Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Comparutions

Le prestataire a comparu seul lors de l’audience.

L’employeur a comparu et était représenté à la fois par le propriétaire de l’entreprise et la directrice générale de l’entreprise.

Deux témoins de l’employeur ont pu prendre la parole et être interrogés par le prestataire lors de l’audience.

Introduction

[1] La prestataire a déposé une demande de prestations initiale le 16 décembre 2014 (pièce GD3-15). Entre le 26 septembre 2011 et le 14 décembre 2014, le prestataire a occupé un emploi pour Simbol Test Systems inc. (« l’employeur ou l’appelante ») (pièce GD3-18). La Commission de l’assurance-emploi du Canada (la « Commission ») informe alors l’employeur de mesures prises à l’égard de la demande d’assurance-emploi de la prestataire et affirme pouvoir verser des prestations au prestataire, car ce dernier n’aurait pas quitté son emploi en raison de son inconduite (pièce GD3-25). Le 18 février 2015, l’employeur soumet à la Commission une demande de révision et le 10 avril 2015, la Commission maintient sa décision initiale de verser des prestations d’assurance-emploi au prestataire (pièce GD3-86). Insatisfait de la décision révisée de la Commission dans le dossier de son ex-employé, l’employeur fait appel de la décision de la Commission devant ce Tribunal (pièces GD2).

[2] Cet appel a été instruit selon le mode d’audience en personne pour les raisons suivantes :

  1. Le fait que la crédibilité puisse être une question déterminante.
  2. Le fait que plus d’une partie assistera à l’audience.
  3. L’information au dossier, y compris la nécessité d’obtenir des informations supplémentaires.
  4. Le fait que plus d’un participant, tel un témoin pourrait être présent.
  5. Le fait que l’appelant ou d’autres parties sont représentés.
  6. Ce mode d’audience est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Question en litige

[3] Le Tribunal doit déterminer si le prestataire a commis un ou des gestes d’inconduite conformément à l’article 29 et aux paragraphes 30(1) et 30(2) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »).

Droit applicable

Inconduite

[4] Les paragraphes 29a) et b) de la Loi indiquent que pour l’application des articles 30 à 33, un « emploi » (a) s’entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations et que la suspension (b) est assimilée à la perte d’emploi, mais n’est pas assimilée à la perte d’emploi la suspension ou la perte d’emploi résultant de l’affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l’exercice d’une activité licite s’y rattachant.

[5] Le paragraphe 30(1) de la Loi prévoit que le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification à moins, selon le cas :

  1. a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;
  2. b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

[6] Le paragraphe 30(2) de la Loi prévoit que sous réserve des paragraphes (3) à (5), l’exclusion doit être purgée au cours des semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent le délai de carence pour lesquelles il aurait sans cela droit à des prestations. Il demeure par ailleurs entendu que la durée de cette exclusion n’est pas touchée par la perte subséquente d’un emploi au cours de la période de prestations.

[7] Dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Larivée (2007 CAF 312), la Cour d’appel fédérale établit que pour décider si les agissements du prestataire constituent une inconduite justifiant son congédiement, il faut essentiellement examiner et apprécier les faits.

[8] Dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Tucker (A-381-85), la Cour précise ce qui constitue de l’inconduite. Ainsi la Cour a établi que pour « (…) constituer de l’inconduite, l’acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que l’employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement. »

[9] Dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Hastings (2007 CAF 372), la Cour qualifie et raffine la notion d’inconduite. Ainsi la Cour a établi qu’il « (…) y a inconduite lorsque la conduite du prestataire est délibérée, c’est-à-dire que les actes qui ont mené au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels. Autrement dit, il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié. »

[10] Dans les affaires Canada (Procureur général) c. Cartier (2001 CAF 274) et Smith c. Canada (Procureur général) (A-875-96), entre autres, la Cour soutient qu’il doit y avoir un lien de causalité entre l’inconduite reprochée au prestataire et la perte d’emploi. Il faut que l’inconduite cause la perte d’emploi, qu’elle en soit une cause opérante. Il faut également, en plus de la relation causale, que l’inconduite soit commise par le prestataire alors qu’il était à l’emploi de l’employeur et qu’elle constitue un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail.

[11] Dans l’arrêt Crichlow c. Canada (Procureur général) (A-562-97), la Cour a déterminé que (la Division générale), était parfaitement autorisé à conclure que le demandeur n’a pas fait preuve d’une « inconduite » justifiant une exclusion en vertu de l’article (29) de la Loi et que la (Division d’appel) n’avait aucune raison de de modifier la décision majoritaire de la (Division générale) relativement à l’interprétation des faits et qu’il n’avait pas la compétence voulue pour substituer son opinion à celle du Conseil en ce qui a trait au sens à donner à ces faits.

Preuve

[12] La preuve contenue dans ce dossier est la suivante :

