Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Introduction

[1] Le 17 novembre 2015, la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a tenu une audience sur cette affaire et a déterminé que le prestataire (appelant) avait quitté son emploi pour cause de maladie et que la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission ou Intimée) avait correctement converti ses prestations régulières en prestations de maladie. Cela entraîna un avis de dette à l’appelant.

[2] L’appelant était présent à l’audience de la DG tenue par vidéoconférence. La DG a rendu sa décision le 27 novembre 2015 et l’a communiquée à l’appelant par lettre à la même date.

[3] L’appelant a reçu la décision de la division générale le 29 novembre 2015 et a déposé une demande de permission d’en appeler (Demande) à la division d’appel (DA) du Tribunal le 24 décembre 2015, soit dans le délai de trente jours prévu.

[4] Le 23 janvier 2016, la DA du Tribunal a demandé les observations des parties à savoir si la permission devrait être accordée ou refusée.

[5] L’appelant avait déposé des observations écrites avec la demande. L’intimée a présenté des observations écrites le 3 février 2015; elle soutient soutenait que l’appelant avait des motifs pour en appeler aux termes de l’alinéa 58(1)a) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi) et demandait que la permission d’en appeler soit accordée et que l’affaire soit renvoyée à la division générale du Tribunal afin qu’elle soit instruite de nouveau.

Question en litige

[6] Si le Tribunal conclut que l’appel a une chance raisonnable de succès, il doit déterminer s’il convient de rejeter l’appel, de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou de confirmer, d’infirmer ou de modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

Droit applicable et analyse

[7] Aux termes des paragraphes 57(1) et (2) de la Loi, la demande de permission d’en appeler, dans le cas d’une décision rendue par la section de l’assurance-emploi de la division générale, est présentée à la division d’appel dans les trente jours suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision, et la division d’appel peut proroger d’au plus un an le délai pour présenter la demande de permission d’en appeler.

[8] Aux termes des paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le MEDS, « il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission » et la division d’appel « accorde ou refuse cette permission ».

[9] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS indique que « la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. »

[10] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS indique que les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[11] Le paragraphe 59(1) de la Loi énonce les pouvoirs de la division d’appel. (1) La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

[12] Avant qu’une permission d’en appeler puisse être accordée, le Tribunal doit être convaincu que les motifs d’appel se rattachent à l’un ou l’autre des moyens d’appel admissibles et que l’un de ces motifs au moins confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

[13] Dans sa demande, l’appelant invoque deux motifs d’appel qui se rattachent aux moyens d’appel mentionnés au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, nommément, les alinéas 58(1)a) et c). Plus particulièrement, l’appelant fait valoir que :

  1. a) La DG était consciente de ses restrictions langagières et de sa demande d’avoir un interprète en mandarin, mais elle n’a pas fourni d’interprète;
  2. b) À l’audience, en réponse aux préoccupations de l’appelant sur la qualité de son expression, le membre de la DG avait dit que son  : « anglais était tout à fait adéquat ».
  3. c) Cela a privé l’appelant d’une audience équitable.
  4. d) L’appelant se fie à d’autres pour lui traduire les documents anglais;
  5. e) Il ne savait pas qu’il avait le droit de se faire représenter devant la (DG) et, ni Service Canada, ni la Commission ne l’en avait informé.
  6. f) Il ne savait pas qu’il avait le droit de soumettre et de présenter des éléments de preuve; cela ne lui avait pas été expliqué durant l’audience de la DG;
  7. g) Le membre de la DG a enjoint l’appelant à soumettre des éléments de preuve médicale additionnels, ce que l’appelant a fait après l’audience; puis, dans sa décision, le membre de la DG a utilisé ces éléments de preuve contre l’appelant;
  8. h) La décision de la DG était fondée sur un certain nombre d’erreurs de fait; elle ne mettait pas en question les incohérences des observations et des éléments de preuve de l’intimée;
  9. i) Les motifs de la décision de la DG étaient insuffisants.

