Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Comparutions

Madame F. B., prestataire, a pris part à l’audience par téléconférence.

Introduction

[1] L’appelante a déposé deux demandes d’assurance-emploi débutant le 28 février 1993 et le 18 février 1996Note de bas de page 1. Le 11 février 2015, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la « Commission ») avise la prestataire qu’elle ne peut donner suite à la révision parce qu’elle n’a pas encore rendu de décision sur la question en litige. Le 2 avril 2015, la Commission avise la prestataire qu’elle a réexaminé la demande de prestations de la prestataire. Elle indique ne pas avoir modifié la décision concernant la modification du taux de prestations, suite au règlement de grief entre la prestataire et son employeur Postes Canada, qui a permis un ajustement salarial puisque la demande de réexamen a été présentée à l’extérieur du délai de 36 mois prescrit par la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »). Le 21 mai 2015, suite à sa demande de révision, la Commission indique à la prestataire qu’elle n’a pas modifié la décision transmise le 2 avril 2015 en lien avec le réexamen de la demandeNote de bas de page 2. Elle indique que selon le paragraphe 52 (1) de la Loi, la Commission peut examiner à nouveau toute demande dans les 36 mois qui suivent la semaine à laquelle les prestations visées ont été payées ou sont devenues payables. La prestataire a porté appel de cette décision auprès du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (le « Tribunal ») le 14 juillet 2015.

[2] Cet appel a été instruit selon le mode d’audience Téléconférence pour les raisons suivantes :

  1. La complexité de la ou des questions en litige.
  2. Le fait que la crédibilité ne semble pas être une question déterminante.
  3. L’information au dossier, y compris la nécessité d’obtenir des informations supplémentaires.
  4. Ce mode d’audience est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Question en litige

[3] Quel est le délai de réexamen des demandes de prestations de la prestataire au prestataire et à partir de quand ce délai doit-il débuter ?

Droit applicable

[4] L’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi ») indique :

  1. 52 (1) Malgré l’article 111, mais sous réserve du paragraphe (5), la Commission peut, dans les trente-six mois qui suivent le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables, examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations.
  2. (2) Si elle décide qu’une personne a reçu une somme au titre de prestations pour lesquelles elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice desquelles elle n’était pas admissible, ou n’a pas reçu la somme pour laquelle elle remplissait les conditions requises et au bénéfice de laquelle elle était admissible, la Commission calcule la somme payée ou à payer, selon le cas, et notifie sa décision au prestataire.
  3. (3) Si la Commission décide qu’une personne a reçu une somme au titre de prestations auxquelles elle n’avait pas droit ou au bénéfice desquelles elle n’était pas admissible :
    1. a) la somme calculée au titre du paragraphe (2) est celle qui est remboursable conformément à l’article 43;
    2. b) la date à laquelle la Commission notifie la personne de la somme en cause est, pour l’application du paragraphe 47(3), la date où la créance a pris naissance.
  4. (4) Si la Commission décide qu’une personne n’a pas reçu la somme au titre de prestations pour lesquelles elle remplissait les conditions requises et au bénéfice desquelles elle était admissible, la somme calculée au titre du paragraphe (2) est celle qui est payable au prestataire.
  5. (5) Lorsque la Commission estime qu’une déclaration ou affirmation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestations, elle dispose d’un délai de soixante-douze mois pour réexaminer la demande.

[5] Le paragraphe 10 (14) de la Loi indique que :

Sous réserve du paragraphe (15), aucune prolongation au titre de l’un des paragraphes (10) à (13) ne peut avoir pour effet de porter la durée d’une période de prestations à plus de cent quatre semaines.

[6] L’article 113 de la Loi indique :

Quiconque se croit lésé par une décision de la Commission rendue en application de l’article 112, notamment une décision relative au délai supplémentaire, peut interjeter appel de la décision devant le Tribunal de la sécurité sociale constitué par l’article 44 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.

Preuve

[7] Les éléments de preuve contenus au dossier indiquent que :

  1. L’avis de paiement daté du 18 décembre 2014 (GD3-9).
  2. Livret d’information sur l’équité salariale à Postes Canada (GD3-60 à GD3-71).
  3. Lettre du Syndicat des employés des postes et communications (GD2-48).