  1. une lettre d’embauche intervenue entre le prestataire et l’employeur datée du 9 septembre 2011 (pièce GD3-47 et 48);
  2. un renouvellement de l’entente de travail intervenue entre le prestataire et l’employeur daté du 28 mars 2014 (pièce GD3-49 et 50);
  3. un courriel intervenu entre des anciens collègues autres que le prestataire sur une somme de matériaux et équipements à acheter pour effectuer une réparation datée du 20 novembre 2014 (pièce GD3-51 à 53);
  4. une série de courriels intervenus entre des anciens collègues et le prestataire quant à des « tâches » à propos de la réparation d’un appareil datée du 23 novembre 2014 (pièce GD3-54 et 55);
  5. un courriel provenant du prestataire adressé à un ancien collègue de travail sur le numéro de « part » d’un laser daté du 26 novembre 2014 (pièce GD3-56);
  6. un courriel intervenu entre des intervenants et le prestataire sur des informations se trouvant chez l’employeur daté du 9 décembre 2014 (pièce GD3-57);
  7. un relevé d’emploi dont le dernier jour travaillé est le 14 décembre 2014 et dont la cote d’émission est « M », ou congédiement (pièce GD3-18);
  8. une demande de prestations régulières d’assurance-emploi datée du 16 décembre 2014 (pièce GD3-15);
  9. une ordonnance de sauvegarde ordonnée pour une période de deux mois dans une cause opposant le prestataire ainsi que des anciens collègues et l’employeur datée du 30 mars 2015 (pièce GD2-8 à 15);
  10. un courriel de l’employeur qui avise le prestataire de sa suspension sans solde pour travail accompli pour la concurrence (pièce GD3-24);
  11. une lettre de mise en demeure provenant des procureurs de l’employeur à l’intention du prestataire datée du 17 décembre 2014 (pièce GD3-27 à 29);
  12. une lettre de réponse à la mise en demeure provenant des procureurs du prestataire à l’intention de l’employeur datée du 14 janvier 2015 (pièce GD3-59 et 60);
  13. une lettre explicative sur les procédures entreprise par l’employeur provenant des procureurs de ce dernier à l’intention de la procureure du prestataire datée du 22 janvier 2015 (pièce GD3-30 à 32);
  14. une série de courriels intervenus entre le prestataire et l’employeur, ainsi que l’employeur et divers intervenants quant à sa « suspension sans solde » (pièce GD3-64 à 70);
  15. un courriel provenant du prestataire adressé à la Commission contenant divers liens web sur les pièces dont il est question dans les courriels mentionnés par l’employeur (pièce GD3-64);
  16. un relevé de paye du prestataire pour la période se terminant le 6 décembre 2014 (pièce GD3-76);
  17. un rapport d’entrées et de sorties du système de sécurité de l’employeur pour le prestataire entre le 14 novembre 2014 et le 12 décembre 2014 (pièce GD3-77);
  18. un argumentaire à l’intention du Tribunal préparé par l’employeur (pièce GD9-1 à 3);
  19. une série de discussions entretenues entre le prestataire et l’employeur sur la question d’une formation (pièce GD9-4 à 7);
  20. une série de courriels entretenus entre des intervenants quant à un « test » à faire passer au prestataire (pièce GD9-8);
  21. une photo d’une pièce de la société JDSU (pièce GD9-10);
  22. une série de documents administratifs proposant un échéancier et des statuts de suivis (pièce GD9-12 à 15);
  23. une série de documents et de références techniques provenant du prestataire (pièces GD10-1 à 7);
  24. une copie de la politique sur l’utilisation des heures de repas (pièce GD10-8);
  25. un minutage d’une rencontre quant à la politique sur l’utilisation des heures de repas (pièce GD10-9);
  26. une série de courriels intervenus entre le prestataire et l’employeur au mois de décembre 2014 (pièces GD10-10 à 18);
  1. aa. un « résumé du contexte de la mise en demeure du 17 décembre 2014 » (sic.) (pièce GD11-1 à 4);
  2. bb. un résumé de la « réunion du 5 novembre 2014 » (pièce GD11-8);
  3. cc. une série de politiques administratives en vigueur chez l’employeur (pièce GD11-18 à 46);
  4. dd. la copie d’une lettre provenant d’un tiers expliquant comment obtenir un numéro de série sur une machine comme celle sur laquelle il est discuté tout au long de ce dossier (pièce GD12-1 à 4);
  5. ee. une série de pièces en regard d’une plainte du prestataire auprès de la Commission des normes du travail de la province de Québec (pièce GD15-8 à 13);
  6. ff. une série de courriels intervenus entre le prestataire et des intervenants proposant être des concurrents de l’employeur (pièce GD15-14 à 20);
  7. gg. que l’entreprise est spécialisée dans la vente et la réparation de matériel utilisé dans les réseaux de fibres optiques (Audience);
  8. hh. que l’entreprise est la plus grande du genre au monde (Audience);
  9. ii. que dans certains cas, certaines machines n’ayant plus de support de la part des manufacturiers, que l’entreprise développe des méthodes pour réparer lesdites machines (Audience);
  10. jj. que l’entreprise a une propriété intellectuelle sur les méthodes qu’ils ont développées (Audience);
  11. P. L., technicien de laboratoire pour l’entreprise — témoin

  12. kk. qu’il ne connait pas les numéros de laser par cœur (Audience);
  13. ll. qu’il savait que le prestataire avait reçu une offre d’emploi de la part de Radio-Canada (Audience);
  14. mm. que l’employeur ne lui a pas parlé des conditions salariales du prestataire
  15. nn. que le prestataire lui a parlé de ses conditions de travail et du contrat de confidentialité qui le liait à l’entreprise (Audience);
  16. oo. qu’il n’était pas spécialiste de l’appareil réparé avec le laser dont il est question, mais il en faisait au moment des faits (Audience);
  17. F. S., technicienne de laboratoire pour l’entreprise — témoin

  18. pp. qu’elle voyait souvent des appareils réparés avec le laser dont il est question, mais qu’elle ne connait pas le numéro du laser dont il est question (Audience);
  19. qq. qu’elle entre travailler très tôt le matin (Audience);
  20. rr. qu’elle connait bien l’inventaire de l’entreprise et qu’il lui arrivait d’y aller pour y prendre des pièces dont elle avait besoin pour travailler (Audience);
  21. ss. qu’elle savait que le prestataire voulait aller travailler à Radio-Canada (Audience);
  22. tt. qu’il est possible qu’elle ait posé des questions sur le nouveau salaire et les conditions de monsieur (Audience);
  23. uu. qu’elle ne peut pas dire que les feuilles de temps se font modifier, mais qu’elle peut avoir rapporté des erreurs par le passé (Audience);
  24. vv. que le prestataire entrait très de bonne heure au début de son emploi, mais moins vers la fin, mais qu’il est plausible qu’il soit arrivé au travail à 6 h 30 le matin (Audience);
  25. ww. que l’employeur lui a déjà dit que si elle n’était pas contente, d’aller voir ailleurs (Audience).

