Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Motifs et décision

Comparution et mode d’audience

[1] Le Tribunal a tenu une audience par vidéoconférence à Chicoutimi le 1er décembre 2015 pour les motifs énoncés dans l’avis d’audience daté du 23 septembre 2015, soit en raison de la complexité de la question en litige, de l’information au dossier y compris la nécessité d’obtenir des informations supplémentaires et du fait que la crédibilité puisse être une question déterminante.

[2] L’appelant, Monsieur C. G., était présent à l’audience et accompagné de Monsieur R. D.

[3] La Commission intimée ne s’est pas présentée à l’audience.

Introduction – exposé des faits et procédures

[4] L’appelant a établi une demande de prestations d’assurance-emploi à compter du 15 mars 2009.

[5] Après enquête, la Commission a avisé le 13 juin 2012 qu’elle avait procédé au réexamen du dossier et a conclu qu’à compter du 16 mars 2009, l’appelant ne démontrait pas être en chômage. Une inadmissibilité a été imposée conformément aux articles 9 et 11 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi ») et à l’article 30 du Règlement sur l’assurance-emploi (le « Règlement »).

[6] L’appelant en a appelé de cette décision de la Commission le 27 juin 2012, devant un Conseil arbitral qui, le 17 octobre 2012, a conclu que l’appelant n’avait pas démontré être en chômage.

[7] L’appelant a déposé un appel de la décision du Conseil arbitral devant le Juge-arbitre le 17 décembre 2012. Cet appel a été transféré du bureau du Juge-arbitre à la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale, la permission d’en appeler étant réputée avoir été accordée par le Tribunal en date du 1er avril 2013 conformément à la Loi sur l’Emploi, la croissance et la prospérité durable de 2012. Le 27 septembre 2013, la Division d’appel du Tribunal a accueilli l’appel et retourné le dossier à la Division générale du Tribunal pour une nouvelle audition, au motif que le Conseil arbitral a exigé de façon erronée que le standard de la preuve soit établi hors de tout doute raisonnable et qu’il n’a pas appliqué le standard de la preuve à la question qui lui était présentée.

[8] Le 26 mars 2014, la Division générale du Tribunal a conclu que l’inadmissibilité qui avait été imposée à l’appelant était fondée parce qu’il n’avait pas prouvé être en chômage.

[9] Le 30 avril 2014, l’appelant déposait une demande de permission d’en appeler de cette dernière décision devant la Division d’appel du Tribunal, permission d’appeler qui a été accordée le 5 février 2015.

[10] Le 18 juin 2015, la Division d’appel du Tribunal entendait cet appel, l’a accueilli et retourné la cause à la Division générale pour une nouvelle audition, aux motifs que l’audience aurait dû être ajournée en raison de l’absence d’enregistrement pour bris d’équipement, qu’il semble que la décision ne contenait pas la preuve présentée et que les dispositions de la Loi et du Règlement pouvaient ne pas avoir été interprétés et appliqués correctement et parce que si la Division d’appel soupçonne qu’un prestataire s’est vu nier le droit à ce que justice soit rendue de façon claire et manifeste, il faut ordonner que la question soit renvoyée à la Division générale du Tribunal.

[11] La présente décision fait suite à cette nouvelle audience ordonnée par la Division d’appel et tenue, tel que susdit, le 1er décembre 2015.

Question en litige

[12] L’appelant était-il en état de chômage au sens des articles 9 et 11 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi ») et de l’article 30 du Règlement sur l’assurance-emploi (le « Règlement ») à compter du 16 mars 2009?

Droit applicable

[13] L’article 9 de la Loi sur l’Assurance-emploi (la « Loi ») prévoit que lorsqu’un assuré remplit les conditions requises par l’article 7 de la Loi pour formuler une demande de prestations, des prestations lui sont payables pour chaque semaine de chômage comprise dans la période de prestations.

[14] Selon l’article 11(1) de la Loi, une semaine de chômage est une semaine pendant laquelle un prestataire n’effectue pas une semaine entière de travail.

[15] L’article 30(1) du Règlement sur l’assurance-emploi (le « Règlement ») prévoit qu’un prestataire est considéré comme ayant effectué une semaine entière de travail lorsque, durant la semaine, il exerce un emploi à titre de travailleur indépendant ou exploite une entreprise soit à son compte, soit à titre d’associé ou de cointéressé, ou lorsque, durant cette même semaine, il exerce un autre emploi dans lequel il détermine lui-même ses heures de travail.

