Assurance-emploi (AE)

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Comparutions

  • Représentante de l’appelante : Rachel Paquette
  • Intimée (prestataire) : L. B.

Introduction

[1] Le 26 avril 2013, le conseil arbitral (le conseil) a accueilli l’appel de la prestataire alors que la Commission avait imposé une inadmissibilité en application de l’article 18 de la Loi sur l’assurance-emploi (LAE). La Commission de l’assurance‑emploi du Canada (la Commission) avait conclu que la prestataire n’avait pas démontré qu’elle était disponible pour travailler parce qu’elle n’avait pas un permis de travail valide.

[2] L’appelante a demandé à la division d’appel du Tribunal la permission d’interjeter appel de la décision du conseil le 3 mai 2013, permission qui a été accordée le 16 juin 2015.

[3] Le Tribunal a tenu audience par téléconférence pour les motifs suivants :

  1. a) La complexité de la ou des questions faisant l’objet de l’appel.
  2. b) Les renseignements au dossier, y compris le besoin de renseignements supplémentaires.
  3. c) L’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Question en litige

[4] La division d’appel du Tribunal doit décider si elle devrait rejeter l’appel, rendre la décision que le conseil arbitral aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen ou bien confirmer, infirmer ou modifier la décision du conseil arbitral.

Droit applicable

[5] Selon le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[6] Aux fins des présentes, la décision du conseil est considérée comme une décision de la division générale.

[7] La permission d’en appeler a été accordée pour la raison que l’appelante avait exposé des motifs se rattachant aux moyens d’appel énumérés et que l’un de ces motifs au moins conférait à l’appel une chance raisonnable de succès, plus précisément le motif faisant intervenir le moyen d’appel prévu aux alinéas 58(1)b) et c) de la Loi.

[8] Le paragraphe 59(1) de la Loi énonce les pouvoirs de la division d’appel.

Observations

[9] L’appelante a fait valoir que la norme de contrôle qui s’applique aux questions de droit est celle de la décision correcte et que la norme de contrôle qui s’applique aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable.

[10] L’appelante a soutenu que le conseil avait commis une erreur de droit et une erreur de fait et de droit pour les raisons suivantes :

  1. a) il a établi que l’intimée répondait aux trois critères permettant de déterminer sa disponibilité pour travailler;
  2. b) il n’était pas possible de conclure au non‑établissement de conditions personnelles pouvant limiter indûment les chances de retour sur le marché du travail de l’intimée parce que son permis de travail était expiré durant la période en question;
  3. c) le conseil s’est fondé sur la décision CUB 73880, un cas qui se distingue et dans lequel la Commission avait concédé l’appel parce que le prestataire avait demandé un permis de travail avant l’expiration du précédent permis de travail;
  4. d) dans l’affaire qui nous occupe, la demande de permis de travail de l’intimée a été refusée en mai 2012; le permis de travail précédent était déjà expiré (il était expiré depuis le 15 juillet 2012) lorsqu’elle en avait demandé un autre en août 2012;
  5. e) l’intimée ne pouvait pas travailler du mois d’août 2012 au 5 novembre 2012 (date à laquelle elle a reçu son nouveau permis de travail);
  6. f) la jurisprudence établit qu’il ne peut y avoir de disponibilité au travail lorsqu’il n’y a pas de permis de travail valide.

[11] L’intimée a fait valoir ce qui suit :

  1. a) elle a fait tout ce qu’elle a pu pour éviter de se retrouver sans permis de travail;
  2. b) c’est en raison de circonstances indépendantes de sa volonté qu’elle n’a pu retourner au travail avant le 6 novembre 2012;
  3. c) elle savait qu’elle n’avait pas de permis de travail valide entre juillet et novembre 2012 et qu’elle ne pouvait pas travailler pendant cette période;
  4. d) l’assurance‑emploi (AE) a pour but d’aider les personnes quand elles en ont besoin; c’était la seule fois qu’elle en avait besoin et sa demande a été refusée;
  5. e) ne pas pouvoir travailler représentait une grande perte pour elle et ce n’était pas de sa faute. C’est à cela que sert l’AE;
  6. f) le conseil arbitral a accueilli son appel. Pourquoi avoir un conseil arbitral si sa décision n’est pas respectée?

Norme de contrôle

[12] Comme l’a déjà déterminé la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Jewett, 2013 CAF 243, Chaulk c. Canada (Procureur général) 2012 CAF 190 et bon nombre d’autres affaires, la norme de contrôle qui s’applique aux questions de droit et de compétence dans les appels relatifs à l’assurance‑emploi est celle de la décision correcte, tandis que la norme de contrôle qui s’applique aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit dans les appels relatifs à l’assurance‑emploi est celle de la décision raisonnable.

[13] La norme de contrôle applicable dépend de la nature des erreurs alléguées en cause. Dans le cas présent, des erreurs de droit et des erreurs mixtes de fait et de droit sont alléguées.

