Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli, la décision de la division générale datée du 25 août 2014 est annulée et l’appel de l’intimé devant la division générale est rejeté.

Introduction

[2] Le 25 août 2014, la division générale du Tribunal a déterminé que :

Traduction

  • - L’intimé n’a pas perdu son emploi en raison de son inconduite en application des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (LAE).

[3] L’appelante a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel le 11 septembre 2014. La permission d’en appeler a été accordée le 20 mars 2015.

Mode d’audience

[4] Le Tribunal a tenu une audience par téléphone pour les raisons suivantes :

  • - La complexité de la ou des questions en litige.
  • - Le fait que la crédibilité des parties ne figurera probablement pas au nombre des questions principales.
  • - L’information au dossier, y compris le besoin de renseignements supplémentaires.
  • - L’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[5] L’appelante était représentée par Mme J. Davis. L’intimé a lui aussi participé à l’audience.

Droit applicable

[6] Selon le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] Le Tribunal doit décider si la division générale a commis une erreur de fait et de droit lorsqu’elle a conclu que l’appelant n’avait pas perdu son emploi à cause de son inconduite en application des articles 29 et 30 de la LAE.

Arguments

[8] L’appelante avance les arguments suivants à l’appui de son appel :

  • - La division générale a ignoré/négligé un élément de preuve fondamental et, pour appuyer sa position, a mis l’accent à tort sur ce qui est considéré comme une coutume pour les gens de prendre quelques verres lors d’une veillée funéraire.
  • - La décision de la division générale n’est pas bien motivée  selon le paragraphe 114(3) de la LAE, car la preuve n’appuie pas la conclusion que l’intimé n’a pas perdu son emploi à cause de son inconduite.
  • - La division générale a commis une erreur lorsqu’elle s’est fondée sur les modalités de l’accord de règlement sans tout d’abord déterminer si la perte du permis de conduire de l’intimé avant entraîné la perte de son emploi.
  • - La jurisprudence montre clairement qu’une décision du Tribunal en matière d’inconduite ne peut être renversée par le règlement d’un grief que lorsque l’accord révèle des éléments de preuve qui contredisent la conclusion d’inconduite.
  • - La Cour d’appel fédérale a défini l’inconduite comme étant une conduite délibérée d’un prestataire, c’est-à-dire que le prestataire a commis des actes conscients, voulus ou intentionnels, et il savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraîner la perte de son emploi. L’inconduite doit aussi constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail.
  • - La Cour d’appel fédérale a réaffirmé que les prestataires qui se sont placés en situation de perdre leur emploi en commettant des infractions leur faisant perdre leur droit de conduire, lorsqu’il est nécessaire pour maintenir leur emploi, sont sujets à une exclusion en application de l’article 30 de la LAE.
  • - La Cour d’appel fédérale a aussi réaffirmé le principe que, lorsqu’un prestataire est forcé de quitter son emploi à cause d’un acte d’inconduite, il ne peut être « fondé » à quitter son emploi ou à prendre congé.
  • - Dans le contexte de la présente affaire, que la question en litige soit une inconduite entraînant une perte d’emploi ou le fait d’être fondé à prendre un congé volontaire, l’événement non contesté ayant mené à la perte d’emploi le 11 novembre 2013 était le geste volontaire posé par l’intimé lorsqu’il a décidé de conduire son véhicule après avoir consommé de l’alcool. La décision de l’intimé de conduire après avoir consommé de l’alcool au-delà de la limite permise était un geste délibéré. Ce geste volontaire a entraîné la perte de son permis de conduire, ce qui en retour lui a fait perdre son emploi.
  • - La Cour d’appel fédérale a réitéré que la consommation d’alcool par l’intimé était volontaire dans le sens que ses gestes étaient conscients et qu’il était au courant des effets de cette consommation et des conséquences qui pourraient survenir ou qui surviendraient.
  • - Toutefois, étant donné que l’employeur a émis un nouveau relevé d’emploi remplaçant le congédiement pour inconduite par une suspension du 11 novembre 2013 au 22 janvier 2014, suivie d’un congé autorisé, l’appelante est disposée à modifier sa décision pour la faire coïncider avec le relevé d’emploi modifié.
  • - Néanmoins, comme la suspension répond au critère de l’inconduite, l’intimé serait déclaré inadmissible au bénéfice des prestations pour cette période en application des articles 30 et 31 de la LAEet, au cours de la période de son congé approuvé, il serait inadmissible en application des articles 30 et 32 de la LAE parce qu’il ne répond pas au critère de « justification ».
  • - Il n’y a aucun préjudice pour l’intimé dans la présente affaire : que la raison de la cessation de l’emploi soit l’inconduite, la suspension, le départ volontaire ou le congé volontaire, cela ne change pas la question sous‑jacente; l’article 30 de la LAE s’applique toujours et aucune prestation n’est payable.