Arguments des parties

[13] L’employeur a fait valoir :

  1. que le prestataire travaillait pour les intérêts d’une autre compagnie avec les réserves et moyens fournis par l’employeur (pièce GD3-19);
  2. qu’il s’agit d’une situation de fraude qui est sous enquête (pièce GD3-23);
  3. que le prestataire a perpétré un vol de propriété intellectuelle puisque les informations transmises sont des informations techniques spécifiques sur des équipements hautement spécialisés qui ne sont connus que par des personnes travaillant dans le laboratoire de l’employeur (pièce GD3-41);
  4. que le prestataire a transmis de l’information confidentielle à un concurrent pour lui indiquer quelle pièce il devait utiliser pour réparer un appareil spécifique (pièce GD3-41);
  5. que la situation décrite ultérieurement s’est produite à plusieurs reprises et que les gestes ont été posés par le prestataire alors qu’il était au travail (pièce GD3-41);
  6. qu’il y a des équipements qui ont disparu et que c’est sous enquête avec la police de X (pièce GD3-41);
  7. que le prestataire a signé un contrat de confidentialité avec l’employeur lors de son embauche (pièce GD3-41);
  8. que deux autres employés ont été mis à pied en novembre 2014 par manque de travail et qu’ils avaient enregistré leur entreprise en août 2014 (pièce GD3-43);
  9. que les échanges d’information entre les intervenants se sont faits sur les équipements de l’employeur (sic.) (pièce GD3-43);
  10. qu’il y a d’autres documents qui démontrent que le prestataire a contrevenu à ses conditions d’embauche (pièce GD3-43);
  11. que seule l’entreprise connait le numéro de pièce dont le prestataire parle dans son courriel à son concurrent et qu’il ne pouvait connaitre le numéro de la pièce que s’il travaillait pour eux (pièce GD3-71);
  12. qu’il faut ouvrir le modèle en question pour avoir accès au numéro de pièce et que le prestataire a pris une photo du laser spécifique (pièce GD3-71);
    S. B., propriétaire de l’entreprise
  13. que lors de l’exercice de fin d’année, il a découvert un « chat » entre des individus ayant travaillé pour lui et le prestataire (Audience);
  14. qu’il ne peut prouver un vol de propriété physique de la part du prestataire (Audience);
  15. que le prestataire était assigné à la réparation de machines à l’aide de méthodes qui sont propres à l’entreprise et qui sont documentées dans leurs serveurs (Audience);
  16. que le prestataire contribuait à la formation d’une entreprise concurrente alors qu’il était encore à l’emploi de l’employeur (Audience);
  17. que le prestataire a été dans des « databases » où il n’avait pas d’affaire pour redonner de l’information à des gens à l’externe (Audience);
  18. que selon le Code civil du Québec, le prestataire a fait de la concurrence déloyale à l’entreprise (Audience);
  19. que n’importe quelle personne peut ouvrir la machine que le prestataire a prise en photo, mais ne verra pas la pièce que le prestataire a prise en photo (Audience);
  20. que de savoir que la pièce en question dans cette machine-là est présente, d’aller en prendre une photo et de l’envoyer à quelqu’un d’externe est un geste déloyal (Audience);
  21. que le juge de la Cour supérieure du Québec a exposé les faits concernant la déloyauté du prestataire à l’égard de l’entreprise (Audience);
  22. qu’un employé quitte et se parte à son compte, il n’y a pas de problème, mais que celui-ci puisse jouer à la taupe pour d’autres, ça, c’est déloyal (Audience);
  23. que le prestataire a refusé de le rencontrer seul (Audience);
  24. qu’il n’a pas d’images ni de vidéo des actes que le prestataire aurait posés (Audience);
  25. que le prestataire n’a pas été congédié pour avoir fait usage d’un pseudonyme pour vendre du matériel sur internet (Audience);
  26. qu’un courriel au dossier est clair le prestataire est « in » et que c’est pour le tester que ses acolytes lui demandent le numéro du laser (Audience);
    A. D., Directrice générale
  1. aa. que le numéro de la pièce est publique, mais le fait de relier ce numéro de pièce à une réparation précise est de la propriété intellectuelle de l’entreprise (Audience);
  2. bb) que le prestataire et ses collègues avaient des grilles « Excel » sur la liste de tâches qu’ils devaient effectuer et acquérir (Audience);
  3. cc) que les photos et les informations envoyées à des concurrents ont été envoyées sur le temps payé par l’entreprise (Audience);
  4. dd) que l‘entreprise a un système d’accès par « badge » et que le prestataire est entré plus tôt au travail que ce qu’il déclare (Audience);
  5. ee) que le prestataire a contrevenu à son contrat de travail (Audience);
  6. ff) que tous les faits et gestes rapportés quant aux gestes reprochés sont faits dans un cadre privé, avec des biens appartenant au prestataire et un courriel appartenant au prestataire (Audience);
  7. gg) que dans le document Excel nommé « Stats de soccer », il n’est pas mention ne statistiques de soccer (Audience);
  8. hh) que le prestataire devait venir parler de ses activités professionnelles hors travail avec l’employeur, mais que les activités en lien avec son travail du moment auraient été considérées comme « déloyales » au sens du Code civil du Québec (Audience);
  9. ii) qu’il a perdu son emploi parce qu’il participait à des activités de concurrence déloyale alors qu’il était encore à l’emploi de l’entreprise et c’est ce qui est sur son avis de suspension ainsi que sa mise en demeure (Audience);
  10. jj) que les manquements du prestataire contreviennent directement à son contrat de travail (Audience);
  11. kk) que les gestes posés l’étaient en toute conscience et étaient cachés à l’employeur (Audience).

