Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli et la cause référée à la division générale du Tribunal (section de l’assurance-emploi) pour une nouvelle audience.

Introduction

[2]  En date du 23 avril 2013, un conseil arbitral a conclu que :

  • - L’Appelante avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite selon les articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »).

[3]   L’Appelante a déposé une demande pour permission d’en appeler de la décision du conseil arbitral en date du 23 mai 2013. La demande pour permission d’en appeler a été accordée le 5 janvier 2015.

Mode d’audience

[4] Le Tribunal a déterminé que cet appel procéderait en personne pour les raisons suivantes :

  • - la complexité de la ou des questions en litige;
  • - du fait que la crédibilité des parties ne figurait pas au nombre des questions principales;
  • - de l’information au dossier, y compris la nature de l’information manquante et la nécessité d’obtenir des clarifications
  • - du fait que l’Appelante est représentée.

[5] Le représentant de l’Appelante, Benedict Bois, a assisté à l’audience.  L’Intimée, représentée par Me Chantal Labonté et Luce Nepveu, a également assisté à l’audience.

La loi

[6] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou à autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) la division générale a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) la division générale a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] Le Tribunal doit décider si le conseil arbitral a erré en fait et en droit en concluant que l’Appelante avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite selon les articles 29 et 30 de la Loi.

Arguments

[8] L’Appelante soumet les motifs suivants au soutien de son appel:

  • - Le conseil arbitral n'a pas tenu compte de la violation de ses droits et libertés considérant que ce n'était pas de sa juridiction;
  • - Le conseil arbitral a pris sa décision à partir des preuves tirées de façon abusive et arbitraire par l’employeur considérant qu'elles avaient été obtenues en violation de ses droits et libertés;
  • - le conseil arbitral n'a pas tenu compte des déclarations erronées et/ou fausses de la part de l’employeur;
  • - Le conseil arbitral a décidé sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance;
  • - Plus précisément, le conseil arbitral n'a pas tenu compte des éléments portés à sa connaissance, cotés sous les cotes 22 et 23, puisque ces éléments de preuves portés au dossier soulèvent une question de droit relatif aux dispositions de la Section VIII - Renseignements confidentiels de l'Agence du Revenu du Québec. Plus précisément l’article 69 (1) de la Loi sur l’administration fiscale du Québec;
  • - Dans le cas de l’Appelante, la divulgation ou la consultation des dossiers a été effectuée dans le respect de l’article 69 (1) de la Loi relative à l’administration fiscale; Puisqu’elle avait les autorisations écrites et/ou verbales de ces personnes, les pièces 22 et 23 qui ont été déposées devant le conseil arbitral démontrent clairement que l’Appelante n’a pas enfreint l’article 69(1) de la Loi sur l’administration fiscale et n'a pas non plus enfreint aucun contrat de travail;
  • - L’employeur ne demande pas et n'exige pas que les autorisations soient enregistrées dans leur système informatique. De plus, l’employeur accepte aussi les autorisations verbales des contribuables;
  • - La déclaration de discrétion que l’employeur demande à ses employés de signer à tous les ans n'empêche pas un employé de travailler ou de donner une information a un membre de sa famille ou toute autre personne;
  • - L’Appelante a divulgué les renseignements dans le respect de l’article 69(1) de la Loi sur l’administration fiscale ainsi que le point (b) des déclarations de discrétion;
  • - Les membres du conseil arbitral ont interprété la déclaration de discrétion sans tenir compte de l'aliéna (b);
  • - Interpréter la déclaration de discrétion sans tenir compte du paragraphe (b) est par ailleurs incompatible et ne s'harmonise pas avec les dispositions de l’article 69 (1) de la Loi sur I' administration fiscale;
  • - Elle n'a pas commis aucun manquement à une obligation résultant expressément explicitement ou implicitement d'un contrat de travail puisqu’elle avait des autorisations pour les consultations effectuées, tel que l’employeur exige en matière de protection des renseignements confidentiels et de sécurité de l’information;
  • - Il est logique de conclure que lorsque l'employé s'engage dans la déclaration- discrétion, « à ne jamais consulter un dossier dans un but personnel, même par simple curiosité ou pour venir en aide à un proche », cet engagement ne concerne que les cas pour lesquels l'employé ou le proche de l'employé, ne sont pas munis d'une autorisation de la part de la personne concernée.

