Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli, la décision rendue par la division générale le 24 août 2014 est annulée, et l’appel de l’intimé devant la division générale est rejeté.

Introduction

[2] Le 22 août 2014, la division générale du Tribunal a établi ce qui suit :

  • - L’intimé était fondé à quitter son emploi, au titre des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi »).

[3] Le 11 septembre 2014, l’appelante a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel. Cette dernière lui a accordé la permission d’en appeler le 19 mars 2015.

Mode d’audience

[4] Le Tribunal a tenu une audience téléphonique pour les motifs suivants :

  • - La complexité des questions faisant l’objet de l’appel.
  • - Le fait que la crédibilité des parties ne devrait pas être une question déterminante.
  • - L’information au dossier, y compris la nécessité d’obtenir des renseignements additionnels.
  • - L’exigence prévue par le Règlement du Tribunal de la sécurité sociale de tenir l’instance de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[5] L’appelante était représentée à l’audience par Carol Robillard. L’intimé n’a pas assisté à l’audience bien qu’il ait reçu l’avis d’audience le 4 juin 2015.

Droit applicable

[6] Selon le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] Le Tribunal doit déterminer si la division générale a commis une erreur de fait et de droit lorsqu’elle a conclu que l’intimé était fondé à quitter son emploi, au titre des articles 29 et 30 de la Loi.

Arguments

[8] L’appelante fait valoir les arguments suivants à l’appui de l’appel :

  • - La division générale est arrivée à une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée de manière abusive ou arbitraire, et sa décision n’est pas raisonnable.
  • - Les éléments de preuve présentés contredisent clairement la conclusion de la division générale selon laquelle l’intimé était fondé à quitter son emploi, au titre du sous‑alinéa 29c)(vi) de la Loi.
  • - Il est clairement établi dans la jurisprudence qu’un prestataire doit avoir reçu une véritable offre d’emploi d’un nouvel employeur. Or, une possibilité d’emploi ou la possibilité de trouver un emploi après avoir quitté le sien ne satisfait pas au critère relatif à la justification, aux termes du sous‑alinéa 29c)(vi) de la Loi.
  • - La question à trancher consiste à déterminer si le départ de l’intimé constituait la seule solution raisonnable. Les éléments de preuve confirmés par la division générale démontrent que l’intimé a décidé de quitter volontairement son emploi en raison de difficultés financières et personnelles qui ont commencé en 2007. Bien qu’il ait envisagé plusieurs possibilités d’emploi, l’intimé n’y a donné suite qu’à son retour à l’Î.‑P.‑É; il n’avait reçu aucune offre d’emploi véritable lorsqu’il a quitté son emploi volontairement.
  • - Bien que l’intimé ait pris une bonne décision sur le plan personnel, une solution raisonnable s’offrait à lui, c’est‑à‑dire qu’il aurait pu continuer à travailler pour son employeur jusqu’à ce qu’il trouve un autre emploi à l’Î.‑P.‑É. L’intimé a le droit de vouloir améliorer sa situation financière, mais la caisse de l’assurance‑emploi ne devrait pas servir à supporter le poids de sa décision.
  • - L’appelante demande respectueusement que la division d’appel rende la décision que la division générale aurait dû rendre, conformément au paragraphe 59(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.

[9] L’intimé n’a présenté aucun argument contre l’appel.

Norme de contrôle

[10] L’appelante soutient que la norme de contrôle applicable pour les questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable – Chaulk c. Canada (PG), 2012 CAF 190.

[11] L’intimé n’a présenté aucune observation concernant la norme de contrôle applicable.

[12] Le Tribunal reconnaît que la Cour d’appel fédérale a établi que la norme de contrôle applicable à une décision rendue par un conseil arbitral (maintenant la division générale) ou un juge arbitre (maintenant la division d’appel) concernant les questions de droit est celle de la décision correcte – Martens c. Canada (PG), 2008 CAF 240 –, et que la norme de contrôle applicable aux questions de fait et de droit est celle de la décision raisonnable – Chaulk c. Canada (PG), 2012 CAF 190, Canada (PG) c. Hallée, 2008 CAF 159.

Analyse

[13] Le Tribunal a tenu l’audience relative à l’appel en l’absence de l’intimé, puisqu’il estimait que ce dernier avait été dûment avisé de la tenue de l’audience le 4 juin 2015, conformément au paragraphe 12(1) du Règlement du Tribunal de la sécurité sociale.

[14] Lorsqu’elle a accueilli l’appel de l’intimé, la division générale a tiré les conclusions suivantes :

[Traduction]
« [42] Le Tribunal conclut que, lorsque le prestataire a quitté son emploi, il ne croyait pas qu’il serait au chômage en raison des nombreuses offres d’emploi dans sa profession à l’Î.‑P.‑É.

