Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] Sur consentement, l’appel est accueilli. La décision de la division générale est modifiée conformément à ces motifs.

Introduction

[2] Le 31 octobre 2014, un membre de la division générale a rejeté l’appel interjeté par l’appelant à l’encontre de la précédente décision de la Commission.

[3] En temps opportun, l’appelant a présenté une demande de permission d’en appeler auprès de la division d’appel et la permission lui a été accordée.

[4] Le 3 décembre 2015, une audience a été tenue par téléconférence. L’appelant et la Commission ont participé à l’audience et y ont présenté des observations.

Droit applicable

[5] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Analyse

[6] En surface, cet appel semble traiter d’un départ volontaire d’un emploi afin de reprendre des études. En réalité, cependant, il met en question la compétence de la Commission à réexaminer des décisions en vertu de l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi) et sur ma compétence pour prendre en considération de nouveaux éléments de preuve.

[7] Lors de l’audience tenue devant moi, la Commission a fait une concession importante. En préparation pour cet appel, la Commission examinait le dossier lorsqu’elle a remarqué qu’elle avait déjà réexaminé, dans la période préappel, une décision antérieure visant à accorder à l’appelant des prestations régulières. La Commission soutient qu’elle était en droit de le faire, elle l’avait fait en se basant sur des renseignements qui lui avaient été rendus disponibles antérieurement. Cela signifiait qu’elle n’aurait pas dû appliquer la date d’inadmissibilité rétroactivement comme elle l’avait fait en l’espèce selon sa propre politique. Dans le contexte de ce dossier, cela signifierait que le trop-payé cotisé serait réduit considérablement sinon complètement annulé.

[8] À cause de ceci, pendant l’audience, la Commission a offert une entente verbale à l’appelant selon laquelle l’inadmissibilité débuterait le 2 mars 2014, date conforme aux politiques de la Commission. L’appelant a considéré l’offre et l’a acceptée verbalement.

[9] Afin de donner effet à cette entente, cependant, je devrais déterminer que j’ai le droit d’intervenir dans la décision de la division générale. J’ai considéré la question et, compte tenu de l’accord des parties, j’accueille l’appel. J’estime avoir effectivement le droit de le faire pour les raisons pour les motifs énoncés ci-bas.

[10] La compétence de la Commission pour réexaminer ses conclusions de sa propre initiative lui est conférée par l’article 52 de la Loi. Puisque l’article 52 fait usage du mot “ peut ”, il s’agit là d’une décision discrétionnaire de la part de la Commission. En règle générale, ces décisions se prennent quand la Commission se rend compte qu’un prestataire n’aurait pas dû recevoir de prestations. L’article 52 est l’un des seuls moyens que possède la Commission de corriger le versement incorrect de prestations.

[11] Afin d’aider les employés de la Commission à déterminer comment exercer leur pouvoir discrétionnaire dans des situations diverses, La Commission s’est dotée d’une série de politiques. Non seulement celles-ci ne lient-elles pas le Tribunal (ou la Commission d’ailleurs) et peuvent-elles, ou non, rendre compte de l’état du droit applicable actuel, mais elles constituent un guide à l’usage des prestataires pour les aider à comprendre comment la commission entend d’habitude s’acquitter de ses obligations juridiques.

[12] En l’espèce, la Commission a fait valoir qu’elle n’avait pas pris en considération ses propres politiques en exerçant ce pouvoir discrétionnaire. Ainsi, la Commission admet qu’elle n’avait pas pris en considération tous les facteurs pertinents avant d’en arriver à sa détermination. Il s’ensuit qu’en omettant cela, la Commission n’avait pas exercé sa discrétion de façon judiciaire. Puisqu’il s’agit-là d’une erreur susceptible de révision, si j’acceptais cette observation fautive, je serais obligé d’intervenir pour corriger la situation.

[13] Je prends note cependant que cette admission sur la preuve n’a pas été faite devant le membre de la division générale. Donc, à la lumière des éléments de preuve à sa disposition, il a pris la bonne décision. Cette affaire s’articule autour de ma compétence pour accepter cette nouvelle preuve.

[14] Dans la plupart des cas, de nouveaux éléments de preuve ne peuvent pas être pris en compte par la division d’appel, car une audience devant la division d’appel n’est pas une audience de novo. Il appartient à la division générale d’admettre une preuve et de tirer une conclusion de fait fondée sur cette preuve.

[15] Cela étant dit, les tribunaux administratifs ne sont pas liés par les règles de preuve formelles. De plus, le bon sens et des décisions antérieures rendues par la Cour d’appel fédérale, telle Rodger c. Canada (Procureur général), (2013) CAF 222, traitent de l’admission de nouveaux éléments de preuve ou témoignages sous serment devant un juge-arbitre (un membre du tribunal prédécesseur de la division d’appel pour l’instruction des appels relatifs à l’assurance-emploi) et ont statué que certains éléments de preuve sont admissibles.

