Assurance-emploi (AE)

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Comparutions

  1. Représentante de l’appelante : Carol Robillard
  2. Intimé : J. B.

Introduction

[1] Les faits dans la présente affaire ne sont pas contestés. L’intimé habitait au Canada et a épousé une résidente des États-Unis. En juillet 2013, la femme de l’intimé a présenté une demande de visa pour permettre à l’intimé de travailler au États-Unis. Il a déménagé aux États-Unis en octobre 2013 pour se rapprocher de sa femme avant d’obtenir son visa de travail. L’intimé souhaitait travailler aux États-Unis et a entrepris toutes les démarches légales, habituelles et raisonnables qu’il pouvait afin d’obtenir un emploi aux États-Unis après avoir déménagé. Cependant, comme il n’avait pas de visa de travail, aucun employeur ne pouvait lui offrir de travail et il ne pouvait présenter de demande d’emploi. L’intimé a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi après avoir quitté son emploi au Canada en octobre 2013. L’appelante a conclu que l’intimé n’était pas admissible à des prestations d’assurance-emploi (AE) parce qu’il n’a pu prouver qu’il était disponible pour travailler.

[2] L’intimé a appelé de cette décision devant le Tribunal de la sécurité sociale. La division générale du Tribunal de la sécurité sociale a tenu une audience par téléconférence et a accueilli l’appel le 24 avril 2014.

[3] L’appelante a obtenu l’autorisation d’interjeter appel de cette décision en invoquant que la division générale avait pu errer, dans son application de la loi aux faits dont elle était saisie, au moment de trancher si le fait de ne pas avoir de permis de travail aux États-Unis rendait l’intimé non disponible pour travailler.

[4] L’appel est instruit par téléconférence en tenant compte des éléments suivants :

  1. a) la crédibilité n’était pas en cause;
  2. b) la complexité des questions en appel et les observations des parties;
  3. c) le fait qu’une des parties habite à l’extérieur du Canada.

J’ai examiné soigneusement tous les documents et les plaidoiries avant de rendre une décision.

Analyse

[5] L’appelante a affirmé que la norme de contrôle applicable à la décision de la division générale en l’espèce est celle de la décision raisonnable. L’intimé n’a présenté aucune observation sur cette question. La décision faisant autorité est l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick 2008 CSC 9. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a conclu que, lorsqu’un tribunal examine une décision concernant une question de fait, de droit ou mixte de fait et de droit se rapportant à sa propre loi constitutive, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable; c’est-à-dire qu’il faut déterminer si la décision du tribunal fait partie des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La question visée par cet appel est une question mixte de droit et de faits. Je dois donc décider si la décision de la division générale était raisonnable. 

[6] Les deux parties ont fait référence à la décision Faucher c. Procureur général du Canada (A-56- 96). Cette décision a établi que le prestataire d’AE doit satisfaire à trois critères pour être jugé disponible pour travailler :

  1. a) le désir de retourner sur le marché du travail aussitôt qu’un emploi convenable serait offert;
  2. b) l’expression de ce désir par des efforts pour trouver cet emploi convenable;
  3. c) le non-établissement de conditions personnelles pouvant limiter indûment les chances de retour sur le marché du travail.

Les parties se sont entendues et la division générale a conclu que l’intimé satisfaisait aux deux premiers critères susmentionnés. La question à trancher en appel est celle d’établir si la décision de la division générale était déraisonnable en concluant que l’absence de visa de travail n’était pas une condition qui limitait indûment les possibilités de l’intimé de trouver un emploi.

[7] L’appelante a fait valoir que le visa de travail était une condition préalable pour travailler aux États-Unis et non un simple détail technique. L’intimé ne pouvait ni se voir offrir un emploi, ni faire une demande d’emploi sans avoir de visa. De plus, elle a affirmé qu’il avait décidé de déménager aux États-Unis avant d’avoir reçu son permis. Ces faits n’ont pas été contestés. 

