Assurance-emploi (AE)

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Introduction

[1] La demanderesse demande au Tribunal de la sécurité sociale (le « Tribunal ») la permission d’en appeler de la décision que le conseil arbitral (le « Conseil ») a rendue le 2 avril 2013. Le Conseil a accueilli l’appel de l’intimé alors que la Commission avait déterminé qu’il (le prestataire) avait volontairement quitté son emploi sans justification et avait imposé une inadmissibilité pour une période indéterminée en application des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »).

[2] La demanderesse a déposé une demande de permission d’en appeler (la « Demande ») à la division d’appel du Tribunal le 19 avril 2013.  La Demande a été déposée dans le respect du délai de 30 jours.

[3] Les moyens d’appel énoncés dans la Demande étaient les suivants :

  1. a) Le Conseil a commis une erreur de droit en rendant sa décision, lorsqu’il a omis de résoudre les contradictions qu’il y avait dans la preuve et d’appliquer le critère juridique lié à la justification du départ (« fondé à quitter volontairement son emploi »), aux termes de l’alinéa 29c) de la Loi.
  2. b) Le Conseil a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, car le prestataire ne s’est pas acquitté de la charge de prouver que son départ était la seule solution raisonnable compte tenu de toutes les circonstances.

[4] Les motifs d’appel étaient les suivants :

  1. a) Le prestataire a décidé de quitter son emploi pour en occuper un autre dans le domaine de travail de son choix.
  2. b) Il n’a pas prouvé qu’il était fondé à quitter son emploi au sens de la Loi.
  3. c) Il a déclaré que sa seule option était d’accepter un poste de gestion du fait que son emploi saisonnier prenait fin.
  4. d) Il y avait, dans la preuve du prestataire concernant les raisons pour lesquelles il avait quitté son emploi, des contradictions que le Conseil n’a pas résolues.
  5. e) Il incombait au prestataire de prouver qu’il avait épuisé toutes les solutions de rechange raisonnables avant de quitter son emploi; or il ne s’est pas acquitté de cette obligation, puisqu’il avait la possibilité raisonnable de demeurer employé jusqu’à ce qu’il trouve un emploi lui convenant mieux.
  6. f) Le Conseil a aussi fait erreur lorsqu’il a conclu, en se fiant uniquement au témoignage du prestataire livré à l’audience, que l’emploi qu’on offrait à ce dernier n’était pas convenable, que le prestataire avait prouvé qu’il était fondé à quitter son emploi en raison d’une « modification importante des fonctions », puisqu’il n’y avait aucune preuve étayant l’affirmation que les fonctions du prestataire seraient modifiées de façon importante.

Question en litige

[5] Le Tribunal doit déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès.

Droit applicable et analyse

[6] Aux termes des paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi sur le MEDS »), « [i]l ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission » et « [la division d’appel] accorde ou refuse cette permission. »

[7] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS stipule que « [l]a division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. »

[8] En vertu du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[9] En l’espèce, la décision du Conseil est considérée comme une décision de la division générale.

[10] Le Tribunal doit être convaincu que les motifs d’appel correspondent à l’un ou l’autre des moyens d’appel énumérés. L’un de ces motifs au moins doit conférer à l’appel une chance raisonnable de succès avant que la permission d’en appeler puisse être accordée.

Erreurs de droit

[11] Dans sa décision, le Conseil indique avoir examiné la législation et la jurisprudence pertinentes à la question du départ volontaire, notamment les articles 29 et 30 de la Loi et les décisions Tanguay (A- 1458-84) et Rena Astonomo (A-141-97). Le Conseil a déclaré que le prestataire devait établir qu’il n’avait pas de solution de rechange raisonnable au départ lorsqu’il a quitté son emploi.

