Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] Sur consentement, l’appel est accueilli.

Introduction

[2] Le 26 mai 2014, un membre de la division générale a rejeté l’appel interjeté par l’appelant à l’encontre de la décision précédente rendue par la Commission.

[3] Dans les délais, l’appelant a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel, et la demande a été accordée.

[4] Le 5 novembre 2015, une audience a été tenue par téléconférence. L’appelant et la Commission ont participé à l’audience et y ont présenté des observations.

Droit applicable

[5] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Analyse

[6] L'appel porte sur la question de savoir si l'appelant a été correctement dirigé ou non vers un cours de formation au sens de l'article 25 de la Loi sur l'assurance‑emploi (Loi) et si je dois tenir compte de la nouvelle preuve ou non. Pour les motifs qui suivent et sur consentement, l’appel est accueilli.

[7] Avec sa demande de permission d'en appeler, l'appelant a présenté un document du ministère de la Formation et des Collèges et Université (ministère) selon lequel il avait été autorisé à participer à un cours de formation et qu'il était par conséquent admissible aux prestations. Le ministère est une autorité désignée par le Commission qui a le pouvoir de dirigé les requérants vers des cours de formation aux fins de la Loi. Si ce document devait être admis en preuve et le contenu jugé véridique, cela signifierait que l'appelant était admissible aux prestations.

[8] Ni la division générale ni la Commission n'avait accès à ce document auparavant. L'appelant soutient qu'il a seulement été en mesure de trouver ce document au moyen d'une demande d'accès à l'information. En se fondant sur les renseignements incomplets dont elle disposait, la division générale (et la Commission auparavant) a conclu que l'appelant n'avait pas été dirigé vers son cours de formation par une autorité compétente et que, par conséquent, il n'était pas admissible aux prestations.

[9] Dans la plupart des cas, de nouveaux éléments de preuve ne peuvent pas être pris en compte par la division d’appel, car une audience devant la division d’appel n’est pas une audience de novo. Il appartient à la division générale d’admettre une preuve et de tirer une conclusion de fait fondée sur cette preuve.

[10] Cela étant dit, les tribunaux administratifs ne sont pas liés par les règles de preuve formelles. De plus, la notion de bon sens et certaines décisions antérieures rendues par la Cour d’appel fédérale, telles que Rodger c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 222, traitent de l’admission de nouveaux éléments de preuve ou témoignages sous serment devant un juge-arbitre (le tribunal prédécesseur de la division d’appel pour l’instruction des appels relatifs à l’assurance-emploi) et ont statué que certains éléments de preuve sont admissibles.

[11] De plus, la division d’appel est en droit, aux termes du paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS, de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, ce qui nécessite souvent de tirer des conclusions de fait. Il est clair, par exemple, que la preuve d’un manquement à la justice naturelle survenu à la division générale est admissible (et que les conclusions de fait doivent être fondées en tenant compte de cette preuve), car autrement la division d’appel serait dans l’impossibilité de rendre les décisions qu’elle est en droit de rendre aux termes du paragraphe 59(1).

[12] Il est également clair qu’il y aura des occurrences où il sera très inefficace de donner l’ordre aux parties de retourner à la division générale pour évaluer la preuve qui a été soumise en bonne et due forme à la division générale, mais qui n’a pas été reçue par le membre de la division générale en raison d’un problème de classement ou de services postaux. Ce serait particulièrement le cas s’il fallait que cette preuve ne soit pas remise en cause. Dans ces rares cas, il serait dans l’intérêt de la justice que la division d’appel accepte tout simplement la preuve et rende une décision.

[13] Finalement, il arrivera de temps à autre que l’une des parties tente d’introduire de nouveaux éléments de preuve à la division d’appel qui auraient pu être soumis dans le cadre d’une demande d’annulation ou de modification d’une décision rendue par la division générale aux termes de l’article 66 de la Loi sur le MEDS. Malheureusement, la majorité des prestataires ne sont pas représentés, et même ceux qui le sont ne sont souvent pas au courant de cet article. Par conséquent, ils font souvent appel à la division d’appel (ce qui n’est pas illogique) et tentent d’y présenter leurs éléments de preuve.