[9] L’intimé avance les arguments suivants à l’encontre de l’appel :

  • - Il n’a pas perdu son emploi à cause de son inconduite. Il travaille toujours pour le même employeur.
  • - En fait, son employeur a émis un relevé d’emploi modifié confirmant qu’il avait été suspendu et non pas congédié.
  • - L’accord de règlement est daté et a été signé par les parties et le représentant syndical.
  • - Le règlement indique qu’il est suspendu pour environ deux mois et qu’il doit prendre un congé de douze mois avant de revenir au travail avec un permis de conduire valide.

Norme de contrôle

[10] L’appelante fait valoir que la norme de contrôle applicable pour les questions de droit est celle de la décision correcte – Canada (PG) c. Lemire, 2010 CAF 314, et que pour les questions mixtes de fait et de droit, celle de la décision raisonnable s’applique – Smith c. Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9.

[11] L’intimé n’a pas fait de représentations concernant la norme de contrôle applicable.

[12] Le Tribunal reconnaît que la Cour d’appel fédérale a déterminé que la norme de contrôle applicable à une décision d’un conseil arbitral (maintenant la division générale) ou d’un juge-arbitre (maintenant la division d’appel) concernant les questions de droit est la norme de la décision correcte – Canada (PG) c. Lemire, 2010 CAF 314, Martens c. Canada (PG), 2008 CAF 240, et que la norme de contrôle applicable aux questions de fait et de droit est celle de la décision raisonnable – Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, Canada (PG) c. Hallée, 2008 CAF 159.

Analyse

[13] Lorsqu’elle a accueilli l’appel initial, la division générale a tiré les conclusions suivantes :

[Traduction]

[26] Lors de l’audience, le prestataire a déclaré que, le 20 novembre 2012, il avait assisté à une veillée funéraire dans un restaurant local avec d’autres parents en mémoire de sa défunte mère, décédée en septembre 2012. Il a dit qu’il n’avait pris que deux petites bières à cette veillée funéraire. Lorsqu’il s’apprêtait à quitter les lieux à bord de son camion, un homme assis dans son camion au stationnement a accusé le prestataire d’avoir heurté son camion et il a téléphoné à la police. Les policiers l’ont amené au poste de police et lui ont fait subir un alcootest. Il dépassait alors la limite de 0,08 et on a suspendu temporairement son permis de conduire pour quatre-vingt-dix jours. Le prestataire déclare qu’après enquête, il n’y avait pas de dommages aux camions. Le prestataire déclare qu’il n’était pas en état d’ébriété au moment de l’incident.

[27] À l’audience de la cour le 12 novembre 2013, le prestataire a été accusé de conduite avec les facultés affaiblies parce qu’il dépassait 0,08 à l’alcootest. Il a perdu son permis pour un an, ce qui a par la suite été réduit à six mois parce qu’il avait fait installer un éthylomètre dans sa voiture. Cependant, il ne pouvait légalement conduire que sa voiture munie de l’éthylomètre. Il ne pouvait donc pas encore conduire un camion.

