Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Comparutions

L'appelant, Monsieur C. S., et son représentant, M. Mark Crawford, le centre communautaire d'aide aux chômeurs, ont assisté à l'audience. Madame Kim Hryciw, du centre communautaire d'aide aux chômeurs de Saskatoon ont observé l'audience.

L'employeur, Wakamow Valley Authority, n'a pas assisté à l'audience.

Introduction

[1] Le 7 décembre 2014, le prestataire a présenté une demande de prestations d'assurance-emploi. Le 26 janvier 2015, la Commission de l'assurance-emploi du Canada (Commission) a refusé la demande parce que le prestataire avait volontairement quitté son emploi sans justification. Le 18 février 2015, le prestataire a présenté une demande de révision. Le 19 mars 2015, la Commission a maintenu sa décision initiale et le prestataire interjeta appel au Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal).

[2] Aux termes du paragraphe 10(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement), le Tribunal peut, de sa propre initiative ou sur dépôt d’une demande, mettre en cause dans l’instance toute personne que la décision intéresse directement. En l'espèce, le 5 juin 2015, le Tribunal a déterminé que l’employeur avait un intérêt direct dans l’affaire et l’a ajouté comme partie mise en cause.

[3] Aux termes du paragraphe 12(1) du Règlement, si une partie omet de se présenter à l’audience, le Tribunal peut procéder en son absence, s’il est convaincu que la partie a été avisée de la tenue de l’audience. En l'espèce, le 6 août 2015, l'employeur a informé le tribunal par téléphone qu'il ne se présenterait pas à l'audience. Le Tribunal est donc convaincu que la partie a été avisée et procédera en vertu du paragraphe mentionné plus haut.

[4] L’audience a été tenue par comparutions en personne pour les raisons suivantes :

  1. la complexité de la question ou des questions portées en appel;
  2. le fait que la crédibilité pourrait constituer un enjeu important;
  3. le fait que plus d’une partie y assistera;
  4. les renseignements au dossier, y compris le besoin de renseignements supplémentaires;
  5. Le fait que plusieurs personnes participent à l’audience, à titre de témoins par exemple;
  6. le fait que l’appelant ou les autres parties soient représentés;

Questions en litige

[5] Le Tribunal doit déterminer si le prestataire doit être exclu du bénéfice des prestations aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi (Loi) parce qu'il a quitté volontairement son emploi sans justification.

Droit applicable

[6] Pour l'application des articles 30 à 33 de la Loi, l’article 29 de la Loi se lit comme suit :

  1. (a) «  emploi » s’entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;
  2. (b) la suspension est assimilée à la perte d’emploi, mais n’est pas assimilée à la perte d’emploi la suspension ou la perte d’emploi résultant de l’affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l’exercice d’une activité licite s’y rattachant;
  3. b.1) sont assimilés à un départ volontaire le refus :
    1. (i) d’accepter un emploi offert comme solution de rechange à la perte prévisible de son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où son emploi prend fin ;
    2. (ii) de reprendre son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où il est censé le reprendre ;
    3. (iii) de continuer d’exercer son emploi lorsque celui-ci est visé par le transfert d’une activité, d’une entreprise ou d’un secteur à un autre employeur, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment du transfert;
  4. (c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas
    1. (i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,
    2. (ii) nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence;
    3. (iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
    4. (iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité;
    5. (v) nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent;
    6. (vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat;
    7. (vii) modification importante de ses conditions de rémunération;
    8. (viii) excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci;
    9. (ix) modification importante des fonctions;
    10. (x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur;
    11. (xi) pratiques de l’employeur contraires au droit;
    12. (xii) discrimination relative à l’emploi en raison de l’appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs;
    13. (xiii) incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi;
    14. (xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.

