Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Motifs et décision

Introduction

[1] A. C. (demanderesse) demande à la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) la permission de porter en appel la décision de la division générale (DG) du Tribunal datée le 25 août 2015 et prononcée le 27 août 2015. La DG a rejeté son appel dans lequel la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission) avait déterminé qu’elle n’avait pas réfuté la présomption de non-disponibilité pour travailler au moment de suivre des cours à temps complet.

[2] La demanderesse et son père, qui agit comme son représentant et témoin, ont assisté à l’audience par téléconférence le 16 juillet 2015. La Commission n’y a pas assisté, mais elle a déposé des observations par écrit.

[3] La demanderesse a déposé une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel datée le 25 septembre 2015 au bureau de Service Canada. La demande a été estampillée comme ayant été reçue par le Tribunal le 6 octobre 2015. La demande a été traitée comme ayant été déposée dans le délai prescrit.

[4] Les moyens d’appel invoqués à l’appui de la demande sont les suivants :

  1. a) La DG elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  2. b) La demanderesse soutient qu’elle est disponible pour travailler, qu’elle travaille actuellement pour un employeur antérieur qu’elle a soumis sa candidature à plusieurs emplois, et qu’elle tente régulièrement d’entrer en contact avec d’autres employeurs éventuels;
  3. c) Si un emploi à temps plein devenait disponible, elle quitterait volontiers son programme d’études.

[5] Après avoir déposé sa demande de permission d’en appeler, la demanderesse a requis une copie de l’enregistrement de l’audience de la DG. Le Tribunal l’a informé qu’un enregistrement n’était pas disponible en raison de circonstances imprévisibles et indépendantes de sa volonté.

[6] La demanderesse a soumis des observations sur ce manque d’enregistrement de l’audience de la DG; en voici le résumé :

  1. Elle a parlé au téléphone avec un agent du Tribunal et lui a demandé pourquoi l’enregistrement n’était pas disponible, ce dernier lui a suggéré qu’il avait peut-être été perdu ou supprimé;
  2. L’enregistrement est un élément de preuve crucial pour son appel; qu’il ait été " perdu, supprimé ou volé " porte atteinte à son appel;
  3. Pendant l’audience, le membre de la DG a en a convenu qu’elle était admissible aux prestations d’AE;
  4. Elle se fait du souci de cette atteinte à la confidentialité puisque l’enregistrement avait peut-être été perdu ou supprimé et que ses renseignements personnels avaient peut-être été volés;
  5. La DA n’est pas en mesure de rendre un jugement équitable si elle ne dispose pas de « toute la preuve ».

[7] La Commission a déposé des observations sur la permission d’en appeler. Elle affirme qu’il n’y a aucun motif d’appel qui ait une chance raisonnable de succès. La demanderesse souhaite que la division d’appel réexamine la décision de la division générale et en tire une conclusion différente. La Commission maintient également que  :

  1. Pour ce qui est d’une erreur de droit, la demanderesse n’a pas donné de détails sur l’erreur alléguée de la DG; les motifs de la demande ont déjà été présentés à la DG et le membre de la DG avait considéré l’ensemble de la preuve qui lui avait été présenté;
  2. Pour ce qui est de la non-disponibilité de l’enregistrement sonore, la jurisprudence de Cour d’appel fédérale a affirmé que de ne pas produire un enregistrement ou une transcription d’une audience ne constitue pas en soi un manquement au devoir d’équité; pour qu’un manquement à ce devoir d’équité soit établi, une personne devrait démontrer que ce manque d’enregistrement ou de transcription a effectivement privé la personne de son droit d’appel ou de contrôle judiciaire en empêchant l’organe de révision de s’acquitter de ses fonctions légales. La demanderesse n’a pas démontré qu’elle avait subi un préjudice à la suite de cette absence d’enregistrement. De plus, le dossier d’appel devant la DA est suffisant pour que le membre de la DA statue convenablement sur la demande de permission d’en appeler.

Questions en litige

[8] La demande a-t-elle été déposée dans le délai prescrit ?

[9] Sinon, la DA doit décider si elle accorde une prorogation du délai pour déposer une demande;

[10] La DA doit ensuite déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès.

Droit applicable et analyse

[11] Aux termes des paragraphes 57(1) et (2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), la demande de permission d’en appeler est présentée à la DA dans les trente jours suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision qu’il entend contester. En outre, la DA peut proroger d’au plus un an le délai pour présenter la demande de permission d’en appeler.

La demande a-t-elle été déposée dans le délai de 30 jours ?

[12] La décision de la DG a été envoyée à la demanderesse par lettre datée le 27 août 2015. Dans la demande, il est indiqué que la demanderesse a reçu la décision de la DG le 27 août 2015. Puisque la décision de la DG a été envoyée par la poste, elle ne serait pas parvenue à la demanderesse le même jour qu’elle avait été envoyée. Je conclus donc que la demanderesse n’a pas reçu la décision de la DG le 27 août 2015.