[8] L’appelante a ajouté que cette affaire diffère de la décision CUB 13136 sur laquelle s’est fondée la division générale pour rendre sa décision. Dans cette affaire-là et d’autres mentionnées par l’intimé dans ses arguments, le prestataire d’AE avait une autorisation de travail limitée à un employeur. Bien sûr, si le prestataire travaillait pour un autre employeur, alors l’autorisation devait être modifiée pour permettre au prestataire de travailler pour ce nouvel employeur. Par contre, en l’espèce, l’intimé ne pouvait obtenir d’emploi tant qu’un visa de travail ne lui était émis. Je suis d’avis que les circonstances de l’intimé sont différentes de celles d’un prestataire qui détient une autorisation de travail. La division générale a erré en se fondant sur cette décision pour appuyer ces conclusions.

[9] L’intimé a aussi tenté de fonder ses arguments sur des décisions de juge-arbitre qui traitaient de prestataires d’AE qui avait la garantie de travailler aux États-Unis en vertu de l’Accord de libre-échange nord-américain. Ces affaires ne sont pas pertinentes. Contrairement aux prestataires d’AE de ces dossiers, l’intimé n’avait aucune garantie de pouvoir travailler aux États-Unis sans d’abord obtenir son visa. La décision de la division générale ne fait aucune mention de ces dossiers ce qui ne constitue pas une erreur.

[10] L’intimé a fait valoir que le choix de déménager aux États-Unis avec sa femme était un choix personnel et que ce choix était autorisé par la Loi sur l’assurance-emploi qui n’exclut pas les prestataires qui quittent leur emploi pour suivre leur époux. C’est vrai. La cour d’appel fédérale a déclaré dans la décision Canada (Procureur général) c. Paquet (2013 CAF 48) qu’un prestataire d’AE ne peut être exclu du bénéfice des prestations parce qu’il quitte son travail pour vivre avec son époux. Il s’agit toutefois d’une question différente que celle d’être disponible  pour travailler. Tous les prestataires doivent être disponibles pour travailler afin d’être admissibles à des prestations. Ces deux énoncés ne sont pas contradictoires.

[11] L’intimé a également soutenu que le délai pour l’obtention de son visa de travail était hors de son contrôle et que celui-ci avait été beaucoup plus long que prévu. Bien que je compatisse avec les difficultés de l’intimé, je ne suis pas convaincue par cet argument. La Loi sur l’assurance-emploi ne permet pas de tenir compte des motifs pour lesquels un prestataire n’est pas disponible pour travailler. De plus, cet argument ne signale aucune erreur commise par la division générale.

[12] Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et- Labrador (Conseil du Trésor) (2011 CSC 62), la Cour suprême du Canada a décidé qu’au moment de réexaminer une décision pour en établir le caractère raisonnable, les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. En l’espèce, je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que la décision n’était pas raisonnable. Il était clair qu’aucun employeur ne pouvait offrir un emploi à l’intimé tant qu’il n’avait pas un visa de travail. Il ne pouvait pas non plus accepter de travail tant qu’il n’avait pas son visa de travail. Il s’agit d’une situation tout à fait différente de celle d’une personne qui est autorisée à travailler aux États-Unis, pour un seul employeur, ou qui avait la garantie d’avoir l’autorisation de travailler en vertu de l’Accord de libre-échange nord-américain. L’intimé n’avait aucune de ces garanties. Conclure que l’inadmissibilité de l’intimé à travailler dans de telles circonstances ne constitue qu’un détail technique ne peut se justifier au regard des faits et du droit. L’absence d’un visa de travail est une condition qui limitait indûment les chances de l’intimé de revenir sur le marché du travail.

[13] Pour ces motifs, l’appel est accueilli.

Réparation

[14] L’article 59 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social prévoit les réparations que la division d’appel du Tribunal peut accorder en appel. En l’espèce, les faits ne sont pas contestés. Ils sont exposés ci-dessus. La crédibilité des deux parties n’était pas en cause et les parties ont toutes deux présenté des observations orales et écrites complètes pour défendre leur position. Pour ces motifs, il est approprié de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre dans cette affaire. L’intimé n’a pas été exclu du bénéfice des prestations d’AE parce qu’il avait quitté son emploi pour vivre avec sa femme. Cependant, il n’était pas disponible pour travailler parce qu’il ne possédait pas de visa de travail en règle. Pour cette raison il a été jugé inadmissible aux prestations d’AE. Sa demande de prestations d’AE est donc rejetée.

Annexe

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

58. (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

58. (2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

59. (1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

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