[7] Le paragraphe 30(1) de la Loi prévoit que :

(1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas

  1. que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7,1, pour recevoir des prestations de chômage.
  2. qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

Preuve

[8] Le prestataire a déclaré dans sa demande de prestations qu'il avait quitté son emploi en raison du harcèlement qu'il subissait de la part du PDG et dont il a relaté les incidents.  Il a déclaré qu'il n'avait pas parlé directement au PDG, mais qu'au cours des dernières années des collègues et lui avaient rencontré le conseil d'administration à de multiples occasions pour que s'améliore la situation. Il a déclaré qu'il n'avait pas cherché de travail avant de partir parce qu'il était parti rapidement (GD3-6 à GD3-9).

[9] Un relevé d’emploi indique que l’appelant a été employé de Wakamow Valley Authority du 7 mai 1986 au 1er décembre 2014, moment où il a quitté volontairement son emploi ou a pris sa retraite (GD3-15).

[10] Le 22 janvier 2015, le prestataire a déclaré à la Commission qu'il croyait que sa gestionnaire l'appelait uniquement pour le harceler. Il a déclaré que la pelle n'était pas manquante et que la gestionnaire aurait pu attendre au lendemain, au retour au travail du prestataire. Il a dit qu'il était certain que sa gestionnaire était fâchée contre lui de s'être trouvé un remplaçant pour enlever la neige. Il a déclaré qu'il était retourné au travail le lendemain seulement et avait démissionné. Il a déclaré qu'il avait rencontré le conseil d'administration pour discuter des agissements de la gestionnaire, mais cette rencontre n'a pas réellement porté ses fruits. On a seulement parlé à la gestionnaire et on lui a demandé de suivre une formation lui permettant d'apprendre comment traiter avec les gens. Le prestataire a soulevé que le problème existait depuis des années et que l'environnement était devenu trop stressant pour lui. Il n'a pas cherché d'autre emploi ni à prendre congé. On lui aurait refusé un congé de maladie, mais il aurait pu obtenir un congé autorisé, ce à quoi il n'a jamais songé (GD3-16).

[11] Le 23 janvier 2015, la gestionnaire a déclaré à la Commission que le prestataire avait quitté son emploi pour prendre sa retraite. Elle a déclaré que le prestataire lui avait envoyé un courriel lui mentionnant qu'il prenait sa retraite. Elle a déclaré qu'elle n'avait eu connaissance d'aucune allégation de harcèlement. Elle a mentionné que le prestataire avait l'habitude d'égarer des objets et qu'elle avait dû l'appeler, alors qu'il était en congé de maladie, pour savoir où se trouvaient la pelle et les clés.

[12] La gestionnaire a mentionné à la Commission que la quantité de neige ne justifiait pas la demande de renfort de la part du prestataire. Elle a déclaré qu'elle travaillait avec le prestataire depuis 2006 et que ce dernier lui en voulait d'avoir gravi les échelons et d'être devenue son patron. Elle a dit lui avoir simplement demandé pourquoi il avait demandé de l'aide. Elle ne l'a jamais appelé pour le harceler. Elle voulait seulement savoir où étaient les clés. Elle a finalement retrouvé la pelle qu'un locataire avait égarée. Elle a déclaré que le prestataire n'en était pas responsable. Elle l'a d’ailleurs rappelé pour le remercier lorsqu'elle a trouvé la pelle (GD3-17).

[13] Le prestataire a écrit, dans un courriel envoyé à la gestionnaire le 4 décembre 2014, qu'il prenait sa retraite sur le champ (GD3-18).

[14] le 26 janvier 2015, la gestionnaire a présenté un compte-rendu écrit des raisons pour lesquelles elle a communiqué avec le prestataire le 1er décembre 2014 (GD3-19).

[15] Le 4 février 2015, le prestataire a présenté des données au sujet de ses conditions de travail et de ses relations conflictuelles avec sa gestionnaire, et des moyens qu'il avait choisis pour tenter de corriger la situation (GD3-25).

[16] Au soutien de son appel, le prestataire a déposé la lettre d’une collègue de travail datée du 31 janvier 2015 qui traitait des expériences personnelles de cette dernière sur les lieux de travail et en lien avec la gestionnaire (GD3-26 à GD3-30).