[14] Le prestataire a fait valoir :

  1. que l’employeur avait prévu une réduction d’effectifs et qu’il était à la recherche d’un autre emploi (pièce GD3-22);
  2. qu’il a été contacté par des anciens collègues qui ont ouvert une compagnie concurrente à son employeur (pièce GD3-22);
  3. qu’il a fourni des documents sur son travail, mais que ce sont des informations publiques (pièce GD3-22);
  4. que l’employeur a intercepté un de ces courriels, il l’a suspendu sur le champ et n’a jamais voulu entendre sa version des faits (pièce GD3-22);
  5. qu’il s’agit de mauvaise volonté de l’employeur puisqu’il ne veut pas de concurrence (pièce GD3-22);
  6. qu’il n’a pas reçu de lettre de congédiement de la part de l’employeur (pièce GD3-61);
  7. qu’il réfute toutes les allégations proposées par l’employeur (pièce GD3-61);
  8. que l’entreprise concurrente dont il est question a été fondée par un ancien collègue de travail, un ami personnel qui a tenté de se partir en affaires (pièce GD3-61);
  9. qu’il n’a jamais travaillé pour d’autres employeurs que l’employeur pendant toute la période où il a travaillé pour ce dernier (pièce GD3-61);
  10. qu’il voulait se trouver un autre emploi (pièce GD3-61 et 62);
  11. que l’employeur ne respectait plus son contrat de travail en ayant décidé de ne plus le payer durant ces heures de pause (pièce GD3-62);
  12. qu’il n’est pas entré au travail cette journée-là pour 6 h 30, que les heures indiquées sur sa feuille de temps ont pu être modifiées par l’employeur (pièce GD3-62);
  13. que son ami entrepreneur ne lui a pas demandé de lui transmettre de l’information confidentielle et que si ça avait été le cas, il aurait refusé de le faire (pièce GD3-62);
  14. que l’employeur a (obtenu) illégalement le courriel de son ami pour obtenir ces informations (pièce GD3-62);
  15. qu’il a un background en génie électronique, qu’il sait comment faire ce qu’il faisait pour l’employeur (Audience);
  16. qu’il appliquait des recettes qu’il a apprises auprès de l’employeur (Audience);
  17. qu’une fois qu’il a pris de l’expérience, qu’il est normal qu’il puisse utiliser son patrimoine ailleurs (Audience);
  18. que les personnes avec qui il transigeait étaient très familières avec le milieu dans lequel il évoluait (Audience);
  19. qu’il n’était qu’un facilitateur dans la transmission de l’information (Audience);
  20. qu’en mars 2013, il a signé un nouveau contrat de travail (Audience);
  21. que l’employeur a trouvé de l’information privée sur le courriel privé d’un ex-collègue de travail (Audience);
  22. qu’il se recherchait un emploi depuis un certain temps et que des amis l’ont approché pour savoir s’il serait intéressé à fournir une expertise à leur entreprise (Audience);
  23. que ces gens étaient intéressés à savoir ce qu’il faisait comme travail (Audience);
  24. que Keysights donne le « message d’erreur » sur la machine dont il est question et il s’agit là d’une information qui n’est pas de l’ordre du secret (Audience);
  25. qu’il a pris une photo par paresse, mais qu’il aurait pu envoyer le lien web pour Keysights (Audience);
  26. que la partie importante du numéro de série est la partie qui contient les cinq premiers caractères, après, les autres caractères réfèrent à la longueur du fil (Audience);
  1. aa. que le laser était dans l’inventaire, qu’il en changeait deux par semaines (Audience);
  2. bb. que l’employeur ne peut prouver une implication qui prédate le mois de novembre (Audience);
  3. cc. qu’il n’a pas approuvé le fait que son nom puisse se retrouver sur la grille Excel proposée par l’employeur et que ça lui a été proposé comme des actions (Audience);
  4. dd. que la spécification de fil n’est pas importante (Audience);
  5. ee. que jamais il n’est arrivé à une entente salariale ou de partenariat avec ses ex-collègues (Audience);
  6. ff. qu’il ne sait pas si ses fiches d’entrée au travail n’ont pas été retouchées par l’employeur (Audience);
  7. gg. que l’heure du courriel n’est pas une valeur sûre puisque son téléphone a pu attendre le retour d’un signal pour l’envoyer (Audience);
  8. hh. que l’enregistrement du juge dans une autre cause ne regarde pas la Loi sur l’assurance- emploi (Audience);
  9. ii. que toutes les conditions de son contrat de 2013 étaient les mêmes que celles de 2011 à l’exception de celles concernant le salaire et les semaines de vacances (Audience);
  10. jj. que comme il a un bon background, il lui est facile de retrouver des numéros de pièces sans avoir à passer par la base de données de l’employeur (Audience);
  11. kk. qu’il n’a pas besoin d’expliquer à son employeur qu’il a le désir de travailler ailleurs (Audience);
  12. ll. qu’il a répondu aux questions du concurrent comme s’il se recherchait un emploi (Audience);
  13. mm. qu’il ne se rappelle pas ce qu’il y avait sur le document appelé « Stats de soccer » (Audience).