[16] Le paragraphe 2 de cet article 30 du Règlement stipule que « Lorsque le prestataire exerce un emploi ou exploite une entreprise selon le paragraphe (1) dans une mesure si limitée que cet emploi ou cette activité ne constituerait pas normalement le principal moyen de subsistance d’une personne, il n’est pas considéré, à l’égard de cet emploi ou de cette activité, comme ayant effectué une semaine entière de travail. »

[17] Le paragraphe 3 de l’article 30 du Règlement énumère six (6) facteurs à considérer pour déterminer si un travail autonome s’exerce dans une mesure limitée ou non. Il s’agit : 1- du temps consacré à l’entreprise; 2- de la nature, du montant de capital et des autres ressources investis; 3- de la réussite ou de l’échec financiers de l’emploi ou entreprise; 4- du maintien de l’emploi ou entreprise; 5- de la nature de l’emploi ou entreprise; 6- de l’intention et la volonté du prestataire de chercher et d’accepter sans tarder un autre emploi.

[18] L’article 52(1) de la Loi sur l’Assurance-emploi permet à la Commission de réexaminer un dossier dans les 36 mois suivant le moment où des prestations ont été payées ou devenues payables. Selon le paragraphe (5) de ce même article 52, lorsque la Commission estime qu’une déclaration fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestations, le délai de réexamen du dossier peut être prolongé jusqu’à 72 mois suivant le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables.

Preuve

Preuve au dossier

[19] Pour faire établir sa demande de prestations, l’appelant a soumis un relevé d’emploi provenant de Gardium Sécurité Inc. pour qui il a travaillé du 12 juillet 2008 au 12 mars 2009.

[20] Dans le cadre de l’enquête effectuée par la Commission, une vérification au Registre des Entreprises du Québec a révélé que l’appelant était propriétaire d’une entreprise individuelle opérée sous le nom de « Salon de quilles C. G. » à X, était actionnaire et administrateur unique de 9205-5110 Québec Inc. opérée sous le nom de Salon de quilles X, ainsi qu’actionnaire et administrateur unique de 9205-5144 Québec Inc., entreprise restaurant-bar opérée sous le nom de Station du Quilleur.

[21] Un enquêteur de la Commission a rencontré l’appelant les 17 novembre 2010, 26 octobre, 2 et 8 novembre 2011. Les rapports d’informations et rapport d’entrevue sur l’enquête se trouvant au dossier indiquent que :