[17] La collègue de travail du prestataire a fourni des renseignements pour étayer l'état des relations de travail et les tentatives de corriger la situation, et des renseignements au sujet des rencontres avec le conseil d'administration et le comité du personnel (GD3-31 à GD3-37).

[18] Le 13 mars 2015, le prestataire a déclaré à la Commission qu'il avait quitté son emploi parce qu'il était victime d'intimidation de la part de sa gestionnaire. Il a mentionné qu'elle disait de lui qu'il était paresseux et incompétent, et ce, devant les autres membres du personnel. Il a déclaré qu'il s'était rendu au comité du personnel avec d'autres membres du personnel et avait discuté de la gestionnaire. Il se demandait si le comité pouvait s'asseoir avec la gestionnaire, ce que le comité a refusé en disant toutefois qu’on enverrait la gestionnaire suivre une formation. Il a déclaré que le dernier incident s'est produit lorsque la gestionnaire l'a appelé chez lui, alors qu'il était en congé de maladie (il ne prend jamais un tel congé), pour lui demander où se trouvaient les clés et la pelle. Il a déclaré qu'il avait dit à la gestionnaire où se devaient se trouver tous les éléments, mais elle a continué à se disputer avec lui, puis lui a demandé pourquoi il avait appelé du renfort pour enlever la neige le vendredi précédent. Il a déclaré qu'il était malade et qu'elle l'avait appelé à la maison pour l'intimider, ce qu'il ne pouvait plus endurer (GD3-38).

[19] Le 17 mars 2015, la gestionnaire a déclaré à la Commission que le prestataire s'était rendu auprès du comité du personnel, avec d'autres membres du personnel, pour, selon elle, se débarrasser d'elle. Elle a déclaré que le comité du personnel avait enquêté au sujet d'une plainte à savoir si elle avait assisté à la formation en gestion. Elle a mentionné que le prestataire n'aimait pas suivre ses directives. Elle a déclaré qu'elle avait inscrit sur le relevé d'emploi la raison du départ du prestataire, alors qu'il prenait sa retraite. Elle ne savait pas qu'il était mécontent.

[20] Le 19 mars 2015, le membre du comité du personnel a déclaré à la Commission qu'elle était en poste juste avant que se déclarent les problèmes entre deux autres employés, ce qui selon elle s'est produit en juin 2014. Elle a déclaré que le prestataire semblait prendre le parti des deux autres employés, mais qu'il n'a jamais été incité à participer à quoi que ce soit ou à mettre son nom où que ce soit. Elle a déclaré qu'à sa connaissance, le comité du personnel n'avait jamais eu de problème avec le prestataire et qu'il n'avait jamais comparu devant le comité. Rien ne serait fait à moins que la plainte soit présentée par écrit (GD3-41).

[21] Le 19 mars 2015, le prestataire a déclaré à la Commission que la personne du comité du personnel à qui ils avaient parlé avait compris tout de travers. Il a déclaré qu'ils étaient quatre d’entre eux à s'être présentés au comité du personnel, mais de façon séparée. Il a déclaré qu'il s'était présenté au comité du personnel et que la gestionnaire était partie assister à une formation. Il a déclaré qu'il n'avait rien consigné par écrit, mais qu'il s'était plutôt adressé verbalement au comité du personnel. Il a déclaré que le représentant de la Commission était absent lorsqu'il s'est adressé au comité du personnel (GD3-42).

[22] Le représentant du prestataire a déclaré, dans l'avis d'appel, que le prestataire n'avait d'autre solution que de quitter une situation devenue intolérable en raison du harcèlement et des relations conflictuelles mettant en cause la gestionnaire. Le conseil d'administration n'a pris aucune action pour résoudre le problème et gérer la situation sur les lieux de travail (GD2-1 à GD2-5).