[28] Le 22 janvier 2014, à la suite du grief qu’il avait déposé et à l’aide de son syndicat, un accord de règlement a été conclu entre le prestataire et l’employeur. L’employeur acceptait de modifier la raison pour laquelle son emploi avait pris fin, remplaçant le congédiement par un congé autorisé. Le prestataire devait retourner au travail une fois son permis de conduire rétabli.

[29] Le Tribunal a trouvé le prestataire crédible compte tenu de ses observations et de ses réponses aux questions qui lui ont été posées à l’audience.

[…]

[32] Le Tribunal conclut que le comportement du prestataire à la veillée funéraire n’était pas délibéré ou d’une insouciance telle que le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite entraînerait un congédiement. La veillée funéraire a eu lieu à l’extérieur des heures de travail, dans un restaurant. Le prestataire a déclaré qu’il n’avait pris que deux bières à la veillée et qu’il n’était pas en état d’ébriété.

[33] Le Tribunal estime qu’il est coutumier pour les gens de prendre quelques verres lors d’une veillée funéraire. Le Tribunal conclut que le comportement à cette veillée et après celle-ci ne constitue pas une inconduite délibérée.

[34] La Commission n’a pas tenu compte des modalités de l’accord de règlement entre l’employeur et le prestataire parce qu’il n’était pas daté, n’était pas sur papier à en-tête officiel et qu’il était manuscrit. Le Tribunal accepte les modalités de l’accord de règlement parce qu’il était signé par les deux parties, était écrit dans un style officiel, et qu’il avait du sens.

[35] Le Tribunal conclut que le fait que l’employeur a rétabli le prestataire dans son poste une fois son permis de conduire récupéré et qu’il a modifié la raison pour laquelle il avait émis le relevé d’emploi en y indiquant un congé autorisé, appuient davantage le fait que le prestataire n’a pas perdu son emploi en raison de son inconduite.

[36] Le Tribunal estime que le prestataire n’a pas perdu son emploi parce que sa conduite était délibérée ou d’une insouciance telle qu’elle frôlait le caractère délibéré et pouvait être considérée comme de l’inconduite au sens du paragraphe 30(1) de la LAE.

[14] Très respectueusement, le Tribunal ne peut maintenir la décision de la division générale.

[15] Il est pertinent de reproduire les modalités essentielles de l’accord signé et daté du 22 janvier 2014, intervenu entre l’employeur, l’intimé et son représentant syndical :

[Traduction]

Attendu que  le plaignant a été congédié de son emploi le 11 novembre 2013;

Attendu que  le plaignant a déposé un grief le 2013-13-04;

Et attendu que les parties souhaitent régler ce différend;

Les parties conviennent donc de ce qui suit :

  1. 1. Le congédiement du plaignant est converti en suspension sans salaire du 11 novembre 2013 au 22 janvier 2014 (la suspension) pour ne pas avoir maintenu les qualifications nécessaires à son emploi conformément aux politiques OPS-002 et OPS-005;
  2. 2. La suspension demeurera au dossier du plaignant en permanence;
  3. 3. À condition que le plaignant s’acquitte des conditions énoncées au paragraphe 4 ci-après, le plaignant sera mis en congé non payé du 23 janvier 2014 au 31 mai 2015, pour plus de certitude, il est expressément convenu que, au cours de cette période, le plaignant n’aura pas droit à la paye de vacances, à la paye de congé férié ou à toute autre compensation en tout genre;
  4. 4. Le rétablissement à la fin du congé non payé est conditionnel à ce que le plaignant soit capable de se présenter au travail le 2 juin 2015 avec un permis de conduire valide et sans restrictions, et notamment sans restrictions liées à un interrupteur d’allumage. Si le plaignant ne satisfait pas à ces conditions, il sera congédié immédiatement et pour un motif valable.
  5. 5. Il est convenu que, sous réserve du Code des droits de la personne de l’Ontario, toute suspension future de permis de conduire ou perte de permis de conduire entrainera un congédiement justifié immédiat.

