Assurance-emploi (AE)

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Comparutions

  • Représentante de l’appelante: Carole Robillard
  • Intimé (prestataire): R. H.

Introduction

[1] Le 3 avril 2013, le conseil arbitral a accueilli l’appel du prestataire interjeté à l’encontre de la décision de la Commission d’imposer une inadmissibilité au titre des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi) et de l’article 30 du Règlement sur l’assurance-emploi (le Règlement). La Commission avait alors établi que le prestataire n’avait pas réussi à prouver qu’il était en chômage ou qu’il exploitait une entreprise dans une « mesure limitée ».

[2] Une demande de permission d’en appeler a été présentée à la division d’appel du Tribunal le 19 avril 2013, et elle a été accueillie le 18 juin 2015.

[3] L’appel a été instruit par téléconférence pour les raisons suivantes :

  1. a) la complexité de la ou des questions faisant l’objet de l’appel;
  2. b) l’information au dossier, y compris le besoin de renseignements supplémentaires;
  3. c) l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent.

Question en litige

[4] La division d’appel du Tribunal doit déterminer s’il convient de rejeter l’appel, de rendre la décision que le conseil arbitral aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale afin qu’elle la réexamine ou maintienne sa décision initiale, ou encore de confirmer, d’infirmer ou de modifier la décision du conseil arbitral.

Droit applicable

[5] Selon le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[6] Dans le cas présent, la décision du tribunal de révision est considérée comme une décision de la division générale.

[7] La permission d’en appeler a été accordée du fait que l’appelante a invoqué des motifs qui correspondent aux moyens d’appel prévus et qu’au moins l’un de ces motifs présente une chance raisonnable de succès, plus précisément au sens des alinéas 58(1)b) et c) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.

[8] Le paragraphe 59(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social énonce les pouvoirs de la division d’appel.

Observations

[9] L’appelante a fait valoir que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte et que la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable.

[10] L’appelante a allégué que le conseil arbitral avait commis une erreur de droit pour les motifs suivants :

  1. a) Il ne s’est pas penché sur la question juridique appropriée.
  2. b) Il n’a pas étayé sa décision par des conclusions de fait pertinentes.
  3. c) Il n’a pas appliqué le critère objectif énoncé à l’article 32 du Règlement.
  4. d) Il s’est fondé, pour accueillir l’appel du prestataire, sur des dispositions législatives et des précédents jurisprudentiels qui ne se rapportent pas au concept de « semaine entière de travail ».

[11] L’appelante a également soutenu que le conseil arbitral avait commis une erreur de fait et de droit en concluant que le prestataire n’effectuait pas des semaines entières de travail.

[12] L’intimé a présenté les observations suivantes :

  1. a) Il dit avoir mentionné dès le départ qu’il a créé son entreprise avant même de se renseigner au sujet de la présentation d’une demande de prestations d’assurance-emploi.
  2. b) La première personne avec qui il a parlé au bureau local d’assurance-emploi lui a recommandé de présenter une demande et lui a donné l’impression que sa demande était susceptible d’être accueillie. 
  3. c) Le conseil arbitral ne semble pas avoir compris le droit applicable et n’avait aucun pouvoir; la tenue d’une audience devant le conseil arbitral était donc inutile.
  4. d) Il a fait tous les efforts possibles pour ne pas avoir recours à l’assurance-emploi et cotise au régime depuis des décennies.
  5. e) D’autres personnes au Canada ont touché des prestations d’assurance-emploi alors qu’elles démarraient une entreprise, alors pourquoi pas lui?
  6. f) Il a présenté une demande de prestations pour obtenir de l’aide pendant qu’il créait son entreprise.
  7. g) La procédure s’est avérée très décevante pour lui, et il juge ne pas avoir été bien traité.

Norme de contrôle

[13] La Cour d’appel fédérale, dans Canada (PG) c. Jewett, 2013 CAF 243, Chaulk c. Canada (PG), 2012 CAF 190 et bon nombre d’autres affaires, a déjà établi que la norme de contrôle qui s’applique aux questions de droit et de compétence dans les appels en matière d’assurance-emploi est celle de la décision correcte, tandis que la norme de contrôle qui s’applique aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit dans les affaires relatives à l’assurance-emploi est celle de la décision raisonnable.