Analyse

[14] La décision du conseil, sous les sections « Conclusion de fait » et « Droit applicable »  cite Faucher c. Procureur général du Canada (A-56-96). Dans Faucher, la Cour d’appel fédérale a établi qu’un prestataire d’AE doit satisfaire à trois critères pour déterminer sa disponibilité pour travailler :

  1. a) le désir de retourner sur le marché du travail aussitôt qu’en emploi convenable serait offert;
  2. b) l’expression de ce désir par des efforts pour trouver un emploi convenable;
  3. c) le non‑établissement de conditions personnelles pouvant limiter indûment les chances de retour sur le marché du travail.

[15] La seule conclusion du conseil en ce qui a trait aux critères est la suivante : [traduction] « Le conseil juge que l’appelante n’a pas satisfait à ces facteurs. » Le conseil a ensuite cité la décision CUB 73880 pour soutenir l’argument que l’article 18 de la Loi  « n’est pas conçu pour s’appliquer à un cas où la non‑disponibilité est imposée à un prestataire dans des circonstances qui sont indépendantes de sa volonté alors qu’il est prêt à travailler, qu’il est disponible à cette fin et qu’il est disposé à accepter un emploi ».  Le conseil n’a pas semblé apprécier que l’arrêt Faucher constitue un précédent tandis que la décision CUB 73880 ne l’est pas (bien qu’elle puisse être une décision à caractère persuasif).

[16] Dans la décision CUB 73880, le prestataire avait déjà obtenu la résidence permanente. Sa demande de citoyenneté canadienne était en traitement depuis longtemps et son changement de statut était en attente. Par conséquent, la Commission a concédé l’appel du prestataire à l’encontre d’une décision d’un conseil arbitral. Le conseil avait déterminé que l’expiration du permis de travail de l’appelant et son numéro d’assurance sociale lui imposaient une inadmissibilité aux prestations. Avant l’audition de l’appel devant le juge‑arbitre, la Commission a concédé l’appel, et cela a été confirmé par la Commission à l’audience. Compte tenu des circonstances particulières, le juge‑arbitre a accueilli l’appel du prestataire. Les faits de la décision CUB 73880 se distinguent de la présente affaire.

[17] Le passage qui a été cité pour soutenir l’argument que l’article 18 de la Loi  « n’est pas conçu pour s’appliquer à un cas où la non‑disponibilité est imposée à un prestataire dans des circonstances qui sont indépendantes de sa volonté alors qu’il est prêt à travailler, qu’il est disponible à cette fin et qu’il est disposé à accepter un emploi » vient de la décision CUB 44956.  La décision CUB 44956 était une affaire remontant à 1997, dans laquelle le prestataire avait travaillé conformément à une autorisation émise par Emploi et Immigration Canada. Il avait été mis à pied en raison d’une pénurie de travail et s’était vu refuser des prestations parce que son autorisation lui défendait de travailler pour un autre employeur, pas parce que son autorisation était expirée. Les faits de la décision CUB 44956 se distinguent également de la présente affaire.

[18] En l’espèce, le conseil s’est fondé sur les décisions des juges‑arbitres pour en arriver à sa conclusion. Ces décisions, bien qu’elles puissent avoir un caractère persuasif, ne s’inscrivent pas dans la jurisprudence. Le conseil n’a pas appliqué la jurisprudence pertinente. Le conseil n’a pas tiré de conclusions de fait par rapport aux trois critères établis dans Faucher. Il ne s’est pas penché sur la question du non‑établissement de conditions personnelles pouvant limiter indûment les chances de retour sur le marché du travail, notamment le fait de ne pas avoir un permis de travail valide.

[19] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le conseil a commis une erreur de droit.

[20] Par conséquent, la division d’appel est tenue, selon la norme de la décision correcte, de faire sa propre analyse et de décider s’il devrait rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale, ou encore confirmer la décision, l’annuler ou la modifier.

[21] L’appelante a fait valoir que l’intimée ne pouvait pas prouver qu’elle était disponible pour travailler parce qu’elle n’avait pas un permis de travail valide et qu’elle n’avait pas de demande de permis de travail en suspens avant l’expiration du permis de travail précédent.

[22] L’intimée a reconnu qu’elle n’avait pas de permis de travail valide lorsqu’elle a demandé des prestations d’AE ni de demande de permis de travail en suspens avant l’expiration de son permis de travail en juillet 2012. Elle a soutenu qu’elle avait présenté une demande de prolongation de son permis de travail, mais qu’elle avait été refusée le 29 mai 2012 parce que son employeur n’avait pas soumis certains documents. Elle a présenté une deuxième demande de prolongation de permis de travail le 26 août 2012 et a reçu un permis de travail approuvé au début de novembre 2012.  L’intimée a souligné que l’AE devrait couvrir la période au cours de laquelle elle était incapable de travailler et que la faute ne lui en incombait pas. Elle a déclaré que le conseil avait rendu une décision en sa faveur et que la question aurait dû être réglée.