[13] En application de l’alinéa 19(1)a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Rèeglement), j’estime que la décision de la DG a été communiquée à la demanderesse 10 jours après la date du 27 août 2015 à laquelle elle lui a été envoyée par la poste. Par conséquent, je conclus que la décision a été communiquée à la demanderesse le 7 septembre 2015 puisque dix jours à compter de la date d’envoi tombe le 6 septembre 2015, un dimanche.

[14] Le délai de 30 jours à compter du 7 septembre 2015 tombe le 7 octobre 2015. Le timbre du Tribunal indique le 6 octobre 2015 sur la demande; des dates antérieures paraissent également sur la demande, estampillées par Service Canada dans deux de ses bureaux : le 25 septembre et le 30 septembre 2015.

[15] Ainsi, la demande a été déposée dans le délai et une prorogation du délai n’est pas nécessaire.

Permission d’en appeler

[16] Aux termes des paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le MEDS, « il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission » et la division d’appel « accorde ou refuse cette permission ».

[17] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS indique que « la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. »

[18] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS indique que les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[19] Le Tribunal doit être convaincu que les motifs d’appel se rattachent à l’un ou l’autre des moyens d’appel énumérés. L’un de ces motifs au moins doit conférer à l’appel une chance raisonnable de succès avant que la permission d’en appeler puisse être accordée.

Erreur de droit

[20] Bien que la demande allègue que la DG a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier, la demanderesse n’indique pas précisément de quelle erreur de droit il s’agirait.

[21] La demanderesse a donné bon nombre de motifs pour que sa demande soit accordée. Son argument principal est que le litige porte sur sa disponibilité et qu’elle était disponible. Ses observations, énoncées aux alinéas [4] b) et c), ci-haut, avaient été présentées à la DG.

[22] Au paragraphe [19] de sa décision, la DG a correctement énoncé le critère juridique relatif à la disponibilité.

[23] Le paragraphe [26] de la décision précise  :

[26] [Traduction] Dans son appel auprès du Tribunal, l’appelante conteste la décision de la Commission en affirmant qu’elle est maintenant disponible pour travailler. Elle croit que trouver un emploi est plus important que son programme d’études. Elle est actuellement à la recherche d’un emploi à temps plein, peu importent les heures; elle serait prête à accepter de quitter son programme d’études si un emploi à temps plein se présentait. (GD2-1-6 et GD2A-1-4)

[24] Le membre de la DG a poursuivi en accordant plus de poids aux déclarations initiales de la demanderesse que l’on accorde aux déclarations contradictoires après une décision défavorable. La décision se terminait ainsi :

[31] Pour être admissible aux prestations, un étudiant doit satisfaire aux mêmes conditions de disponibilité que tout autre prestataire, c’est-à-dire être en recherche active d’emploi sans aucune restriction. En l’espèce, le dossier indique qu’elle ne voulait travailler qu’en contournant ses heures de cours le samedi et que son intention était de continuer ce cours d’études plutôt que de chercher un emploi à temps plein. Malheureusement, cela ne suffit pas si l’on veut démontrer sa disponibilité.

[32] Bien que le membre appuie les efforts de la demanderesse pour compléter son éducation et pour trouver un emploi convenable par la suite, ayant examiné comme il se doit toutes les circonstances, elle n’a pas présenté les éléments de preuve de « circonstances exceptionnelles » qui réfuteraient la présomption de non-disponibilité pendant qu’elle poursuit un cours à temps plein. Par conséquent, elle n’est pas admissible au bénéfice des prestations. »

[25] Dans sa demande, la demanderesse tente d’ajouter à sa preuve. Elle affirme qu’elle travaille actuellement, qu’elle soumet sa candidature quotidiennement et qu’elle tente continuellement de communiquer avec des employeurs éventuels. Cette information additionnelle ne peut être prise en compte en appel auprès de la DA. Ce n’est pas son rôle d’instruire de nouveau l’affaire ni d’admettre de nouveaux témoignages par les parties. Les nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles en appel sauf dans certaines situations limites comme elles sont décrites dans l’affaire Velez c. Canada (Procureur général), (2002) CAF 343.

[26] Une fois que la permission d’en appeler a été accordée, le rôle de la DA consiste à déterminer si une erreur susceptible de contrôle prévue au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS a été commise par la DG et, si c’est le cas, de fournir un redressement pour corriger cette erreur. En l’absence d’une telle erreur susceptible de contrôle, la loi ne permet pas à la DA d’intervenir.

[27] La demanderesse n’a pas présenté des erreurs de droit et aucune erreur n’apparaît à la lecture du dossier;. En conséquence, ce moyen d’appel n’a pas de chance raisonnable de succès.

Inobservation d’un principe de justice naturelle

[28] La demanderesse affirme que la DG n’a pas observé un principe de justice naturelle parce que l’enregistrement de l’audience n’est pas disponible.