Observations

[23] Le représentant du prestataire a fait valoir ce qui suit :

  1. le prestataire a quitté son emploi après 28 ans de service à cause du harcèlement dont certains collègues et lui subissaient de la part de sa gestionnaire, et des relations conflictuelles qu'ils entretenaient avec elle;
  2. le prestataire a tenté à plusieurs reprises de corriger la situation en s'adressant au comité du personnel;
  3. il est évident que la situation était problématique puisque la gestionnaire a dû assister à une formation pour apprendre comment traiter avec les gens;
  4. le conseil d'administration n'a jamais consulté le prestataire et ses collègues;
  5. le conseil aurait dû enquêter sur les allégations, et la preuve sous-tend que la gestionnaire a accepté de suivre une formation et qu'elle était confiante d'avoir répondu aux principales exigences du cours.
  6. le prestataire et ses collègues ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour tenter de corriger la situation;
  7. Les déclarations du comité du personnel auxquelles réfèrent la Commission dans (GD3-41) ne sont pas crédibles puisque la Commission n’a jamais pris part aux réunions du comité. On se demande aussi pourquoi la gestionnaire adresserait cette personne à la Commission.
  8. la Commission ne s'est adressée à aucun des membres du comité du personnel qui avaient pris part aux rencontres avec le prestataire et ses collègues;
  9. la gestionnaire s'est montrée harcelante et intimidante, et les renseignements provenant des autres travailleurs témoignent du climat de travail intolérable. Le prestataire, qui avait 28 ans de service, travaillait de façon exemplaire. Une lettre de son ancien PDG le confirme;
  10. le dernier incident représente la goutte qui a fait déborder le vase. La gestionnaire a téléphoné au prestataire, alors qu'il était en congé de maladie, pour l'accuser d'avoir égaré les clés et la pelle à neige, et pour le questionner au sujet de problèmes d'enlèvement de la neige lorsqu'il était responsable de l'entretien;
  11. la jurisprudence qui suit soutient l'appel en l'espèce : CUB 43142, 65977, 66311, 77679 et 60902.

[24] Le prestataire a fait valoir ce qui suit :

  1. la gestionnaire lui a téléphoné à la maison, alors qu'il était en congé de maladie, pour lui demander où se trouvaient la pelle et les clés. Il lui a indiqué à quel endroit ils devaient se trouver, mais elle a continué à se disputer avec lui. Puis, elle lui a demandé pourquoi il avait demandé de l'aide pour déplacer la neige, mentionnant qu'ils en reparleraient à son retour. Déjà malade, il n'a pu fermer l'œil de la nuit. Il en avait assez de l'intimidation;
  2. après 28 ans de service en tant que responsable de l'entretien, il était apte à juger s'il avait besoin d'aide pour déplacer la neige; Une tempête de neige particulièrement importante et les activités en cours au complexe rendaient le déneigement du stationnement nécessaire;
  3. la déclaration de la gestionnaire en GD3-17 est fausse. Elle n'a jamais rappelé le prestataire pour le remercier après avoir trouvé la pelle et les clés.
  4. il est allé travailler le lendemain et a informé le directeur du bureau qu'il vidait son casier et remettait ses clés, il ne pouvait plus tolérer la situation;
  5. la gestionnaire l'a appelé pour s'assurer qu'il avait démissionné, elle ne lui a rien demandé d'autre;
  6. il a pris quelques jours pour se refroidir les esprits, puis il a envoyé un courriel mentionnant qu'il prenait sa retraite;
  7. il n'a pas cru bon soumettre ce dernier incident au conseil d'administration puisqu'il avait déjà vécu pareil contexte et rien n'avait été fait pour corriger la situation;
  8. les problèmes ont commencé en 2006 lorsqu'elle est devenue gestionnaire;
  9. il a assisté à une réunion avec des collègues et trois membres du comité du personnel (P. D., D. R. et R. P.); C. A., avec qui la Commission a communiqué, n'a jamais participé aux réunions. Elle était membre du conseil d'administration et avait été désignée par la ville, mais ne faisait pas partie du comité du personnel.
  10. il a assisté à toutes les réunions et c'était ses collègues qui envoyaient des courriels, l'incluant, au comité du personnel et au conseil d'administration. Il n'a toutefois jamais rien signé;
  11. lorsqu'il a décidé de démissionner, un de ses collègues a rencontré le conseil d'administration en son nom et ils ont remercié la gestionnaire;
  12. il a travaillé à cet endroit pendant 28 ans tout en tentant de résister, mais il voyait bien que rien n’allait changer;
  13. les réunions d'équipe étaient régulière sous l'ancien PDG, mais lorsque M. C. a remplacé ce dernier en 2012, les réunions se faisaient plus rares et une certaine lutte de pouvoirs s'est installée entre elle et son équipe;
  14. la gestionnaire le traitait continuellement de paresseux et d’incompétent. Elle disait qu’il ne savait pas diriger une équipe d’entretien. Elle répétait ce discours devant les autres membres du personnel et devant les employés qu’il dirigeait;
  15. les lettres déposées par ses collègues et l'ancien PDG rendent bien compte de l'existence du harcèlement;
  16. l'environnement de travail était toxique et prendre un congé autorisé n'aurait pas réglé le problème. Il n'a jamais songé à prendre un congé pour cause de stress, qui selon lui n'aurait pas été la solution. De toute façon, comment aurait-il pu prouver le stress à son médecin.