[8] La preuve soumise à l’audience par le témoignage de l’appelante révèle que :

  1. La prestataire a eu deux périodes de prestations d’assurance-emploi, correspondant à des congés de maternité, soit en 1993 et 1996.
  2. La cause en lien avec l’équité salariale chez Postes Canada a été devant les tribunaux pendant plus de 30 ans. La prestataire a quitté Postes Canada avant la décision des tribunaux.
  3. Une décision a été rendue par la Cour suprême en 2011, mais aucun montant n’a été reçu avant décembre 2014. La prestataire avait très peu d’informations en lien avec la cause depuis 2009 et même suite de la décision de la Cour, elle était incapable de connaître les montants qu’elle recevrait.
  4. Suite à la décision de la Cour, le syndicat a ouvert ses livres comptables afin de corriger les sommes qui auraient dû être versées en raison de la décision sur l’équité salariale.
  5. Elle indique qu’il ne s’agit pas de négligence de sa part et qu’à l’impossible nul n’est tenu. Elle ne pouvait fournir l’information plus tôt auprès de la Commission.

Arguments des parties

[9] L’Appelante a fait valoir que :

  1. La prestataire indique qu’il lui était absolument impossible dans les 36 mois ayant suivi les périodes de prestation de faire appel dans son dossier, car la décision qui a mené à une révision de son salaire (équité salariale) a mis 30 ans avant d’être rendue par les plus hauts tribunaux.
  2. La prestataire indique qu’elle se considère lésée dans ses droits en raison de ce délai anormalement long, car l’attente d’une décision rendait toute demande de révision impossible.
  3. La prestataire indique que ce n’est que le 18 décembre dernier qu’elle a connu les montants qui lui seraient versés et que suite à ce versement, elle a respecté le délai de 30 jours pour présenter sa demande de révision. La date à partir de laquelle le délai de révision doit être applicable est celle à laquelle Postes Canada a versé le montant rétroactif d’équité salariale dans son compte.

[10] L’intimée a soutenu que :

  1. La Commission attire l’attention du Tribunal de la Sécurité sociale sur le fait que lorsqu’un prestataire n’a pas reçu les prestations auxquelles il avait droit ou qu’il a reçu des prestations auxquelles il n’avait pas droit, l’article 52 (1) de Loi prévoit que, dans les 36 mois qui suivent le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables, la Commission peut examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations.
  2. De plus, si la Commission a estimé que le prestataire a fait une déclaration ou une représentation fausse ou trompeuse, que cette déclaration ou représentation fausse ait été faite sciemment ou non, le délai de révision est prolongé jusqu’à 72 mois suivant la date à laquelle les prestations ont été payées ou sont devenues payables.
  3. Dans le présent cas, nous ne sommes pas en présence de fausses déclarations
  4. La Commission a refusé de réexaminer les demandes débutant le 28 février 1993 et le 18 février 1996 parce que le délai du 36 mois, prescrit par la Loi, est largement dépassé pour procéder à un nouvel examen des demandes.
  5. Dans le cas présent, la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire et a statué qu’il n’y avait pas lieu de réexaminer les demandes de prestations débutant le 28 février 1993 et le 18 février 1996 parce que le délai du 36 mois, prescrit par la Loi, est largement dépassé pour procéder à un nouvel examen de ces demandes. D’autre part, le délai de 72 mois est, lui aussi, dépassé et la Commission souligne que nous n’étions pas en présence de déclarations fausses ou trompeuses.
  6. La Commission maintient que la décision est conforme à la Loi sur l’assurance-emploi et appuyée par la jurisprudence. Par conséquent, un rappel au Tribunal de la Sécurité sociale qu’il ne relève pas de sa compétence de statuer sur ce type de litige. De plus, la Commission tient à rappeler que lors de la révision administrative, aucun droit d’appel n’aurait dû être accordé à la prestataire.

