Assurance-emploi (AE)

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Introduction

[1] D. C. (la demanderesse) demande à la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (le « Tribunal ») la permission d’en appeler de la décision de la division générale (DG) du Tribunal datée du 14 août 2015 et prononcée le 19 août 2015. La DG a accueilli l’appel de Culliton Inc. (l’intimée) alors que la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la « Commission ») avait déterminé que la demanderesse était fondée à quitter volontairement l’emploi qu’elle occupait chez l’intimée aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »).

[2] La demanderesse et l’intimée se sont présentées à l’audience tenue par comparution en personne le 13 août 2015. La Commission n’y a pas assisté, mais elle a déposé par écrit des observations reconnaissant le bien‑fondé de l’appel.

[3] La demanderesse a déposé une demande de permission d’en appeler (la « Demande ») auprès de la division d’appel du Tribunal le 17 septembre 2015. La Demande a été déposée dans le délai prescrit de 30 jours.

[4] Les moyens d’appel invoqués à l’appui de la Demande sont les suivants :

  1. a) La division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence.
  2. b) La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier.
  3. c) La division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[5] La demanderesse se fonde, en particulier, sur les raisons suivantes :

  1. a) Lors de l’audience tenue le 13 août 2015, l’enregistrement des témoignages a été compromis lorsque l’appareil a mal fonctionné, et l’absence d’un témoignage pourrait vicier une décision.
  2. b) La DG a refusé de considérer et de reconnaître comme précédent la jurisprudence antérieure des juges-arbitres, en particulier les décisions CUB 49237 et CUB 66126, et la DG n’a pas tenu compte de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale no A-339-06 qui portait sur la même question.
  3. c) Lorsqu’il y a une contradiction directe, faire abstraction d’un témoignage oral clair pour lui préférer des déclarations relatées déposées par écrit peut équivaloir à une conclusion de fait erronée tirée par la DG.

Question en litige

[6] Le Tribunal doit déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès.

Droit applicable et analyse

[7] Aux termes des paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi sur le MEDS »), « [i]l ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission » et « [la division d’appel] accorde ou refuse cette permission. »

[8] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS stipule que « [l]a division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. »

[9] En vertu du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a)  la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b)  elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c)  elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] Le Tribunal doit être convaincu que les motifs d’appel se rattachent à l’un ou l’autre des moyens d’appel énumérés. L’un de ces motifs au moins doit conférer à l’appel une chance raisonnable de succès avant que la permission d’en appeler puisse être accordée.

Inobservation d’un principe de justice naturelle

[11] La demanderesse affirme que la DG n’a pas observé un principe de justice naturelle lorsque l’enregistrement de l’audience a mal fonctionné.

[12] La Cour suprême du Canada (CSC), dans l’arrêt S.C.F.P., section locale 301 c. Québec (Conseil des services essentiels), [1997] 1 R.C.S. 793 (répertorié Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville)), a déterminé que l’absence d’un enregistrement ne constitue pas nécessairement un manquement à la justice naturelle s’il n’y a pas d’obligation légale d’effectuer un enregistrement. La CSC a statué qu’en l’absence d’un droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande. Si c’est le cas, l’absence d’une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle. Dans cette affaire, la CSC a conclu que la preuve déposée eu égard à la demande de révision judiciaire fournissait un dossier plus que suffisant pour réviser les conclusions de fait du décideur (le Conseil des services essentiels) et déterminer si la prétention de l’intimée (le Syndicat) était fondée.

[13] Ni la Loi, ni la Loi sur le MEDS, ni le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale n’impose au Tribunal l’obligation légale d’enregistrer les audiences.

[14] Bien que le Tribunal n’ait pas l’obligation légale d’enregistrer ses audiences, il les enregistre lorsque c’est possible.

[15] En l’espèce, l’audience tenue par comparution en personne a été enregistrée.

[16] La Cour d’appel fédérale (CAF), dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Scott, 2008 CAF 145, a statué que le juge-arbitre ne pouvait pas utiliser l’absence de transcription comme motif pour annuler la décision du conseil arbitral, à moins qu’il ne soit démontré que l’absence de l’enregistrement ou de la transcription avait de fait privé la défenderesse de son droit d’appel devant le juge-arbitre. Comme cela n’avait pas été établi, la CAF a annulé la décision du juge-arbitre.