[25] L’intimée a fait valoir ce qui suit :

  1. Le paragraphe 30(2) de la Loi porte sur l’imposition d’une exclusion du bénéfice des prestations pour une période indéterminée lorsque le prestataire quitte son emploi sans justification. Le critère à appliquer consiste à déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances, le départ du prestataire constituait la seule solution raisonnable qui s’offrait à lui lorsqu’il a quitté son emploi.
  2. Le prestataire n’était pas fondé à quitter son emploi le 1er décembre 2014 parce qu’il n’avait pas épuisé toutes les solutions raisonnables avant son départ.
  3. Compte tenu de l'ensemble de la preuve, une solution raisonnable aurait été d'aborder les questions avec son employeur ou de chercher et d'obtenir un emploi convenable avant de quitter l'emploi qu'il avait.
  4. Par conséquent, le prestataire n’a pas réussi à démontrer qu’il était fondé à quitter son emploi au sens de la Loi.
  5. Le prestataire a indiqué que les problèmes qui l'avaient forcé à quitter cet emploi duraient depuis des années, mais il avait décidé de les ignorer plutôt que les signaler.
  6. Le prestataire a confirmé qu'il n'avait produit aucune déclaration écrite au soutien de ses affirmations malgré qu'il se soit adressé au comité du personnel.
  7. Une solution raisonnable pour le prestataire aurait été de déposer une plainte officielle au comité du personnel si la réponse du comité s'il était insatisfait de la réponse du comité.
  8. Étant donné la prolongation de délai pour le dépôt des allégations du prestataire, une autre solution raisonnable pour lui aurait été de chercher et d'obtenir un emploi convenable avant de quitter son emploi;
  9. Rien ne prouve que les conditions de travail du prestataire étaient à ce point intolérables qu'il n'avait d'autre choix que de quitter son emploi sans épuiser ces solutions raisonnables.

Analyse

[26] Le Tribunal doit déterminer si le prestataire doit être exclu du bénéfice des prestations conformément aux articles 29 et 30 de la Loi parce qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification. Selon le paragraphe 30(1) de la Loi, un employé doit être exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi s’il perd son emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement son emploi sans justification. L’alinéa 29c) de la Loi prévoit qu’un employé est fondé à quitter son emploi si, compte tenu de circonstances énumérées dans une liste, notamment celles des sous-alinéa (iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité; et (x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur, son départ constitue la seule solution raisonnable dans son cas. Le critère à appliquer consiste à déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances, le départ du prestataire était la seule solution raisonnable qui s’offrait à lui lorsqu’il a quitté son emploi.

