Assurance-emploi (AE)

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Introduction

[1] G. M. (le demandeur) sollicite à la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (le « Tribunal ») la permission d’en appeler de la décision de la division générale (DG) datée du 5 mars 2015 et prononcée le 9 mars 2015. La DG a rejeté l’appel du demandeur et déterminé qu’il avait été congédié en raison d’une inconduite, aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »).

[2] Le demandeur a assisté à l’audience tenue par téléconférence le 25 février 2015. La Commission de l’assurance-emploi du Canada (la « Commission ») n’y a pas assisté, mais a déposé des observations écrites.

[3] Le demandeur a déposé une demande de permission d’en appeler (la « Demande ») à la division d’appel (DA) du Tribunal le 7 septembre 2015. La Demande a été déposée en dehors du délai prescrit de 30 jours. Le Tribunal a accusé réception de la Demande le 14 septembre 2015 en la considérant comme une demande tardive.

[4] Les moyens et motifs d’appel énoncés dans la Demande sont les suivants :

  1. a) Le demandeur n’a pas manifesté d’inconduite délibérée.
  2. b) Il a déposé une affaire devant la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) en lien avec son licenciement.
  3. c) À la date de l’audience devant la DG, la CRTO ne s’était pas encore prononcée sur l’affaire.
  4. d) Une entente de règlement dans l’affaire portée devant la CRTO a été conclue après que fût rendue la décision de la DG.
  5. e) Dans l’affaire devant la CRTO, il n’a pas été déterminé que le demandeur avait été licencié pour cause d’inconduite.
  6. f) Après avoir reçu, en juin 2015, les documents relatifs à l’affaire devant la CRTO, le demandeur s’est rendu à un bureau local de Service Canada pour porter la décision de la DG en appel, et on lui a dit que les documents remplis seraient envoyés au Tribunal.
  7. g) Il n’a rien reçu du Tribunal, mais a effectivement reçu une lettre de l’Agence du revenu du Canada (ARC), si bien qu’il a communiqué avec l’ARC, qui lui a donné le numéro de téléphone du Tribunal.
  8. h) Il a communiqué avec le Tribunal et s’est fait demander par un employé du Tribunal de transmettre à nouveau les documents, ce qu’il a fait en septembre 2015.

[5] Le Tribunal a demandé au demandeur de présenter des observations sur l’opportunité de lui accorder une prorogation de délai et de fournir des détails sur les questions suivantes :

  1. a) si et de quelle façon le demandeur a déployé des efforts continus en vue d’interjeter appel;
  2. b) une explication détaillée du retard à déposer la Demande, y compris une copie des procédures devant la Commission des relations de travail de l’Ontario mentionnées dans la Demande;
  3. c) le bien-fondé de la cause et les moyens sur lesquels le demandeur croit que son appel aurait une chance raisonnable de succès sur les questions de fond;
  4. d) si une prorogation de délai causerait un préjudice aux autres parties concernées.

On avait donné au demandeur jusqu’au 19 octobre 2015 pour produire ces renseignements, ce qu’il a fait en respectant l’échéance.

Questions en litige

[6] Pour que la Demande soit prise en considération, il faut que soit accordée une prorogation du délai pour présenter une demande de permission d’en appeler à la DA.

[7] La DA doit ensuite déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès.

Droit applicable et analyse

[8] Aux termes des paragraphes 57(1) et (2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi sur le MEDS »), la demande de permission d’en appeler est présentée à la DA dans les trente jours suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision qu’il entend contester. En outre, la DA peut proroger d’au plus un an le délai pour présenter la demande de permission d’en appeler.

[9] Aux termes des paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le MEDS), « [i]l ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission » et « [la division d’appel] accorde ou refuse cette permission. »

[10] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS stipule que « [l]a division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. »

[11] En vertu du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a)  la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b)  elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c)  elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Prorogation de délai

[12] La Demande a été estampillée en date du 7 septembre 2015. La décision de la DG a été envoyée au demandeur par lettre datée du 9 mars 2015. Le demandeur n’a pas précisé à quelle date il avait reçu la décision de la DG.

[13] En application de l’alinéa 19(1)a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, j’estime que la décision de la DG a été communiquée au demandeur 10 jours après la date du 9 mars 2015 à laquelle elle lui a été envoyée par la poste. Par conséquent, je conclus que la décision a été communiquée au demandeur le 19 mars 2015.

[14] La Demande a donc été déposée 172 jours après la date où le demandeur a reçu communication de la décision, soit 142 jours après l’expiration du délai de 30 jours.

[15] Les facteurs que le Tribunal prend en considération et soupèse pour déterminer s’il y a lieu de proroger le délai au‑delà des trente jours durant lequel un demandeur est tenu de déposer sa demande de permission d’en appeler sont les suivants :

  1. s’il y a intention persistante de poursuivre la demande ou l’appel;
  2. si la cause est défendable;
  3. si le retard a été raisonnablement expliqué;
  4. si la prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie.

[16] Dans Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204 (CanLII), la Cour d’appel fédérale a statué que la considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice, mais elle a aussi fait observer qu’il n’est pas nécessaire de répondre, en faveur du requérant, aux quatre questions pertinentes à l’exercice du pouvoir discrétionnaire pour accorder une prorogation de délai.

[17] Dans l’arrêt X (Re), 2014 CAF 249, la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 26, a énoncé comme suit le critère applicable :

Lorsqu’il s’agit de décider s’il convient d’accorder une prorogation de délai pour déposer un avis d’appel, le critère le plus important est celui qui consiste à rechercher s’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation. Les facteurs à considérer sont les suivants :

  1. a) s’il y a des questions défendables dans l’appel;
  2. b) s’il existe des circonstances particulières justifiant le non‑respect du délai prévu pour déposer l’avis d’appel;
  3. c) si le retard est excessif;
  4. d) si la prorogation du délai imparti causera un préjudice à l’intimé.