  1. L’appelant confirme qu’il a deux (2) entreprises incorporées pour l’exploitation de salon de quilles, un à X Station appartenant à 9205-5144 Québec Inc. et l’autre à X appartenant à 9205-5110 Québec Inc.
  2. L’entreprise individuelle Salon de quilles C. G. à X a été incendiée en 2008. Suite à l’incendie, les indemnités d’assurance ont été réinvesties dans le même domaine, pour éventuellement récupérer un possible gain de capital fiscal, en achetant début décembre 2008 le salon de quilles d’X Station et celui de X le 31 décembre 2008. Pour le salon de quilles de X, lors de l’achat, il s’était engagé à conserver l’ancien propriétaire et son épouse respectivement comme concierge et employée du restaurant.
  3. Même après l’achat de ces entreprises, l’appelant voulait continuer de travailler comme agent de sécurité, travail qu’il avait déjà occupé dans le passé. Il a déjà travaillé en même temps qu’il s’occupait du salon de quilles de X.
  4. C’est après l’incendie du salon de quilles de X qu’il est entré à l’emploi de Gardium Sécurité Inc., comme superviseur, en juin 2008 jusqu’en mars 2009. En septembre 2009, il a travaillé comme remplaçant d’agent de sécurité pour Fox Sécurité environ une quinzaine d’heures.
  5. Comme l’appelant n’avait pas suffisamment de travail comme agent de sécurité, il a décidé de pousser l’exploitation des salons de quilles pour lequel type d’entreprise, il avait 28 ans d’expérience. L’appelant a déclaré faire surtout de la gestion mais ne s’occupe pas de la comptabilité, cuisine, bar, entretien mécanique ou électronique. Pour le salon de X, il s’occupe de la caisse, de la signature des chèques, des dépôts, des factures, du personnel, du ménage et de la conciergerie. À X Station, il y a une gérante qui s’occupe de ces choses.
  6. Pour le salon de X, le financement provient de la Caisse populaire Desjardins d’Alma. À X Station, le financement provient de l’ancien propriétaire. Les indemnités d’assurance, investissements et emprunts que l’appelant a investis se répartissent 250 000$ à X et 216 000$ à X. Aucune subvention n’a été versée par le Centre Local d’emploi (CLE). Il y a des hypothèques immobilières et une marge de crédit de 10 000$ auprès de la Banque TD.
  7. Pour les entreprises, de la publicité est effectuée à la radio et dans les journaux locaux. L’appelant n’a plus de véhicule appartenant aux entreprises depuis la fin de la location en 2009.
  8. L’ancien propriétaire de X a travaillé jusqu’en août ou septembre. Lorsque l’appelant a pris sa place, il a trouvé que ça ne prenait pas tant de temps que ça. Sept (7) employés en tout travaillent dans les salons et l’appelant ne se compte pas comme employé parce qu’il ne compte pas le temps qu’il consacre à ses entreprises.
  9. Lorsqu’il a racheté les salons de quilles, l’appelant avait un emploi à temps plein comme agent de sécurité. Entre mars 2009 et janvier 2010, il ne s’est pas versé de salaire. Il se verse présentement (novembre 2010) 250$ par semaine et prévoit monter cette année son salaire à 500$ par semaine. Il voudrait bien mettre 100% de son temps dans ses compagnies et pouvoir se payer un salaire. Il travaille à temps plein dans son entreprise. Si, à la fin de l’année, il ne peut pas se verser un salaire, il vendra son entreprise.
  10. Il a toujours travaillé en même temps qu’il s’occupait de son entreprise, à temps partiel ou à temps plein. Il a fait de la recherche d’emploi lorsqu’il recevait des prestations et considère avoir fait ce qu’il avait à faire.
  11. L’appelant n’a pas déclaré son entreprise ou ses gains de travailleur indépendant parce qu’il ne se considérait pas comme un travailleur indépendant. Il a deux compagnies et considérait que c’était différent d’une entreprise. Il ignorait qu’il devait déclarer ses compagnies également.

[22] L’employeur Fox Sécurité Enr. a confirmé que l’appelant avait travaillé pour lui et qu’il avait quitté parce qu’il trouvait qu’il n’avait pas assez d’heures. Il a travaillé du 1er novembre au 5 décembre 2009 pour cet employeur.

[23] L’employeur Gardium Sécurité Inc. a confirmé qu’il n’y a pas eu de rappel à l’emploi après le manque de travail en mars 2009.

[24] La Commission a demandé les bilans annuels des entreprises pour 2009 et 2010 et l’appelant, questionné sur ces bilans, a indiqué qu’il a dû continuer à opérer l’entreprise de X après l’incendie, en parallèle avec celui de X, pour les machines de vidéo poker. Les états des résultats et bilans de Salon de quilles C. G., Salle de quilles X et salon de quilles de X, ont été fournis pour les années 2009 et 2010.

[25] Lorsque l’appelant a fourni les bilans de ses entreprises, il a indiqué que son comptable pouvait être contacté. Lorsque le comptable nommé a été contacté par la Commission, celui-ci a informé qu’il n’était pas officiellement le comptable de l’appelant et que ce dernier allait le voir lorsqu’il avait des problèmes. Le comptable ne peut fournir aucun document pour le salon de X pour l’année 2010 parce que ce n’était plus en opération. Selon lui, le salon d’X aurait été acheté en 2010 et il n’a donc rien avant cette année.

[26] Le 13 juin 2012, la Commission informait l’appelant que sa demande de prestations prenant effet le 15 mars 2009 avait été réexaminée, que des prestations d’assurance-emploi ne pouvaient pas lui être payées à partir du 16 mars 2009 parce qu’il exploitait une entreprise et ne pouvait pas être considéré en chômage.

[27] La Commission a produit des tableaux indiquant les rémunérations à déduire des prestations, incluant des bénéfices nets provenant des entreprises de l’appelant.

[28] L’inadmissibilité imposée par la Commission a causé un trop-payé de 14 733$ à l’appelant.

Preuve à l’audience

[29] Lors de l’audience, l’appelant a fait valoir ses arguments à l’encontre de la décision de la Commission et son témoignage a permis d’ajouter ce qui suit.