[14] La norme de contrôle applicable dépend de la nature des erreurs alléguées en cause. En l’espèce, il s’agit d’erreurs de droit et d’erreurs mixtes de fait et de droit.

Analyse

[15] À la rubrique « Constatation des faits et application de la loi » de sa décision, le conseil arbitral cite la version annotée de la Loi sur l’assurance-emploi de 2011 au sujet de la notion d’emploi convenable ainsi qu’une décision CUB qui porte qu’une prestataire crédible qui ne savait pas qu’elle donnait les réponses qu’on attendait d’elle n’a pas sciemment fait une fausse déclaration. Les seules conclusions de fait que comporte la décision sont présentées en conclusion : [traduction] « Le conseil arbitral est convaincu que la prestataire a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable placée dans la même situation. Nous concluons que l’appelante a droit au bénéfice du doute. »

[16] Le conseil arbitral n’a pas mentionné les dispositions législatives en vertu desquelles la Commission a imposé une inadmissibilité, soit les articles 9, 11, 29 et 30 de la Loi et l’article 30 du Règlement. Le conseil arbitral n’a pas déterminé si l’engagement du prestataire au sein de l’entreprise correspondait à l’exception prévue au paragraphe 30(2) du Règlement ni mentionné les six facteurs énumérés au paragraphe 30(3). Il n’a pas tiré de conclusion de fait quant à la question de savoir si le prestataire était en chômage ou s’il exploitait une entreprise dans une « mesure limitée ».

[17] La question que devait trancher le conseil arbitral consistait à déterminer si, d’un point de vue objectif et à la lumière des six facteurs énoncés au paragraphe 30(3) du Règlement, le prestataire exploitait son entreprise dans une mesure si limitée que cette activité ne pourrait normalement pas constituer son principal moyen de subsistance. Le conseil arbitral a commis une erreur de droit en n’appliquant pas le critère objectif énoncé au paragraphe 30(2) du Règlement.

[18] En outre, les conclusions de fait du conseil arbitral renvoient au concept de « motif valable » pour quitter volontairement un emploi qui est énoncé à l’article 27 du Règlement. Le conseil arbitral s’est fondé sur une décision CUB qui porte sur la crédibilité d’une prestataire à l’égard de déclarations fausses ou trompeuses. Le conseil arbitral a également conclu que le prestataire avait droit au bénéfice du doute. Toutefois, l’appel portait sur l’imposition d’une admissibilité au prestataire pour n’avoir pas fait la preuve qu’il était en chômage, et les trois conclusions de fait du conseil arbitral ne se rapportent pas à la question faisant l’objet de l’appel.

[19] Pour les motifs énoncés précédemment, je conclus que le conseil arbitral a commis une erreur de droit.

[20] Par conséquent, la division d’appel doit, selon la norme de la décision correcte, procéder à sa propre analyse et déterminer s’il y a lieu de rejeter l’appel, de rendre la décision que le conseil arbitral aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale, ou encore de confirmer, d’infirmer ou de modifier la décision.

[21] L’appelante a soumis les observations suivantes relativement aux critères énoncés aux paragraphes 30(2) et (3) du Règlement :

  1. a) Le temps qu’il y consacre – Le prestataire a déclaré avoir quitté son emploi pour se consacrer à temps plein à son entreprise et a confirmé que son magasin avait ouvert ses portes le 26 novembre 2012 et qu’il y travaillait à temps plein, sept jours par semaine.
  2. b) La nature et le montant du capital et des autres ressources investis – Le prestataire a contracté des dettes personnelles de dizaines de milliers de dollars pour investir dans la création de son entreprise, X X X & X X.
  3. c) La réussite ou l’échec financiers de l’entreprise – Le magasin a ouvert ses portes le 26 novembre 2012. Les dépenses du prestataire dépassent actuellement ses revenus. Le prestataire a indiqué que les affaires sont au ralenti pendant la période hivernale, mais qu’il s’attend à ce qu’elles reprennent en force en avril.
  4. d) Le maintien de l’entreprise – Le magasin a ouvert ses portes le 26 novembre 2012. Le prestataire et son épouse y travaillent à temps plein et espèrent embaucher une autre personne quand les affaires reprendront au printemps.
  5. e) La nature de l’entreprise – L’emploi qu’occupe le prestataire à son magasin d’X X et de X est similaire à l’emploi qu’il a auparavant occupé pendant plus de trente ans. 
  6. f) La volonté du prestataire de chercher et d’accepter un autre emploi – Le prestataire souhaite consacrer son temps à son entreprise et ne cherche pas d’autre emploi. Il a confirmé que son entreprise est actuellement sa seule source de revenu et qu’il n’est pas disponible pour travailler ni pour chercher un autre emploi.

