Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Comparutions

L’appelant/employeur, D. A., était représenté par monsieur John Campbell de Hilborn LLP. Il a participé à l’audience par téléconférence. La prestataire, madame L. B., a informé le Tribunal qu’elle ne prendrait pas part à l’audience.

Introduction

[1] Le 21 octobre 2014, la prestataire a présenté une demande initiale de prestations régulières d’assurance-emploi, laquelle a été approuvée pour une période de prestations débutant le 19 octobre 2014. Le 21 mai 2015, la prestataire a demandé que sa demande soit antidatée au 8 août 2014.

[2] Cependant, le 29 mai 2014, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission) a rejeté la demande d’antidatation de la prestataire après avoir conclu qu’elle n’avait pas de motif valable pour que sa demande de prestations initiale soit considérée comme ayant été faite le 13 août 2014.

[3] Le 26 juin 2015, l’appelant (employeur) a demandé la révision de cette décision. Le 24 juillet 2015, la Commission a cependant décidé de maintenir sa décision.

[4] Le 24 août 2015, l’employeur a interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal).

[5] L’audience a été tenue par téléconférence pour les raisons suivantes : a) la complexité de la question en litige; b) le fait que l’employeur allait être la seule partie présente; c) le mode d’audience est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent.

[6] Le 11 janvier 2016, le Tribunal a reçu un formulaire de la part de l’employeur demandant l’ajournement de l’audience prévue le 12 janvier 2016 puisqu’il n’avait pas reçu le dossier. L’audience a été reportée au 19 janvier 2016.

[7] Le 19 janvier 2016, le membre a ajourné l’audience dès le début après avoir remarqué que la prestataire n’avait pas été ajoutée comme partie à l’appel. L’appelant, monsieur Campbell, a confirmé qu’il se pouvait que la prestataire ne soit pas au courant de l’audience. Le membre a affirmé que la prestataire allait être ajoutée à l’appel, que le dossier lui sera transmis et que l’audience sera reportée. Comme l’issue de l’appel pourrait avoir une incidence sur ses prestations, la prestataire y était directement intéressée et a été ajoutée comme partie à l’appel. De plus, puisqu’il s’agit d’une demande d’antidatation, les raisons pour lesquelles elle n’a pas présenté sa demande plus tôt sont pertinentes dans le cadre de la question en litige.

[8] Le Tribunal a confirmé auprès de la prestataire qu’elle était prête à participer à l’audience du 28 janvier 2016 en dépit d’un bref préavis. Le 26 janvier 2016, la prestataire a téléphoné au Tribunal pour l’informer qu’elle avait reçu le dossier d’appel et qu’elle ne participerait pas à l’audience puisqu’elle avait confiance en son employeur pour qu’il parle en son nom.

[9] Le 28 janvier 2016, l’audience a été tenue strictement en présence de l’employeur.

Question en litige

[10] Le membre doit déterminer si la demande initiale de prestations de la prestataire peut être considérée comme ayant été présentée le 8 août 2014 en vertu du paragraphe 10(4) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

Droit applicable

[11] Le paragraphe 10(4) de la Loi énonce les conditions qu’un prestataire doit remplir pour que sa demande soit considérée comme ayant été présentée à une date antérieure.

[12] Pour qu’une demande initiale de prestations soit antidatée à une date antérieure, un prestataire doit démontrer :

  1. qu’à cette date antérieure il remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations;
  2. qu’il avait, durant toute la période écoulée entre cette date antérieure et la date à laquelle il présente sa demande, un motif valable justifiant son retard.

Preuve

[13] La prestataire a perdu son emploi le 15 août 2014; elle a cependant présenté sa demande de prestations régulières d’assurance-emploi le 21 octobre 2014 (GD3-3 à GD3-10).

[14] Le 21 mai 2014, la prestataire a demandé que sa période de prestations prenne effet le 8 août 2014, indiquant qu’elle avait reporté la présentation de sa demande de prestations parce que son employeur avait émis son relevé d’emploi en retard. Elle a joint à sa demande une lettre de son employeur, qui s’excusait de l’émission tardive du relevé d’emploi (GD3-11 à GD3-12).

[15]  Le 29 mai 2015, la Commission a informé la prestataire du rejet de sa demande pour que sa période de prestations soit antidatée au 13 août 2014, car elle n’avait démontré de motif valable durant toute la période de son retard entre le 13 août 2014 et le 20 octobre 2014 (GD3-13).

