Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Introduction

[2] En date du 14 mai 2015, la division générale du Tribunal a conclu que :

  • L’Appelant n’avait pas subi un arrêt de rémunération conformément au paragraphe 14 (1) du Règlement sur l’assurance-emploi (le « Règlement »);
  • L’inadmissibilité imposée aux termes des articles 9 et 11 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi ») et du paragraphe 30 du Règlement était fondée parce que l’Appelant n’avait pas prouvé son état de chômage.

[3] L’Appelant a déposé une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel en date du 15 juin 2015. Permission d’en appeler a été accordée par la division d’appel en date du 3 juillet 2015.

Mode d'audience

[4] Le Tribunal a déterminé que l’audience de cet appel procéderait par téléconférence pour les raisons suivantes:

  • la complexité de la ou des questions en litige;
  • du fait que la crédibilité des parties ne figurera probablement pas aux questions courantes;
  • l’information au dossier, y compris la nécessité d’obtenir des informations supplémentaires;
  • de la nécessité de procéder de la façon la plus informelle et rapide possible selon les critères des règles du Tribunal de la sécurité sociale en ce qui a trait aux circonstances, l’équité et la justice naturelle.

[5] Lors de l’audience, l’Appelant était présent et représenté par Sylvain Bergeron. L’Intimée était représentée par Manon Richardson.

La loi

[6] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) la division générale a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) la division générale a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Questions en litige

[7] Le Tribunal doit décider si la division générale a erré en fait et en droit en concluant que :

  • L’Appelant n’avait pas subi un arrêt de rémunération conformément au paragraphe 14 (1) du Règlement;
  • L’inadmissibilité imposée aux termes des articles 9 et 11 de la Loi et du paragraphe 30 du Règlement était fondée parce que l’Appelant n’avait pas prouvé son état de chômage.

Arguments

[8] L’Appelant soumet les motifs suivants au soutien de son appel:

  • La division générale réfute l'article 9.001 qui définit les démarches habituelles et raisonnables de recherche d'emploi. Elle lui donne un critère non inscrit dans l'article et va à l'encontre de la jurisprudence qui nous rappelle qu'il n'y a rien dans les textes législatifs qui régit la présentation du relevé de recherche d'emploi;
  • La division générale prend plusieurs pages à analyser les six questions servant à déterminer l'assurabilité d'un emploi. Ceci va à l'encontre des règles de droits qui précisent que les critères à déterminer le travail autonome relève de trois articles du Code civil du Québec (2085, 2098 et 2099). Le contrat de travail et le contrat d'entreprise sont deux contrats distincts;
  • La jurisprudence démontre qu'il faut faire une différence entre le moment ou le prestataire est un employé ou le propriétaire d'une compagnie;
  • La division générale affirme qu'il y a un lien de dépendance sans pour autant que l'on puisse retrouver dans son analyse les questions servant à déterminer le lien de dépendance sauf les expériences de travail passées de l’Appelant qui pourtant n'est pas un critère établi;
  • Puisque la division générale a erré en fait et en droit, il y a lieu pour la division d’appel d’intervenir afin de rendre la décision qui aurait dû être rendue.

[9] L’Intimée soumet les motifs suivants à l’encontre de l’appel de l’Appelant:

  • La division générale n’a pas erré en droit ou en fait, et elle a correctement exercé sa compétence;
  • La preuve au dossier a révélé que l’Appelant n'a pas subi d'arrêt de rémunération, au sens de la Loi, puisqu'il bénéficiait de l'usage du camion de la compagnie et d'un téléphone cellulaire;
  • Les décisions de la Cour d’appel fédérale concernant la question d’un arrêt de rémunération sont constantes. Un arrêt de rémunération se produit lorsqu’un prestataire est licencié ou cesse d’être au service de son employeur et qu’il ne travaille pas ou ne reçoit aucune rémunération provenant de cet emploi pendant une période d’au moins sept jours consécutifs;
  • Dans le CUB 61718B, le juge-arbitre a déclaré que l'usage d'un camion de la compagnie et l'utilisation d'un téléphone cellulaire constitue un avantage de la nature d'une rémunération. Il a confirmé la décision du conseil arbitral à l'effet que le prestataire n'avait pas subi d'arrêt de rémunération au sens de la Loi;
  • La division générale n’avait pas à statuer en fonction du Code civil du Québec, elle doit rendre une décision en fonction de la Loi sur l’assurance- emploi seulement. La question de la disponibilité n’a pas d’impact sur la question sur l’arrêt de rémunération;
  • L’Intimée a évalué la possibilité de défalquer le trop payé, mais l’Appelant ne rencontre pas l’alinéa 56 (2) b) iii), car il ne s’est pas écoulé plus de 12 mois depuis que l’Appelant a reçu des prestations.