[14] Ce sont les nouveaux éléments de preuve de ce genre qui posent le plus de problèmes, et ce cas porte sur ce sujet.

[15] L’article 66 énonce que pour être admis, les nouveaux éléments de preuve doivent contenir des « faits nouveaux », et dans Canada (Procureur général) c. Chan, [1994], la Cour d’appel fédérale a déclaré au paragraphe 10 que des faits nouveaux sont :

[traduction]
[…] des faits qui se sont produits après que la décision a été rendue ou qui ont eu lieu avant la décision, mais n’auraient pu être découverts par une prestataire diligente et, dans les deux cas, les faits allégués doivent avoir décidé de la question […]

[16] Dans Dubois c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), [1998] ACF no 768, la Cour d’appel fédérale est allée encore plus loin et a autorisé l’admission de faits nouveaux devant un juge-arbitre (maintenant la division d’appel) même sans dépôt d’une demande d’annulation ou de modification. Le raisonnement employé dans la décision Dubois a été appliqué à plusieurs autres cas, et bien que l’article 86 de la Loi ait été renuméroté pour devenir l’article 120, pour ensuite être retiré de la Loi et ajouté à l’article 66 de la Loi sur le MEDS, la formulation est demeurée presque identique.

[17] Aux paragraphes 2 et 3 de la décision Dubois, la Cour a déclaré ce qui suit [traduction] :

Nous tenons à exprimer des réserves sérieuses à l’égard de l’application par un arbitre de règles formelles dégagées pour la bonne marche des tribunaux judiciaires. L’arbitre est un échelon dans le processus d’administration de la Loi sur l’assurance-chômage [maintenant la Loi], une loi d’ordre éminemment social, où les prestataires agissent d’eux-mêmes la plupart du temps sans représentations et où les arbitres [maintenant la division générale] au niveau de la première instance n’ont même pas de formation juridique. Les principes de justice suggèrent l’introduction d’un libéralisme total au niveau de l’acceptation des représentations des prestataires à tous les niveaux, libéralisme que demande d’ailleurs l’article 86 [maintenant l’article 66 de la Loi sur le MEDS] de la Loi.

Cela dit, il reste néanmoins une condition fondamentale pour l’acceptation par un arbitre d’une preuve nouvelle, c’est que cette preuve soit essentielle ("material") en ce sens qu’elle soit susceptible d’avoir une influence majeure sur la solution du litige, sinon d’en imposer une solution complète.

[18] Essentiellement, la décision Dubois a soutenu que, en tant que tribunal administratif chargé de rendre des décisions relatives aux prestations, la preuve devrait être admise devant un juge-arbitre de la façon la moins officielle possible pour servir l’intérêt de la justice et afin de permettre au tribunal d’utiliser ses ressources de la façon la plus efficace qu’il soit. Je souligne que bien que tous les membres du Tribunal reçoivent une formation exhaustive et que tous les membres de la division d’appel sont des avocats, la plupart des membres de la division générale, tout comme ceux du Conseil, ne sont pas des avocats et ne possèdent donc aucune formation juridique.

[19] Si le Tribunal rejetait un appel à la division d’appel et forçait un appelant à remplir une demande d’annulation ou de modification, cela augmenterait considérablement le temps et les ressources utilisés. Par conséquent, le nombre d’appels traités par les membres du Tribunal diminuerait. Cela ne serait pas, de quelconque manière, dans l’intérêt de la justice, d’autant plus que lors de plusieurs appels, la Commission ne voit pas d’objection à l’admission de faits nouveaux. J’ai également constaté que pour certains appels, il n’est pas possible de soumettre une demande d’annulation ou de modification en raison du délai maximal d’un an pour soumettre une telle demande.