[23] Je compatis avec le mécontentement de l’intimée, mais la décision du conseil peut être portée en appel et la question est maintenant de savoir si elle était correcte.

[24] Les faits ne sont pas contestés. L’intimée a travaillé pour un conseil scolaire du 29 août 2011 au 26 juin 2012. Son permis de travail a expiré le 15 juillet 2012, durant les vacances scolaires estivales, et elle n’avait pas de demande de nouveau permis de travail en suspens (ou de prolongation de la durée son permis) avant la date d’expiration. Elle a pris un congé sans solde de son poste permanent en enseignement et est retournée au travail le 6 novembre 2012 après avoir obtenu son nouveau permis de travail. L’intimée n’a pas pu retourner au travail du 16 juillet 2012 au 5 novembre 2012. Elle a présenté une demande de prestations régulières d’AE qui a pris effet le 27 août 2012. Dès le départ, elle n’a pas hésité à fournir des détails, et sa demande indiquait qu’elle était en congé sans solde et n’était pas disponible pour travailler parce que son permis de travail était expiré. En ce qui a trait à la date de prise d’effet de la demande, le 27 août 2012, l’intimée ne pouvait pas retourner au travail, car elle n’avait pas de permis de travail valide. Dès qu’elle en a eu un, elle est retournée travailler pour son employeur.

[25] Bien que les décisions CUB ne constituent pas des précédents, ils peuvent avoir un caractère persuasif. Dans des décisions CUB antérieures, il a été conclu que, lorsqu’un prestataire n’a pas de permis de travail valide, il ne peut pas prouver qu’il est disponible pour travailler. Il existe une exception reconnue lorsque le prestataire a demandé un renouvellement du permis de travail ou un nouveau permis avant l’expiration du permis précédent et que la demande est en suspens durant la période pour laquelle une demande de prestations est établie.

[26] Dans la décision CUB 80771, un conseil arbitral avait conclu que le prestataire avait présenté une demande de renouvellement de son permis de travail avant son expiration et que la demande de renouvellement était en suspens lorsqu’il avait demandé des prestations d’AE. Par conséquent, le conseil avait conclu que l’alinéa 18a) de la Loi ne s’appliquait pas à la question de la disponibilité, c’est‑à‑dire que le prestataire était disponible pour travailler. Toutefois, en appel, un  juge‑arbitre avait déterminé que le prestataire avait déployé des efforts pour trouver un nouvel emploi, mais n’avait pas prouvé qu’il avait présenté une demande de renouvellement de son permis de travail avant (ou après) son expiration. Le juge‑arbitre a conclu qu’il était loisible au prestataire de demander une prolongation de son permis de travail avant son expiration et de fournir une preuve à cet égard, mais il ne l’a pas fait. Le juge‑arbitre a accueilli l’appel de la Commission et annulé la décision du conseil.

[27] En l’espèce, les faits ne sont pas contestés. Le permis de travail de l’intimée a expiré le 15 juillet 2012. Elle avait demandé une prolongation de ce permis de travail avant son expiration, mais cette demande avait été refusée le 29 mai 2012. Elle a présenté une deuxième demande le 26 août 2012, qui a conduit à la délivrance d’un permis de travail en novembre 2012. Elle est retournée au travail le 6 novembre 2012. Lorsque son permis de travail a expiré le 15 juillet 2012, elle n’avait pas de demande de renouvellement de permis de travail (ou de nouveau permis de travail) en suspens. Durant la période comprise entre le 16 juillet 2012 et 5 novembre 2012, l’intimée n’avait pas de permis de travail valide.

[28] Malheureusement, la situation de l’intimée ne correspond pas à l’exception reconnue dans la décision CUB 80771 (que j’estime être une décision à caractère persuasif). Elle n’a pas pu prouver qu’elle avait demandé une prolongation de son permis de travail avant son expiration et que la demande était en suspens lorsqu’elle a demandé des prestations d’AE. Par conséquent, elle n’a pas pu prouver qu’elle était disponible pour travailler selon l’article 18 de la Loi.

[29] Ainsi, bien que je sois sensible à la situation de l’intimée, j’estime que la décision du conseil était erronée.  La bonne décision aurait été de rejeter l’appel de l’intimée devant le conseil.

[30] Compte tenu des observations des parties présentées durant l’audience par téléconférence, de mon examen de la décision du conseil et du dossier d’appel, j’accueille l’appel. En outre, parce que cette affaire ne nécessite pas de  nouveaux éléments de preuve ou une audience devant la division générale, je rends la décision que le conseil aurait dû rendre.

Conclusion

[31] L’appel est accueilli et l’inadmissibilité imposée par la Commission est rétablie.

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