[29] La Cour suprême du Canada (CSC), dans l’arrêt S.C.F.P., section locale 301 c. Québec (Conseil des services essentiels), (1997) 1 R.C.S. 793 (répertorié Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal [Ville]), a déterminé que l’absence d’un enregistrement ne constitue pas nécessairement un manquement à la justice naturelle s’il n’y a pas d’obligation légale d’effectuer un enregistrement. La CSC a statué qu’en l’absence d’un droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande. Si c’est le cas, l’absence d’une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle. Dans cette affaire, la CSC a conclu que la preuve déposée eu égard à la demande de révision judiciaire fournissait un dossier plus que suffisant pour réviser les conclusions de fait du décideur (le Conseil des services essentiels) et déterminer si la prétention de l’intimée (le Syndicat) était fondée.

[30] Ni la Loi sur le MEDS, ni la Loi sur l’assurance-emploi, ni le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale n’impose au Tribunal l’obligation légale d’enregistrer les audiences.

[31] Bien que le Tribunal n’ait pas l’obligation légale d’enregistrer ses audiences, il les enregistre lorsque c’est possible.

[32] Il semble que l’audience par téléconférence devant la DG ait été enregistrée, mais qu’une copie de l’enregistrement n’est pas disponible.

[33] Bien que la demanderesse se soucie de cette atteinte à la confidentialité de ses renseignements personnels, cela semble être le résultat d’une mauvaise compréhension de la nature de l’enregistrement. Il n’existe aucun enregistrement physique qui puisse être égaré, perdu, supprimé ou volé. L’enregistrement d’une audience par téléconférence est transmis à un fichier sécurisé et confidentiel qui est entreposé électroniquement. Aucun enregistrement physique comme un disque compact n’est produit à moins qu’une des parties en demande. L’accès au fichier électronique est sécurisé et restreint. Quand la demanderesse a présenté sa demande, le Tribunal avait déterminé qu’il n’existait aucune version électronique de l’enregistrement. L’enregistrement n’a pas été volé ou perdu. L’identité et les renseignements personnels de la demanderesse ne sont pas à risque.

[34] La Cour d’appel fédérale (CAF), dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Scott, (2008) CAF 145, a statué que le juge-arbitre ne pouvait pas utiliser l’absence de transcription comme motif pour annuler la décision du conseil arbitral, à moins qu’il ne soit démontré que l’absence de l’enregistrement ou de la transcription avait de fait privé la défenderesse de son droit d’appel devant le juge-arbitre. Comme cela n’avait pas été établi, la CAF a annulé la décision du juge-arbitre.

[35] Dans la décision Patry c. Canada (PG), (2007) CAF 301, le conseil arbitral n’avait pas fourni d’enregistrement audio de l’audience. Le juge-arbitre a jugé que le fait que le conseil arbitral n’eut pas remis un enregistrement n’invalidait pas l’instance qui s’était déroulée devant le conseil arbitral. La CAF a confirmé la décision du juge-arbitre.

[36] En l’espèce, un enregistrement audio n’était pas disponible. La demanderesse soutient que l’enregistrement audio est un [traduction] « élément de preuve crucial » pour son appel, et que l’absence d’enregistrement audio porterait atteinte à son appel. En particulier, la demanderesse soutient que le membre de la DG, pendant l’audience par téléconférence [traduction] « en a convenu qu’elle était admissible aux prestations d’AE ».

[37] La décision de la DG a été rendue par écrit le 25 août 2015. Peu importe ce que le membre de la DG pourrait avoir dit ou pas lors de l’audience, la décision de la DG rejetait l’appel de la demanderesse, et les raisons étaient précisées dans la décision.

[38] L’enregistrement audio n’est pas « un élément de preuve ». Bien que le témoignage durant l’audience auprès de la DG forme une partie de la preuve, le témoignage semble être résumé au paragraphe [14] de la décision de la DG. La décision résume également la preuve documentaire dans le dossier.

[39] La question en litige se limite donc à déterminer si l’absence de l’enregistrement audio de l’audience auprès de la DG prive effectivement la demanderesse de son droit d’appel devant la DA.

[40] La demanderesse affirme qu’elle requérait l’enregistrement pour [traduction] « voir où et comment le Tribunal en est arrivé à cette décision ». Elle ajoute que l’absence d’enregistrement la prive de sa capacité d’appeler de la décision de la DG. L’intimée soutient que le dossier d’appel est suffisant pour que la DA statue sur cette demande de manière appropriée.

[41] La DA doit rejeter la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. Cela ne signifie pas que je dois être convaincu que l’appel sera accueilli afin d’accorder la demande de permission d’en appeler.

[42] Sur ce point limité de manquement allégué à la justice naturelle, plus précisément, à savoir si l’absence d’enregistrement audio de l’audience auprès de la DG prive effectivement la demanderesse de son droit d’appel devant la DA, l’affaire justifie une révision, car je ne suis pas convaincu que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

Conclusion

[43] La demande est accordée telle que précisée aux paragraphes [28] à [42] ci-dessus.

[44] La présente décision d’accorder la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

[45] J’invite les parties à présenter des observations écrites sur la pertinence de tenir une audience et, si elles jugent qu’une audience est appropriée, sur le mode d’audience préférable, et à présenter également leurs observations sur le bien-fondé de l’appel.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.