[30] L’appelant explique qu’après l’incendie à X en mai 2008, il a dû se trouver un emploi et il a travaillé chez Gardium Sécurité. Même après cet emploi, il était à la recherche d’un autre emploi.

[31] Lorsqu’il a reçu les indemnités d’assurance en octobre 2008, il les a investies. Pour lui, c’était comme investir dans un régime enregistré d’épargne retraite (Reer). Il a investi ces sommes dans des salons de quilles principalement pour des raisons fiscales et parce qu’il avait 28 ans d’expérience comme gestionnaire de ce genre d’entreprise. L’opportunité d’acheter les deux salons était plus facile parce que le domaine des quilles était en déclin. Il avait l’espoir que ses investissements fonctionnent et des travaux de rafraîchissement ont été effectués pour améliorer et protéger ces investissements. Il voulait doubler le chiffre d’affaires. Son rôle était de superviser ses investissements. L’achat de ces salons ne lui créait pas un emploi à temps plein.

[32] Il s’est porté acquéreur des salons de quilles à titre d’investisseur. À X station, les structures étaient en place avec un gérant et une location. Il n’avait donc pas à s’en occuper. Cependant, le locataire qui était en place a remis sa démission en avril 2009. Il a alors sollicité une ancienne gérante pour reprendre les opérations. L’appelant informe le Tribunal que le salon d’X a fermé ses portes en août 2015.

[33] À X, dans l’entente, l’ancien propriétaire et son épouse s’occupaient du salon pour une période de deux (2) ans. Après l’écoulement de ce temps, ceux-ci étaient en âge de prendre leur retraite et d’autres employés ont été engagés pour reprendre ces postes. À cet endroit, il y a deux (2) logements et il en occupe un. Ça faisait bien d’être sur place. Des travaux ont été effectués quelques jours après l’achat, par une équipe qu’il a embauché. Les travaux se faisaient la nuit pour conserver les heures d’opération le jour.

[34] Au moment de son témoignage, l’appelant déclare avoir de 10 à 12 employés à temps partiel pour le service et la restauration pour lesquels lui, n’a pas d’expérience. Pour les allées de quilles, il s’agit d’heures coupées et les employés qui s’en occupent, sont chargés d’organiser les activités. Il se « tirerait dans les pieds » de remplacer lui-même ces employés. L’appelant donne des détails sur les groupes de clients qui occupent les allées de quilles et les heures de réservations. Il maintient qu’il ne fait que superviser ses entreprises et n’y consacrer que quelques 10 minutes le matin et en après-midi. Il mentionne qu’il s’est fait offrir l’opération d’un autre salon de quilles mais il a refusé en raison de la situation économique difficile de la région.

Arguments des parties

[35] L’appelant a fait valoir que :

  1. Il conteste la décision de la Commission parce qu’il considère qu’il était disponible 24 heures sur 24 et ce, même en étant propriétaire de compagnies.
  2. Selon la jurisprudence citée, le facteur le plus important à considérer, pour qualifier l’état de chômage, est le temps consacré. L’appelant a toujours déclaré consacrer entre deux (2) et dix (10) heures par semaine.
  3. Quant à la volonté de rechercher et se trouver un autre emploi, le témoignage non-contredit de l’appelant est à l’effet qu’il a toujours continué de se chercher un emploi.
  4. Compte tenu du fait que l’appelant a dû réinvestir principalement pour sauver de l’impôt, il rencontre les conditions pour être considéré en chômage. C’est sur la recommandation de son comptable qu’il a procédé de cette façon.

[36] La Commission intimée a soutenu que :