[15] L’intimée a soutenu :

  1. que l’acte reproché n’a pas un caractère délibéré et que le client ne devait pas raisonnablement savoir qu’il s’exposait à un congédiement en transmettant, à un ami et ancien collègue de travail, un numéro de pièce, pour un appareil laser, que l’on peut facilement retrouver et se procurer sur internet, chez un autre fournisseur que l’entreprise de l’employeur (pièce GD4-4);
  2. que même si l’employeur a démontré que le client a transmis de l’information pendant ses heures de travail, ce motif ne peut pas être retenu pour déterminer l’inconduite, puisque ce n’est pas un motif invoqué dans l’avis de congédiement émis par l’employeur le 17 décembre 2014 (pièce GD4-4)
  3. qu’elle ne peut pas voir de relation de cause à effet dans ce dossier (pièce GD4-5);
  4. que l’acte reproché représente la cause immédiate du renvoi, mais ne constitue pas de l’inconduite, au sens de la Loi (pièce GD4-5);
  5. que même si l’employeur fournit plusieurs documents, le tout ne démontre pas concrètement que les gestes du prestataire étaient délibérés et résultaient d’une insouciance telle qu’il devait nécessairement savoir qu’il serait congédié en agissant de la sorte (pièce GD4-5);
  6. que bien que l’employeur démontre avoir pris des procédures criminelles contre le client, le rôle de la Commission n’est pas de s’engager dans une enquête approfondie et de démontrer hors de tout doute que le client est coupable des infractions reprochées (pièce GD4-5).

Analyse

[16] Le paragraphe 30(1) de la Loi prévoit qu’un prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite et le paragraphe 30(2) de la Loi prévoit quant à lui que l’exclusion doit être purgée au cours des semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent le délai de carence pour lesquelles il aurait sans cela droit à des prestations. L’arrêt Larivée (2007 CAF 132) a établi que pour décider si les agissements d’un prestataire constituent une inconduite justifiant son congédiement, il faut essentiellement examiner et apprécier les faits. Mais comme la Loi n’établit pas ce qu’est de l’inconduite, l’arrêt Tucker (A-381-85) est venu préciser, ou mieux définir, la notion d’inconduite en instruisant que l’acte reproché doive avoir été volontaire ou du moins procéder d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que l’employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement. Plus récemment, l’arrêt Hastings (2007 CAF 372) ajoute qu’il y a inconduite lorsque la conduite du prestataire est délibérée, c’est- à-dire que les actes qui ont mené au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels. Autrement dit, il y a inconduite lorsque le ou la prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié.

La position de la Commission

[17] Dans cette cause, la Commission argue que l’acte reproché n’a pas un caractère délibéré et que le client ne devait pas raisonnablement savoir qu’il s’exposait à un congédiement en transmettant, à un ami et ancien collègue de travail, un numéro de pièce, pour un appareil laser, que l’on peut facilement retrouver et se procurer sur internet, chez un autre fournisseur que l’entreprise de l’employeur. Pour la Commission, même si l’employeur a démontré que le client a transmis de l’information pendant ses heures de travail, ce motif ne peut pas être retenu pour déterminer l’inconduite, puisque ce n’est pas un motif invoqué dans l’avis de congédiement émis par l’employeur le 17 décembre 2014.

[18] La Commission indique qu’elle ne peut pas voir de relation de cause à effet dans ce dossier et que l’acte reproché représente la cause immédiate du renvoi, mais ne constitue pas de l’inconduite, au sens de la Loi. En fait, elle mentionne que même si l’employeur fournit plusieurs documents, le tout ne démontre pas concrètement que les gestes du prestataire étaient délibérés et résultaient d’une insouciance telle qu’il devait nécessairement savoir qu’il serait congédié en agissant de la sorte. Finalement, la Commission mentionne que bien que l’employeur démontre avoir pris des procédures criminelles contre le client, le rôle de la Commission n’est pas de s’engager dans une enquête approfondie et de démontrer hors de tout doute que le client est coupable des infractions reprochées.

La position du prestataire

[19] Pour le prestataire dans cette cause, il affirme qu’il a été contacté par d'anciens collègues qui ont ouvert une compagnie concurrente à son employeur. Il leur aurait fourni des documents sur son travail, mais que ce sont des informations publiques.

[20] Plus précisément, il affirme qu’il n’est pas entré au travail à 6 h 30 cette journée où il a communiqué de l’information à ses anciens collègues et que les heures indiquées sur sa feuille de temps et sur les fiches d’entrées ont pu être modifiées par l’employeur. Le prestataire affirme qu’il a pris une photo par paresse, mais qu’il aurait pu envoyer le lien web pour Keysights. Sur le numéro de série, il affirme que la partie importante du numéro de série est la partie qui contient les cinq premiers caractères, après, les autres caractères réfèrent à la longueur du fil et que la spécification de fil n’est pas importante. Sur le fait qu’il ait pu trouver le numéro de pièce facilement, le prestataire affirme que le laser était dans l’inventaire, qu’il en changeait deux par semaines. Il explique que comme il a un bon background, il lui est facile de retrouver des numéros de pièces sans avoir à passer par la base de données de l’employeur.

