Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Introduction

[1] Le 16 juillet 2015, la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (le Tribunal) a refusé d’accorder un délai supplémentaire au demandeur pour le dépôt d’un appel à l’encontre d’une décision de révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission).

[2] La Commission (l’intimée) avait rejeté la demande de prestations d’assurance-emploi du demandeur parce qu’il avait été établi que ce dernier n’avait pas cumulé suffisamment d’heures d’emploi assurable pour avoir droit aux prestations régulières ou spéciales. Sa demande a été rejetée à l’étape de la révision.

Contexte factuel

[3] La décision de révision, datée du 17 février 2015, précisait que le demandeur disposait de 30 jours après l’avoir reçue pour déposer un appel. Il a déposé le formulaire Avis d’appel – Division générale – Section de l’assurance-emploi (l’avis d’appel), qui, d’après la date estampillée, a été reçu par le Tribunal le 4 mars 2015.

[4] Dans une lettre datée du 17 mars 2015, le Tribunal a avisé le demandeur que son appel était jugé incomplet parce que la décision de révision n’avait pas été jointe à l’avis d’appel. Le Tribunal lui demandait de fournir la décision de révision [traduction] « sans délai » et l’avertissait que, s’il ne fournissait pas ce document « dans le délai précisé », il devrait demander une prorogation.

[5] Lorsqu’il a reçu cette lettre, le demandeur a apporté une copie de la décision de révision à un Centre Service Canada à Mississauga pour qu’elle soit déposée au Tribunal. Le demandeur explique qu’on lui a dit de laisser le document à Service Canada (SC) afin qu’il soit envoyé au Tribunal. La date estampillée sur le document par SC est le 25 mars 2015.

[6] Le 24 avril 2015, le demandeur a téléphoné au Tribunal pour obtenir la confirmation que son document avait été reçu. Un employé du Tribunal lui a répondu que la décision de révision n’avait pas été reçue. Le demandeur a expliqué qu’il avait apporté la décision à un Centre Service Canada. L’agent du Tribunal au téléphone lui a suggéré d’envoyer la décision par télécopieur.

[7] Le 27 avril 2015, le demandeur a télécopié au Tribunal une copie de la décision de révision où le bureau de Mississauga Ouest de SC avait estampillé la date du 25 mars 2015. Le Tribunal a estampillé la date du 27 avril 2015 sur le document.

[8] Le Tribunal a accusé réception d’un avis d’appel complet le 11 mai 2015 et a indiqué que l’appel avait été déposé au-delà de la limite de 30 jours. Un membre du Tribunal aurait donc à décider si un délai supplémentaire devrait être accordé pour que l’appel puisse aller de l’avant. Dans sa lettre, le Tribunal n’a pas exigé que le demandeur fournisse une raison pour le retard ou donne d’autres précisions à ce sujet.

[9] Des appels ou des tentatives d’appels téléphoniques ont eu lieu entre le demandeur et le Tribunal les 11, 12 et 13 mai, les 1er, 5, 17 et 29 juin, et les 6, 13, 16, 21 et 27 juillet 2015. La plupart du temps, le demandeur s’informait de l’état de sa demande et on lui disait que son appel n’avait pas encore été attribué à un membre. Le 13 juillet 2015, le demandeur a été informé que l’appel avait été attribué à un membre, qui examinerait le dossier et rendrait une décision sur la prorogation du délai.

[10] Le 16 juillet 2015, dans une décision écrite (décision de la DG), la DG a refusé d’accorder un délai supplémentaire. La décision de la DG a été communiquée au demandeur dans une lettre datée du 23 juillet 2015.

[11] Le 27 juillet 2015, le demandeur a téléphoné au Tribunal et a appris que la DG avait rendu une décision qui lui avait été envoyée le 23 juillet 2015, mais que l’agent ne pouvait pas discuter du contenu de ce document au téléphone.

[12] Le demandeur a reçu la décision de la DG le 28 juillet 2015 et a présenté une demande de permission d’en appeler (la demande) à la division d’appel (DA) du Tribunal le 12 août 2015, dans le délai prescrit de 30 jours.

Questions en litige

[13] La DA doit déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès.