  1. Dans sa demande de prestations, l’appelant n’a pu compléter le questionnaire sur le travail indépendant parce qu’il a répondu « Non » à la question « Êtes-vous un travailleur indépendant… ».
  2. La Commission a conclu que l’appelant ne démontrait pas être en chômage car il consacrait tout son temps à ses entreprises ainsi qu’aux développements d’activités supplémentaires qui pourraient lui permettre d’augmenter les profits et enfin pouvoir se verser un salaire et en vivre. À compter du 16 mars 2009, l’appelant exploitait, à temps plein, ses entreprises. Il contrôlait et contrôle toujours ses heures et ce, à titre de travailleur autonome.
  3. La Commission s’est posé la question : Depuis son arrêt de travail le 12 mars 2009, l’appelant exerçait-il ses activités de travailleur autonome dans une mesure si limitée qu’il est possible de le considérer en chômage? La Commission a examiné les faits et selon l’article 30(1) du Règlement, l’appelant doit être considéré comme une personne travaillant la semaine entière. Et l’examen des six (6) facteurs de l’article 30(3) du Règlement révèle :
    • L’appelant a décidé de réinvestir les indemnités d’assurance suite à l’incendie de X, dans l’achat de deux autres salons de quilles.
    • Les compagnies de l’appelant embauchaient sept (7) personnes et l’appelant possède 28 ans d’expérience dans le domaine. Il aurait pu faire le travail de l’un de ses employés et prendre cette rémunération pour avoir un salaire.
    • L’investissement est très important. Les 400 000 $ d’indemnité d’assurance ont été investis pour l’achat et 250 000 $ a été emprunté pour l’amélioration des deux salons de quilles. Les dépenses en salaire au cours de la période où l’appelant a reçu des prestations représentent un total de 186 462 $ selon les états de résultats de X et X.
    • L’appelant n’a pas fait de recherche d’emploi convaincante après sa mise à pied chez Gardium Sécurité Inc. Il a travaillé à pousser le développement des bars dans les salons de quilles.
    • L’appelant a déclaré en entrevue consacrer tout son temps à ses entreprises. Il ne comptait pas ses heures.
  4. La Commission a déterminé que jusqu’au 14 mars 2009, l’appelant exploitait ses entreprises dans une mesure si limitée que ces dernières ne pouvaient être son principal gagne-pain. Par contre, depuis le 16 mars 2009, l’appelant n’exploitait plus ses entreprises dans une mesure si limitée et n’était pas en chômage car c’est à compter de cette date qu’il a commencé à consacrer plus de temps à ses entreprises et a commencé à développer le côté bar des salons de quilles. Le but premier de l’appelant était la réussite même de ses entreprises. Il a déterminé lui-même ses heures de travail et il a travaillé de façon à ce que ses entreprises deviennent son principal moyen de subsistance.
  5. L’appelant doit être déclaré inadmissible aux prestations d’assurance-emploi à compter du 16 mars 2009. L’assurance-emploi est destiné aux véritables chômeurs et non pas à ceux qui sont en démarrage d’entreprise.

Analyse

[37] En premier lieu, il importe de rappeler les principes de la Loi mis en lumière par la jurisprudence.

[38] Lorsqu’un prestataire exploite une entreprise, tel que le prévoit l’article 30 du Règlement susdit, il y a présomption selon laquelle il a effectué une semaine entière de travail et il incombe au prestataire de renverser cette présomption.

[39] Lorsqu’il est déterminé, conformément au paragraphe 2 de l’article 30, que l’exploitation de l’entreprise s’effectue de manière limitée, le prestataire n’est pas considéré avoir effectué une semaine entière de travail. Les circonstances à analyser pour confirmer ou réfuter la présomption existante sont énumérées au paragraphe 3 de cet article 30 du Règlement.

[40] Dans Martens c. Canada (PG), 2008 CAF 240, la Cour d’appel fédérale rappelle que l’on ne peut procéder seulement qu’à l’examen des facteurs d’évaluation prévus à l’article 30(3) mais que l’on doit plutôt appliquer le test objectif de l’article 30(2) à la lumière des facteurs de l’article 30(3), à savoir si, objectivement, la mesure de participation dans l’entreprise pendant la période de prestations était telle qu’elle n’aurait pas pu constituer le principal moyen de subsistance d’un prestataire.

[41] Dans Marlowe c. Canada (PG), 2009 CAF 102, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du Juge-arbitre (CUB 69121) rappelant que « Les dispositions législatives applicables se fondent sur le principe que, pour être admissible aux prestations, un prestataire doit être sur le marché du travail et libre de tout engagement, de toute occupation ou de tout intérêt qui pourrait limiter ou réduire ses chances ou son désir de retourner au travail. »

[42] La question soulevée par le présent appel est de savoir si l’exception de l’article 30(2) s’applique à l’appelant. Il faut déterminer si les activités exercées par l’appelant dans l’entreprise correspondent aux activités que ferait normalement une personne qui exploite une entreprise ou simplement à celles d’une personne qui s’intéresse, de façon tout à fait naturelle, à un investissement. Quel est son niveau de participation? Lorsque les activités se rapprochent de celles d’une personne qui fait ou veut faire de cet emploi son principal gagne-pain, un prestataire ne peut établir la preuve exigée. Il convient d’examiner l’ensemble des circonstances afin d’obtenir une vue globale de la situation.

