Assurance-emploi (AE)

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Contenu de la décision



Motifs et décision

Comparutions

[1] L’appelant, monsieur J. P., était présent à l’audience. Aucune des autres parties n’étaient représentées.

[2] Cet appel a été instruit selon le mode d’audience En personne pour les raisons suivantes :

  1. Le fait que la crédibilité puisse être une question déterminante.
  2. Le fait que plus d’une partie assistera à l’audience.
  3. L’information au dossier, y compris la nécessité d’obtenir des informations supplémentaires.
  4. Le fait que plus d’un participant, tel un témoin pourrait être présent.
  5. Le fait que l’appelant ou d’autres parties sont représentées.
  6. Ce mode d’audience est celui qui permet le mieux de répondre aux besoins d’adaptation des parties.

Introduction

[3] Dans ce dossier, le 31 juillet 2013, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) avait déterminé que l’appelant avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi du Canada (la Loi). Conséquemment, la Commission avait imposé une exclusion à l’appelant.

[4] Ce dernier avait demandé une révision administrative. La Commission, en date du 2 octobre 2013, a modifié sa décision en faveur de l’appelant et annulé sa décision initiale.

[5] L’employeur, Transport Laberge, a interjeté appel de cette décision révisée au Tribunal de la Sécurité sociale.

[6] En date du 28 avril 2014, un membre de la division générale du Tribunal concluait que monsieur J. P. avait perdu son emploi par sa propre inconduite selon les termes des articles 29 et 30 de la Loi.

[7] Monsieur J. P. a déposé une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel du Tribunal de la Sécurité sociale en date du 11 juin 2014. La demande pour permission d’en appeler a été accordée le 16 janvier 2015.

[8] L’appel a été accueilli le 5 juin 2015 et le dossier a été référé devant la division générale du Tribunal (section de l’assurance-emploi) afin qu’un membre du Tribunal procède à une nouvelle audience.

Question en litige

[9] Le Tribunal doit juger si l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduite conformément aux articles 29 et 30 de la Loi.

Droit applicable

[10] Les paragraphes 29 a) et b) de la Loi prévoient que:

Pour l'application des articles 30 à 33 :

a) « emploi » s'entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;

b) la suspension est assimilée à la perte d'emploi, mais n'est pas assimilée à la perte d'emploi la suspension ou la perte d'emploi résultant de l'affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l'exercice d'une activité licite s'y rattachant;

[11] Et le paragraphe 30(1) de la Loi quant à lui prévoit que:

Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s'il perd un emploi en raison de son inconduite ou s'il quitte volontairement un emploi sans justification

Preuve

Preuve au dossier

[12] Une demande de prestations d’assurance-emploi a pris effet à compter du 23 juin 2013 (pages GD3-2 à GD3-15).

[13] Le relevé d’emploi confirme que l’appelant a été congédié le 17 juin 2013 (page GD3- 16). Il était chauffeur de remorque en transport automobile.

[14] L’employeur, Transport Laberge, a indiqué que l’appelant avait eu plusieurs avis et sanctions disciplinaires. On lui reproche notamment des absences non motivées, une contravention pour excès de vitesse, une mauvaise attitude au travail et des bris et accidents de matériel roulant. Lors du dernier incident reproché, l’appelant a causé du dommage à un véhicule automobile au cours de sa journée de travail (pages GD3-17 à 20 et GD3-27).

[15] L’appelant admet avoir eu des accidents en conduisant mais déclare que ce n’était pas intentionnel de sa part (page GD3-21 et GD3-24 à 26).

[16] L’appelant a confirmé avoir été suspendu en raisons de ces accidents (pages GD3-26 et 28).

[17] Dans son avis d’appel, l’employeur a fourni au Tribunal une preuve documentaire de plusieurs incidents reprochés à l’appelant (pages GD2-1 à 14, GD3-18 à 20 et GD6-1 à GD6-3 et pièce AD-5).

Preuve de l’appelant à l’audience :

[18] Il travaillait comme chauffeur de remorque. Il transportait des véhicules automobiles sur une remorque à étages pour desservir des concessionnaires automobile.

[19] Il a été embauché par Transport Laberge le 19 janvier 2012. Auparavant, il n’avait qu’une année d’expérience sur de gros camions et il n’avait jamais conduit de poids lourds en hiver.

[20] Il admet avoir eu une contravention dans une zone de 50 kilomètres à l’heure alors qu’il circulait à 74 kilomètres à l’heure.