Normes de contrôle

[10] Les parties n’ont fait aucune représentation concernant la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision de la division générale.

[11] Bien que le mot « appel » soit utilisé dans l'article 113 de la Loi (anciennement l'article 115 de la Loi) pour décrire la procédure introduite devant la division d’appel, la compétence de la division d’appel est pour l'essentiel identique à celle qui était anciennement conférée aux juges-arbitres et qui est conférée à la Cour d'appel fédérale par l'article 28 de la Loi sur les Cours fédérales. La procédure n'est donc pas un appel au sens habituel de ce mot, mais un contrôle circonscrit - Canada (PG) c. Merrigan, 2004 CAF 253.

[12] Le Tribunal est d’avis que le degré de déférence que la division d’appel devrait accorder aux décisions de la division générale devrait être cohérent avec le degré de déférence qui était accordé aux décisions des anciens conseils arbitraux en appel, devant un juge-arbitre en matière d'assurance-emploi.

[13] La Cour d’appel fédérale a statué que la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision d’un conseil arbitral (maintenant la division générale) et d’un juge-arbitre (maintenant la division d’appel) relativement à des questions de droit est la norme de la décision correcte et que la norme de contrôle applicable aux questions mixte de fait et de droit est celle du caractère raisonnable - Martens c. Canada (PG), 2008 CAF 240, Canada (PG) c. Hallée, 2008 CAF 159.

Analyse

État de chômage

[14] Dans une entrevue en date du 26 mars 2014, l’Appelant déclare détenir 40% des parts dans deux entreprises. Il agit à titre de gérant du magasin de X et il vend des piscines, des spa, des gazebos et des produits chimiques depuis une vingtaine d’années. Il fait de tout dans l’entreprise. Il déclare qu’il est associé avec ses deux frères. Il signe les chèques, effectue les dépôts, et s’occupe des factures pour l'entreprise Piscines Pro à X. Il se verse un salaire chaque semaine et gagne environ 30,000.00$ par année. Il déclare que pour ce qui est de l'entreprise à X, il a une quinzaine d'employés durant la grosse saison, soit mai, juin et juillet et il déclare qu'il a 9 employés durant la saison tranquille alors qu’il recoit des prestations.

[15] Il mentionne que les bâtiments de X appartiennent à la compagnie. L’entreprise fait de la publicité à la radio et dans les circulaires. Il déclare que l’entreprise a emprunté auprès d’institutions financière au début et pour longtemps. Les prêts sont garantis par la bâtisse de l’entreprise et par l’inventaire. La compagnie a une marge de crédit de 400 000$.

[16] Il déclare que durant la grosse période de l'année il travaille un bon 50 heures par semaine. Et, lorsqu'il est en chômage, il déclare qu'il y consacre un 10 heures par semaine, pas plus. Il est celui qui engage les employés de X. Il est responsable du fonctionnement journalier de l’entreprise et il s’occupe des achats avec son frère.

[17] En date du 7 août 2014, l’Intimée informe l’Appelant qu’il ne peut recevoir des prestations d'assurance-emploi à partir du 9 décembre 2013 puisqu’il exploite une entreprise et qu’il ne peut être considéré en chômage.

[18] En date du 4 février 2015, l’Agence du Revenu du Canada (ARC) a rendu une décision quant à l'assurabilité de l'emploi de l’Appelant au sein de l'entreprise Crystal Loisirs Inc. II a été déterminé que son emploi était assurable pour la période du 3 mars 2014 au 20 décembre 2014. Cette décision n’a pas fait l’objet d’un appel.

[19] Devant le Tribunal, le procureur de l’Appelant plaide essentiellement que l’Intimée ne peut procéder à l’application de l’article 30 du Règlement et conclure que l’Appelant exploite une entreprise alors qu’il a été décidé par l’ARC que durant la période en litige, il était un employé et que son emploi auprès de Crystal Loisirs Inc. était assurable en vertu de l'alinéa 5(l)a) de la même Loi.