[43] Ces principes étant rappelés, le Tribunal passe à l’analyse au regard des faits mis en preuve et des moyens soulevés.

[44] Rappelons ici les critères énumérés à l’article 30(3) du Règlement permettant ou non de renverser la présomption existante : Le temps consacré à l’entreprise ; la nature, le montant de capital et des autres ressources investis; La réussite ou de l’échec financier de l’emploi ou entreprise; Le maintien de l’emploi ou entreprise; La nature de l’emploi ou entreprise; et, L’intention et la volonté du prestataire de chercher et d’accepter sans tarder un autre emploi. Et voici l’analyse que le Tribunal en fait dans le cas de l’appelant :

Temps consacré à l’ entreprise

[45] Selon la preuve au dossier, il est indéniable que l’appelant exploitait deux salons de quilles pour lesquels il déterminait ses heures de travail. Concernant le temps qu’il pouvait y consacrer, lors de l’enquête de la Commission, l’appelant a d’abord déclaré qu’il y consacrait tout son temps pour ensuite dire qu’il y consacrait de 10 à 12 heures par semaine ou de 2 à 10 heures par semaine pour enfin déclarer au Tribunal qu’il n’y consacrait que quelques 10 à 20 minutes par jour. Mais, par son témoignage, les propos de l’appelant révèlent qu’il était bien au fait de tout ce qui passait dans ses entreprises de façon quotidienne. Il a d’ailleurs déclaré que son rôle était de superviser et une grande partie du travail de gestion administrative relevait de lui. Au fur et à mesure du cheminement du dossier, l’appelant tend à minimiser le temps qu’il peut consacrer aux entreprises probablement parce qu’on lui a dit que ce facteur était le plus important à considérer selon la jurisprudence.

[46] L’appelant n’a pas convaincu le Tribunal qu’il pouvait ne consacrer que très peu de temps à ses entreprises en raison des efforts déployés pour leur expansion.

Nature, montant du capital et autres ressources investis.

[47] Le capital investi par l’appelant provenait d’une indemnité d’assurance provenant d’une entreprise similaire incendiée que l’appelant exploitait depuis plusieurs années. Comme l’appelant avait, selon ses déclarations, 28 ans d’expérience dans ce domaine, il pouvait mettre cette expérience à profit en ré-investissant ce capital tout de même important non pas dans une mais deux entreprises semblables.

[48] Les propos de l’appelant révèlent sa nature entrepreneuriale lorsqu’il souligne qu’il avait l’opportunité de se porter acquéreur de deux commerces en déclin, donc à moins cher, laissant entendre qu’il avait la possibilité de les « remonter » en raison de son expertise dans le domaine.

[49] L’appelant a déclaré que ces investissements n’avaient été faits que pour des raisons fiscales sur la recommandation de son comptable et qu’il avait agi ainsi comme simple investisseur. Pourtant, le comptable dans sa déclaration à la Commission, ne semblait pas très au fait de la situation et des entreprises de l’appelant. Et le Tribunal souligne que l’intérêt d’un simple investisseur dans des placements lui commande, selon une expression populaire, de « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier » et de privilégier une meilleure diversification de placements.

[50] Le Tribunal ne croit pas que les gestes posés par l’appelant correspondent simplement à ceux d’une personne qui s’intéresse, de façon tout à fait naturelle, à un investissement ou un placement.

Réussite ou échec financier de l’entreprise – Maintien de l’entreprise

[51] Le test de l’article 30(2) exige un examen objectif de la question de savoir si l’intensité du travail indépendant ou de l’exploitation d’une entreprise est telle qu’une personne pourrait normalement en faire son principal moyen de subsistance.

[52] Le terme « subsistance » ne fait l’objet d’aucune définition dans la Loi sur l’assurance- emploi ou dans le Règlement mais la définition générale de ce terme renvoie au fait de subsister, de pourvoir à ses besoins et d’assurer l’existence matérielle.

[53] L’appelant a informé que le salon de quilles d’X avait fermé ses portes en août 2015 mais le Tribunal souligne que les faits doivent être évalués à l’époque où l’appelant demandait des prestations d’assurance-emploi. Et à cette époque, deux entreprises étaient en opération et l’appelant a déclaré qu’il travaillait à leur faire prendre de l’essor.