[16] De plus, la division d’appel est en droit, aux termes du paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS, de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, ce qui nécessite souvent de tirer des conclusions de fait. Il est clair, par exemple, que la preuve d’un manquement à la justice naturelle survenu à la division générale est admissible (et que les conclusions de fait doivent être fondées en tenant compte de cette preuve), car autrement, la division d’appel serait dans l’impossibilité de rendre les décisions qu’elle est en droit de rendre aux termes du paragraphe 59(1).

[17] Il est également clair qu’il y aura des occurrences où il sera très inefficace de donner l’ordre aux parties de retourner à la division générale pour évaluer la preuve qui a été soumise en bonne et due forme à la division générale, mais qui n’a pas été reçue par le membre de la division générale en raison d’un problème de classement ou de services postaux. Ce serait particulièrement le cas s’il fallait que cette preuve ne soit pas remise en cause. Dans ces rares cas, il serait dans l’intérêt de la justice que la division d’appel accepte tout simplement la preuve et rende une décision.

[18] Enfin, à l’occasion, l’une ou l’autre des parties tentera d’introduire de nouveaux éléments de preuve devant la division d’appel, preuve qui aurait pu faire partie d’une demande d’annulation ou de modification d’une décision de la division générale en vertu de l’article 66 de la LMEDS. En l’espèce, une demande d’annulation ou de modification n’était pas possible vu que la Commission avait découvert la nouvelle preuve en préparant sa réponse à l’appel interjeté par l’appelant.

[19] L’article 66 énonce que pour être admis, les nouveaux éléments de preuve doivent contenir des « faits nouveaux », et dans Canada (Procureur général) c. Chan, (1994), la Cour d’appel fédérale a déclaré au paragraphe 10 que des faits nouveaux sont :

[Traduction]… des faits qui se sont produits après que la décision a été rendue ou qui ont eu lieu avant la décision, mais n’auraient pu être découverts par une prestataire diligente et, dans les deux cas, les faits allégués doivent avoir décidé de la question…

[20] Dans l’affaire Dubois c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), (1998) CAF no 768, la Cour d’appel fédérale est allée encore plus loin et a autorisé l’admission de faits nouveaux devant un juge-arbitre (maintenant la division d’appel) même sans dépôt d’une demande d’annulation ou de modification. Le raisonnement employé dans l’affaire Dubois a été appliqué à plusieurs autres cas, et bien que l’article 86 de la Loi ait été renuméroté pour devenir l’article 120, pour ensuite être retiré de la Loi et ajouté à l’article 66 de la Loi sur le MEDS, la formulation est demeurée presque identique.

[21] Aux paragraphes 2 et 3 de la décision Dubois, la Cour a déclaré ce qui suit [traduction] :

Nous tenons à exprimer des réserves sérieuses à l’égard de l’application par un arbitre de règles formelles dégagées pour la bonne marche des tribunaux judiciaires. L’arbitre est un échelon dans le processus d’administration de la Loi sur l’assurance-chômage [maintenant la Loi], une loi d’ordre éminemment social, où les prestataires agissent d’eux-mêmes la plupart du temps sans représentations et où les arbitres [maintenant la division générale] au niveau de la première instance n’ont même pas de formation juridique. Les principes de justice suggèrent l’introduction d’un libéralisme total au niveau de l’acceptation des représentations des prestataires à tous les niveaux, libéralisme que demande d’ailleurs l’article 86 [maintenant l’article 66 de la Loi sur le MEDS] de la Loi.

Cela dit, il reste néanmoins une condition fondamentale pour l’acceptation par un arbitre d’une preuve nouvelle, c’est que cette preuve soit essentielle (" material ") en ce sens qu’elle est susceptible d’avoir une influence majeure sur la solution du litige, sinon d’en imposer une solution complète.

[22] Essentiellement, la décision Dubois a soutenu qu’en tant que tribunal administratif chargé de rendre des décisions relatives aux prestations, la preuve devrait être admise devant un juge-arbitre de la façon la moins officielle possible dans l’intérêt de la justice et afin de permettre au tribunal d’utiliser ses ressources de la façon la plus efficace qu’il soit. Je souligne que bien que tous les membres du Tribunal reçoivent une formation exhaustive et que tous les membres de la division d’appel sont des avocats, la plupart des membres de la division générale, tout comme ceux du Conseil, ne sont pas des avocats et ne possèdent donc aucune formation juridique.

