Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Introduction

[1] Le 18 décembre 2015, la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal) a accordé la permission d’en appeler au motif d’un manquement à la justice naturelle, d’erreurs de droit et de conclusions de fait erronées. La décision de la division générale faisant l’objet d’un appel concerne le refus d’accorder un délai supplémentaire à l’appelant pour déposer un appel devant la division générale.

[2] Le Tribunal a sollicité les observations des parties sur le mode d’audience et la pertinence de tenir une audience, ainsi que sur le bien-fondé de l’appel.

[3] L’appelant a indiqué par écrit qu’il n’avait pas d’autres observations à déposer.

[4] L’intimée a déposé des observations demandant que la division d’appel rejette sur le fond l’appel interjeté par l’appelant ou que l’affaire soit renvoyée à la division générale.

[5] Cet appel a été instruit sur la foi du dossier pour les raisons suivantes :

  1. L’absence de complexité de la ou des questions faisant l’objet de l’appel.
  2. L’exigence, en vertu du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[6] À la lumière des observations des parties, la tenue d’une audience devant la division d’appel n’est pas nécessaire.

Questions en litige

[7] Il s’agit de déterminer si la division générale a commis une erreur de droit ou un manquement à la justice naturelle, ou si elle a tiré des conclusions de fait erronées pour rendre sa décision.

[8] Il faudra également déterminer s’il convient, pour la division d’appel, de rejeter l’appel, de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, ou encore de confirmer, d’infirmer ou de modifier la décision de la division générale.

Droit applicable et analyse

[9] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) la division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ;
  3. c) la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] La permission d’en appeler a été accordée pour la raison que l’appelant avait exposé des motifs correspondant aux moyens d’appel énumérés ci-dessus et qu’au moins l’un de ces motifs conférait à l’appel une chance raisonnable de succès, en l’occurrence les motifs ayant trait aux moyens d’appel prévus aux alinéas 58(1)a), b) et c) de la Loi sur le MEDS.

[11] Voici plus précisément ce qu’indiquait la décision accordant la permission d’en appeler :

[20] La décision de la DG fait référence à la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 883, ainsi qu’aux arrêts Muckenheim c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), 2008 CAF 249; Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41; et Fancy c. Canada (Ministre du Développement social), 2010 CAF 63.

[21] Toutefois, il ne suffit pas de simplement citer la jurisprudence et nommer correctement le ou les critères juridiques pertinents; il faut aussi les appliquer correctement. La DG doit nommer correctement le ou les critères juridiques pertinents et appliquer le droit aux faits. Elle doit aussi respecter les principes d’équité procédurale.

[…]

[24] La décision de la DG se conclut ainsi :

[26] Le prestataire n’a pas rempli trois des critères à satisfaire pour qu’un délai supplémentaire puisse être accordé. Il n’a pas montré une intention constante de poursuivre l’appel, sa cause n’était pas défendable, et il n’a pas fourni d’explication raisonnable pour son retard.

[27] Aucun délai supplémentaire n’est accordé pour le dépôt de l’appel.

[25] Bien que la DG ait fait référence à l’affaire Larkman, elle ne semble pas s’être demandé si une prorogation servirait l’intérêt de la justice. La division générale semble plutôt avoir appliqué de façon machinale les facteurs établis dans l’affaire Gattellaro, ce qui constituerait une erreur de droit le cas échéant. En outre, je trouve préoccupant le fait que la division générale ait conclu de façon aussi sommaire que l’appel n’était pas fondé.

[26] L’argument du demandeur selon lequel son appel n’a pas été déposé en retard laisse entendre que des conclusions de fait erronées ont été tirées. La DG a jugé que l’appel avait été déposé en retard. Il vaudrait aussi la peine de se pencher davantage sur le fait que la DG a conclu que rien ne montrait des communications autres qu’un appel incomplet, qu’aucun élément de preuve n’indiquait l’intention constante du demandeur de poursuivre l’appel, et qu’aucune explication raisonnable n’avait été fournie pour le retard. Ces conclusions ne semblent pas concorder avec le dossier de la DG tel que présenté aux paragraphes 3 à 9 ci-dessus.

[27] L’affirmation du demandeur selon laquelle la DG n’a pas observé un principe de justice naturelle mérite aussi un examen plus approfondi.

[28] La Cour fédérale, dans la décision récente Canada (P.G.) c. Bossé, 2015 CF 1142, a souligné que la question de la justice naturelle, et plus particulièrement un bris à l’équité procédurale, était un élément déterminant dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire du refus d’une permission d’en appeler par la DA. La Cour a critiqué certains formulaires du Tribunal, les instructions les accompagnant et les conseils que donne le Tribunal aux demandeurs et appelants. La Cour fédérale a établi qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale dans la façon dont le Tribunal avait traité la demande de M. Bossé.