[21] Pour ce qui est de ses absences, la première fois il était malade, la seconde fois il faisait une tempête de neige et il ne pouvait circuler.

[22] Il admet qu’il a eu des accrochages et des bris mais il s’agissait d’accidents.

Arguments des parties

[23] L’appelant a fait valoir que :

  1. C’est un métier difficile et stressant et les heures sont longues;
  2. il manquait d’expérience, malgré la formation technique c’est un métier qui s’apprend sur le tas, par expérience;
  3. si le chauffeur évalue mal la hauteur ou la largeur, il s’ensuit inévitablement un accrochage, des bris et des incidents;
  4. il a été malchanceux et plus les incidents s s’accumulaient, plus il était stressé et nerveux et plus il faisait d’erreurs ;
  5. il n’a jamais été négligeant ou insouciant, il manquait possiblement de formation ou d’adresse, mais il ne s’agissait pas d’erreurs délibérées ;

[24] L’employeur a soutenu que (pièce GD3-6)

  1. Transport Laberge est une compagnie de transport spécialisé en automobile ce qui demande beaucoup de précaution et de professionnalisme de la part des conducteurs;
  2. un programme de formation de 6 à 8 semaines est donné aux conducteurs avant de les laisser travailler de façon autonome;
  3. l’appelant a reçu une bonne formation, malgré cela il a accumulé des avis verbaux et des sanctions en raison de sa négligence et de sa mauvaise attitude au travail;
  4. il savait que la gradation des sanctions l’amènerait au congédiement s’il n’améliorait pas sa performance.

[25] La Commission intimée a soutenu que : (pièce AD-5)

  1. A la lumière de la pièce documentaire fournie par l’employeur en pièce AD1A-1 à 16, la Commission estime maintenant que l’appelant a été négligent et insouciant et qu’il a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.

Analyse

[26] Il n’y a pas de définition d’inconduite dans la Loi. La jurisprudence l’a toutefois définie ainsi : Pour constituer de l’inconduite, l’acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que l’employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement du travail (Tucker A-381-85).

[27] En matière d’inconduite, les Tribunaux ont maintes fois souligné que les manquements à la conduite reprochée doivent être graves. Une conduite répréhensible ne constitue pas nécessairement une inconduite. L’inconduite est un manquement d’une portée telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’il serait susceptible de provoquer son congédiement (Locke 2003 CAF 262; Cartier 2001 CAF 274; Gauthier A-6-98; Meunier A 130 96).

[28] Pour qu’il y ait inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi, il n’est pas nécessaire que le comportement en cause résulte d’une intention coupable. Il suffit que l’acte répréhensible ou l’omission reproché à l’intéressée soit « volontaire », c’est-à-dire conscient, délibéré ou intentionnel (Caul 2006 CAF 251; Pearson 2006 CAF 199; Bellavance 2005 CAF 87; Johnson 2004 CAF 100; Secours A-352-94; Tucker A-381-85).

[29] Il incombe à la Commission et/ou à l’employeur (seulement si l’employeur est l’appelant) de prouver (selon la prépondérance des probabilités) que le prestataire a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. Pour ce faire, le Tribunal doit être convaincu que l’inconduite était le motif et non l’excuse du congédiement, et pour satisfaire à cette exigence, il doit arriver à une conclusion de fait après avoir examiné attentivement tous les éléments de preuve (Bartone A-369-88; Davlut A-241-82, [1983] C.S.C.R. 398).

[30] La preuve de l’élément psychologique est nécessaire. La conduite du prestataire doit être délibérée ou à ce point insouciante qu’elle frôle le caractère délibéré (McKay-Eden A-402-96; Jewell A-236-94; Brissette A-1342-92; Tucker A-381-85; Bedell A-1716-83

[31] Dans (Mishibinijima c. Canada (P.G.) 2007 CAF 36,) la Cour d’appel fédérale écrit: il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié.

[32] C’est à la lumière de ces grands principes jurisprudentiels que je ferai mon analyse dans cette cause.

[33] Tout d’abord il est utile que préciser que le congédiement n’est pas en cause dans cet appel, il s’agit de déterminer si l’inconduite est la cause de ce congédiement.

[34] J’ai examiné la preuve soumise par l’employeur. Elle est détaillée et prouve que l’appelant a été averti à plusieurs reprises et qu’il ne donnait pas satisfaction au travail.

[35] Sur une période de 18 mois, de 2012 à 2013, il lui est reproché notamment: 3 absences non motivées, d’avoir utilisé son cellulaire en conduisant (1 fois) et excédé la vitesse permise (1 fois). Bien que non négligeables, ces manquements ne constituent pas le vif du sujet. L’appelant a admis ces manquements.