[18] Dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, la Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si un demandeur a une cause défendable en droit revient à se demander s’il a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique.

[19] En l’espèce, le demandeur affirme avoir une intention persistante de poursuivre l’appel et déclare que l’affaire devant la CRTO n’avait pas été tranchée avant l’expiration du délai de 30 jours après la communication de la décision de la DG. Il explique que l’affaire devant la CRTO a été tranchée au moyen d’une entente de règlement en juin 2015 et qu’il s’est rendu à un bureau local de Service Canada pour présenter sa demande de permission d’en appeler le 21 juin 2015. Toutefois, les documents qu’il avait remplis n’ont pas été transmis de Service Canada au Tribunal, ce qu’il ignorait jusqu’à ce qu’il reçoive une lettre de l’ARC, qu’il communique par téléphone avec l’ARC, qu’on lui donne le numéro de téléphone du Tribunal et que le Tribunal lui demande de lui transmettre directement la Demande, ce qu’il a fait en septembre 2015.

[20] Pour ce qui est du préjudice, le demandeur déclare que c’est à lui‑même et à sa famille que cela porte préjudice seulement et qu’aucun préjudice n’est causé à l’intimée.

[21] Le demandeur plaide que sa cause est défendable pour les motifs qu’il a exprimés dans la Demande et qui sont résumés plus haut au paragraphe 4. Puisque la question de savoir si l’appel a une chance raisonnable de succès est déterminante pour l’issue de la Demande, je vais discuter ci‑dessous de la question de la chance raisonnable de succès.

[22] Compte tenu des facteurs qui sont pertinents à une prorogation de délai et dans l’intérêt de la justice, j’accorde une prorogation de délai pour permettre le dépôt de la Demande.

Demande de permission d’en appeler

[23] Avant de pouvoir accorder une permission d’en appeler, le Tribunal doit être convaincu que les motifs d’appel se rattachent à l’un ou l’autre des moyens d’appel admissibles et que l’un de ces motifs au moins confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

[24] Le demandeur soutient, sans citer les moyens énumérés au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, que la DG a rendu une décision entachée d’erreurs de fait et de droit lorsqu’elle a déterminé qu’il avait été congédié pour cause d’inconduite. Il demande à ce que la DA prenne en considération les documents provenant de l’affaire devant la CRTO, y compris une entente de règlement et les lettres ayant suivi l’entente de règlement.

[25] Dans Canada (PG) c. Courchene, 2007 CAF 183, la CAF s’est prononcée sur une demande de contrôle judiciaire fondée sur une affaire dans laquelle le juge-arbitre a décidé d’admettre en preuve le procès-verbal de transaction (c’est‑à‑dire d’entente de règlement) à titre de « fait nouveau » ou fait essentiel qui n’était pas connu du conseil arbitral lorsqu’il a rendu sa décision. La CAF a dit ceci :

En ce qui concerne l’approche à adopter à l’égard de l’admission de nouveaux éléments de preuve par un juge‑arbitre, nous renvoyons à l’arrêt rendu par la Cour dans Dubois c. La Commission de l’assurance‑emploi du Canada et le procureur général du Canada, [1998] A.C.F. no 768, 231 N.R. 119, aux pages 119 à 121, où le juge Marceau affirme :

Il suffit de dire que l’arbitre a refusé de recevoir la preuve nouvelle par application rigide des principes dégagés par les tribunaux à l’effet qu’en matière d’appel ou de révision judiciaire, preuve nouvelle implique preuve inconnue de la partie impliquée au moment de l’audition en première instance ou alors impossible à produire.

[…]

Nous tenons à exprimer des réserves sérieuses à l’égard de l’application par un arbitre de règles formelles dégagées pour la bonne marche des tribunaux judiciaires. L’arbitre est un échelon dans le processus d’administration de la Loi sur l’assurance-chômage, une loi d’ordre éminemment social, où les prestataires agissent d’eux-mêmes la plupart du temps sans représentations et où les arbitres au niveau de la première instance n’ont même pas de formation juridique. Les principes de justice suggèrent l’introduction d’un libéralisme total au niveau de l’acceptation des représentations des prestataires à tous les niveaux, libéralisme que demande d’ailleurs l’article 86 [maintenant l’article 120] de la Loi.

Sur ce fondement, la CAF a conclu que la décision rendue par le juge-arbitre dans Courchene était raisonnable.

[26] L’arrêt Canada (P.G.) c. Boulton (1996), 208 N.R. 63 (CAF), permet d’affirmer qu’une transaction (une entente de règlement dans notre affaire) peut constituer un élément de preuve pouvant réfuter d’autres éléments de preuve d’inconduite dans certaines circonstances et peut être prise en considération par le juge-arbitre dans les cas qui s’y prêtent.

[27] Sur le moyen qu’il pourrait y avoir des erreurs mixtes de fait et de droit, tel qu’il est plaidé plus haut au paragraphe 4, et à la lumière de la jurisprudence de la CAF, je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Conclusion

[28] Une prorogation de délai pour permettre le dépôt de l’appel est accordée.

[29] La Demande est accueillie.

[30] Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume pas du résultat de l’appel sur le fond du litige.

[31] J’invite les parties à présenter par écrit des observations sur l’opportunité de tenir une audience et, le cas échéant, sur le mode d’audience à privilégier, ainsi que sur le fond de l’appel.

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