Assurance-emploi (AE)

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Comparutions

  • Représentante de l’appelante : Joanne Davis
  • Intimé : G. Z.

Introduction

[1] L’intimé a reçu un diagnostic de leucémie en janvier 2012. En mai de la même année, il a cessé de travailler. Il a bénéficié d’une indemnité de départ et d’autres revenus de son employeur jusqu’en juillet 2012. En mars 2013, l’intimé a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi (AE). Il a demandé que sa demande de prestations soit antidatée afin qu’elle prenne effet en juin 2012. L’appelante a rejeté cette demande. L’intimé a interjeté appel auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a tenu une audience et accueilli l’appel de l’intimé. Elle a conclu que le diagnostic de leucémie et la perte d’emploi constituaient des circonstances exceptionnelles et que la demande devait être antidatée afin qu’elle prenne effet en juin 2012.

[2] L’appelante a obtenu l’autorisation d’en appeler de la décision de la division générale le 18 février 2015. L’audience d’appel a eu lieu par téléconférence, pour les raisons suivantes :

  1. a) La nature des questions à trancher et les observations des parties;
  2. b) le fait que la crédibilité des parties n’était pas considérée comme une question principale;
  3. c) l’information au dossier, y compris la nature de l’information manquante et la nécessité d’obtenir des clarifications;
  4. d) le caractère économique et opportun du choix de l’audience.

J’ai examiné tous les documents et les observations orales des parties pour rendre ma décision dans cette affaire.

Norme de contrôle

[3] L’appelant a affirmé que la norme de contrôle applicable à la décision de la division générale était celle de la décision raisonnable. La décision faisant autorité est l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick 2008 CSC 9. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a conclu que, lorsqu’un tribunal examine une décision concernant une question de fait, de droit ou mixte de fait et de droit se rapportant à sa propre loi constitutive, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable; c’est-à-dire qu’il faut déterminer si la décision du tribunal fait partie des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La question qui doit être tranchée en l’espèce est une question mixte de fait et de droit.

Analyse

[4] La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi) régit le fonctionnement du présent tribunal. L’article 58 de la Loi énonce les seuls moyens d’appel pouvant être pris en considération (voir l’annexe de cette décision). En l’espèce, l’autorisation d’en appeler a été accordée sur la base de la possible erreur de fait et de droit commise par la division générale lorsque celle-ci a conclu que l’intimé avait agi de manière raisonnable et qu’il avait un motif valable pour tarder à présenter sa demande de prestations d’AE. Pour les raisons énoncées ci-après, je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que la décision de la division générale était déraisonnable et indéfendable au regard des faits et du droit.

[5] L’appelante a soutenu que l’intimé n’avait pas agi comme une personne raisonnable l’aurait fait et n’a pas démontré qu’il avait un motif valable pour tarder à présenter une demande de prestations d’AE. Dans sa décision, la division générale a tenu compte du fait que l’intimé avait choisi de tarder à présenter une demande parce qu’il pensait pouvoir trouver un autre emploi rapidement, qu’il avait des économies et qu’il ne voulait pas accaparer le « système ». L’intimé a aussi témoigné à l’audience de la division générale et fait valoir, lors de l’audience d’appel, qu’après avoir reçu un diagnostique de leucémie et perdu son emploi, il s’est concentré sur sa santé et a tenté de trouver un emploi le plus rapidement possible. Je conviens que l’intimé s’est trouvé dans une situation très difficile lorsqu’il a perdu son emploi 2012. Je le félicite d’avoir entrepris des démarches pour se trouver un emploi alors que sa santé était sérieusement atteinte. Toutefois, la preuve n’établit pas de motif valable pour n’avoir pas présenté de demande de prestations d’AE avant mars 2013. Il n’était pas raisonnable, de la part de la division générale, de ne pas tenir compte de cette preuve lorsqu’elle a rendu sa décision.