[21] Le prestataire affirme n’avoir été qu’un facilitateur dans la transmission de l’information, mais que l’heure du courriel n’est pas une valeur sûre puisque son téléphone a pu attendre le retour d’un signal pour l’envoyer. Le prestataire argue ne nonobstant ces faits, qu’il n’a pas besoin d’expliquer à son employeur qu’il a le désir de travailler ailleurs et qu’il a répondu aux questions du concurrent comme s’il se recherchait un emploi.

[22] Quant à son lien avec les autres ex-employés de l’employeur, le prestataire affirme qu’il se recherchait un emploi depuis un certain temps et que des amis l’ont approché pour savoir s’il serait intéressé à fournir une expertise à leur entreprise. Le prestataire déclare que ces gens étaient intéressés à savoir ce qu’il faisait comme travail, mais que les personnes avec qui il transigeait étaient très familières avec le milieu dans lequel il évoluait. Le prestataire affirme que son ami entrepreneur ne lui a pas demandé de lui transmettre de l’information confidentielle et que si ça avait été le cas, il aurait refusé de le faire. Le prestataire ajoute qu’il n’est jamais arrivé à une entente salariale ou de partenariat avec ses ex-collègues.

[23] Le prestataire déclare qu’il a un background en génie électronique, qu’il sait comment faire ce qu’il faisait pour l’employeur. Il affirme avoir appliqué des recettes qu’il a apprises auprès de l’employeur et qu’une fois qu’il a pris de l’expérience, qu’il est normal qu’il puisse utiliser son patrimoine ailleurs. Quant à la question de la question du « secret industriel », le prestataire affirme que « Keysights » donne le « message d’erreur » sur la machine dont il est question et il s’agit là d’une information qui n’est pas de l’ordre du secret.

[24] Sur les questions d’ordre de ressources humaines, le prestataire affirme que l’employeur avait prévu une réduction d’effectifs et qu’il était à la recherche d’un autre emploi. Il ajoute que l’employeur ne respectait plus son contrat de travail en ayant décidé de ne plus le payer durant ces heures de pause.

[25] Sur la question de sa suspension, le prestataire affirme que l’employeur a intercepté un de ces courriels, il l’a suspendu sur le champ et n’a jamais voulu entendre sa version des faits. L’employeur aurait obtenu illégalement le courriel de son ami pour obtenir ces informations et qu’en somme, qu’il s’agit de mauvaise volonté de l’employeur puisqu’il ne veut pas de concurrence.

[26] Finalement, le prestataire est d’avis qu’il n’a pas approuvé le fait que son nom puisse se retrouver sur la grille Excel proposée par l’employeur et que ça lui a été proposé comme des actions.

La position de l’employeur/Appelant

[27] Dans son argumentaire, l’appelant affirme que le prestataire travaillait pour les intérêts d’une autre compagnie avec les réserves et moyens fournis par l’employeur. L’employeur affirme qu’il s’agit d’une situation de fraude qui est sous enquête. Selon l’employeur, le prestataire a perpétré un vol de propriété intellectuelle puisque les informations transmises sont des informations techniques spécifiques sur des équipements hautement spécialisés qui ne sont connus que par des personnes travaillant dans le laboratoire de l’employeur. L’employeur considère que le prestataire a transmis de l’information confidentielle à un concurrent pour lui indiquer qu’elle pièce il devait utiliser pour réparer un appareil spécifique alors qu’il était au travail de surcroit.

[28] L’employeur affirme que les échanges d’information entre les intervenants se sont faits sur les équipements de l’employeur. Il s’agirait de tchats et de courriels envoyés sur les courriels personnels des individus en question. Pour l’employeur, il a les preuves qui démontrent que le prestataire a contrevenu à ses conditions d’embauche, dont une entente de confidentialité incluse dans son contrat de travail de 2013. Pour l’employeur, seule l’entreprise connait le numéro de pièce dont le prestataire parle dans son courriel à son concurrent et qu’il ne pouvait connaitre le numéro de la pièce que s’il travaillait pour eux. Il faudrait, selon l’employeur encore, ouvrir le modèle en question pour avoir accès au numéro de pièce et que le prestataire a pris une photo du laser spécifique.

[29] Selon le propriétaire de l’entreprise S. B., il ne peut prouver un vol de propriété physique de la part du prestataire, mais qu’il contribuait à la formation d’une entreprise concurrente alors qu’il était encore à l’emploi de l’employeur. Le prestataire serait allé dans des « databases » où il n’avait pas d’affaire pour redonner de l’information à des gens à l’externe. Pour S. B. toujours, selon le Code civil du Québec, le prestataire a fait de la concurrence déloyale à l’entreprise. En outre, il explique que le juge de la Cour supérieure du Québec a exposé les faits concernant la déloyauté du prestataire à l’égard de l’entreprise. Le prestataire n’aurait pas été congédié pour avoir pour avoir fait usage d’un pseudonyme pour vendre du matériel sur internet, mais qu’un courriel au dossier est clair, le prestataire est « in » et que c’est pour le tester que ses acolytes lui demandent le numéro du laser.

[30] Pour le propriétaire de l’entreprise toujours, le prestataire était assigné à la réparation de machines à l’aide de méthodes qui sont propres à l’entreprise et qui sont documentées dans leurs serveurs. Pour lui, n’importe quelle personne peut ouvrir la machine que le prestataire a prise en photo, mais ne verra pas la pièce que le prestataire a prise en photo. Pour l’employeur alors, le fait de savoir que la pièce en question dans cette machine-là est présente, d’aller en prendre une photo et de l’envoyer à quelqu’un d’externe est un geste déloyal. Pour lui, qu’un employé quitte et se parte à son compte, il n’y a pas de problème, mais que celui-ci puisse jouer à la taupe pour d’autres, ça, c’est déloyal. Finalement, S. B. confirme au Tribunal qu’il n’a pas d’images ni de vidéo des actes que le prestataire aurait posés.

