Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli. La décision de la division générale est annulée et la décision de la Commission est rétablie.

Introduction

[2] Le 17 mars 2014, une membre de la division générale a accueilli l’appel de l’intimé à l’encontre de la précédente décision de la Commission.

[3] Dans les délais, la Commission a déposé une demande de permission d’en appeler à la division d’appel, et la permission d’en appeler lui a été accordée.

[4] Le 25 août 2015, une audience a été tenue par téléconférence. La Commission et l’intimé y ont pris part et ont présenté des observations.

Droit applicable

[5] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi »), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[6] Comme l’a déjà déterminé la Cour d’appel fédérale, dans Canada (Procureur général) c. Jewett, 2013 CAF 243, Chaulk c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 190, et bien d’autres décisions, la norme de contrôle applicable aux questions de droit et de compétence dans les appels relatifs à l’assurance-emploi est celle de la décision correcte, tandis que la norme de contrôle applicable aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit dans les appels relatifs à l’assurance-emploi est celle de la raisonnabilité.

Analyse

[7] La présente affaire gravite autour de l’application du droit et de la jurisprudence concernant l’inconduite.

[8] La Commission en appelle de la décision de la membre de la division générale au motif que la membre n’a pas tenu compte de la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale ni de la preuve non contestée lorsqu’elle a déterminé que l’intimé n’avait pas perdu son emploi pour cause d’inconduite. La Commission plaide que l’intimé s’était vu offrir une [traduction] « entente de la dernière chance » parce qu’il avait cumulé de nombreux points d’inaptitude pour des infractions à la sécurité et que l’intimé n’a pas respecté cette entente de la dernière chance en commettant une autre erreur liée à la sécurité. La Commission admet que l’intimé n’a pas fait exprès de commettre cette erreur, mais elle soutient que c’était quand même « délibéré » au sens de la jurisprudence car l’intimé savait ou aurait dû savoir qu’il était probable que cette erreur entraîne son congédiement. La Commission demande à ce que son appel soit accueilli.

[9] L’intimé affirme qu’il a simplement fait une erreur, ainsi que l’a conclu la division générale. Il reconnaît qu’il s’agissait d’une violation de son entente de la dernière chance et regrette d’avoir fait cette erreur, mais il affirme que cela ne constitue pas une inconduite car ce n’était pas délibéré et cela aurait pu arriver à n’importe qui. Il demande à ce que la décision de la division générale soit maintenue.

[10] Dans sa décision, la membre de la division générale a noté à juste titre que le simple fait qu’un employeur ait le droit de congédier un employé ne signifie pas que l’employé a automatiquement commis une inconduite. Après avoir cité une décision du juge-arbitre (CUB 30010) à l’appui de la thèse selon laquelle l’incapacité de faire le travail ou l’incompétence générale ne constituent pas une inconduite, la membre a conclu ceci : [traduction] « L’incapacité [de l’intimé] de travailler dans cet environnement « stressant » le rend non qualifié, inapte, voire incompétent, mais de ne pas répondre aux attentes de l’employeur ne constitue pas une inconduite. » La membre a alors conclu que, du fait que l’intimé n’avait pas commis d’inconduite, son appel devait être accueilli.

[11] Dans leurs plaidoiries devant moi, les parties se sont entendues sur les principaux éléments de preuve. Leur désaccord (tout comme la question qui doit être tranchée) porte sur l’application de la jurisprudence relative à l’inconduite aux faits de l’espèce.

[12] Dans l’arrêt Mishibinijima c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 36, la Cour d’appel fédérale a énoncé, au paragraphe 14, le principe général suivant :

Il y a donc inconduite lorsque la conduite du prestataire est délibérée, c’est à dire que les actes qui ont mené au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels. Autrement dit, il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié.

[13] La Cour a développé ce principe dans Canada (Procureur général) c. Maher, 2014 CAF 22. Dans cette affaire, le prestataire ne s’était pas présenté au travail par inadvertance et son employeur l’avait averti que si cela se reproduisait il serait congédié. Après avoir cité Mishibinijima, la Cour a déclaré ceci, au paragraphe 6 :

Ici, le défendeur s'était vu imposer des sanctions très sévères pour ne pas s'être présenté au travail. Il avait déjà reçu deux avertissements que tout écart à ses obligations d'employé entraînerait son congédiement. Il avait eu une journée difficile […]. Sachant tout cela, il n'a pas pris de mesures particulières pour s'assurer de sa présence au travail. Comment peut-on raisonnablement prétendre que ce comportement ne procède pas d'une telle insouciance ou négligence que le prestataire ne pouvait s'attendre à être congédié? Nous sommes tous d'avis que le conseil a erré […]. Il devait examiner la nature du manquement à la lumière de l'ensemble du dossier du défendeur [le prestataire]. Il devait se poser la question à savoir si M. Maher, à la lumière de son dossier d'employé dans son ensemble, s'était comporté avec une insouciance telle qu'il ne pouvait ignorer que son absence pouvait entraîner son congédiement.

[14] Comme je l’ai mentionné plus haut, les faits de l’espèce ne sont pas contestés. L’intimé avait occupé un emploi de contrôleur du trafic ferroviaire au sein d’une société nationale de chemin de fer pendant environ 10 ans. Un élément central de cet emploi consistait à prévenir les accidents de train en suivant de strictes procédures de sécurité. Antérieurement, l’intimé avait commis plusieurs erreurs liées à la sécurité qui lui avaient valu d’accumuler suffisamment de points d’inaptitude pour justifier son congédiement. À la place, il a été convenu qu’il signerait une « entente de la dernière chance » et que tout autre point d’inaptitude entraînerait son congédiement.

[15] L’intimé a finalement commis une nouvelle infraction à la sécurité qui lui a valu d’autres points d’inaptitude. La conséquence directe de cette violation a été son congédiement.

[16] Lorsqu’on applique la jurisprudence précitée aux faits de cette affaire, on en arrive à l’inévitable conclusion que l’intimé, compte tenu de l’ensemble de son dossier d’employé, devait être au courant du fait qu’une nouvelle infraction à la sécurité constituerait un manquement à l’« entente de la dernière chance », entraverait l’exécution de ses tâches et entraînerait son congédiement. Par conséquent, je conclus que ce défaut d’avoir fait preuve [traduction] « d’attention et de vigilance constantes » (ainsi que l’a exprimé la Commission dans ses observations écrites) constitue bel et bien une inconduite.

[17] En concluant le contraire, la membre de la division générale a omis d’appliquer la jurisprudence de la Cour et a ainsi rendu une décision déraisonnable. La décision de la membre ne saurait être maintenue.

Conclusion

[18] Pour les motifs exposés ci‑dessus, l’appel est accueilli. La décision du Conseil est annulée et la décision de la Commission est rétablie.

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