[6] De plus, l’appelant a soutenu que rien ne démontrait que l’intimé avait été empêché de présenter une demande de prestations d’AE pendant toute la période de retard et qu’il aurait pu présenter une demande de prestations de maladie de l’assurance­emploi, ce qui lui aurait évité de devoir chercher un emploi, mais il ne l’a pas fait. Aucune des parties n’a soulevé ces faits à l’audience d’appel, et la division générale n’en a pas tenu compte non plus.

[7] En dernier lieu, l’appelant a fait valoir que la division générale a été déraisonnable en se fondant sur la décision du juge-arbitre CUB 17192, parce que les faits sont très différents de l’affaire qui nous occupe. Dans cette affaire, le prestataire avait tardé à présenter une demande de prestations d’AE pendant environ cinq semaines. La preuve indiquait également que le prestataire s’était présenté à un bureau de l’assurance-emploi, mais qu’on ne lui avait pas dit de présenter une demande de prestations de l’AE. D’un autre côté, l’intimé a tardé à présenter sa demande pendant environ neuf mois, soit une période beaucoup plus longue. Il n’y avait aucune preuve qui démontrait qu’il s’était rendu dans un bureau de l’assurance-emploi ni qu’il s’était informé de ses droits et obligations. Pour ces raisons, je suis convaincue que la décision CUB 17192 ne peut servir de comparaison pour cette affaire et qu’il était déraisonnable de la part de la division générale de s’en être servie pour rendre sa décision. 

[8] L’intimé a également fait quelques observations pour appuyer sa position selon laquelle la décision de la division générale devrait être confirmée en appel. Tout d’abord, il a déclaré que lorsqu’il avait perdu son emploi en 2012, il avait pensé pouvoir trouver un autre emploi rapidement. Ce n’est qu’après avoir dépensé toutes ses économies qu’il s’est rendu compte qu’il avait besoin d’une aide financière et qu’il a présenté une demande de prestations d’AE.  Je comprends que l’intimé a tout fait pour trouver un emploi. Cet argument, par contre, ne constitue pas un motif valable pour le retard de sa demande de prestations d’AE.

[9] L’intimé a également affirmé que l’appelante ne faisait pas preuve de compréhension et s’attardait uniquement à lui refuser des prestations, ce qui est contraire à la mission de l’assurance-emploi qui est d’appuyer les personnes qui ont perdu leur emploi et qui ont besoin d’aide. Bien que je comprenne la frustration de l’intimé par rapport à cette question, je ne peux tenir compte de cet argument en appel. Cette déclaration n’établit pas que la décision de la division générale contient une erreur de fait ou de droit, ni qu’elle contrevient à un principe de justice naturelle. Elle n’a donc aucune valeur persuasive dans le cadre de cet appel.

[10] En dernier lieu, l’intimé a fait valoir qu’un détail technique (demande tardive) ne devrait pas empêcher une personne de recevoir des prestations. La Loi sur l’assurance-emploi (LAE) établit les critères d’admissibilité, la période durant laquelle ces prestations sont payables et le taux de prestations versé. La LAE prévoit une disposition pour l’antidatation d’une demande conditionnellement au respect de certains critères. Le Tribunal n’a pas la compétence requise pour changer ces critères ni pour les ignorer dans certains cas. Sans égard aux circonstances et à leur gravité, les dispositions de la LAE doivent être appliquées rigoureusement à l’intimé et aux autres prestataires. Ainsi, cet argument doit aussi être écarté.

Conclusion

[11] L’appel est accueilli car je suis d’avis que la décision de la division générale était déraisonnable pour les motifs susmentionnés.

[12] L’article 59 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social prévoit les correctifs que la division d’appel peut apporter dans le cadre d’un appel. En l’espèce, les faits relatifs à l’emploi de l’intimé, la fin de son emploi ainsi que la date de la présentation de sa demande de prestations d’AE ne sont pas en cause. Il ne s’agit pas d’une question de crédibilité. Par conséquent, il est approprié pour la division d’appel de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. La demande de l’intimé de faire antidater sa demande de prestations pour qu’elle prenne effet en juin 2012 est rejetée.

Annexe

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

58. (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

59. (1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

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