[14] L’avis d’appel à la DG contenait cette note manuscrite de l’appelant : [Traduction] « Aide langue : mon anglais n’est pas fort. J’espère pouvoir parler à la personne qui parle mandarin. » Une lettre reçue en juillet 2015 par la DG comprenait la déclaration suivante de l’appelant : [Traduction] « L’écriture de cette lettre a été très stressante puisque mon anglais n’est pas bon; j’ai dû y passer beaucoup de temps. J’espère que cela est suffisamment clair. Si vous avez besoin de plus d’information, j’espère en discuter en personne, de préférence avec un traducteur en mandarin. »

[15] L’avis d’appel à la DG était en retard; en juillet 2015, la DG a accordé une prorogation du délai pour déposer l’appel. La décision écrite ne mentionne aucune question de langue en accordant la prorogation.

[16] En novembre 2015, la décision de la DG sur le fond énonce les questions comme suit :

  1. a) [Traduction] Question 1 : Il s’agit de déterminer si la répartition de la rémunération aux termes des articles 35 et 36 du Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement)a été faite correctement.
  2. b) Question 2 : le refus de prestations de maladie de l’assurance-emploi en vertu de l’alinéa 12(3)c) de la Loi.

[17] La division générale conclut sa décision en ces termes :

[24] [Traduction] Le Tribunal planifia une audience par vidéoconférence. Pendant l’audience, l’appelant a affirmé n’être pas blessé au point qu’il ne pouvait travailler. Le Tribunal a averti l’appelant que cette affirmation était contraire au contenu du billet de médecin remis à l’intimée le 3 avril 2015. Il a demandé d’avoir un moment pour réviser le billet avec son médecin afin d’être fixé sur les informations exactes qu’il contenait.

[25] [Traduction] L’appelant a soumis un nouveau billet de médecin au Tribunal daté le 24 novembre 2015; on y lit que l’appelant avait été impliqué dans un accident de voiture le 7 janvier 2009 et qu’il avait continué de travailler à son emploi à temps complet pendant la période mentionnée plus haut. (GD8)

[39] [Traduction] Le Tribunal estime que les réponses spontanées données à l’intimée (GD3-22, 23) sont plus crédibles que les affirmations subséquentes de l’appelant au moment où il s’était rendu compte que ses prestations pourraient être réduites.

[40] [Traduction] L’appelant a présenté 2 billets de médecin à l’intimée et 1 billet au Tribunal; ils étaient contradictoires. Le billet daté le 24 janvier 2013 affirme que l’appelant avait été blessé et qu’il ne pouvait travailler pendant 6 mois; le deuxième billet, daté le 19 septembre 2012 affirme que l’appelant avait été blessé et qu’on lui recommandait une semaine de congé. Le troisième billet, celui qui suit l’audience, affirme que l’appelant avait été blessé dans un accident de voiture, mais qu’il continuait de travailler à temps complet dans son emploi. Le Tribunal estime compte tenu de la prépondérance des probabilités que ce troisième billet constitue une opinion après les faits dont l’intention est d’appuyer les efforts de l’appelant pour obtenir des prestations d’assurance-emploi. Il ne contient aucune directive ni aucun détail.

[41] [Traduction] Le Tribunal conclut que l’appelant a quitté ses deux emplois peu après avoir été blessé dans un accident de voiture et que ses déclarations initiales à l’intimée, à savoir qu’à son retour au travail, auprès de son employeur habituel, il s’était trouvé incapable d’effectuer ses tâches comme avant à cause de ses blessures, sont plus crédibles. Le Tribunal conclut que l’appelant a quitté son emploi à la suite de maladie et qu’il était incapable de travailler. Le Tribunal conclut que l’intimée a correctement transformé ses prestations régulières en prestations de maladie et que l’appelant avait touché le maximum des prestations en vertu de la Loi.

