Assurance-emploi (AE)

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Introduction

[1] Le 21 mai 2015, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a refusé de prolonger le délai prévu pour interjeter appel d’une décision de révision rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission).

[2] La Commission (intimée) a refusé la demande de prestations d’assurance-emploi du demandeur parce qu’il avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Sa demande a été rejetée après révision.

Contexte factuel

[3] La décision de révision a été rendue le 29 janvier 2015. Elle informait le demandeur qu’il disposait de 30 jours, après avoir reçu la décision, pour interjeter appel. Il a présenté une demande de réexamen devant la Commission le 12 février 2015 qui a été estampillée le 18 février 2015.

[4] La Commission a informé le demandeur, dans une lettre datée du 10 mars 2015, qu’il avait le droit d’interjeter appel de la lettre de réexamen devant le Tribunal de la sécurité sociale et qu’il disposait de 30 jours à partir de la réception de cet avis pour déposer un appel au moyen du formulaire fourni par le Tribunal.

[5] Le demandeur a déposé un avis d’appel devant le Tribunal le 19 mars 2015. Le Tribunal a jugé la demande incomplète parce que, entre autres, la décision de révision n’était pas jointe à l’avis d’appel.

[6] Le Tribunal a demandé au demandeur, dans une lettre datée du 24 mars 2015, de fournir la décision de révision ainsi que d’autres renseignements. Le 26 mars 2015, le demandeur a appelé le Tribunal pour des clarifications. Il a envoyé un fax et des documents au Tribunal le 27 mars 2015. Il a joint ou tenté de joindre le Tribunal (par téléphone) le 31 mars, les 1er, 7, 9, 13, 27 et 28 avril 2015 pour demander la confirmation que les documents avaient bien été reçus.

[7] Le 28 avril 2015, le Tribunal a informé le demandeur, par téléphone, qu’il devait présenter une demande de prorogation de délai.

[8] Le 30 avril 2015, le nouveau représentant du demandeur a écrit au Tribunal et fourni des observations détaillées sur :

  1. a) le fait que la cause était défendable;
  2. b) une explication pour justifier un retard, notamment les détails des événements du 27 décembre 2014 jusqu’à la date de la lettre;
  3. c) une déclaration du demandeur dans laquelle il affirme avoir mal compris le processus d’appel de la décision de révision, mais que les mesures qu’il a prises, notamment le fait d’avoir recours aux services juridiques, montrent son intention d’en appeler;
  4. d) le fait qu’une prorogation du délai ne porterait pas préjudice aux autres parties.

La lettre a été estampillée le 9 mai 2015 par le Tribunal. Le Tribunal a accusé réception de l’appel complet le 12 mai 2015.

[9] Le 21 mai 2015, la division générale a refusé (par décision écrite) de proroger le délai. Cette décision a été communiquée au demandeur par lettre, le 26 mai 2015.

[10] Le représentant du demandeur a reçu la décision de la division générale le 1er juin 2015 et a déposé une demande d’autorisation d’interjeter appel devant la division d’appel du Tribunal le 22 juin 2015, soit dans les délais prévus.

Question en litige

[11] La division d’appel doit déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès.

Droit applicable et analyse

[12] Conformément aux paragraphes 57(1) et (2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi), une demande d’autorisation d’interjeter appel, dans le cas d’une décision rendue par la division générale de la section de l’assurance-emploi, doit être présentée à la division d’appel dans les trente jours suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision. La division d’appel peut proroger d’au plus un an le délai pour présenter la demande de permission d’en appeler.

[13] Aux termes des paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi), « il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission » et la division d’appel « accorde ou refuse cette permission ».

[14] Le paragraphe 58(2) de la Loi prévoit que « la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ».

[15] Les seuls moyens d’appel, selon le paragraphe 58(1) de la Loi, sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[16] Le Tribunal doit être convaincu que les motifs d’appel correspondent à l’un ou l’autre des moyens d’appel et qu’au moins un de ces moyens a une chance raisonnable de succès pour que la permission puisse être accordée.

[17] Le demandeur invoque les alinéas a) et c) du paragraphe 58(1) de la Loi. Plus précisément, il soutient ce qui suit :

  1. a) La division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, de la manière suivante :
    1. 1. La division générale a conclu qu’il n’y avait pas d’intention constante de poursuivre l’appel parce que [traduction] « rien ne démontrait qu’il y avait eu communication avec le demandeur durant la période du 29 janvier au 8 mai 2015 autre que l’appel incomplet ».
    2. 2. La division générale n’a fourni aucun raisonnement factuel ni juridique pour expliquer sa conclusion selon laquelle [traduction] « le demandeur n’avait pas une cause défendable. »
  2. b) La division générale a omis de respecter un principe naturel de justice de la manière suivante :
    1. 1. La division générale a ignoré la preuve et les observations écrites détaillées du demandeur dans sa conclusion selon laquelle [traduction] « le demandeur n’a fourni aucune preuve pouvant justifier le dépôt tardif de sa demande d’appel. »
    2. 2. Le demandeur a été privé de son droit à un processus d’appel équitable parce que le processus était pour lui, déconcertant et inaccessible.