[27] La Cour d’appel fédérale a confirmé le principe selon lequel il incombe à un prestataire qui quitte volontairement son emploi de prouver qu’il n’avait d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi lorsqu’il l’a fait (Canada (AG) v. White, 2011 FCA 190 (CanLII)).

[28] Dans l’affaire Rena-Astronomo (A-141-97), qui a confirmé le principe établi dans l’affaire Tanguay (A-1458-84) selon lequel il incombe au prestataire ayant volontairement quitté son emploi de prouver qu’il n’existait aucune autre solution raisonnable que de quitter son emploi à ce moment-là. Le juge MacDonald de la Cour d’appel fédérale (la « Cour ») a déclaré : « Compte tenu de toutes les circonstances, le critère à appliquer se rapporte à la question de savoir si, selon la prépondérance des probabilités, le départ du prestataire constitue la seule solution raisonnable. »

[29] Selon l'intimée, compte tenu de l'ensemble de la preuve, une solution raisonnable aurait été d'aborder les questions avec son employeur ou de chercher et d'obtenir un emploi convenable avant de quitter l'emploi qu'il avait. Elle a fait valoir que le prestataire avait confirmé qu'il n'avait produit aucune déclaration écrite au soutien de ses affirmations malgré qu'il se soit adressé au comité du personnel. Une solution raisonnable pour le prestataire aurait été de déposer une plainte officielle au comité du personnel si la réponse du comité s'il était insatisfait de la réponse du comité. Étant donné la prolongation de délai pour le dépôt des allégations du prestataire, une autre solution raisonnable pour lui aurait été de chercher et d'obtenir un emploi convenable avant de quitter son emploi, et rien ne prouve que les conditions de travail du prestataire étaient à ce point intolérables qu'il n'avait d'autre choix que de quitter son emploi sans épuiser ces solutions raisonnables.

[30] Selon l'intimée, rien ne prouve que les conditions de travail du prestataire étaient à ce point intolérables qu'il n'avait d'autre choix que de quitter son emploi sans épuiser ces solutions raisonnables.

[31] Le prestataire invoque l'argument selon lequel il avait 28 ans de services et ne pouvait plus tolérer le harcèlement et l'intimidation qu'il subissait de la part de sa gestionnaire. Il a soutenu qu'il avait tenté à plusieurs reprises, à l'aide de ses collègues, de corriger la situation. Il a déclaré que de la documentation écrite avait été remise au comité du personnel, ce que peuvent confirmer les collègues du prestataire. L'ancien PDG a lui aussi remis de la documentation dans le but d'étayer les actes de harcèlement de la gestionnaire.

[32] Il a déjà été mentionné que les conditions de travail insatisfaisantes constituent une justification à quitter son emploi seulement a) lorsqu'elles sont « manifestement assez déplorables pour donner lieu à un véritable grief » et que le prestataire a pris toutes les mesures raisonnables pour régler les griefs et les insatisfactions en en discutant avec l'employeur, en plus d'avoir tenté de trouver un autre emploi; ou b) lorsque ces conditions sont si intolérables que l'employé n'a d'autre choix que de quitter cet emploi. On accorde une grande importance à l'obligation du prestataire de chercher des solutions aux conditions de travail intolérables avant de quitter un emploi. Un prestataire qui prend les moyens raisonnables pour minimiser les conditions de travail intolérables sera fondé à quitter son emploi si ces moyens ne portent pas leurs fruits.

[33] Le Tribunal est d'avis, selon la preuve au dossier et la preuve testimonial du prestataire, que ce dernier a tenté à plusieurs reprises de corriger la situation. Le prestataire et ses collègues ont fait part de leurs soucis au comité du personnel à de multiples occasions. Il appert de la preuve au dossier et de la preuve testimoniale du prestataire que la seule solution consistait à offrir un cours de gestion à la gestionnaire. Cependant, aucun dossier de l'employeur ne relate les retombées de cette formation ou ne mentionne s'il y a eu des suites, si l'exercice a été fructueux ou s'il a permis de remédier à la situation.