[20] Le Tribunal se doit de suivre les enseignements de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada c. D’Astoli, 1997 CanLII 5609 (FCA), qui a déjà spécifiquement répondu à la question soulevée dans le cadre du présent appel.

[21] Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale nous instruit que l’Intimée doit franchir deux opérations successives lorsqu’elle étudie une demande de prestations d’assurance-emploi d’un prestataire.

[22] Elle doit d’abord déterminer si le prestataire occupait un emploi assurable pendant la période de référence et par la suite établir une période de prestations pour le prestataire pendant laquelle son admissibilité sera vérifiée.

[23] Une fois la première étape concernant l’assurabilité du prestataire franchie, l’Intimée doit établir à son profit une période de prestations et des prestations lui sont dès lors payables, pour chaque semaine de chômage comprise dans la période de prestations (article 9 de la Loi). Une semaine de chômage, pour un prestataire, est une semaine pendant laquelle il n’effectue pas une semaine entière de travail (article 11 de la Loi).

[24] Le paragraphe 30(1) du Règlement prévoit que le prestataire est considéré comme ayant effectué une semaine entière de travail lorsque, durant la semaine, il exerce un emploi à titre de travailleur indépendant ou exploite une entreprise soit à son compte, soit à titre d’associé ou de cointéressé, ou lorsque, durant cette même semaine, il exerce un autre emploi dans lequel il détermine lui-même ses heures de travail. Le paragraphe 30(2) du Règlement prévoit que lorsque le prestataire exerce un emploi ou exploite une entreprise selon le paragraphe (1) dans une mesure si limitée que cet emploi ou cette activité ne constituerait pas normalement le principal moyen de subsistance d’une personne, il n’est pas considéré, à l’égard de cet emploi ou de cette activité, comme ayant effectué une semaine entière de travail.

[25] L’assurabilité et l’admissibilité aux prestations sont deux facteurs que l’Intimée doit évaluer eu égard à deux périodes différentes. Le Parlement a décidé que l’analyse des deux facteurs en questions se ferait selon des règles différentes lesquelles ne doivent pas être mélangées, le processus d’assurabilité étant distinct de celui de l’admissibilité.

[26] Nul doute que la question de l’assurabilité doit être décidé par l’ARC selon les termes de l’article 90 de la Loi, et par la Cour Canadienne de l’impôt en cas d’appel, et se réfère à la période de référence, alors que la question d’admissibilité doit être décidée par l’Intimée et par la division générale en cas d’appel, et se réfère à la période de prestations.

[27] Le Tribunal en vient à la conclusion que la décision sur l’assurabilité de l’ARC ne peut lier l’Intimée sur la question de l’admissibilité aux prestations et que l’Intimée peut procéder à l’application de l’article 30 du Règlement et conclure que l’Appelant exploite une entreprise pendant sa période de prestations.

Arrêt de rémunération

[28] Le second reproche de l’Appelant est à l'effet que la division générale aurait erré en concluant que l’Appelant n’avait pas subi d’arrêt de rémunération selon le paragraphe 14 (1) du Règlement et que par ce fait, il ne remplit pas les conditions requises pour l’établissement d’une demande de prestations, telles que présentées au paragraphe 7 (2) de la Loi.

[29] Plus précisément, la division générale aurait erré en concluant que l’Appelant a continué à recevoir une rémunération de son employeur au sens de l’alinéa 35 (10) d), par l’utilisation du téléphone cellulaire et l’usage d’un véhicule de l’entreprise.

[30] Le paragraphe 14 (1) du Règlement prévoit ce qui suit :

  1. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), un arrêt de rémunération se produit lorsque, après une période d'emploi, l'assuré est licencié ou cesse d'être au service de son employeur et se trouve à ne pas travailler pour cet employeur durant une période d'au moins sept jours consécutifs à l'égard de laquelle aucune rémunération provenant de cet emploi, autre que celle visée au paragraphe 36 (13), ne lui est payable ni attribuée.