[18]  La décision de la division générale invoque les affaires Canada (ministre du Développement des ressources humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 883, Muckenheim c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), 2008 CAF 249, Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204, Canada (ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41 et Fancy c. Canada (ministre du Développement social), 2010 CAF 63.

[19]  Toutefois, il est insuffisant de simplement citer la jurisprudence et de déterminer les critères juridiques pertinents, sans les appliquer. La division générale doit déterminer correctement les critères juridiques et appliquer le droit aux faits. La division générale doit aussi respecter les principes de l’équité procédurale.

[20] Sous la rubrique « Preuve » de la décision de la division générale figurent les éléments suivants :

[20]  Le 29 janvier 2015, la Commission a avisé le demandeur que sa décision du 27 décembre 2014 était maintenue.

[21]  Le 19 mars 2015, le demandeur a présenté une demande d’appel incomplète devant le Tribunal. Il y manquait une copie de la décision de révision, la date à laquelle elle avait été rendue et la déclaration signée du demandeur.

[22]  Le 8 mai 2015, le demandeur a déposé une demande d’appel complète devant le Tribunal.

[21] Sous la rubrique « Analyse », la division générale a indiqué ceci :

[25]    Le Tribunal estime que l’appel a été déposé en retard. Aucun élément de preuve ne démontre une intention constante de poursuivre l’appel ni une explication raisonnable pour le dépôt tardif. 

Intention constante de poursuivre l’appel

[26]  La demande de révision du prestataire a été rejetée le 29 janvier 2015. Par la suite, soit le 8 mai 2015, le prestataire a interjeté appel devant le Tribunal. Aucune autre communication avec le prestataire, pendant la période du 29 janvier au 8 mai 2015, n’a été démontrée, à part la demande d’appel incomplète.

Cause défendable

[27]  Le prestataire n’avait pas de cause défendable.

Explication raisonnable du retard

[28]  Le prestataire n’a présenté aucun élément de preuve expliquant le retard dans le dépôt de l’appel devant le Tribunal.

Préjudice à l’autre partie

[29]  La Commission n’a pas fourni la preuve confirmant ou infirmant qu’il pourrait y avoir préjudice si une prorogation était accordée.

[22] La division générale a conclu dans sa décision :

[Traduction]
[30]  Le prestataire a omis de satisfaire à trois des critères pour lesquels une prorogation peut être accordée. Selon la division générale, il n’a pas manifesté l’intention constante de poursuivre l’appel, n’a pas fourni une explication raisonnable pour son retard et sa cause n’est pas défendable.

[31]  La prorogation du délai pour interjeter appel est refusée.

[23] Bien que la division générale ait invoqué l’affaire Larkman, elle ne semble pas avoir examiné la question de savoir si l’intérêt de la justice serait servi si le report du délai était accordé. Elle semble plutôt avoir appliqué de façon mécanique les facteurs de l’arrêt Gattallero, ce qui, le cas échéant, constituerait une erreur de droit. De plus, la façon superficielle dont la division générale a conclu que l’appel n’était pas fondé me préoccupe.

[24] Les observations du demandeur concernant une conclusion de faits erronée, plus précisément le fait que la division générale ait conclu qu’il n’y avait eu aucune communication à part la demande d’appel incomplète, qu’il n’y avait aucune preuve de l’intention constante de poursuivre l’appel de la part du demandeur et qu’aucune explication raisonnable pour le retard n’avait été fournie, devraient être examinées. Ces conclusions ne semblent pas correspondre au dossier de la division générale tel qu’il est détaillé aux paragraphes [6] à [8] ci-dessus.

[25] L’affirmation du demandeur selon laquelle la division générale a omis d’appliquer un principe de justice naturelle justifie aussi un examen plus approfondi.

[26] Dans une récente décision, Canada (P.G.) c. Bossé, 2015 CF 1142, la Cour fédérale a indiqué que la question de justice naturelle, surtout l’allégation de manquement à l’équité procédurale, avait un rôle déterminant pour une demande de contrôle judiciaire du rejet d’une demande d’autorisation d’appel par la division d’appel. La cour a critiqué certains formulaires du Tribunal, les directives pour remplir ces formulaires et les instructions données par le Tribunal aux demandeurs/appelants. La Cour a conclu qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale dans le traitement de la demande par le Tribunal.

[27] En l’espèce, le processus d’appel à l’encontre de la décision de la Commission concernant la demande de révision était déconcertant et inaccessible pour le demandeur et le traitement de sa demande par le Tribunal constitue un fondement raisonnable pour invoquer un manquement quant à l’équité procédurale et à la justice naturelle.

[28] Au motif qu’il pourrait y avoir eu un manquement à la justice naturelle, une erreur de droit et une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve devant la division générale, je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

[29] J’accueille donc la demande de permission d’en appeler. Ce faisant, je souligne que cela ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

Conclusion

[30] La demande de permission d’en appeler est accordée.

[31] J’invite les parties à présenter des observations sur la pertinence de tenir une audience et, si elles jugent qu’une audience est appropriée, sur le mode d’audience préférable et le bien-fondé de l’appel.

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