[18] Aux paragraphes [24], [40] et [41] de sa décision, le membre de la DG a fait valoir les contradictions dans la preuve de l’appelant. Aux paragraphes [39] et [41] de la décision, le membre s’est prononcé sur la crédibilité de l’appelant.

[19] La capacité de comprendre et d’être compris en anglais est importante lorsqu’il s’agit de se prononcer sur des questions de contradictions et de crédibilité. Cependant, la décision de la DG ne reconnaît ni ne mentionne aucune demande d’interprète avant l’audience pas plus qu’elle ne mentionne les préoccupations soulevées par l’appelant.

[20] Bien que l’appelant n’ait pas dit précisément : « Je demande qu’un interprète soit présent à l’audience », il a demandé, par deux reprises et par écrit, de parler à quelqu’un qui parle le mandarin. Dans son avis d’appel et dans ses observations à la DG, il a clairement demandé de l’aide quant à la langue.

[21] La demande dit que l’appelant a encore avisé la DG de son besoin d’interprétation ou de traduction avant le début de l’audience le 17 novembre 2015 et qu’au début de l’audience, il avait répété au membre de la DG que ses aptitudes en anglais étaient faibles. De plus, à cause de sa soi-disant « difficulté à comprendre l’anglais oral ou écrit », il n’avait présenté presqu’aucune observation à l’audience de la DG.

[22] Bien que la DA ait demandé à écouter un enregistrement de l’audience de la DG afin de confirmer ce qui s’y était dit, aucun enregistrement n’était disponible.

[23] L’intimée n’était pas présente à l’audience, mais elle avait déposé des observations écrites à l’attention de la DG. La décision a été rendue en se basant sur l’information au dossier, notamment les observations de l’intimée et l’audience par vidéoconférence à laquelle l’appelant était seul présent.

[24] Vu l’absence d’enregistrement de l’audience de la DG ainsi que l’absence de toute personne sauf le membre, l’appelant n’a aucun moyen de prouver qu’il avait répété son besoin d’interprétation ou ses difficultés langagières en anglais à l’audience. De plus, il ne peut pas établir que le membre lui ait dit que son « anglais était tout à fait suffisant » ou des mots dans ce sens.

[25] Dans ces circonstances, il peut être prétendu que l’absence d’enregistrement sonore de l’audience de la DG prive effectivement l’appelant de son droit d’appel à la DA. Si le dossier ne permet pas au Tribunal de trancher correctement sur une demande (ou qu’il nie carrément à l’appelant son droit d’en appeler), cela viole les règles de justice naturelle : S.C.F.P., Local 301 c.. Québec (Conseil des services essentiels), (1997) 1 S.C.R. 795 et Canada (Procureur général) c. Scott, (2008) CAF 145.

[26] L’intimée est d’accord avec l’appelant qu’il y a eu une violation de la justice naturelle parce que l’appelant n’a pas eu le droit d’être entendu. Ainsi, l’intimée suggère que cette affaire soit renvoyée à la division générale pour qu’elle soit examinée comme une cause de novo.

[27] Étant donné la nature fondamentale du droit d’être entendu, les circonstances et le consentement de l’intimée, j’estime que l’appel a une chance raisonnable de succès.

[28] Vu ma lecture de la décision de la DG et du dossier, vu les motifs d’appel de l’appelant, et vu l’absence d’enregistrement de l’audience de la DG dans ces circonstances particulières, j’accorde la permission d’en appeler.

[29] En outre, compte tenu de tous les éléments mentionnés précédemment de même que du consentement et de la demande de l’intimée, j’accueille l’appel. Comme cette affaire nécessitera que les parties produisent une preuve et que soit présent un interprète, une audience devant la DG est appropriée.

Conclusion

[30] La demande de permission d’en appeler est accordée.

[31] L’appel est accueilli. L’affaire sera renvoyée à la division générale du Tribunal afin d’être réexaminée par un nouveau membre.

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