[16] Le 24 juin 2015, l’employeur a demandé que la demande d’antidatation de la prestataire soit approuvée étant donné qu’elle avait cessé de travailler le 15 août 2014. L’appelant a noté qu’il avait déposé le relevé d’emploi en retard et que la prestataire avait reporté la présentation de sa demande en raison de facteurs indépendants de sa volonté (GD3-14 à GD3-16).

[17] Le 24 juillet 2015, la Commission a avisé la prestataire que l’employeur avait présenté une demande de révision de la décision concernant sa demande d’antidatation. Elle était au courant de cette demande et, en fait, elle souhaitait bénéficier d’une révision mais croyait que c’était l’employeur qui devait présenter une telle demande. Ils ont rempli la demande ensemble. La prestataire a affirmé à la Commission qu’elle ne veut pas que l’employeur la représente et qu’elle se représenterait elle-même. La prestataire a déclaré qu’elle avait retardé la présentation de sa demande parce qu’elle avait attendu que son employeur lui fournisse un relevé d’emploi; elle croyait devoir obtenir tous les documents nécessaires avant de faire une demande de prestations. Elle ne s’était pas renseignée auprès de la Commission et n’avait pas consulté son site Web (GD3-17).

[18] La Commission a rejeté la demande de révision de l’appelant en faisant parvenir à la prestataire une lettre l’informant du maintien de sa décision initiale (GD3-19).

[19] À l’audience, le représentant de l’employeur a confirmé que la prestataire n’avait pas présenté une demande de prestations plus tôt, le 13 août 2014, a) parce que cela n’était pas sa faute, le relevé d’emploi avait été transmis en retard par l’employeur; b) parce qu’elle ne vit pas au Canada depuis longtemps, que le processus l’embrouillait et qu’elle ne savait simplement pas qu’elle pouvait faire une demande de prestations sans relevé d’emploi; c) parce qu’elle s’est fiée à des renseignements obtenus de bouche à oreille dans sa communauté, et selon lesquels il lui fallait un relevé d’emploi pour faire sa demande. La prestataire a rapidement présenté sa demande de prestations dès qu’elle a reçu le relevé d’emploi. La prestataire a un revenu peu élevé et l’anglais est sa langue seconde.

[20] L’employeur ne savait pas si des circonstances exceptionnelles avaient empêché la prestataire de présenter sa demande à la date antérieure. Il a bénéficié d’une occasion de confirmer cela auprès de la prestataire avant la fin de la journée de l’audience et d’en aviser le Tribunal en lui faisant parvenir une télécopie ou un courriel. Le 29 janvier 2016 et le 10 février 2016, l’employeur a déposé deux observations, indiquant que la prestataire avait éprouvé des difficultés respiratoires et une sensation d’étouffement durant la dernière semaine du mois d’août. Durant le retard, entre sa dernière journée de travail et la date de sa demande de prestations, elle a subi de nombreux examens (les 5, 10 et 24 septembre 2014) dans le but de déterminer la cause de son malaise (GD7 et GD8).

Observations

[21] L’employeur a soutenu que la prestataire était admissible au bénéfice des prestations à compter de la date à laquelle elle avait cessé de travailler, le 15 août 2014. La prestataire est une cotisante à faible revenu du système d’assurance-emploi et elle a reporté la présentation de sa demande jusqu’au 20 octobre 2014 pour des raisons indépendantes de sa volonté, parce qu’il n’avait pas émis son relevé d’emploi avant ce moment-là. Elle n’habite pas au Canada depuis longtemps et ce processus est nouveau et complexe pour elle. Si elle n’avait pas eu à composer avec son malaise et le stress causé par un problème de santé sans diagnostic, elle aurait eu les facultés nécessaires pour prendre en charge sa demande plutôt que de se fier à ses pairs (GD8).

[22] La Commission a soutenu que, bien qu’il est vrai que l’employeur avait tardé à émettre le relevé d’emploi, cela n’empêchait pas la prestataire de faire une demande de prestations. La prestataire a présumé qu’elle avait besoin du relevé d’emploi et ne s’est pas informée auprès de la Commission durant toute la période du retard, et n’a donc pas fait ce qu’aurait fait une « personne raisonnable » pour s’enquérir de ses droits et de ses obligations sous le régime de la Loi. La passivité de la prestataire et sa méconnaissance du droit n’ont pas valeur de motif valable pour justifier le retard. Ses problèmes de santé n’ont pas été mentionnés pour expliquer le retard avant la tenue de l’audience. Il n’y a aucune preuve médicale qui permette de conclure que la prestataire était incapable de présenter sa demande ou de se renseigner auprès de la Commission dans le but d’établir sa période de prestations (GD9).

