Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. L’appelant est admissible au bénéfice des prestations.

Introduction

[2] Le 27 janvier 2014, un membre de la division générale a rejeté l’appel interjeté par l’appelant à l’encontre de la précédente décision de la Commission.

[3] En temps opportun, l’appelant a présenté une demande de permission d’en appeler auprès de la division d’appel et la permission lui a été accordée.

[4] Une audience par téléconférence a eu lieu le 25 août 2015. L’appelant et la Commission ont comparu et ont présenté des observations.

Droit applicable

[5] Selon le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier:
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Analyse

[6] Le présent appel porte sur la question de savoir si l’appelant devrait recevoir ou non des prestations parentales malgré le fait qu’il a cessé de travailler en raison d’un lockout décrété par son employeur.

[7] L’appelant fait valoir que, contrairement à ce que laisse entendre le membre de la division générale dans ses conclusions, il a respecté toutes les conditions législatives et réglementaires requises pour être admissible au bénéfice des prestations. Il souligne qu’il avait pris des dispositions avant le lockout comme l’exige la loi, et se fonde sur une lettre et un courriel de l’employeur de son épouse pour le prouver. L’appelant demande que son appel soit accueilli er qu’on lui verse des prestations.

[8] La Commission, dans ses observations, appuie la décision du membre de la division générale. Elle soutient que l’appelant n’a jamais communiqué avec son propre employeur, ce qui, selon la Commission, est essentiel pour remplir les conditions énoncées dans la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi). Elle demande que l’appel soit rejeté.

[9] Dans sa décision, le membre de la division générale a souligné, à juste titre, que l’article 36 de la Loi s’appliquait. Il a ensuite examiné les arguments des parties avant de conclure que l’appelant n’avait pas entrepris de démarches auprès de son employeur avant le lockout. De ce fait, le membre a conclu que l’appelant ne remplissait pas les conditions de l’exception prévue au paragraphe 36(3) et a rejeté son appel.

[10]    La Loi prévoit ce qui suit :

36. (3) Suspension de l’inadmissibilité – L’inadmissibilité prévue au présent article est suspendue pendant la période pour laquelle le prestataire établit avoir autrement droit à des prestations spéciales ou à des prestations en raison de l’article 25 à condition qu’il prouve, de la manière que la Commission peut ordonner, que l’absence de son emploi était prévue et que des démarches à cet effet avaient été effectuées avant l’arrêt de travail.

[11] Les parties, lorsqu’elles ont présenté leurs arguments à l’audience, ont convenu qu’il s’agissait d’une nouvelle question qui ne semblait pas avoir été déjà examinée par les tribunaux. La recherche que j’ai menée m’a permis de découvrir un certain nombre de décisions portant sur l’article 36, mais aucune sur le paragraphe 36(3), je le reconnais.

[12] Les parties ont aussi admis que si l’exception prévue au paragraphe. 36(3) de la Loi s’applique, l’appelant est admissible au bénéfice des prestations. Elles conviennent que l’appelant doit établir qu’il a autrement droit à des prestations spéciales ou à des prestations en raison de l’article 25. Elles s’entendent de façon générale pour dire que les faits présentés à la division générale ne sont pas contestés.

[13] Par conséquent, la seule question que je dois trancher est celle de savoir si l’inadmissibilité prévue au paragraphe 36(1) est suspendue en raison de l’exception énoncée au paragraphe 36(3).

[14] Puisque le membre de la division générale a soutenu au paragraphe 31 de sa décision que l’inadmissibilité de l’appelant ne pouvait être suspendue parce que l’appelant n’avait entrepris aucune démarche auprès de son employeur avant le début du lockout à propos d’un congé parental, le présent appel repose sur la question de savoir si le membre de la division générale a eu raison ou non d’affirmer que le paragraphe 36(3) exige que les démarches auprès de l’employeur aient été effectuées avant l’arrêt de travail. Comme il s’agit d’une question de droit, je n’ai pas à faire preuve de retenue envers le membre de la division générale.