[29] Dans la présente affaire, le demandeur a tenté de compléter son appel en fournissant, le 25 mars 2015, une copie de la décision de révision à un Centre Service Canada, huit jours après la date de la lettre du Tribunal lui demandant de le faire « sans délai ». Le 24 avril 2015, il a téléphoné au Tribunal pour avoir la confirmation que le document avait été reçu du Centre Service Canada et a appris que ce n’était pas le cas. Le 27 avril 2015, il a envoyé par télécopieur une copie de la décision de révision où SC avait apposé la date.

[30] Quelques semaines plus tard, le Tribunal a informé le demandeur que son appel était en retard et qu’il incomberait à un membre du Tribunal de décider si un délai supplémentaire devait être accordé. Le demandeur n’a pas été invité à déposer des observations concernant un délai supplémentaire ni à fournir une explication du retard. Il a toujours soutenu que son avis d’appel n’était pas en retard et qu’il avait soumis la décision de révision quelques jours après avoir appris qu’il devait la fournir pour compléter son appel.

[31] Le traitement par le Tribunal de l’appel interjeté par l’appelant devant la DG permet raisonnablement d’avancer qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale et à la justice naturelle.

[12] L’intimée soutient que le délai supplémentaire aurait dû être accordé par la division générale. Elle affirme cependant que l’affaire ne présente aucune chance raisonnable de succès et indique que la division d’appel devrait rejeter l’appel sur le fond ou renvoyer l’affaire à la division générale.

[13] La division générale a conclu que l’appelant n’a pas montré une intention constante de poursuivre l’appel d’après l’absence de preuve de toute communication de la part de l’appelant entre le 17 février 2015 (demande de révision) et le 27 avril 2015 (appel complété), à l’exception d’un appel incomplet. Cette conclusion était cependant erronée. L’avis d’appel incomplet a été déposé devant la division générale le 4 mars 2015. Le Tribunal a ensuite envoyé une lettre à l’appelant le 17 mars 2015 pour l’informer que son appel était incomplet. Dès qu’il a reçu cette lettre envoyée par courrier régulier, l’appelant a soumis les informations manquantes auprès d’un Centre Service Canada, le 25 mars 2015. L’appelant a téléphoné au Tribunal afin de s’assurer que le document avait été reçu, et lorsque le Tribunal a répondu par la négative, l’appelant lui a transmis le document de nouveau, par télécopieur. Le document manquant a été estampillé par le Tribunal le 27 avril 2015; il porte également l’estampille de Service Canada datée du 25 mars 2015.

[14] La division générale a conclu que l’appelant n’avait pas fourni d’éléments de preuve justifiant le délai du dépôt de son appel auprès du Tribunal. Cette conclusion était, elle aussi, erronée. L’appelant a toujours soutenu que sa demande n’accusait pas de retard. Les communications qui ont eu lieu en mars et en avril 2015 étaient des tentatives de l’appelant pour fournir les informations manquantes au Tribunal, et la série d’événements qui s’ensuivit explique le délai avant que la demande ait été complétée. L’appelant et le Tribunal ont communiqué par téléphone et tenté de le faire à maintes reprises au cours des mois de mai, juin, et juillet 2015.

[15] La division générale a conclu que l’appelant n’avait pas de cause défendable. Cependant, aucune analyse n’a été faite sur le fond du litige. La division générale a simplement affirmé que « [l]a cause du prestataire n’était pas défendable. » Une décision doit être étayée par des motifs compréhensibles et suffisamment détaillés, et fondée sur l’explication logique qui en découle.

[16] La division générale a appliqué de façon machinale les facteurs établis dans l’arrêt Gattellaro, supra, ce qui constitue une erreur de droit. Les conclusions de fait qu’a tirées la division générale concernant l’intention constante d’interjeter appel et l’explication du délai étaient erronées.

[17] Par conséquent, la division générale a rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, et sur des erreurs de droit. Il n’est pas nécessaire que je détermine si un manquement aux principes d’équité procédurale a été commis dans la façon dont le Tribunal a traité l’appel de l’appelant devant la division générale.

[18] Le paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS prescrit les pouvoirs de la division d’appel :

La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

[19] À la lumière des observations des parties, de mon examen de la décision de la division générale et du dossier d’appel, j’accueille l’appel. Comme cet appel n’a pas été instruit sur le fond et que les parties pourraient être appelées à produire des éléments de preuve, il convient qu’une audience soit tenue devant la division générale.

Conclusion

[20] L’appel est accueilli. L’affaire sera renvoyée à la division générale du Tribunal pour réexamen.

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