Analyse

[11] Le Tribunal constate que la Commission soutient qu’il n’est pas de la compétence du Tribunal de statuer sur un litige tel que celui du refus de la Commission de vouloir réexaminer la demande puisqu’elle n’a pas été présentée dans un délai de 36 mois et qu’il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire de la Commission (GD4-1). La Commission continue en indiquant qu’elle « désire attirer l’attention du Tribunal de la Sécurité sociale sur le fait que l’avis du 21 mai 2015 mentionne un droit d’appel à la prestataire alors qu’il s’agissait d’un pouvoir discrétionnaire de la Commission auquel aucun droit d’appel n’était rattaché » (GD4-3).

[12] Or, le Tribunal est en désaccord avec cette position. En effet, la compétence du Tribunal réside dans l’article 113 de la Loi qui indique que quiconque se croit lésé par une décision de la Commission rendue en application de l’article 112, notamment une décision relative au délai supplémentaire, peut interjeter appel de la décision devant le Tribunal de la sécurité sociale constitué par l’article 44 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.

[13] Dans le présent dossier, la Commission a rendu une décision de révision le 21 mai 2015.

[14] Le Tribunal est d’avis que même un pouvoir discrétionnaire de la Commission peut être porté en appel auprès du Tribunal, si suite à ce pouvoir discrétionnaire une décision a été rendue en révision par la Commission. En effet, selon les circonstances, la Commission pourrait ne pas avoir utilisé ce pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire et le Tribunal pourrait alors modifier la décision de la Commission.

[15] La prestataire a reçu des prestations pour des demandes d’assurance-emploi débutant le 28 février 1993 et le 18 février 1996. En 2011, la Cour Suprême du Canada a rendu un jugement sur l’équité salariale. Suite à ce jugement, l’employeur Postes Canada a versé des indemnités rétroactives d’équité salariale. L’état d’un paiement forfaitaire rétroactif admissible indique que la prestataire a reçu un montant de 1 447.88$ pour l’année 1993 et de 916.50$ pour l’année 1996 (GD3-33). La prestataire a reçu ces montants le 18 décembre 2014 (GD3-51). Le 14 janvier 2015, la prestataire a demandé une révision de son taux de prestations pour ses deux demandes de prestations.

[16] La prestataire soutient qu’elle ne pouvait demander la révision de son taux de prestations avant cette date puisque la Cour n’avait pas rendu de décision. De plus, avant le versement, la prestataire n’était pas en mesure d’établir les montants qu’elle recevrait en vertu de l’équité salariale obtenue. La prestataire indique aussi que suite à cette entente et parce qu’elle a été représentante syndicale et qu’une partie de son salaire avait été payé par le syndicat, son syndicat avait procédé au réajustement salarial et lui avait versé les sommes qu’elle aurait dû recevoir en raison de l’équité salariale. Elle désire obtenir ce même rajustement pour les périodes pour lesquelles elle a reçu de l’assurance-emploi.

[17] Pour sa part, la Commission indique qu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire et a statué qu’il n’y avait pas lieu de réexaminer les demandes de prestations débutant le 28 février 1993 et le 18 février 1996 parce que le délai des 36 mois, prescrit par la Loi, est largement dépassé pour procéder à un nouvel examen de ces demandes. D’autre part, le délai de 72 mois est, lui aussi, dépassé et la Commission souligne que nous n’étions pas en présence de déclarations fausses ou trompeuses ».

[18] Le paragraphe 52 (1) de la Loi indique que la Commission peut, dans les trente-six mois qui suivent le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables, examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations. Ce délai peut être prolongé jusqu’à 72 mois en vertu du paragraphe 52 (5) de la Loi si la Commission estime qu’une déclaration ou affirmation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestations, elle dispose d’un délai de soixante-douze mois pour réexaminer la demande.

[19] Bien que la Commission n’ait pas précisé les périodes exactes pour lesquelles des prestations ont été payées, la prestataire a confirmé qu’elle avait reçu des prestations de maternité pour ses demandes débutant le 28 février 1993 et le 18 février 1996.

[20] La prestataire a déposé une demande de révision le 14 janvier 2015, soit respectivement près de 19 ans et 22 ans après le début de ses demandes de prestations.