[12] Aux pages 5 et 6 de sa décision, le Conseil a tiré les conclusions suivantes : [traduction] « Le prestataire a quitté son emploi […] parce qu’il ne voulait pas accepter le seul poste disponible (celui de gestionnaire) et que la saison tirait à sa fin, ce qui signifiait que son poste de commis-vendeur serait éliminé » et [traduction] « Le prestataire était fondé à quitter volontairement son emploi en raison d’une modification importante de ses fonctions. »

[13] Sur le fondement de ces constatations, le Conseil a conclu que l’exception prévue au sous‑alinéa 29c)(ix) de la Loi pour déclarer qu’un prestataire est fondé à quitter son emploi était applicable et a accueilli l’appel.

[14] Dans les décisions Tanguay et Rena Astonomo est établi le principe voulant qu’un prestataire qui quitte son emploi doit établir que sa situation ne lui laissait pas d’autre choix raisonnable que celui de quitter son emploi. Le Conseil, dans sa décision, a correctement énoncé ce principe.

[15] Dans les observations qu’il a adressées par écrit au Conseil, l’intimé a cité de la jurisprudence relative à l’application du sous‑alinéa 29c)(vi) de la Loi (« assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat »). Toutefois, le Conseil a fondé sa décision sur le sous‑alinéa 29c)(ix) de la Loi (« modifications importantes des fonctions »). La décision du Conseil ne cite pas de jurisprudence traitant expressément de l’application du sous‑alinéa 29c)(ix), mais cela, en soi, n’est pas une erreur de droit.

[16] Quant aux contradictions dans la preuve du prestataire, le Conseil, dans sa décision, ne fait allusion à aucune contradiction dans la preuve du prestataire concernant les raisons de son départ. Cela dit, la Demande ne précise pas ce que seraient les contradictions en question.

[17] The Tribunal note que le prestataire était présent à l’audience devant le Conseil et y a livré témoignage, mais que la demanderesse a choisi de ne pas assister à l’audience. Dans la décision du Conseil, il est mentionné qu’on a procédé à l’enregistrement audio de l’audience. L’intimé aurait pu écouter cet enregistrement et fournir les détails de l’affirmation de la demanderesse selon laquelle il y avait des contradictions dans la preuve. Affirmer qu’il y a des contradictions dans la preuve sans fournir de détails ou d’exemples précis n’est pas suffisant. La division d’appel du Tribunal, dans l’examen d’une demande de permission d’en appeler, ne devrait pas avoir à deviner si et en quoi il y a des contradictions dans la preuve.

[18] Les moyens d’appel invoqués par la demanderesse en rapport avec les erreurs de droit sont que le Conseil a commis une erreur de droit lorsqu’il a omis de résoudre les contradictions qu’il y avait dans la preuve et d’appliquer les éléments de preuve pertinents à la législation. Je ne suis pas convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès quant aux erreurs de droit alléguées.

Erreur dans les conclusions de fait

[19] Le Conseil a tiré les conclusions de fait suivantes pour ce qui est de prouver que le départ était la seule solution raisonnable :

[Traduction]
Le prestataire a dit qu’il avait le sentiment qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi le 20 septembre 2011 en raison d’une « modification importante des fonctions », c’est‑à‑dire que c’était sa seule option alors que touchait à sa fin cet emploi occasionnel et saisonnier qu’il occupait, hormis pour le rôle de gestion. Il a dit que cette offre aurait été un choix de vie à long terme (car il s’agissait d’une entreprise familiale) et qu’il a décidé de décliner cette offre. Il ne possède pas de formation en RH et en gestion, et il n’a pas accepté cette offre qui aurait signifié une modification importante des fonctions.

[…] Le Conseil tient pour avéré que le prestataire a quitté son emploi le 29 septembre 2011 parce qu’il ne voulait pas accepter le seul poste disponible (celui de gestionnaire) et que la saison touchait à sa fin – ce qui signifiait que son poste de commis-vendeur allait être éliminé – et que les rénovations sur lesquelles il avait travaillé étaient terminées.