[15] Pour déterminer si le membre de la division générale a eu raison, j’ai examiné les arguments des parties. J’ai aussi pris en considération (et admis d’office) les dispositions du Chapitre 8 du Guide de la détermination de l’admissibilité (le Guide), publié par la Commission et j’ai trouvé sur la page Web la partie qui concerne l’article 36 de la Loi. Bien que je ne sois pas lié par le Guide, je crois qu’il peut aider à interpréter les dispositions de la Loi qui n’ont pas encore été examinées par les tribunaux, car il reflète les politiques administratives de l’organisme créé par le Parlement pour administrer la Loi.

[16] Au paragraphe 8.10.2, le Guide énonce ce qui suit :

Pour appuyer ses allégations selon lesquelles il a fait des démarches auprès de son employeur, le prestataire peut faire valoir, par exemple, qu’il a avisé celui-ci avant l’arrêt de travail de l’éventualité d’une absence, qu’il lui a demandé à ce moment une autorisation de s’absenter. De telles démarches ne prouvent toutefois pas que le prestataire remplit parfaitement la condition supplémentaire.

De fait, ces démarches auprès de l’employeur sont plus souvent qu’autrement les dernières que fait une personne qui prévoit s’absenter de son emploi. Selon la raison de l’absence, le prestataire doit effectuer d’autres démarches, et ce sont de ces démarches dont le prestataire doit fournir la preuve à la Commission. Il n’est pas nécessaire que ces démarches aient été terminées avant l’arrêt de travail. Il faut aussi savoir qu’une personne peut avoir effectué des démarches sans en avoir parlé à son employeur; le fait par ailleurs que le prestataire se soit absenté de son emploi avec ou sans l’autorisation de l’employeur ou encore ait fait des démarches à l’insu de son employeur n’a ici aucune incidence.

[caractères gras ajoutés]

[17] On peut aussi lire ceci au paragraphe 8.10.3 du Guide :

Il faut plus qu’une simple allégation du prestataire, selon laquelle son absence était prévue et que des démarches à cet effet avaient été effectuées avant l’arrêt de travail. Il est essentiel que le prestataire fournisse les renseignements, explications et documents pertinents à l’appui d’une telle allégation, de sorte que l’on puisse raisonnablement conclure, selon la prépondérance de la preuve, qu’il remplit la condition supplémentaire.

[…]

En ce qui concerne les soins à donner à un nouveau-né, une preuve acceptable pourrait être une confirmation par l’employeur de la présentation d’une demande de congé pour une telle absence avant l’arrêt de travail. Une personne pourrait aussi démontrer par ses antécédents de travail que son absence était prévue et planifiée pour prendre soin du nouveau-né, comme cela avait été le cas pour les naissances précédentes. On pourrait accepter en outre la déclaration non équivoque d’une personne qui démontrerait que tout avait été mis en œuvre, avant l’arrêt de travail, pour qu’elle se retire un certain temps du marché du travail afin de prendre soin de son enfant nouveau-né.

[…]

Mentionnons finalement qu’une vague possibilité d’absence, sans plus de précisions, n’est pas suffisante pour en arriver à la conclusion que l’absence était prévue. On doit nécessairement constater des éléments de prévision, de planification ou d’organisation qui existaient avant le début de l’arrêt de travail pour qu’une absence soit considérée comme ayant été « prévue » avant l’arrêt en cause. La situation dont nous traitons ici est celle du prestataire qui a effectué des démarches avant le début de l’arrêt de travail et dont l’absence de son emploi était l’une des conséquences prévues.

[caractères gras ajoutés]

[18] Je prends note des commentaires formulés par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Picard, 2014 CAF 46, concernant les principes d’interprétation des dispositions législatives qui s’appliquent à la Loi. Plus précisément, j’ai pris connaissance de la mise en garde de la Cour au paragraphe 21 concernant l’acceptation de politiques administratives comme le Guide.