[31] Quant à A. D., directrice générale de l’entreprise, le numéro de la pièce est public, mais le fait de relier ce numéro de pièce à une réparation précise est de la propriété intellectuelle de l’entreprise. Elle affirme que les photos et les informations envoyées à des concurrents ont été envoyées sur le temps payé par l’entreprise. Elle déclare que l‘entreprise a un système d’accès par « badge » et que le prestataire est entré plus tôt au travail que ce qu’il déclare. Selon A. D. tous les faits et gestes rapportés quant aux gestes reprochés sont faits dans un cadre privé, avec des biens appartenant au prestataire et un courriel appartenant au prestataire.

[32] Pour l’employeur, les manquements du prestataire contreviennent directement à son contrat de travail et que les gestes posés l’étaient en toute conscience et étaient cachés à l’employeur. En outre, A. D. déclare que le prestataire et ses collègues avaient des grilles « Excel » sur la liste de tâches qu’ils devaient effectuer et acquérir dont un nommé « Stats de soccer » où il n’est pas mention ne statistiques de soccer bien au contraire. Selon elle, le prestataire devait venir parler de ses activités professionnelles hors travail avec l’employeur, mais que les activités en lien avec son travail du moment auraient été considérées comme « déloyales » au sens du Code civil du Québec. Finalement, la directrice générale affirme que le prestataire qu’il a perdu son emploi parce qu’il participait à des activités de concurrence déloyale alors qu’il était encore à l’emploi de l’entreprise et c’est ce qui est sur son avis de suspension ainsi que sa mise en demeure.

La décision

[33] En examinant tous les faits tels que l’arrêt Larivée (2007 CAF 312) l’exige, pour que l’acte reproché puisse constituer de l’inconduite comme l’arrêt Tucker (A-381-85) l’exige, « (…) l’acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que l’employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement. » Plus précisément, l’arrêt Hastings (2007 CAF 372) propose clairement que pour qu’il y ait détermination d’une inconduite « (…) la conduite du prestataire soit délibérée, c’est-à-dire que les actes qui ont mené au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels. Autrement dit, il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié. » Le Tribunal ne doit donc mettre l’accent uniquement sur la conduite du prestataire et non de l’employeur comme l’arrêt Canada (Procureur général) c. Mc Namara (2007 CAF 107) le souligne si clairement.

[34] De prime abord, le Tribunal croit que les articles du Code civil du Québec n’ont aucune résonnance au sens de la Loi tel que l’employeur l’a présenté. L’employeur a beau répéter sans cesse que le prestataire a commis un geste de déloyauté au sens du Code civil du Québec, il appert qu’il n’a pas tenté une seule fois de faire le lien entre ledit Code, la Loi et la jurisprudence applicable à la juridiction du Tribunal. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il n’a pas prouvé rempli le test qui lui incombe en vertu de l’arrêt Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration) c. Bartone (A-369-88), soit de prouver l’inconduite du prestataire au sens de la Loi. Par contre, comme le décrit très bien la Cour dans l’arrêt Meunier c. Canada (Procureur général (A-130-96), l’inconduite n’est pas prouvée seulement pas le dépôt d’allégations de nature criminelle non prouvées.

[35] Le prestataire porte à l’attention du Tribunal des allégations selon lesquelles l’employeur aurait pu le congédier pour des raisons administratives, en raison de coupe budgétaire. Cependant, s’arrête là tout argumentaire précis et il n’est pas très vocal à ce sujet. Vers la fin de l’audience, le prestataire a remis au Tribunal deux clips audio de réunions de ressources humaines avec l’employeur pour appuyer un argument à l’effet que le prestataire ne respectait pas sa part du contrat de travail sur la question des repas et des pauses par exemple.

[36] En revanche, le prestataire semble plutôt justifier sa recherche d’emploi par le fait que l’employeur aurait contrevenu au contrat de travail en arrêtant de payer pauses et repas. En l’espèce, le Tribunal ne voit pas là de lien clair de causalité pour qu’il puisse en tirer là une conclusion que l’inconduite présumée n’était qu’un prétexte à son congédiement.

[37] Comme la directrice générale l’a très clairement exprimé lors de l’audience et je la citerai : « (que le prestataire) a perdu son emploi parce qu’il participait à des activités de concurrence déloyale alors qu’il était encore à l’emploi de l’entreprise et c’est ce qui est sur son avis de suspension ainsi que sa mise en demeure. » L’employeur a, au surplus, déclaré que le prestataire avait transgressé certaines clauses de son contrat de travail quant à la divulgation de son salaire par exemple. Il est clair pour le Tribunal qu’il ne s’agit pas là de la raison du prestataire. Au final c’est l’association du prestataire avec d’autres individus dans une entreprise semblable à l’employeur ainsi que le fait qu’il ait transmis de l’information auxdits concurrents à partir des locaux de l’entreprise, et lors de ses heures de travail de surcroit, qui l’a vu congédié. Tout autre motif invoqué est rapporté à l’employeur postérieurement au congédiement du prestataire est impertinent dans les circonstances.