[9] L’Intimée soumet les motifs suivants à l’encontre de l’appel :

  • - Ni l'Appelante ni le Tribunal ne peuvent convoquer de témoins ou en faire entendre dans le cadre d'une audience en appel;
  • - Un appel devant la division d’appel du Tribunal n’est pas une audience de novo mais plutôt de la nature d’une contrôle judiciaire;
  • - Elle s’objecte à la production d’éléments de preuve introduits par l’Appelante dans le cadre du présent appel;
  • - Le conseil arbitral étant le maitre des faits, le pouvoir de contrôle du Tribunal se limite donc à décider si l’appréciation des faits par le conseil arbitral était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier;
  • - En conséquence, de nouveaux documents ne sont pas admissibles en preuve devant la division d'appel du Tribunal à moins de rencontrer les critères très stricts définis par la Cour d'appel fédérale;
  • - A cet égard, l’Intimée soumet que le dépôt des documents ne répond pas aux critères de la preuve nouvelle, c'est-à-dire démontrer que les documents n'étaient pas disponibles lors de l’audience devant le conseil arbitral, qu'ils étaient inconnus de la partie impliquée ou encore qu'ils étaient impossibles à produire par un prestataire diligent et, dans tous les cas, ils doivent avoir décidé de la question en litige;
  • - La décision du conseil arbitral n’est pas fondée sur une erreur de droit ou de faits et il n’a pas excédé ou refusé d’exercer sa juridiction;
  • - Le conseil arbitral devait décider si les gestes de l’Appelante de divulguer des informations confidentielles a son frère et d'accéder au dossier de sa sœur constituaient des gestes d'inconduite au sens de l'article 30 de la Loi;
  • - L’Intimée soumet que le conseil arbitral a appliqué à bon droit les conditions d'applications de l'inconduite, telles que définit par la Cour d'appel fédérale, que l'on retrouve dans sa conclusion;
  • - Que l’Appelante n'ait pas eu d'intention coupable ou encore de déclaration de culpabilité criminelle ou pénale contre elle ne change rien; La travailleuse a admis les faits reprochés. Elle a avoué avoir consulté des dossiers personnels pour rendre service à son frère et a aussi eu accès au dossier de sa sœur pour savoir si le traitement était en cours ou complété;
  • - Dans ces circonstances, il appert que le conseil arbitral a rencontré le test objectif qui consistait à déterminer si les gestes étaient conscients, voulus ou intentionnels et les explications ou nuances fournies par l'Appelante à l’audience pour minimiser la portée des gestes qui lui étaient reprochés ne changent pas le fait que les gestes ont été commis;
  • - L’Intimée soumet que le conseil arbitral n'avait pas à statuer sur la possibilité ou non d'une violation aux droits et libertés de l’Appelante en vertu de la Charte Canadienne des droits et libertés (la « Charte »);
  • - L’Appelante n'était de toute façon pas en état d'arrestation ni en détention lorsqu'elle a rencontré l'enquêtrice de l'employeur de sorte que l'article 10 de la Charte ne s'appliquait pas;
  • - L’Appelante faisait l'objet d'une procédure de nature administrative. Elle n'était donc pas une inculpée de sorte qu’elle ne bénéficiait pas des protections que garantit cette disposition;
  • - Un tel argument lui serait peut-être utile dans le cas ou des accusations criminelles ou pénales seraient portées contre elle mais il ne saurait convaincre ce Tribunal que le conseil arbitral a commis une erreur en matière d'assurance-emploi;
  • - Il a déjà été décidé (CUB 43153A) qu'il était faux et inapproprié d'invoquer dans une audience devant un juge-arbitre (aujourd'hui la Division d'appel du Tribunal) les exigences du droit criminel de la Charte afin de dénué de toute valeur probante un élément de preuve qui est par ailleurs admissible;
  • - Ce faisant, contrairement aux prétentions de l’Appelante, l’Intimée soumet que le conseil arbitral a décidé à partir de documents qui étaient admissibles en preuve;
  • - L’Intimée soumet que c'est donc à bon droit que le conseil arbitral s'est attardé aux faits présentés, après avoir évalué rigoureusement la valeur probante des déclarations des deux parties, en appliquant les principes de l'inconduite au sens de la Loi comme il se devait de le faire en matière d'assurance-emploi plutôt que sur la violation en tant que telle;
  • - Le conseil arbitral n'a donc pas commis d'erreur en ne se prononçant pas sur cet argument de Charte;
  • - D'ailleurs, il n'était pas nécessaire que le conseil arbitral analyse chacun des arguments de l'Appelante dans sa décision, de la même façon qu'il n'était pas nécessaire qu'il analyse chacun des éléments de preuve dans ses motifs;
  • - Après avoir évalué rigoureusement la valeur probante des déclarations des deux parties, comme il l'a lui-même mentionné, et apprécié la preuve au dossier à laquelle il réfère d'ailleurs tout au long de sa décision, le conseil arbitral a conclu que le comportement de l’Appelante était irréconciliable avec l’exercice régulier de son emploi;
  • - C'est donc à bon droit également que le conseil arbitral a décidé que la plainte de l'Appelante à l’encontre de son syndicat ne relevait pas de sa juridiction;
  • - Quant à l’allégation de l’Appelante concernant son droit à un représentant syndical lors de la rencontre initiale avec l'enquêtrice en août 2012, il ne s'agit pas d'un droit protégé par la Charte et la position de l'employeur a de toute façon été confirmée par la sentence arbitrale en matière de congédiement que l’Appelante a déposé elle-même (pages AD7-22 et ss.) et qui a également fait l'objet d'une analyse par la CRT;
  • - A tout évènement, ii ne s'agit pas en l’instance de faire le procès de l’employeur ni de déterminer si le congédiement de l’Appelante n’était pas juste et suffisant;
  • - Le conseil arbitral devait décider, selon la balance des probabilités, de la question d'inconduite en analysant notamment le critère du manquement à une obligation implicite ou explicite du contrat de travail. Or, il a décidé que le manquement de l'Appelante a son code d'éthique, de même que son comportement qui allait à l'encontre de la Loi sur les conflits d'intérêts, étaient suffisants pour répondre à la question;
  • - Ce n'est pas parce que le conseil arbitral n'a pas tiré de conclusions spécifiques sur la Loi sur I' administration fiscale qu'il a commis une erreur qui justifierait l'intervention du Tribunal.