[19] Je constate aussi que le paragraphe 36(3) déclare que l’appelant doit fournir une preuve « de la manière que la Commission peut ordonner ». Bien sûr, en pratique la Commission donne des directives appropriées lorsqu’elle recueille les renseignements nécessaires pour trouver la réponse à presque toutes les questions qui lui sont soumises, et pas seulement celles visées par le paragraphe 36(3). Toutefois, puisque le législateur ne parle pas en vain, je dois conclure que le législateur souhaitait que la Commission énonce son point de vue sur ce paragraphe de manière raisonnable, logique et uniforme, et que le prestataire puisse généralement le considérer comme fiable. Le fait que la Commission a effectivement énoncé sa position dans le Guide (cité précédemment) renforce mon opinion.

[20] En l’absence de jurisprudence des tribunaux ayant force obligatoire, j’estime que l’interprétation raisonnable, flexible et logique énoncée dans le Guide cité précédemment est en fait l’approche correcte à adopter dans l’application du paragraphe 36(3). En interprétant le droit de manière contraire, le membre de la division générale a commis une erreur.

[21] Puisque je suis d’avis que le membre de la division générale a commis une erreur de droit en interprétant mal le paragraphe 36(3), sa décision ne peut être maintenue. Toutefois, parce que les faits de la présente affaire ne sont pas contestés, une nouvelle audience devant la division générale ne sera pas nécessaire. Je rendrai plutôt la décision que le membre aurait dû rendre.

[22] La preuve non contestée démontre que l’appelant et son épouse envisageaient de prendre des mesures pour prendre soin convenablement de leur nouveau-né. À la fin du mois d’avril 2013, ils ont été informés de l’existence d’un conflit de travail imminent et du fait que l’appelant serait probablement mis en lockout le 28 avril 2013. Avant le 28 avril 2013, l’épouse de l’appelant a pris des mesures concrètes pour retourner au travail pendant la période occupée des impôts (confirmé par un élément de preuve, pièces GD2 – 9 et 10), et pour ce faire, l’appelant avait prévu demander un congé parental à son employeur.

[23] Il n’y a aucun doute que ces plans avaient été élaborés lorsque l’appelant a su qu’il serait probablement mis en lock-out à la fin d’avril, et que l’appelant n’avait pas informé son employeur de ses plans avant le lockout. Toutefois, j’estime que cet élément n’est pas pertinent puisque, selon les termes du Guide, « l’absence de son emploi était prévue et que des démarches à cet effet avaient été effectuées avant l’arrêt de travail » par l’appelant et son épouse.

[24] Enfin, je constate que les démarches entreprises par l’appelant comprenaient un appel à la Commission pour obtenir des conseils, et que selon lui, on lui avait dit qu’il n’était pas nécessaire de communiquer avec son employeur. La Commission (ainsi que le membre de la division générale) a rejeté cet argument en faisant observer à juste titre que les renseignements erronés donnés par un employé de la Commission ne lient pas la Commission.

[25] Bien que je ne puisse affirmer sur quelle base ce conseil a été donné, je soupçonne que le représentant de la Commission à qui l’appelant a parlé a lu le Guide et qu’il a appliqué l’information à la situation de l’appelant. Étant donné que je souscris à l’interprétation du droit contenue dans le Guide, j’estime qu’après tout le conseil de l’agent était correct.

[26] Par conséquent, compte tenu de ce qui précède, je n’ai aucune hésitation à conclure que l’appelant a établi, de la manière énoncée par la Commission dans le Guide, que l’absence de son emploi était prévue et que des démarches à cet effet avaient été effectuées avant l’arrêt de travail.

Conclusion

[27] Pour les motifs qui précèdent, l’appel est accueilli. L’appelant est admissible au bénéfice des prestations.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.