[31] Les alinéas (2) et (10) du paragraphe 35 du Règlement indiquent :

  1. (2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, la rémunération qu’il faut prendre en compte pour vérifier s’il y a eu l’arrêt de rémunération visé à l’article 14 et fixer le montant à déduire des prestations à payer en vertu de l’article 19, des paragraphes 21(3), 22(5), 152.03(3) ou 152.04(4), ou de l’article 152.18 de la Loi, ainsi que pour l’application des articles 45 et 46 de la Loi, est le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi, notamment :
  2. (10) Pour l’application du paragraphe (2), « revenu » vise notamment :
  3. d) dans tous les cas, la valeur de la pension, du logement et des autres avantages accordés au prestataire à l’égard de son emploi par son employeur ou au nom de celui-ci.

[32] Dans une entrevue tenue le 8 avril 2014, l’Appelant a déclaré qu’il utilisait un véhicule enregistré au nom de l’entreprise et payée par celle-ci depuis l’ouverture de l’entreprise pour lui et pour la compagnie. Il déclare également utiliser un cellulaire enregistré au nom de l’entreprise qui est payé par l’entreprise à des fins personnelles et pour l’entreprise. Il déclare qu’il a toujours son cellulaire en sa possession afin que ses employés puissent le rejoindre ou pour répondre aux clients et que le cellulaire est également utilisé à des fins personnelles (GD3-27-28)

[33] Dans une entrevue tenue le 20 mai 2014, l’Appelant déclare qu'il prend le camion pour voyager tout le temps. Il déclare qu'il prenait sa voiture seulement dans les grosses bourrées d'ouvrage, soit durant la grosse saison. Ainsi, il déclare qu'étant donné que le camion sert aux livraisons entre mai et juillet, il lui arrive de prendre sa voiture pour se voyager durant cette période. Sinon, il déclare qu'il prend toujours son camion pour se voyager pour son usage personnel (GD3-29).

[34] Dans une entrevue datée du 26 mars 2014, l’Appelant a déclaré qu’il consacrait durant la grosse période de l'année 50 heures par semaine. Et, lorsqu'il est en chômage, il déclare qu'il y consacre environ 10 heures par semaine (GD3-22).

[35] Il réitère ce fait le 26 septembre 2014 lorsqu’il mentionne à l’agent de révision qu’«il travaille au maximum 10 heures par semaine lorsqu'il est en chômage. Son horaire de travail n'est jamais pareil. Habituellement, il va au magasin et travaille 2 heures par jour. Cependant, il y a des journées où il n'y va pas du tout. Il est le responsable du fonctionnement journalier de l'entreprise » (GD3-35).

[36] En conséquence, il ne fait pas de doute pour le Tribunal que l'utilisation par l'Appelant d'un camion et d’un cellulaire fournis par son employeur constitue un avantage qu'il reçoit de cet employeur et donc un revenu et une rémunération assurable au sens de la Loi et du Règlement.

[37] Tel que décidé par la division générale, l'usage du camion et du cellulaire de la compagnie empêche l'arrêt de rémunération tel que prescrit par le Règlement. En effet, l'usage du camion et du cellulaire possède le caractère d'un lien avec le travail effectué par l’Appelant pour l’employeur.

[38] L’Appelant plaide que la division générale a ignoré son témoignage lors de l’audience. Il ressort plutôt de la décision de la division générale que celle-ci n’a manifestement pas donné foi au témoignage de l’Appelant sur la question de l’usage du camion et du paiement tardif du cellulaire puisque le témoignage de l’Appelant devant la division générale étaient en contradiction avec ses propres déclarations initiales.

Compétence et rôle du Tribunal

[39] Le Tribunal n'est pas habilité à juger de nouveau une affaire ni à substituer son pouvoir discrétionnaire à celui de la division générale. Les compétences du Tribunal sont limitées par le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social. À moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'il ait erré en droit ou qu'il ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l'appel.

[40] Dans l'arrêt Le Centre de valorisation des produits marins de Tourelle Inc. (A- 547-01), le juge Létourneau indiquait que le rôle du Tribunal se limite « à décider si l'appréciation des faits par le conseil arbitral (maintenant la division générale) était raisonnablement compatible avec les éléments portés au dossier ».

[41] Le Tribunal en vient à la conclusion que la décision de la division générale repose sur les éléments de preuve portés à sa connaissance, et qu’il s’agit d’une décision raisonnable qui est conforme aux dispositions législatives et à la jurisprudence.

[42] Rien ne justifie l’intervention du Tribunal sur les questions en litige.

Conclusion

[43] L’appel est rejeté.

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