Analyse

[23] Pour que sa demande initiale de prestations soit antidatée au 13 août 2014, il incombe à la prestataire de prouver a) qu’elle remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations en date du 13 août 2014, et b) qu’elle avait, durant toute la période de son retard, un motif valable pour justifier sa demande de prestations tardive initiale.

[24] En l’espèce, la prestataire a perdu son emploi le 15 août 2014, mais a seulement fait une demande de prestations le 21 octobre 2014. Compte tenu des observations présentées par la Commission et du relevé d’emploi (GD2-4), le membre estime que la prestataire remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations en date du 15 août 2014. La question en litige consiste donc à déterminer si la prestataire disposait d’un motif valable durant toute la période de son retard, du 13 août 2014 au 20 octobre 2014.

[25] Selon la Cour d’appel fédérale, un prestataire doit, pour prouver qu’un motif valable justifie la présentation tardive de sa demande de prestations initiale, démontrer qu’il a fait ce qu’une personne raisonnable et prudente se trouvant dans la même situation aurait fait pour se renseigner sur ses droits et ses obligations en vertu de la Loi (Mauchel c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 202; Bradford c. Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2012 CAF 120; Canada (Procureur général) c. Albrecht, A-172-85).

[26] En l’espèce, l’employeur a soutenu que la prestataire est une nouvelle arrivante au Canada et que l’anglais est sa langue seconde. Elle s’est donc fiée à de l’information qui lui avait été relayée par des membres de sa communauté. De plus, pour des raisons indépendantes de sa volonté, son employeur a tardé à soumettre son relevé d’emploi. Elle croyait devoir posséder tous les documents requis avant de soumettre son formulaire de demande.

[27] Le membre comprend la position de l’employeur, qui croit que son émission tardive du relevé d’emploi n’était pas la faute de la prestataire. Cependant, le membre souligne que la loi est écrite de façon à ce qu’il incombe au prestataire d’expliquer les démarches qu’il a entreprises pour comprendre ses droits et ses obligations en vertu de la Loi, de s’exécuter promptement, et de pouvoir justifier son retard pour toute la période concernée. Il ne suffit pas au prestataire d’agir raisonnablement ou de posséder une « bonne raison » pour justifier son retard. Le prestataire a la charge de prouver qu’il disposait d’un « motif valable » pour la présentation tardive de sa demande de prestations initiale en démontrant qu’il a fait ce qu’une personne raisonnable et prudente se trouvant dans la même situation aurait fait pour se renseigner sur ses droits et ses obligations en vertu de la Loi. En l’espèce, le membre estime qu’il n’est pas déraisonnable, comme la prestataire était nouvelle au pays et qu’elle ne connaissait pas bien le système d’assurance-emploi, de s’attendre à ce qu’elle prenne l’initiative de se renseigner auprès de la Commission. La prestataire a affirmé à la Commission qu’elle ne s’était pas ainsi renseignée (GD3-17).

[28] Le membre a tenu compte de la conclusion de la Cour d’appel fédérale, selon laquelle un prestataire ne peut se contenter d’invoquer, comme motif valable, qu’il s’est fondé sur des renseignements non vérifiés ou des hypothèses non fondées. Il est raisonnable de s’attendre à ce qu’un prestataire vérifie les renseignements qu’il a reçus, et l’existence de renseignements non vérifiés ne constitue pas un motif valable pour le retard (Canada (Procureur général) c. Trinh, 2010 CAF 335; Rouleau A-4-95). De plus, il est de jurisprudence constante que l’ignorance de la loi, même combinée à la bonne foi, ne constitue pas un motif valable pour un retard (Canada (Procureur général) c. Kaler, 2011 CAF 266; Canada (Procureur général) c. Howard, 2011 CAF 116; Canada (Procureur général) c. Somwaru, 2010 CAF 336; Canada (Procureur général) c. Innes, 2010 CAF 341).

