Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Introduction

[1] Le 25 novembre 2015, la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a accordé à l’appelant la permission d’en appeler en raison d’un manquement à la justice naturelle, d’erreurs de droit et de conclusions de fait erronées. La décision de la division générale portée en appel statuait sur le refus d’accorder un délai supplémentaire à l’appelant pour déposer un appel devant la division générale.

[2] Le Tribunal a sollicité les observations des parties sur le mode d’audience et la pertinence de tenir une audience, ainsi que sur le bien-fondé de l’appel.

[3] L’appelant a déposé des observations détaillées comprenant les arguments suivants :

  1. La division générale a tiré des conclusions de fait erronées, plus précisément lorsqu’elle a conclu que l’appelant n’avait pas manifesté l’intention constante d’interjeter appel et qu’il n’avait pas de cause défendable.
  2. La division générale a commis un manquement au principe de justice naturelle en privant l’appelant de son droit à l’équité procédurale.

[4] L’intimée a déposé des observations demandant que l’appel interjeté par l’appelant soit rejeté sur le fond ou que l’affaire soit renvoyée à la division générale.

[5] Cet appel a été tranché sur la foi du dossier pour les raisons suivantes :

  1. L’absence de complexité de la ou des questions faisant l’objet de l’appel.
  2. L’exigence, en vertu du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[6] À la lumière des observations des parties, la tenue d’une audience devant la division d’appel n’est pas nécessaire.

Questions en litige

[7] Il s’agit de déterminer si la division générale a commis une erreur de droit ou un manquement à la justice naturelle, ou tiré des conclusions de fait erronées pour rendre sa décision.

[8] Il faudra également déterminer s’il convient de rejeter l’appel, de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen ou encore de confirmer, infirmer ou modifier la décision de la division générale.

Droit applicable et analyse

[9] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) la division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ;
  3. c) la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] La permission d’en appeler a été accordée pour la raison que l’appelant avait exposé des motifs correspondant aux moyens d’appel énumérés et qu’au moins l’un de ces motifs conférait à l’appel une chance raisonnable de succès, en l’occurrence les motifs ayant trait aux moyens d’appel prévus aux alinéas 58(1)a), b) et c) de la Loi sur le MEDS.

[11] Voici plus précisément ce qu’indiquait la décision accordant la permission d’en appeler :

[18] La décision de la division générale invoque les affaires Canada (ministre du Développement des ressources humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 883, Muckenheim c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), 2008 CAF 249, Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204, Canada (ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41 et Fancy c. Canada (ministre du Développement social), 2010 CAF 63.

[19]    Toutefois, il est insuffisant de simplement citer la jurisprudence et de déterminer les critères juridiques pertinents, sans les appliquer. La division générale se doit d’indiquer correctement le ou les critères juridiques et d’appliquer le droit aux faits. Elle se doit également de respecter les principes d’équité procédurale.

[…]

[22] La division générale a conclu dans sa décision :

[30] Le prestataire a omis de satisfaire à trois des critères pour lesquels une prorogation peut être accordée. Selon la division générale, il n’a pas manifesté l’intention constante de poursuivre l’appel, n’a pas fourni une explication raisonnable pour son retard et sa cause n’est pas défendable.

[31]  La prorogation du délai pour interjeter appel est refusée.

[23] Bien que la division générale ait invoqué l’affaire Larkman, elle ne semble pas avoir examiné la question de savoir si l’intérêt de la justice serait servi si le report du délai était accordé. Elle semble plutôt avoir appliqué de façon mécanique les facteurs de l’arrêt Gattallero, ce qui, le cas échéant, constituerait une erreur de droit. De plus, la façon superficielle dont la division générale a conclu que l’appel n’était pas fondé me préoccupe.

[24] Les observations du demandeur concernant une conclusion de faits erronée, plus précisément le fait que la division générale ait conclu qu’il n’y avait eu aucune communication à part la demande d’appel incomplète, qu’il n’y avait aucune preuve de l’intention constante de poursuivre l’appel de la part du demandeur et qu’aucune explication raisonnable pour le retard n’avait été fournie, devraient être examinées. Ces conclusions ne semblent pas correspondre au dossier de la division générale tel qu’il est détaillé aux paragraphes [6] à [8] ci-dessus.