[23] Si le Tribunal rejetait un appel à la division d’appel et forçait un appelant à remplir une demande d’annulation ou de modification, cela augmenterait considérablement le temps et les ressources utilisés. Cela entraînerait une diminution du nombre d’affaires instruites par les membres du Tribunal et ne ferait avancer les intérêts de la justice d’aucune façon. Ceci s’avère d’autant que, dans plusieurs cas, les faits nouveaux sont admis par consentement. Je constate également que pour certains appels, il n’est pas possible de soumettre une demande d’annulation ou de modification en raison du délai maximal d’un an pour soumettre une telle demande.

[24] L’une de ces situations a été traitée par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Shahid, (2013) CAF 145. Dans ce cas, la Cour a déclaré au paragraphe 3 ce qui suit :

La preuve dont disposait le conseil arbitral (le conseil) quant à la première condition [le droit à la prestation fiscale canadienne pour enfants] était insuffisante. Cette lacune a été corrigée par [l’appelant], qui a présenté au juge-arbitre de nouveaux éléments de preuve documentaire. Il aurait été préférable que le juge-arbitre renvoie les nouveaux éléments de preuve au conseil pour réexamen de la décision antérieure. Toutefois, puisqu’il est admis que les nouveaux éléments de preuve établissaient l’admissibilité [de l’appelante] à la PFCE au moment en cause, nous ne sommes pas disposés à annuler la décision du juge-arbitre pour ce motif d’ordre procédural.

[25] Je note que la Cour n’avait aucune objection à accepter de nouveaux éléments de preuve qui n’auraient peut-être même pas été considérés comme des faits nouveaux, et que la Cour fait référence à toute contestation de la preuve qui n’est pas renvoyée au Conseil en tant que « motif procédural » d’appel.

[26] Dans un sens général, cette approche a été codifiée dans le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, et énonce ce qui suit :

3(1) Le Tribunal :

  1. a) veille à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent;
  2. b) peu, s’il existe des circonstances spéciales, modifier une disposition du présent règlement ou exempter une partie de son application.

4 À la demande déposée par une partie auprès du Tribunal, celui-ci peut déterminer la règle applicable à toute question relative à l’instance...

[27] Si nous laissons de côté les problèmes relatifs aux nouveaux éléments de preuve pour le moment, il ne fait aucun doute que le Parlement voulait que le Tribunal supervise l’administration de la Loi d’une manière compatible avec les sentiments exprimés par la Cour dans Dubois et Shahid. En effet, la Cour fédérale a exprimé des points de vue semblables au sujet d’équité procédurale dans la décision Bossé c. Canada (Procureur général), (2015) CF 1142, au paragraphe 33 :

[traduction] Afin de cerner l’étendue des règles d’équité procédurale il faut par ailleurs tenir compte de l’objet de la Loi, de la nature des droits en cause, des contraintes opérationnelles du Tribunal, de la clientèle particulière de ce dernier et de tout autre facteur pertinent. Compte tenu du volume élevé de dossiers qu’entend le Tribunal, il faut lui reconnaître une certaine souplesse administrative, sans que soit compromis l’objectif d’excellence qu’il s’est également fixé avec d’autres objectifs tout aussi louables (accessibilité, efficacité et rapidité)…

[28] Cependant, il est important de noter que la Cour d’appel fédérale a également été très claire sur le fait que l’introduction de faits nouveaux devrait se faire qu’en de rares occasions. Je répète encore une fois que ce n’est pas notre rôle d’entendre un appel de novo ou de requérir une nouvelle audition d’appel au fond de l’affaire. Les faits nouveaux devraient être admis seulement si ceux-ci ont un impact majeur sur le résultat de l’appel.

[29] Si la division d’appel autorisait l’admission de faits nouveaux sur une base régulière, cela irait à l’encontre du rôle de la division d’appel qui est de superviser et de donner des directives à la division générale. Aussi, le processus deviendrait impossible à gérer en raison du grand nombre de documents qui afflueraient, sans aucun doute.

[30] Pour en revenir au fait de cette affaire, comme mentionné plus haut, la Commission a elle-même présenté une nouvelle preuve qui établit son propre défaut d’exercer sa discrétion correctement. Ayant examiné les plaidoyers, et en notant l’entente entre les parties, je suis d’accord avec elles qu’il serait dans l’intérêt de la justice d’admettre cette nouvelle preuve et de rendre la décision qu’elles ont proposée.

[31] Par conséquent, je conclus que la Commission n’a pas correctement exercé sa discrétion en appliquant l’article 52 de la Loi. Si elle l’avait fait, la date juste de l’inadmissibilité aurait été le 2 mars 2014. La décision de la division générale est donc modifiée en conséquence.

Conclusion

[32] Pour les motifs qui précèdent et sur consentement, l’appel est accueilli. La décision de la division générale est modifiée conformément à ces motifs.

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