[54] Les documents financiers fournis suscitent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses. Et ceux produits par la firme comptable sont effectués avec beaucoup de réserves. Pour l’époque en litige, on peut noter une masse salariale de plus de 100,000 $ pour chaque entreprise. L’appelant a déclaré qu’à cette époque, les entreprises embauchaient environ sept (7) employés et il a déclaré que les entreprises embauchaient de 10 à 12 employés au moment de l’audience. Si une entreprise est en péril, il n’y a généralement pas d’augmentation du nombre d’employés. Et si une entreprise peut fournir un moyen de subsistance à un nombre grandissant d’employés, à plus forte raison cette entreprise peut représenter le principal moyen de subsistance de l’investisseur principal qui consacre du temps à son développement. Il n’est pas plausible que la personne-clé pour l’exploitation d’une entreprise ne se verse aucune rémunération et privilégie l’embauche et la rémunération d’employés supplémentaires.

Nature de l’entreprise

[55] Bien l’emploi de l’appelant qui s’est terminé en mars 2009, ne soit pas en lien avec la nature des entreprises qu’il a acquises, celles-ci sont de même nature que celle que l’appelant avait opéré antérieurement et dont il a décidé de réinvestir le capital liquide qu’elle avait pu lui rapporter. Et ce ré-investissement était éclairé en raison de l’expérience acquise par l’appelant dans le domaine.

[56] Que l’emploi de l’appelant dans l’agence de sécurité ait pris fin, a pu lui permettre de mettre plus d’efforts à l’essor de ses entreprises.

Intention ou volonté de l’appelante à chercher et accepter sans tarder un autre emploi

[57] C’est la prétention de l’appelant qu’il avait cette intention et cette volonté de chercher et accepter un autre emploi. Il fait valoir aussi que son témoignage là-dessus n’est pas contredit.

[58] Le Tribunal fait remarquer que le témoignage et les déclarations de l’appelant ont varié selon le cheminement du dossier. Lorsqu’un entrepreneur fait des investissements tels que ceux de l’appelant, il n’est pas très plausible de prétendre au désir de retourner sur le marché du travail et que celui-ci était libre de tout engagement, de toute occupation ou de tout intérêt limitant ou réduisant ses chances de retourner au travail. À tout le moins, l’appelant n’en a pas convaincu le Tribunal.

[59] Le Tribunal conclut que l’application du test prévu à l’article 30(2) à la lumière des facteurs de l’article 30(3) de la Loi, dirige vers la conclusion que l’appelant n’exploitait pas les entreprises acquises à la fin 2008 dans une mesure limitée. L’appelant a démontré un intérêt particulier à l’essor de ces entreprises plus qu’un simple investissement de sa part au titre d’un placement. La présomption de l’article 30(1) n’a pas été réfutée et l’appelant n’était pas en chômage pour la période en litige.

Sur le réexamen

[60] La période de prestations de l’appelant a débuté le 15 mars 2009. La Commission a procédé au réexamen du dossier pour rendre une décision le 13 juin 2012.

[61] L’article 52 de la Loi sur l’Assurance-emploi prévoit qu’il peut être nécessaire de modifier ou de corriger de façon rétroactive une décision concernant une demande de prestations, de façon à s’assurer que les prestataires ne reçoivent que les prestations auxquelles ils ont droit. Le délai pour ce faire selon le paragraphe (1) de cet article est alors de 36 mois. Le paragraphe (5) de cet article 52 permet à la Commission de réexaminer un dossier dans les 72 mois suivant le moment où des prestations ont été payées ou devenues payables si elle estime que des déclarations fausses ou trompeuses ont été faites pour obtenir le paiement de prestations.

[62] La Commission n’a présenté aucune argumentation et aucune preuve au Tribunal par laquelle elle estimait que des déclarations fausses ou trompeuses avaient été faites par l’appelant. Par conséquent, conformément à l’article 52(1) de la Loi, le délai de révision rétroactif devait se limiter à trente-six (36) mois de la date où des prestations ont été payées ou étaient payables. Ainsi, le réexamen ne pouvait s’effectuer au-delà ou antérieurement au 13 juin 2009. La date du début de l’inadmissibilité de l’appelant est le 13 juin 2009.

Conclusion

[63] L’appel est rejeté avec modification. La date du début de l’inadmissibilité de l’appelant est le 13 juin 2009.

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