assurance-emploi.

Le conseil arbitral conclut que l'entreprise 2912-2647 Québec Inc. est la propriété à 30% du prestataire et génère des bénéfices qui ont été correctement repartis par la Commission ».

[14] Le rôle du conseil arbitral (maintenant la division générale) est d'examiner les preuves que lui présentent les deux parties, pour déterminer les faits pertinents, soit les faits qui concernent le litige particulier qu'il doit trancher et d'expliquer, dans sa décision écrite, la décision qu'il rend concernant ces faits.

[15] Un conseil arbitral ne rencontre pas les exigences de la Loi lorsqu’il mentionne laconiquement qu'il a examiné tous les renseignements au dossier et que la Commission a correctement réparties les revenus.

[16] Le défaut de relater brièvement mais clairement les faits essentiels qui sont à la base de la décision du conseil arbitral fait en sorte qu’une telle décision ne rencontre pas les exigences de la Loi, ce qui constitue une erreur en droit  –  Inkell c. Canada (PG), 2012, CAF 290.

[17] Ignorer dans sa décision la preuve et les arguments de la partie adverse constitue également une erreur en droit - Bellefeuille c. Canada (PG), 2008 FCA 13.

[18] Pour les raisons ci-dessus mentionnées, il est difficile d’établir si le conseil arbitral a effectivement suivi les enseignements de la Cour d’appel fédérale dans sa décision, soit l’affaire Canada (PG) v. Talbot, 2013 CAF 53, qui nous indique ce qui suit:

« [21] En ce qui a trait à la période, celle choisie par la Commission est à mon avis la bonne. Le revenu vise par l'alinéa 35(10)c) n'est pas le revenu annuel, cette notion étant étrangère à la Loi. 11 s'agit plutôt de calculer les revenus générés pendant la période ou les services furent rendus et de repartir cette somme sur le nombre de semaines que cette période comporte conformément au paragraphe 36(6). Aux termes de l'alinéa 35(10)c), ce sont les revenus que les défendeurs tirent « de cet emploi » qui doivent être calculés, et la période « de cet emploi » est celle pendant laquelle les services furent rendus (Comparer Canada (Procureur général) c. Vernon, [1995] A.C.F. no. 1394 aux paras. 10 et 11).

[22] Qu'en est-il maintenant des dépenses qui peuvent être déduites de ce montant? La déduction des dépenses d'exploitation effectuées pendant la période est évidemment autorisée. Cependant, la Commission a-t-elle eu raison de réduire les dépenses dites annuelles en fonction du nombre de semaines d'activités? Je ne le crois pas.

[23] Selon le libellé de l'alinéa 35(10)c), les dépenses que les défendeurs sont autorisés à déduire dans le calcul du revenu qu'ils tirent de leur emploi sont celles que chacun d'eux «y a engagées ». C'est donc en fonction du but recherché en effectuant la dépense et non pas en fonction du moment où elle est effectuée que la qualification doit s'établir. En l’occurrence, toutes les dépenses dites annuelles furent engagées pour générer un revenu pendant la période de déneigement puisque l’entreprise des défendeurs n’a aucune autre source de revenus. Il s'ensuit que la totalité de ces dépenses doivent être prises en compte aux fins du calcul du revenu généré pendant cette période.

[24] C’est le revenu ainsi calculé qui doit être réparti sur les semaines pendant lesquelles les services ont été rendus conformément au paragraphe 36(6) du Règlement.

[25] Finalement, c'est à tort que le juge-arbitre a exclues les dépenses d'exploitation en vertu de l'alinéa 35(10)c) du Règlement les dépenses d'amortissement. Seules sont exclues les dépenses en immobilisation et l'amortissement n'est pas une dépense en immobilisation. ».

[19] Compte tenu des erreurs qui précèdent, le Tribunal est justifié d’intervenir dans le présent dossier.

[20] L’Appelant a fait part au Tribunal, pendant l’audience de son appel, que ses états financiers n’incluaient pas toutes les dépenses annuelles de l’entreprise mais seulement celles en date de la remise des états à l’Intimée.  Puisque selon l’Appelant, les états financiers produits au dossier sont incomplets, le Tribunal n’est donc pas en mesures de rendre la décision qui aurait dû être rendue par le conseil arbitral.

[21] Pour les motifs ci-dessus mentionnés, le Tribunal retourne le dossier devant la division générale du Tribunal (section de l’assurance-emploi) afin qu’un membre procède à une nouvelle audience en tenant compte des enseignements de la Cour d’appel fédérale.

Conclusion

[22] L’appel est accueilli et le dossier est référé devant la division générale du Tribunal (section de l’assurance-emploi) afin qu’un membre procède à une nouvelle audience en tenant compte des enseignements de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (PG) v. Talbot, 2013 CAF 53.

[23] Le Tribunal ordonne que la décision du conseil arbitral en date du 5 avril 2013 soit retirée du dossier.

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