[34] Le Tribunal ne considère pas crédible la preuve soumise par la membre du conseil parce que cette dernière n'a jamais assisté aux réunions auxquelles prenaient part le prestataire et ses collègues puisqu'elle ne faisait pas partie du comité du personnel. Cette appréciation du Tribunal est étayée par la preuve documentaire déposée par l'ancien PDG (GD7-2) qui énumère les personnes qui ont assisté aux réunions, ces mêmes personnes qui ont été énumérées par le prestataire, et confirme que la membre du conseil n'y assistait pas. Le Tribunal est d'avis que la gestionnaire a fourni ce contact à la Commission pour appuyer sa thèse et qu'elle aurait dû savoir que la membre du conseil n'assistait pas aux réunions. Le Tribunal s'interroge à savoir pourquoi la gestionnaire n'a pas donné le nom des personnes visées par les questions. Le Tribunal est donc d'avis que le témoignage de la gestionnaire n'est pas crédible. Le Tribunal estime que la gestionnaire a induit la Commission en erreur en ne fournissant pas le nom de quelqu'un qui faisait réellement partie du comité du personnel et qui pouvait réellement répondre aux allégations du prestataire.

[35] Selon le Tribunal, il appert de la preuve au dossier que le style de gestion de la gestionnaire pouvait, de son propre aveu, lui causer des problèmes. En outre, le conseil a déposé une preuve écrite démontrant qu'on envoya la gestionnaire suivre un cours de gestion après qu'on eut pris connaissance de ses agissements. Cependant, elle a admis avoir suivi seulement une partie du cours. Le Tribunal n'est donc pas convaincu que son style de gestion ait changé.

[36] Le Tribunal estime que les déclarations de la gestionnaire à la Commission manquaient de crédibilité et il croit que le dernier incident s'est déroulé comme tel. Elle a déclaré qu'elle avait appelé le prestataire pour savoir où se trouvaient la pelle et les clés et, après les avoir trouvées, l'avait rappelé pour l'en informer et le remercier. Selon le Tribunal, il ressort du témoignage du prestataire que les déclarations de la gestionnaire ne renfermaient pas la vérité. Il a déclaré que la gestionnaire l'avait appelé pour lui demander où se trouvaient la pelle et les clés, s'était disputée avec lui au moment où il tentait de lui répondre, puis l'avait questionné au sujet de l'enlèvement de la neige en lui disant qu'ils en reparleraient à son retour. Elle ne l'a jamais rappelé. Le Tribunal estime que les déclarations du prestataire constituent un récit des événements plus précis car les gestes de la gestionnaire ont amené le prestataire à démissionner de son poste le lendemain.

[37] Le Tribunal est d'avis qu'un employeur n'a pas l'obligation d'assister à l'audience et de soutenir sa thèse. Par conséquent, il ressort de la preuve déposée, selon la prépondérance des probabilités, que le prestataire a agi en personne raisonnable au moment de quitter son emploi alors qu'il n'avait plus le choix. Le tribunal considère le prestataire comme un témoin crédible et les faits qu'il a avancés, comme vrais. Le Tribunal est d'avis que le prestataire n'a pas quitté son emploi, mais que les gestes de la gestionnaire ont causé l'interruption de son emploi.

[38] Le Tribunal donne préséance à l'information provenant de l'ancien PDG qui, de l'avis du Tribunal, constitue un récit des événements plus précis au sujet des agissements de la gestionnaire, et ce, même avant que cette dernière ne soit gestionnaire. L'ancien PDG a aussi fourni des renseignements selon lesquels il y avait eu plus d'une discussion au sujet du comportement de la gestionnaire et des recommandations à l'égard de son licenciement (GD7-2).

[39] Le Tribunal est d'avis que les déclarations du témoin figurant au dossier concordent avec le fait que les lieux de travail sont inacceptables et le fait que la gestionnaire entretenait des relations conflictuelles avec le prestataire et ses collègues.