Droit applicable et analyse

[14] Les paragraphes 57(1) et 57(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi) prévoient que la demande de permission d’en appeler est présentée à la DA, dans le cas d’une décision rendue par la section de l’assurance-emploi de la DG, dans les 30 jours suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision. La DA peut proroger d’au plus un an le délai pour présenter la demande de permission d’en appeler.

[15] Selon les paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi, « il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission » et la division d’appel « accorde ou refuse cette permission ».

[16] Le paragraphe 58(2) de la Loi prévoit que « la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ».

[17] Les seuls moyens d’appel selon le paragraphe 58(1) de la Loi sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[18] Pour que la permission d’en appeler soit accordée, le Tribunal doit être convaincu que les motifs d’appel correspondent aux moyens d’appel énoncés dans la Loi et qu’au moins l’un d’entre eux a une chance raisonnable de succès.

[19] Le demandeur s’appuie sur chacun des alinéas du paragraphe 58(1) de la Loi et affirme que :

  1. a) L’appel devant la DG n’était pas en retard. Il avait apporté la décision de révision à un Centre Service Canada le 25 mars 2015, et s’était fait dire qu’il pouvait la confier au Centre; le personnel lui avait indiqué qu’il s’agissait de la manière la plus sûre de l’envoyer et avait apposé la date sur la décision afin de la faire parvenir au Tribunal.
  2. b) La DG n’a pas donné suite aux arguments qu’il a présentés en appel, à savoir qu’il avait contribué au programme d’assurance-emploi pendant 25 ans et n’avait jamais touché de prestations ni profité du système.

[20] La décision de la DG fait référence à la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 883, ainsi qu’aux arrêts Muckenheim c. Canada (Commission de lassurance-emploi), 2008 CAF 249; Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41; et Fancy c. Canada (Ministre du Développement social), 2010 CAF 63.

[21] Toutefois, il ne suffit pas de simplement citer la jurisprudence et nommer correctement le ou les critères juridiques pertinents; il faut aussi les appliquer correctement. La DG doit nommer correctement le ou les critères juridiques pertinents et appliquer le droit aux faits. Elle doit aussi respecter les principes d’équité procédurale.

[22] Voici ce qui est indiqué dans la décision de la DG à la rubrique « Preuve » :

[Traduction]

[14] Le 26 janvier 2015, le prestataire a présenté une demande de révision. Il a déclaré qu’il avait contribué au régime d’assurance-emploi de 1977 à 2001, et qu’il n’avait jamais eu besoin de soutien. Il est devenu invalide en 2011 et croit avoir droit à des prestations.

[15] Le 17 février 2015, le prestataire a déclaré à la Commission qu’il ne l’avait jamais contactée entre février 2002 et le 1er décembre 2014 pour discuter d’une demande de prestations.

[16] Le 17 février 2015, la Commission a avisé le prestataire qu’elle maintenait sa décision de ne pas établir de période de prestations et qu’il n’y avait pas de changement non plus par rapport à la demande d’antidatation.

[17] Le 26 février 2015, le prestataire a déposé un appel incomplet auprès du Tribunal, la décision de révision n’ayant pas été soumise.

[18] Le 27 avril 2015, le prestataire a déposé un appel complet auprès du Tribunal.

[23] Voici ce qui figure à la rubrique « Analyse » de la décision de la DG :

[Traduction]

[21] Le Tribunal juge que l’appel a bel et bien été déposé en retard. Rien n’indique que le prestataire avait l’intention constante de poursuivre l’appel et il n’y a pas d’explication raisonnable pour le retard.

Intention constante de poursuivre l’appel

[22] La demande du prestataire a été rejetée à l’issue d’une révision le 17 février 2015. Le prestataire a interjeté appel devant le Tribunal le 27 avril 2015. Rien ne montre qu’il y a eu d’autres communications avec le prestataire ou de sa part entre le 17 février 2015 et le 27 avril 2015, outre l’appel incomplet déposé le 26 février 2015.

Cause défendable

[23] La cause du prestataire n’était pas défendable.

Explication raisonnable pour le retard

[24] Le prestataire n’a fourni aucun élément de preuve pour expliquer pourquoi son appel devant le Tribunal était en retard.