[17] Dans Patry c. Canada (PG), 2007 CAF 301, le conseil arbitral n’avait pas fourni d’enregistrement audio de l’audience. Le juge-arbitre a jugé que le fait que le conseil arbitral n’eut pas remis un enregistrement n’invalidait pas l’instance qui s’était déroulée devant le conseil arbitral. La CAF a confirmé la décision du juge-arbitre.

[18] Dans l’affaire qui nous occupe, les enregistrements audio sont disponibles. L’enregistrement de l’audience se compose de deux parties et comporte en tout plus d’une heure et demie d’enregistrement. Toutefois, la demanderesse affirme qu’il y a eu un mauvais fonctionnement pendant une partie de l’enregistrement des témoignages et que l’absence de certains témoignages pourrait vicier une décision.

[19] La question en litige se limite donc à déterminer si l’absence d’une partie des témoignages dans les enregistrements audio prive effectivement la demanderesse de son droit d’appel devant la division d’appel.

[20] Sur ce point limité de manquement allégué à la justice naturelle, l’affaire justifie un réexamen, et je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Erreurs de fait et de droit

[21] La demanderesse affirme que les erreurs de fait et de droit suivantes ont été commises :

  1. a) La DG n’a pas pris en considération des décisions antérieures du juge-arbitre du Canada sur les prestations (décisions CUB) et un arrêt de la CAF.
  2. b) Il existait une contradiction directe dans la preuve et la DG a fait abstraction d’un témoignage oral clair pour lui préférer des déclarations relatées (par ouï-dire) déposées par écrit.

Décisions antérieures CUB et de la CAF

[22] En ce qui touche les décisions CUB, la DG n’a pas mentionné la décision CUB 49237 ou CUB 66126 dans sa décision. Cela dit, la DG n’est pas liée par les décisions CUB. La DG n’était pas tenue de traiter ces affaires comme des précédents.

[23] Quant à l’arrêt A-339-06 de la CAF, il s’agit de la décision rendue dans l’appel de CUB 66126 : Canada (PG) c. Cloutier, 2007 CAF 161. Dans cette affaire, la CAF n’a pas été convaincue que le juge-arbitre avait commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il avait refusé d’infirmer la décision du conseil arbitral.

[24] La DG n’a pas fait mention de l’arrêt Cloutier dans sa décision, bien que la demanderesse l’ait cité durant sa plaidoirie livrée à l’audience devant la DG. Il semble que le membre de la DG n’ait pas jugé que l’arrêt Cloutier s’appliquait à l’espèce.

[25] J’ai examiné la décision du juge-arbitre ainsi que l’arrêt de la CAF dans l’affaire Cloutier, et je conclus que les faits dans Cloutier sont différents des faits de l’espèce. En particulier, dans la décision Cloutier, il était impossible au prestataire de continuer à occuper son emploi actuel tout en postulant des emplois comme apprenti, et ce, en raison des processus d’embauche des deux employeurs, et le conseil arbitral a tenu compte de cela lorsqu’il a conclu que le prestataire n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi.

[26] Par conséquent, je ne suis pas convaincue que l’appel ait une chance raisonnable de succès sur le fondement de ces arguments.

Questions relatives à la preuve

[27] Pour ce qui est d’avoir fait fi de la preuve ou d’éléments de preuve contradictoires, la demanderesse n’a pas fourni de détails sur les éléments des témoignages ou de la preuve qui, selon elle, étaient contradictoires ou n’ont pas été pris en compte par la DG.

[28] À l’examen de la décision de la DG, je note que la DG fait mention des observations de l’intimée et de la Commission. Toutefois, elle ne se reporte pas aux observations de la demanderesse. Qui plus est, dans la décision, des éléments de témoignage qui semblent émaner de la demanderesse sont cités comme un témoignage émanant de l’intimée (preuve de l’appelante au paragraphe 24 de la décision).

[29] À la lumière de mon examen de la décision de la DG et du dossier, je conclus que les questions relatives à la preuve qui sont soulevées plus haut au paragraphe [20] b) justifient un réexamen.

[30] Sur le moyen que la DG a pu commettre des erreurs mixtes de fait et de droit en ayant tiré des conclusions de fait erronées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, comme il est indiqué au paragraphe [20] b) ci‑dessus, je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Conclusion

[31] La Demande est accueillie tel que précisé aux paragraphes [19], [20] et [30] ci‑dessus.

[32] Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume pas du résultat de l’appel sur le fond de litige.

[33] J’invite les parties à présenter par écrit des observations sur l’opportunité de tenir une audience et, le cas échéant, sur le mode d’audience à privilégier, ainsi que sur le fond de l’appel.

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