[21] En vertu du paragraphe 52 (1) de la Loi, le délai pour examiner de nouveau une demande de prestations est de 36 mois à partir du moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables.

[22] Étant donné que la Commission n’a pas fourni la période précise, outre la date de début des prestations, le Tribunal a considéré qu’en prolongeant la durée de la demande de prestation à son maximum soit pour un total de 104 semaines (article 10 (14) de la Loi), les prestations d’assurance-emploi pour chacune des demandes auraient été respectivement payables jusqu’au 27 février 1995 et 17 février 1998. Ainsi, le délai de réexamen de 36 mois aurait pu respectivement s’appliquer jusqu’au 27 février 1998 et au 17 février 2001. Au moment de demander la révision, ce délai est expiré depuis près de 17 ans et près de 14 ans.

[23] De plus, bien que le Tribunal constate qu’aucune déclaration fausse ou trompeuse ne soit en cause dans la situation de la prestataire et même en considérant un délai de 72 mois, celui-ci aurait aussi été expiré puisque la prestataire aurait dû, dans le meilleur des cas, demander le réexamen de ses demandes avant février 2001 et février 2004, ce qui n’est pas le cas.

[24] Le Tribunal prend en considération que la prestataire considère que ce délai devrait débuter à partir du moment où elle a reçu les montants d’équité salariale soit à partir de novembre 2014 puisqu’avant cette date, elle ne connaissait pas les montants qu’elle recevrait. De plus, elle indique que ce sont les délais de la Cour qui ont causé ce retard.

[25] Le Tribunal est d’avis que la Loi indique clairement que les 36 mois doivent suivre le moment où les prestations ont été payées ou sont devenues payables. Aucune disposition ne permet de modifier l’interprétation de cet article de Loi et le Tribunal n’a pas l’autorité de modifier une loi. De plus, il ne s’agit pas non plus d’un pouvoir discrétionnaire de la Commission de pouvoir modifier ce délai à l’extérieur des 36 ou 72 mois prévus par la Loi.

[26] Dans Sveinson, une prestataire a reçu un paiement d’équité salariale rétroactif suite à une décision de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Cour a déterminé que sa demande de prestations ne pouvait être reconsidérée après 36 mois (Sveinson v. Canada 2003 FCA 259).

[27] Bien que le paiement d’équité salariale ne provienne pas de la même source, le Tribunal est d’avis que la situation est similaire à celle de la prestataire et que les demandes de prestations ne peuvent être reconsidérées après 36 mois ou 72 mois lorsqu’il s’agit de déclarations fausses ou trompeuses.

[28] De plus, l’article 52 de la Loi correspond à la seule provision dans la Loi permettant à la Commission de réviser une décision rendue. Le résultat de cette révision est précisé au paragraphe 52 (2) qui indique que :

Si elle décide qu’une personne a reçu une somme au titre de prestations pour lesquelles elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice desquelles elle n’était pas admissible, ou n’a pas reçu la somme pour laquelle elle remplissait les conditions requises et au bénéfice de laquelle elle était admissible, la Commission calcule la somme payée ou à payer, selon le cas, et notifie sa décision au prestataire.

[29] Par conséquent, si l’article 52 de la Loi ne peut trouver application, la Commission n’a aucune obligation de payer une somme à titre de prestations. Ainsi, comme l’application du paragraphe 52 ne peut se faire en raison du délai de plus de 36 mois, la Commission n’a pas le pouvoir de réviser une décision et n’a donc pas à exercer son pouvoir discrétionnaire.

[30] Ainsi, en se basant sur la preuve et les observations présentées par les parties, et contrairement à ce que la Commission soutient, le Tribunal est d’avis que la prestataire avait un droit d’appel de la décision de révision de la Commission en vertu de l’article 113 de la Loi. Néanmoins, le Tribunal est d’avis que les demandes de la prestataire de 1993 et 1996 ne pouvaient être réexaminé en vertu du fait que le délai de 36 mois, qui suit le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables, était expiré en vertu du paragraphe 52 (1) de la Loi.

Conclusion

[31] L’appel est rejeté.

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