[43] Après avoir pris en considération tous les éléments de preuve, le Tribunal conclut que, compte tenu de toutes les circonstances, le départ ou le congé du prestataire constituait la seule solution raisonnable, aux termes de l’alinéa 29c) de la Loi, et que le prestataire a démontré qu’il était fondé à quitter son emploi étant donné qu’il croyait légitimement, au moment où il a quitté son emploi, qu’il ne serait pas au chômage et qu’il était certain de pouvoir trouver un emploi à l’Î.‑P.‑É. compte tenu des résultats qu’il avait obtenus à l’issue de sa recherche d’emploi. »

[15] La décision de la division générale ne peut malheureusement pas être maintenue.

[16] Dans l’arrêt Canada (PG) c. Muhammad Imran, 2008 CAF 17, la Cour d’appel fédérale expose un des éléments d’orientation relatifs à l’interprétation du sous‑alinéa 29c)(vi), soit « […] l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat ». La Cour s’exprime notamment ainsi :

« [11] Le juge arbitre a accepté l’argument de M. Imran selon lequel il n’aurait pu réussir à se trouver un meilleur emploi s’il était demeuré en poste. C’est en se fondant sur ce motif que le juge‑arbitre a conclu que M. Imran n’avait pas d’autre solution raisonnable que celle de laisser son emploi. Avec égards, cette conclusion est contraire à la décision rendue par la Cour dans Canada (Procureur général) c. Traynor, [1995] A.C.F. no 836, dans laquelle le juge Marceau déclare au paragraphe 11 : "la lettre aussi bien que le fondement et l’objectif du programme d’assurance‑chômage" ne permet pas à la prestataire de quitter son travail "dans le seul dessein d’améliorer sa situation sur le marché". En outre, la Cour a statué dans Laughland, au paragraphe 12 :

Le régime d’assurance‑emploi a pour objectif de protéger les personnes pour qui le fait de quitter est la seule solution raisonnable. Cet objectif ne consiste pas à fournir à des personnes qui ont un emploi instable qu’ils quittent sans motif valable des prestations lorsqu’elles recherchent un travail plus intéressant et mieux payé.

[12] M. Imran prétend que, puisque les emplois abondent dans le domaine du génie civil, il était raisonnablement assuré d’obtenir un autre emploi dans un avenir immédiat et ainsi fondé à quitter volontairement son emploi, conformément au sous‑alinéa 29c)(vi) de la Loi. Dans la décision Canada (Procureur général) c. Bordage, 2005 CAF 155 (CanLII), le juge Décary a exprimé, au paragraphe 11, l’avis suivant :

Le sous‑alinéa 29c)(vi) requiert l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat. En l’espèce, aucune de ces trois exigences n’est rencontrée. L’offre de la Commission de la construction du Québec est une offre de cours, pas une offre d’emploi. Au moment où il choisit de lui‑même de devenir chômeur, le défendeur ne sait pas s’il aura un emploi, il ne sait pas de quel emploi auprès de quel employeur il s’agirait, il ne sait pas à quel moment dans l’avenir il aurait un emploi (voir Canada (Procureur général) c. Sacrey, [2004] I R.C.F. 733; Canada (Attorney General) v. Laughland, (2003) 301 N.R. 331 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Bédard, (2004) 241 D.L.R. (4th) 763 (C.A.F.); Canada v. Wall, (2002) 293 N.R. 338 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Lessard, 2002 CAF 469).

[13] Bien que M. Imran ait réussi à se trouver un emploi en ingénierie rapidement après avoir quitté son travail, au moment où il l’a quitté, on ne peut pas affirmer qu’il savait quel emploi il obtiendrait ou qu’il connaissait l’identité de son futur employeur. Il n’a donc pas établi qu’il était fondé à quitter son emploi pour le motif prévu au sous‑alinéa 29c)(vi) de la Loi. »

(Souligné par mes soins)

[17] Lorsqu’il applique ces principes de la Cour d’appel fédérale à la présente affaire, le Tribunal constate qu’il ne peut y avoir l’« assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat », au titre du sous‑alinéa 29c)(vi) de la Loi, puisque la preuve non contestée présentée à la division générale démontre que, au moment où il a choisi de lui‑même de devenir chômeur, l’intimé ne savait pas s’il aurait un emploi, il ne savait pas de quel emploi auprès de quel employeur il s’agirait et il ne savait pas à quel moment dans l’avenir il aurait un emploi.

[18] Bien que l’intimé ait pris une bonne décision sur le plan personnel, une solution raisonnable s’offrait à lui, c’est‑à‑dire qu’il aurait pu continuer à travailler pour son employeur jusqu’à ce qu’il trouve un autre emploi à l’Î.‑P.‑É. L’intimé a le droit de vouloir améliorer sa situation financière, mais la caisse de l’assurance‑emploi ne devrait pas servir à supporter le poids de sa décision.

Conclusion

[19] L’appel est accueilli, la décision rendue par la division générale le 22 août 2014 est annulée, et l’appel de l’intimé devant la division générale est rejeté.

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