[38] De prime abord, le Tribunal tient à rappeler aux parties que la recherche d’emploi alors qu’un travailleur est déjà en emploi n’est pas illégale. À la limite, il peut être illégitime de le faire, mais il ne revient pas au Tribunal de se pencher sur cette question. Malgré tout, le Tribunal souhaite exprimer que dans une société libre et démocratique comme la nôtre, il est loisible pour n’importe quel travailleur de tenter de se trouver un nouvel emploi. Dans une société capitaliste de surcroit, il m’apparaîtrait très fortement attaquable de croire qu’un travailleur qui tente de s’associer d’une façon ou d’une autre à d’autres personnes pour faire naître en entreprise, ou pour se négocier des avantages salariaux dans cette nouvelle entreprise, puisse rencontrer la définition de l’inconduite. Très manifestement, la libre entreprise est un attribut clair de la société canadienne et savoir que l’on peut être congédié pour tenter de s’associer à d’autres personnes pour créer une entreprise dans le même domaine que son employeur, condamnerait une très large tranche de la population active au rang d’éternel employé. Très clairement, pour ces raisons, le Tribunal croit que le prestataire ne pouvait pas s’attendre à être congédié pour cette raison. Il s’agit peut-être d’une conduite répréhensible pour l’employeur, mais cette conduite n’était pas telle que le prestataire pouvait savoir qu’il pourrait être congédié pour avoir commis ce geste. (Locke c. Canada (Procureur général) (2003 CAF 262)

[39] Cependant, le fait de prendre des clichés sur les lieux d’emploi et de les transmettre à un groupe de personnes auquel il est associé ou duquel il souhaite obtenir un emploi est une inconduite au sens de la Loi. Ici il n’est pas question de photos personnelles, mais bien de photos de matériaux utilisés par l’employeur dans le cadre de ses opérations sur une machine précise. L’employeur n’a pas prouvé par contre, tel qu’il le soulève pourtant au dossier, que le prestataire a pu s’approprier des biens de l’employeur ou qu’il est allé fureter à des endroits de ses serveurs où il n’avait pas l’autorisation de le faire. N’empêche que sur demande de personnes à qui il s’est associé et qui avaient des buts concurrentiels à l’entreprise, il a fourni non pas directement ses connaissances personnelles ou les liens web qu’il a fourni au Tribunal (pièce GD10-1 à 7), mais une photo d’une pièce que l’employeur avait en stock pour réparer un appareil sur lequel il travaillait. Au terme de la discussion qui a eu lieu lors de l’audience, cette photo aurait été prise à travers les stocks de l’employeur. Le prestataire argue certes qu’il savait où se trouvait cette pièce parce qu’il réparait des appareils contenant cette pièce chaque semaine, mais rien ne le contraignait à prendre ladite photo et de l’envoyer à un tiers concurrent de l’employeur.

[40] Pour le Tribunal, le fait que l’information puisse se trouver sur le web et que ce ne soit pas une information secrète comme le prestataire l’explique trouve certainement sa pertinence. Cependant, que le message d’erreur apparaissant sur la machine quand une pièce est problématique puisse être disponible sur le web n’est n’a pas trouvé sa pertinence dans cette cause. Dans ce cas, bien que l’information transmise au groupe concurrent de l’employeur par le prestataire soit « publique », l’acte d’envoyer une photo d’une pièce de l’employeur à un potentiel concurrent direct pour répondre à une question technique de celui-ci est de l’inconduite au sens de la Loi.

[41] Il ne semble pas évident qu’au moment où il posait ce geste, que le prestataire était soit à la recherche d’un emploi, qu’il était en négociation pour un salaire ou un traitement, ou qu’il était en négociation quant à son statut dans cette nouvelle compagnie concurrente de celle de son employeur. Le Tribunal est d’avis que le prestataire agissait alors à titre de collaborateur d’un groupe constitué concurrent à celui de son employeur. À ce titre, le Tribunal croit que sa conduite a été insouciante et négligente au sens de l’arrêt Tucker (A-381-85) et qu’il a décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement. Le fait que le prestataire ait utilisé son téléphone personnel pour envoyer une photo à partir de son compte courriel personnel est très clairement un signe qu’il savait ses gestes répréhensibles et que si son geste était su, que ceux-ci auraient des répercussions sur son rendement. Il est très clair dans cette cause que la conduite de prestataire était délibérée et que les actes reprochés étaient intentionnels au sens de l’arrêt Hastings (2007 CAF 372). Il n’a d’ailleurs jamais été question d’un cliché pris par accident et envoyé par mégarde, le prestataire savait ses interlocuteurs connaissant à la fois des affaires de l’employeur et de l’industrie dans laquelle il évoluait, donc savait que la question posée était précise à laquelle devait engendrer une réponse précise.

[42] Dans cette cause, l’employeur a tenté de faire établir « l’intention » du prestataire. Il a produit deux témoins qui n’avaient, ultimement que peu à dire sur le fond de la cause. Les deux témoins sont venus principalement expliquer au Tribunal qu’ils ne connaissaient pas le numéro de la pièce précise de remplacement de machines qu’ils peuvent réparer depuis quelques années. Le lien précis avec l’intention du prestataire dans cette cause est encore peu clair par ailleurs. Quant au reste de l’intervention des témoins, ils sont d’avis que le prestataire a discuté des clauses particulières de son contrat. Sur ce dernier sujet, le Tribunal a plus tôt démontré qu’il ne s’agit pas là de la raison du congédiement du prestataire.

[43] En somme, après avoir examiné et apprécié la somme des faits et de la preuve produite devant lui, le Tribunal en vient à la conclusion que l’employeur a prouvé l’inconduite du prestataire en vertu de la jurisprudence actuelle. Le prestataire a bel et bien commis des gestes d’inconduite au sens de la Loi car il savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié.

[44] La décision révisée de la Commission est infirmée.

Conclusion

[45] L’appel est accueilli.

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