[25] L’affirmation du demandeur selon laquelle la division générale a omis d’appliquer un principe de justice naturelle justifie aussi un examen plus approfondi.

[26] Dans une récente décision, Canada (P.G.) c. Bossé, 2015 CF 1142, la Cour fédérale a indiqué que la question de justice naturelle, surtout l’allégation de manquement à l’équité procédurale, avait un rôle déterminant pour une demande de contrôle judiciaire du rejet d’une demande d’autorisation d’appel par la division d’appel. La cour a critiqué certains formulaires du Tribunal, les directives pour remplir ces formulaires et les instructions données par le Tribunal aux demandeurs/appelants. La Cour a conclu qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale dans le traitement de la demande par le Tribunal.

[27] En l’espèce, le processus d’appel à l’encontre de la décision de la Commission concernant la demande de révision était déconcertant et inaccessible pour le demandeur et le traitement de sa demande par le Tribunal constitue un fondement raisonnable pour invoquer un manquement quant à l’équité procédurale et à la justice naturelle.

[28] Au motif qu’il pourrait y avoir eu un manquement à la justice naturelle, une erreur de droit et une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve devant la division générale, je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

[12] L’intimée soutient que la division générale a examiné l’ensemble des éléments de preuve et des observations et qu’elle a fourni une explication à chacun des critères énoncés dans l’affaire Muckenheim, citée précédemment, avant de conclure que l’appelant n’avait pas rempli trois des critères (intention constante, explication raisonnable et cause défendable) selon lesquels un délai supplémentaire peut être accordé. Cela dit, l’intimée, c’est-à-dire la Commission, affirme également qu’elle a, en fait, trouvé une explication raisonnable au délai et confirme qu’une prorogation du délai ne porterait aucun préjudice à l’autre partie.

[13] La division générale a conclu que l’appelant n’avait pas manifesté l’intention constante d’interjeter appel d’après l’absence de preuve de toute communication initiée par l’appelant entre le 29 janvier 2015 (décision de révision) et le 8 mai 2015 (appel complété), à l’exception de celles relatives à un appel incomplet. Cette conclusion était erronée. L’avis d’appel incomplet a été déposé devant la division générale le 19 mars 2015. L’appelant a ensuite téléphoné au Tribunal, lui a envoyé une télécopie et lui a parlé, ou tenté de le faire, à maintes reprises en mars et en avril 2015. Le représentant de l’appelant, alors récemment embauché, a également communiqué par écrit avec le Tribunal en avril 2015.

[14] La division générale a conclu que l’appelant n’avait fourni aucune preuve justifiant le délai du dépôt de son appel devant le Tribunal. Cette conclusion était, elle aussi, erronée. Les communications initiées par l’appelant en mars et en avril  2015 étaient des tentatives de sa part pour fournir au Tribunal les informations manquantes ainsi qu’une explication au délai. Les observations déposées par son représentant le 30 avril 2015, incluant l’historique des événements depuis décembre 2014, ont fourni une explication détaillée au délai.

[15] La division générale a conclu que l’appelant n’avait pas de cause défendable. Cependant, la division générale n’a procédé à aucune analyse sur le fond de l’affaire et a simplement affirmé de but en blanc que « le prestataire n’avait pas de cause défendable ». Une décision doit être fondée sur une explication logique, étayée par des raisons compréhensibles et suffisamment détaillées.

[16] La division générale a appliqué de façon machinale les facteurs énoncés dans l’affaire Gattellaro, citée précédemment, ce qui constitue une erreur de droit. Les conclusions de fait qu’elle a tirées concernant l’intention constante d’interjeter appel et l’explication du délai étaient erronées.

[17] Par conséquent, la décision de la division générale était fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[18] Le paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS, cité ci-dessous, établit les compétences de la division d’appel :

La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

[19] À la lumière des observations des parties, de mon examen de la décision de la division générale et du dossier d’appel, j’accueille l’appel. Puisque cette affaire n’a pas été instruite sur le fond et que les parties pourraient être appelées à présenter des éléments de preuve, il convient qu’une audience soit tenue devant la division générale.

Conclusion

[20] L’appel est accueilli.  L’affaire sera renvoyée à la division générale du Tribunal pour réexamen.

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