[16] Le Tribunal estime qu’il est nécessaire de réaffirmer que la simple existence d’un accord de règlement signé ne tranche pas en soi la question de savoir si l’employé a été renvoyé pour inconduite. Il appartient à la division générale d’examiner la preuve et de rendre une décision. Elle n’est pas liée par la façon dont l’employeur et l’employé ou une tierce partie peuvent qualifier les motifs pour lesquels on a mis fin à un emploi.

[17] Avant de pouvoir utiliser un accord de règlement pour contredire une conclusion antérieure d’inconduite, il doit y avoir certains éléments de preuve concernant l’inconduite allant à l’encontre de la position prise par l’employeur au cours de l’enquête de la Commission ou au moment de l’audience devant la division générale. Le Tribunal conclut que l’accord de règlement dans la présente affaire n’a pas cet effet.

[18] L’accord mentionne spécifiquement le défaut de l’intimé de maintenir les qualifications pour son emploi telles qu’exigées par les politiques de l’employeur OPS‑002 et OPS-005. Le retour en poste après le congé non payé est conditionnel à ce que l’intimé soit en mesure de se présenter au travail le 2 juin 2015 avec un permis de conduire valide sans restrictions. En outre, l’accord mentionne clairement que la suspension demeurera en permanence au dossier de l’intimé. Ce dernier est aussi mis en congé non payé du 23 janvier 2014 au 31 mai 2015 sans que l’employeur ne verse quelque rémunération que ce soit.

[19] Il n’y a rien dans l’accord de règlement en question qui permette d’inférer que l’employeur a retiré son allégation d’inconduite contre l’intimé. Il ne comprend ni expressément ni implicitement d’admission que les faits au dossier de l’appelant étaient erronés ou ne reflétaient pas correctement les événements tels qu’ils sont survenus. L’accord ne contient tout simplement pas de rétractation de l’employeur concernant les événements qui ont, au départ, conduit au congédiement de l’intimé.

[20] La preuve dont était saisie la division générale est incontestée. L’intimé a été initialement congédié parce qu’il avait perdu son permis de conduire pour un an suite à une condamnation pour conduite avec facultés affaiblies. Il avait besoin de son permis de conduire pour s’acquitter de ses fonctions comme chauffeur de camion.

[21] La Cour d’appel fédérale a fermement maintenu que les prestataires qui se placent en situation de perdre leur emploi en commettant des infractions qui leur font perdre leurs privilèges de conduite, lorsque leur emploi exige qu’ils conduisent, sont sujets à une exclusion en application de l’article 30 de la LAE Canada (PG) c. Brissette, A‑1342-92; Smith c. Canada (PG), A-875-96.

[22] Le Tribunal conclut que la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le comportement de l’intimé à la veillée funéraire n’était pas délibéré ou d’une insouciance telle que le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite entraînerait un congédiement parce « qu’il est coutumier pour les gens de prendre quelques verres lors d’une veillée funéraire ». La décision de l’intimé de conduire après avoir consommé de l’alcool au-delà de la limite légale était clairement un acte délibéré. Cet acte volontaire a mené à la perte de son permis de conduire, un permis qui était exigé pour son poste comme chauffeur de camion, ce qui lui a alors fait perdre son emploi.

[23] Même s’il est vrai que le congédiement de l’intimé a par la suite été remplacé par une suspension par les parties en cause, ce fait ne change pas la nature de l’inconduite qui a initialement conduit au congédiement de l’intimé Canada (PG) c. Boulton, 1996 CAF 1682, Canada (PG) c. Morrow, 1999 CAF 193.

[24] Pour les raisons mentionnées précédemment, le Tribunal est justifié d’intervenir et d’annuler la décision de la division générale.

Conclusion

[25] L’appel est accueilli, la décision de la division générale datée du 25 août 2014 est annulée et l’appel de l’intimé devant la division générale est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.