Préjudice à l’autre partie

[25] La Commission n’a fourni aucun élément de preuve montrant qu’un délai supplémentaire porterait préjudice ou non à l’autre partie.

[24] La décision de la DG se conclut ainsi :

[26] Le prestataire n’a pas rempli trois des critères à satisfaire pour qu’un délai supplémentaire puisse être accordé. Il n’a pas montré une intention constante de poursuivre l’appel, sa cause n’était pas défendable, et il n’a pas fourni d’explication raisonnable pour son retard.

[27] Aucun délai supplémentaire n’est accordé pour le dépôt de l’appel.

[25] Bien que la DG ait fait référence à l’affaire Larkman, elle ne semble pas s’être demandé si une prorogation servirait l’intérêt de la justice. La DG semble plutôt avoir appliqué mécaniquement les facteurs provenant de la décision Gattellaro, et si c’était établi, il s’agirait d’une erreur de droit. Je suis aussi préoccupée par le fait que la DG a conclu aussi rapidement que l’appel n’était pas fondé.

[26] L’argument du demandeur selon lequel son appel n’a pas été déposé en retard laisse entendre que des conclusions de fait erronées ont été tirées. La DG a jugé que l’appel avait été déposé en retard. Il vaudrait aussi la peine de se pencher davantage sur le fait que la DG a conclu que rien ne montrait des communications autres qu’un appel incomplet, qu’aucun élément de preuve n’indiquait l’intention constante du demandeur de poursuivre l’appel, et qu’aucune explication raisonnable n’avait été fournie pour le retard. Ces conclusions ne semblent pas concorder avec le dossier de la DG tel que présenté aux paragraphes 3 à 9 ci‑dessus.

[27] L’affirmation du demandeur selon laquelle la DG n’a pas observé un principe de justice naturelle mérite aussi un examen plus approfondi.

[28] La Cour fédérale, dans la décision récente Canada (P.G.) c. Bossé, 2015 CF 1142, a souligné que la question de la justice naturelle, et plus particulièrement un bris à l’équité procédurale, était un élément déterminant dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire du refus d’une permission d’en appeler par la DA. La Cour a critiqué certains formulaires du Tribunal, les instructions les accompagnant et les conseils que donne le Tribunal aux demandeurs et appelants. La Cour a constaté un manquement à l’équité procédurale dans le traitement de la demande par le Tribunal.

[29] Dans la présente affaire, le demandeur a tenté de compléter son appel en fournissant, le 25 mars 2015, une copie de la décision de révision à un Centre Service Canada, huit jours après la date de la lettre du Tribunal lui demandant de le faire « sans délai ». Le 24 avril 2015, il a téléphoné au Tribunal pour avoir la confirmation que le document avait été reçu du Centre Service Canada et a appris que ce n’était pas le cas. Le 27 avril 2015, il a envoyé par télécopieur une copie de la décision de révision où SC avait apposé la date.

[30] Quelques semaines plus tard, le Tribunal a informé le demandeur que son appel était en retard et qu’il incomberait à un membre du Tribunal de décider si un délai supplémentaire devait être accordé. Le demandeur n’a pas été invité à déposer des observations concernant un délai supplémentaire ni à fournir une explication du retard. Il a toujours soutenu que son avis d’appel n’était pas en retard et qu’il avait soumis la décision de révision quelques jours après avoir appris qu’il devait la fournir pour compléter son appel.

[31] Le traitement par le Tribunal de l’appel interjeté par l’appelant devant la DG permet raisonnablement d’avancer qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale et à la justice naturelle.

[32] Puisqu’il pourrait y avoir eu un manquement à la justice naturelle, que des erreurs de droit pourraient avoir été commises et que des conclusions de fait pourraient avoir été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la DG, je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

[33] J’accueille donc la demande de permission d’en appeler, en soulignant que cette décision ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

Conclusion

[34] La demande de permission d’en appeler est accueillie.

[35] J’invite les parties à présenter des observations écrites sur la pertinence de tenir une audience, et s’il est approprié d’en tenir une, sur le mode d’audience à privilégier et le bien‑fondé de l’appel.

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