[40] Le Tribunal estime, selon la preuve testimoniale du prestataire, que ce dernier n'avait pas cherché un autre emploi avant de quitter. Le Tribunal estime que le prestataire a démontré de façon satisfaisante qu'il n'avait pas cherché de travail parce qu'il n'avait pas prévu quitter au moment où il l'a fait. Cependant, la situation est devenue si intolérable qu'il n'avait d'autre choix que de quitter au moment où il l'a fait.

[41] Le Tribunal estime aussi que le dernier incident était attribuable à la gestionnaire et que son comportement à l'origine des relations conflictuelles et ses tentatives infructueuses de corriger la situation grâce au comité du personnel n'ont laissé d'autre choix au prestataire que de quitter son emploi au moment où il l'a fait.

[42] Le Tribunal est satisfait de la preuve du prestataire et accepte cette dernière portant sur la façon dont il a été traité par sa gestionnaire. Le Tribunal estime que d'après les tentatives du prestataire de corriger la situation, il est clair qu'il ne pouvait rien faire de plus.

[43] Le Tribunal doit appliquer le critère qui consiste à déterminer si le départ du prestataire constituait la seule solution raisonnable dans son cas. La Loi impose au prestataire l’obligation de ne pas provoquer délibérément la réalisation du risque de chômage. Un prestataire qui a volontairement quitté son emploi et n'en a pas trouvé un autre n'est justifié d'agir ainsi que si, au moment de quitter son emploi, il existait des circonstances qui l'excusaient de prendre le risque d'obliger d'autres personnes à supporter le fardeau de son chômage. Un prestataire a la responsabilité d’épuiser toutes les solutions de rechange raisonnables avant de se placer en situation de chômage.

[44] Le Tribunal est convaincu que le prestataire a agi de façon raisonnable et qu'aucune autre solution raisonnable ne s'offrait à lui. Il avait 28 ans de service et aimait son travail. Il a tenté à plusieurs reprises, sans succès, de corriger la situation en passant par les voies appropriées et a longtemps tenté d'endurer le comportement de sa gestionnaire à son égard. Cependant, lorsque la gestionnaire l'a appelé alors qu'il était malade, s'est disputée avec lui au sujet de ses actions dans son propre service et l'a menacé en lui disant qu'elle lui en reparlerait à son retour ne lui laissait d'autre choix que de quitter son emploi.

[45] Il a déjà été statué dans des décisions antérieures, qu’un prestataire n’est pas fondé à quitter son emploi sous prétexte qu’il est en désaccord avec les directives d'un supérieur ou avec la façon que ce dernier gère le service. Cependant, le sous-alinéa (x) prévoit que le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi lorsqu’il existe des relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur. Les relations conflictuelles (antagonisme) sont définies comme une forme d'hostilité ou une attitude qu'on ne peut déceler au cours d'un seul incident ou d'une seule dispute.

[46] Le Tribunal est d'avis que le prestataire a réussi à fournir des motifs solides et convaincants de quitter son emploi au moment où il l'a fait. La preuve souligne qu'existaient, entre le prestataire et la gestionnaire, des relations conflictuelles dont la cause n'était pas essentiellement imputable au prestataire, voire pas du tout, et qui ont fait en sorte que le prestataire était fondé à quitter son emploi aux termes de la Loi.

[47] Le Tribunal se fonde sur la décision Landry (A-1210-92), dans laquelle la Cour a conclu qu’il ne suffit pas que le prestataire prouve qu’il a agi de façon raisonnable en quittant son emploi, mais qu’il doit plutôt démontrer que, compte tenu de toutes les circonstances, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas.

[48] Selon le paragraphe 30(1) de la Loi, un employé doit être exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi s’il perd son emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement son emploi sans justification.

[49] Le Tribunal est d'avis que le prestataire a démontré qu'il n'avait d'autre solution raisonnable que de quitter volontairement son emploi.

Conclusion

‏[50] L’appel est accueilli.

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