Le prestataire a dit, à l’audience, qu’il n’avait pas reçu de formation en gestion et qu’il ne souhaitait pas davantage s’engager sur le très long terme en acceptant l’offre de poste de gestionnaire, une durée d’engagement à laquelle il pouvait s’attendre puisqu’il s’agissait d’une entreprise exploitée depuis plus d’un quart de siècle. C’était une petite entreprise, avec peu d’employés et de nature saisonnière.

Le Conseil estime, comme conclusion de fait, que le prestataire était fondé à quitter volontairement son emploi le 29 septembre 2011 en raison d’une modification importante des fonctions. Il est compréhensible qu’il n’ait pas voulu s’engager pour la vie en acceptant l’offre d’emploi de « gestionnaire ».

[20] Bien que le Conseil ait énoncé le principe juridique établi dans la jurisprudence que tout prestataire qui quitte son emploi doit démontrer que c’était la seule solution raisonnable dans les circonstances de son cas, le Conseil ne semble pas avoir tiré de conclusions de fait sur la question de savoir si ce départ constituait « la seule solution raisonnable » dans le cas du prestataire.

[21] Les moyens d’appel énoncés par la demanderesse relativement aux erreurs dans les conclusions de fait, à savoir que le prestataire ne s’est pas acquitté de son obligation de prouver que son départ était la seule solution raisonnable dans son cas, peuvent être subdivisés en fonction, d’une part, du fardeau de la preuve et, d’autre part, des conclusions de fait tirées par le Conseil. Le fardeau de la preuve a été correctement énoncé par le Conseil, mais il ne semble pas y avoir de conclusions de fait précises en lien avec la « seule solution raisonnable ». Je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès sur ce moyen.

[22] En ce qui a trait à la « modification importante des fonctions », le Conseil a bel et bien tiré des conclusions de fait à ce sujet. Il a conclu ce qui suit :

[Traduction]
[…] Le prestataire a quitté son emploi le 29 septembre 2011 parce qu’il ne voulait pas accepter le seul poste disponible (celui de gestionnaire) et que la saison tirait à sa fin – ce qui signifiait que son poste de commis-vendeur allait être éliminé – et que les rénovations sur lesquelles il avait travaillé étaient terminées.

[…] Le prestataire était fondé à quitter volontairement son emploi le 29 septembre 2011 en raison d’une modification importante des fonctions. Il est compréhensible qu’il n’ait pas voulu s’engager pour la vie en acceptant l’offre d’emploi de « gestionnaire ».

[23] La demanderesse plaide que le Conseil a commis une erreur en fondant sa conclusion à une « modification importante des fonctions » uniquement sur le témoignage livré à l’audience par le prestataire, car aucune preuve n’étayait l’affirmation à cet effet du prestataire. Cet argument présume que la preuve testimoniale du prestataire doit être étayée d’autres éléments de preuve pour que le Conseil puisse, à bon droit, fonder une conclusion de fait sur le témoignage. La demanderesse ne cite aucune jurisprudence à l’appui de cette observation ni ne produit de justification pour motiver cette présomption. En outre, si la demanderesse avait assisté à l’audience, elle aurait pu contre-interroger le prestataire relativement à son témoignage. Je ne suis pas convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès sur ce moyen en particulier.

[24] Bien qu’un demandeur ne soit pas tenu de prouver les moyens d’appel pour les fins d’une demande de permission, il devrait à tout le moins exposer quelques motifs correspondant aux moyens d’appel énumérés (c’est‑à‑dire admissibles). En l’espèce, la demanderesse a énoncé un seul moyen et un motif d’appel qui relève de l’un des moyens d’appel énumérés.

[25] Sur le moyen d’appel selon lequel le Conseil a pu fonder sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, relativement au principe de la « seule solution raisonnable », je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Conclusion

[26] La Demande est accueillie pour les motifs précisés aux paragraphes [21] et [25] ci‑dessus.

[27] Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume pas du résultat de l’appel sur le fond du litige.

[28] J’invite les parties à présenter des observations écrites sur l’opportunité de tenir une audience et, le cas échéant, sur le mode d’audience à privilégier, de même que sur le bien‑fondé de l’appel.

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