En résumé, l’appelante a allégué que, d’un point de vue objectif, quatre facteurs sur six portent à conclure que le prestataire exploite son entreprise dans une mesure telle que cette activité constituerait normalement son principal moyen de subsistance, et que les facteurs liés au temps consacré à l’entreprise et à la volonté de chercher et d’accepter un autre emploi sont essentiels pour déterminer si le prestataire effectue des semaines entières de travail.

[22] L’intimé n’a pas contesté la description des six facteurs présentée par l’appelante. Il a fait valoir que d’autres personnes ont touché des prestations d’assurance-emploi alors qu’elles créaient une entreprise, si bien qu’il devrait lui aussi y avoir droit. Qui plus est, il a insisté sur le fait qu’on aurait dû l’informer au bureau d’assurance-emploi que sa demande de prestations [traduction] « n’avait aucune chance ».

[23] Bien que je comprenne le mécontentement de l’appelante, la question en litige consiste à déterminer si la décision du conseil arbitral est correcte.

[24] D’après le paragraphe 30(1) de la Loi, un prestataire qui exerce un emploi à titre de travailleur indépendant ou exploite une entreprise à son compte n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploi du fait qu’il est considéré comme ayant effectué une semaine entière de travail durant la semaine visée. Le paragraphe 30(2) annule l’application du paragraphe 30(1) lorsqu’un prestataire exerce un emploi à titre de travailleur indépendant ou exploite une entreprise dans une mesure limitée. Le critère à appliquer pour évaluer si le prestataire exerce un emploi à titre de travailleur indépendant ou exploite une entreprise dans une mesure limitée consiste à déterminer si, d’un point de vue objectif, il se consacre à cette activité dans une mesure si limitée qu’elle ne pourrait normalement pas constituer son principal moyen de subsistance. Le paragraphe 30(3) énonce les six facteurs à prendre en considération pour déterminer si le prestataire exerce un emploi à titre de travailleur indépendant ou exploite une entreprise dans une mesure limitée.

[25] Pour interpréter ces dispositions, il est important de garder à l’esprit qu’elles ont pour objet de déterminer la mesure dans laquelle le prestataire a exercé un emploi à titre de travailleur indépendant ou exploité une entreprise pour chaque semaine de la période de prestations établie au titre de l’article 9 de la Loi. Si le prestataire exerce un emploi à titre de travailleur indépendant ou exploite une entreprise dans une mesure limitée, il réfute alors la présomption énoncée au paragraphe 30(1) et n’est pas considéré comme ayant effectué une semaine entière de travail durant la semaine visée.

[26] Compte tenu des six facteurs, et tout particulièrement de la déclaration de l’intimé selon laquelle il travaillait pour son entreprise à temps plein, sept jours par semaine, et n’était pas disponible pour travailler ni pour chercher un autre emploi, je ne peux pas conclure que l’intimé exploitait une entreprise dans une « mesure limitée ». Par conséquent, en application du paragraphe 30(1) de la Loi, les prestations d’assurance-emploi doivent être refusées à l’intimé.

[27] Je conclus que la décision du conseil arbitral n’est pas fondée.

[28] S’il avait rendu une décision correcte, le conseil arbitral aurait rejeté l’appel de l’intimé.

[29] À la lumière des observations des parties, de mon examen de la décision du conseil arbitral et du dossier d’appel de même que de l’audience tenue par téléconférence, j’accueille l’appel. En outre, comme l’affaire ne requiert pas la présentation de nouveaux éléments de preuve ni la tenue d’une nouvelle audience devant la division générale, je rends la décision que le conseil arbitral aurait dû rendre.

Conclusion

[30] L’appel est accueilli, et l’inadmissibilité imposée par la Commission est rétablie.

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