[29] La jurisprudence appuie également le principe que l’incapacité d’un prestataire à obtenir un relevé d’emploi et l’attente ou le report de la présentation de sa demande pour cette raison ne constitue par un motif valable pour le retard (Canada (Procureur général) c. Brace, 2008 CAF 118).

[30] La Cour d’appel fédérale a également conclu qu’une personne raisonnable est tenue, à moins de circonstances exceptionnelles, de vérifier assez rapidement si elle a droit à des prestations et de s’assurer des obligations que lui impose la Loi (Canada (Procureur général) c. Kaler, 2011 CAF 266; Canada (Procureur général) c. Innes, 2010 CAF 341; Canada (Procureur général) c. Somwaru, 2010 CAF 336; Canada (Procureur général) c. Burke, 2012 CAF 139).

[31] En l’espèce, le membre estime qu’il n’y a aucune preuve qui démontre qu’il existait des circonstances exceptionnelles qui empêchaient la prestataire de se renseigner sur ses droits et ses obligations ou de faire une demande de prestations à n’importe quel moment durant son retard de deux mois, couvrant la période du 15 août 2014 au 20 octobre 2014. Le membre a tenu compte de l’observation de l’employeur, voulant que la prestataire devait, durant le retard en question, composer avec un malaise, de nombreux examens et le stress découlant d’un problème qui n’était pas diagnostiqué. Il a fait valoir qu’elle aurait eu les facultés nécessaires pour prendre en charge sa demande plutôt que de se fier à ses pairs si elle n’avait pas eu à composer avec son malaise et le stress causé par un problème de santé sans diagnostic. Bien que le membre soit sensible à la situation de la prestataire et comprenne qu’elle était préoccupée par sa santé et les nombreux examens qu’elle devait subir à ce moment-là, il ne convient pas qu’il s’agisse de circonstances exceptionnelles qui l’empêchaient de se renseigner en communiquant directement avec la Commission ou en consultant son site Web. La preuve permet de conclure que la prestataire était en mesure de se rendre à ses examens/rendez-vous et, bien que cette situation soit stressante, ces raisons ne justifient pas la totalité de la période du retard.

[32] Enfin, le membre a tenu compte du fait que l’antidatation d’une période de prestations est un privilège qui doit être accordé de manière exceptionnelle et en usant de précaution (Canada (Procureur général) c. McBride, 2009 CAF 1; Canada (Procureur général) c. Scott, 2008 CAF 145; Canada (Procureur général) c. Brace, 2008 CAF 118).

[33] La Cour d’appel fédérale a sciemment insisté sur l’importance du paragraphe 10(4) pour une administration saine et équitable de la Loi qui régit l’assurance-emploi. L’antidatation d’une demande de prestations pourrait nuire à l’intégrité du système, du fait que le prestataire se voit accordé des prestations de façon rétroactive et sans condition, sans que la Commission soit capable de vérifier toutes les deux semaines, durant la période de rétroactivité, s’il répond aux critères d’admissibilité (comme elle le fait pour tous les autres prestataires). De plus, il devient difficile de veiller au respect des obligations du prestataire et de pénaliser les manquements lorsqu’une demande de prestations est reportée et que les prestations sont versées de façon rétroactive. Il est notamment difficile d’administrer rétroactivement la disponibilité pour travailler, l’incidence d’une rémunération et l’exigence de faire des demandes de prestations régulières et répétées, ce qui porte atteinte à l’intégrité et à l’équité du système (Canada (Procureur général) c. Chalk, 2010 CAF 243; Canada (Procureur général) c. Brace, 2008 CAF 118; Canada (Procureur général) c. Beaudin, 2005 CAF 123).

[34] En l’espèce, le membre estime que la prestataire n’a pas agi comme l’aurait fait une personne raisonnable qui se serait trouvée dans sa situation pour s’enquérir de ses droits et de ses obligations en vertu de la Loi. Le membre conclut donc que la prestataire n’a pas satisfait au critère juridique relatif au motif valable conformément au paragraphe 10(4) de la Loi pour que sa demande initiale puisse être considérée comme ayant été présentée le 15 août 2014.

[35] Le membre conclut donc que la prestataire ne s’est pas déchargée du fardeau de prouver qu’elle avait un motif valable durant toute la période du retard de la présentation de sa demande initiale de prestations en application du paragraphe 10(4) de la Loi.

Conclusion

[36] L’appel est rejeté.

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