[20] L’une de ces situations fut traitée par la Cour d’appel fédérale dans la décision Canada (Procureur général) c. Shahid, 2013 CAF 145. Dans ce cas, la Cour a déclaré au paragraphe 3 ce qui suit :

La preuve dont disposait le conseil arbitral (le conseil) quant à la première condition [le droit à la prestation fiscale canadienne pour enfants] était insuffisante. Cette lacune a été corrigée par [l’appelant], qui a présenté au juge-arbitre de nouveaux éléments de preuve documentaire. Il aurait été préférable que le juge-arbitre renvoie les nouveaux éléments de preuve au conseil pour réexamen de la décision antérieure. Toutefois, puisqu’il est admis que les nouveaux éléments de preuve établissaient l’admissibilité [de l’appelante] à la PFCE au moment en cause, nous ne sommes pas disposés à annuler la décision du juge-arbitre pour ce motif d’ordre procédural.

[21] Je note que la Cour n’avait aucune objection à accepter de nouveaux éléments de preuve qui n’auraient peut-être même pas été considérés comme des faits nouveaux, et que la Cour fait référence à toute contestation de la preuve qui n’est pas renvoyée au Conseil en tant que « motif procédural » d’appel.

[22] Dans un sens général, cette approche a été codifiée dans le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, et énonce ce qui suit :

3. (1) Le Tribunal :

  1. a) veille à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent;
  2. b) peut, s’il existe des circonstances spéciales, modifier une disposition du présent règlement ou exempter une partie de son application.

[…]

4. À la demande déposée par une partie auprès du Tribunal, celui-ci peut déterminer la règle applicable à toute question relative à l’instance...

[23] Si nous laissons de côté les problèmes relatifs aux nouveaux éléments de preuve pour le moment, il ne fait aucun doute que le législateur voulait que le Tribunal supervise l’administration de la Loi d’une manière compatible avec les sentiments exprimés par la Cour dans les décisions Dubois et Shahid. En effet, la Cour fédérale a exprimé des points de vue semblables au sujet de l’équité procédurale dans Bossé c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1142, au paragraphe 33 :

Afin de cerner l’étendue des règles d’équité procédurale il faut par ailleurs tenir compte de l’objet de le Loi, de la nature des droits en cause, des contraintes opérationnelles du Tribunal, de la clientèle particulière de ce dernier et de tout autre facteur pertinent. Compte tenu du volume élevé de dossiers qu’entend le Tribunal, il faut lui reconnaître une certaine souplesse administrative, sans que ne soit compromis l’objectif d’excellence qu’il s’est également fixé avec d’autres objectifs tout aussi louables (accessibilité, efficacité et rapidité)…

[24] Cependant, il est important de noter que la Cour d’appel fédérale a également été très claire sur le fait que l’introduction de faits nouveaux devrait se faire qu’en de rares occasions. Je répète encore une fois que ce n’est pas notre rôle d’entendre un appel de novo ou de requérir une nouvelle audition d’appel au fond de l’affaire. Les faits nouveaux devraient être admis seulement si ceux-ci ont un impact majeur sur le résultat de l’appel.

[25] Si la division d’appel autorisait l’admission de faits nouveaux sur une base régulière, cela irait à l’encontre du rôle de la division d’appel qui est de superviser et de donner des directives à la division générale. Aussi, le processus deviendrait impossible à gérer en raison du grand nombre de documents qui afflueraient, sans aucun doute.

[26] En l'espèce, la Commission reconnaît que le document fourni par l’appelant contient des faits nouveaux à prendre en considération. Elle souligne que le ministère a l'obligation de fournir ce document à la Commission et que cela n'a pas été fait. Telle convient que la Commission est liée par les décisions du ministère en matière d'orientation vers des cours (étant donné qu'il est l'autorité compétente) même si la Commission n'approuverait pas ces décisions. De plus, la commission reconnait que, au moyen du nouveau document, l'appelant a été bien dirigé vers le cours de formation et que l'appel devrait être accueilli à ce motif.

[27] Après avoir examiné le document et en rappelant le consentement de la Commission, je suis du même avis que les parties, c’est-à-dire, qu’il serait dans l’intérêt de la justice d’autoriser l’admission des faits nouveaux et de rendre une décision. J'estime que, étant donné que l'appelant a maintenant prouvé qu'il a bien été dirigé vers un cours de formation par une autorité désignée par la Commission, l'appel doit être accueilli.

Conclusion

[28] Pour les motifs qui précèdent et sur consentement, l’appel est accueilli.

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