Normes de contrôle

[10] Les parties n’ont fait aucune représentation quant à la norme de contrôle applicable.

[11] Le Tribunal retient que la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision d’un conseil arbitral et d’un juge-arbitre relativement à des questions de droit est la norme de la décision correcte - Martens c. Canada (PG), 2008 CAF 240 et que la norme de contrôle applicable aux questions mixte de fait et de droit est celle du caractère raisonnable - Canada (PG) c. Hallée, 2008 CAF 159.

Analyse

[12] Dans le présent dossier, le conseil arbitral devait décider si les gestes de l’Appelante de divulguer des informations confidentielles à son frère et d'accéder au dossier de sa sœur constituaient des gestes d'inconduite au sens de l'article 30 de la Loi.

[13] Le rôle du conseil arbitral (maintenant la division générale) est d'examiner les preuves que lui présentent les deux parties, pour déterminer les faits pertinents, soit les faits qui concernent le litige particulier qu'il doit trancher et d'expliquer, dans sa décision écrite, la décision qu'il rend concernant ces faits.

[14] Un conseil arbitral doit évidemment justifier les conclusions auxquelles il en arrive. Lorsqu’il est confronté à des éléments de preuve contradictoires, il ne peut les ignorer. Il doit les considérer. S’il décide qu’il y a lieu de les écarter ou de ne leur attribuer que peu de poids ou pas de poids du tout, il doit en expliquer les raisons, au risque, en cas de défaut de le faire, de voir sa décision entachée d’une erreur de droit ou taxée d’arbitraire - Bellefleur c. Canada (PG), 2008 FCA 13.

[15] Dans le présent dossier, le conseil arbitral a ignoré les éléments de preuve de l’Appelante, à savoir, les éléments portés à sa connaissance cotés sous les cotes 22 et 23. Il s’agissait de pièces au soutien de la position de l’Appelante qui soutient ne pas avoir commis de manquement à une obligation résultant expressément explicitement ou implicitement de son contrat de travail car la divulgation ou la consultation des dossiers a été effectuée, selon l’Appelante, dans le respect de l’article 69 (1) de la Loi relative à l’administration fiscale, de la déclaration de discrétion et de la Loi sur les conflits d’intérêts, puisqu’elle avait les autorisations écrites et/ou verbales de ces personnes.

[16] L’Intimée admet d’ailleurs dans ses représentations que le conseil arbitral n’a pas tiré de conclusions spécifiques sur la Loi sur l’administration fiscale du Québec dans sa décision.

[17] Compte tenu de l’erreur de droit ci-dessus mentionné du conseil arbitral, le Tribunal est justifié d’intervenir dans le présent dossier.

[18] En ce qui concerne les arguments de l’Appelante relatifs à la Charte, le conseil arbitral a jugé à bon droit qu’il n’avait pas juridiction.  Cependant, la division générale du Tribunal a maintenant juridiction pour entendre des arguments relatifs à la Charte. Tel que mentionné lors de l’audience en appel, la division d’appel procède sous forme de révision judiciaire et non par audience de novo.  Puisque la division générale est maitre des faits et plus en mesures d’évaluer la crédibilité des témoins, le Tribunal considère qu’il est préférable de lui laisser le soin de trancher les arguments de Charte soulevés par l’Appelante.

[19] Finalement, l’Appelante a produit au soutien de son appel de nouveau documents à l’appui de sa position.  Dans le meilleur intérêt de la justice, une nouvelle audience devant la division générale permettra à l’Appelante de produire ladite preuve et un dossier complet sera ainsi soumis à la division générale pour appréciation et décision.

Conclusion

[20] L’appel est accueilli et le dossier est référé devant la division générale du Tribunal (section de l’assurance-emploi) afin qu’un membre procède à une nouvelle audience.

[21] Le Tribunal ordonne que la décision du conseil arbitral en date du 23 avril 2013 soit retirée du dossier.

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