[36] La véritable raison du congédiement, ce que l’employeur lui reproche surtout, ce qui ressort de l’ensemble du dossier, c’est d’avoir causé plusieurs dommages à la cargaison dont il avait la charge (pièce GD6-5 et 6, lettre de congédiement):

  1. a) Suspension de cinq (5) jours, le 13 mars 2013, pour dommage la cargaison;
  2. b) Réprimande le 29 octobre 2012, pour dommage a la cargaison;
  3. c) Avertissement le 4 octobre 2012, pour dommage a la cargaison;
  4. d) Suspension de trois (3) jours, le 4 octobre 2012, pour dommage à la cargaison;
  5. e) Avertissement le 30 juillet 2012, pour dommage a la cargaison;
  6. f) Réprimande le 30 juillet 2012, pour dommage a la cargaison;

[37] L’employeur semblait donc avoir de bonnes raisons pour congédier l’appelant. Peut-on dès lors conclure que l’inconduite est la cause de ce congédiement?

[38] J’ai examiné l’appelant alors qu’il témoignait. C’est de toute évidence un grand gaillard qui parle fort mais qui m’est apparu comme un homme nerveux, j’irais même jusqu’à dire agité.

[39] J’ai apprécié son témoignage lors de l’audience. Ce dernier m’a bien décrit les difficultés qu’il rencontrait dans son travail de conducteur de remorque automobile. Difficultés attribuables à la taille des véhicules, au poids de la marchandise, à l’état des routes et aux conditions climatiques mais aussi à son peu d’expérience et son état de stress.

[40] Je remarque d’ailleurs qu’en page GD2-6, le rapport fourni par Transport Laberge, prouve que l’appelant avait refusé de prendre la route à cause d’une tempête de neige et d’une visibilité réduite et ce, parce qu’il ne se sentait pas à l’aise étant à sa première saison hivernale de conduite avec un permis de classe 1( soulignement ajouté).

[41] Je constate que cela confirme les déclarations de l’appelant quant à son peu d’expérience lors de son embauche chez Transport Laberge. Je retiens son argument à ce sujet et j’estime plausible l’état de stress et de nervosité qu’il m’a décrit.

[42] Lorsqu’on parle de dommages à la cargaison, l’appelant m’a expliqué que cela pouvait définir aussi bien une égratignure sur le camion, un miroir d’automobile endommagé jusqu’à un toit d’auto accroché en raison d’une hauteur mal calculée.

[43] Je constate qu’au chapitre des dommages causés par l’appelant à sa cargaison, il y a 5 incidents survenus respectivement le 30 juillet 2012, le 4 octobre 2012, le 29 octobre 2012, le 13 mars 2013 et un incident final, soit un dommage causé à un van Caravan en date du 17 juin 2013 (page GD6-4).

[44] L’appelant n’a pas nié les fautes reprochées. Il nie cependant que ces fautes aient été commises par négligence ou insouciance. Il décrit les incidents comme accidentels et non volontaires. Je retiens que le terme malchanceux qu’il utilise pour se décrire me semble assez approprié.

[45] L’appelant m’a convaincu. J’accorde crédibilité à ses affirmations. En l’écoutant m’expliquer ses déboires, la question suivante s’est imposée d’elle-même. L’appelant avait-t-il vraiment toutes les compétences voulues pour faire ce travail, bien qu’il possède le permis requis. Et l’incompétence est-elle synonyme d’inconduite au sens de la Loi?

[46] Cette question s’est déjà posée. Dans une cause similaire entendue en 1983, le juge- arbitre DUBINSKY avait tiré la conclusion suivante (CUB 8112) :

Il va sens dire que le prestataire avait été malheureusement impliqué dans un certain nombre d’accidents. Cependant, le témoignage ne donne pas à entendre que le réclamant ait été coupable de négligence délibérée. Je ne blâme pas la compagnie Canadian Pacific Express de l’avoir congédié après son dernier accident. Mais, s’il est évident d’une part que le réclamant ne possédait pas l’aptitude essentiel à la conduite des camions, et par conséquent qu’il était inapte à son emploi, rien n’indique d’autre part que sa négligence était délibérée au point d’en conclure à de l’inconduite aux termes de l’article 41(1) de la Loi. Il s’agissait plutôt d’une question d’incompétence que d’inconduite délibérée.

[47] J’arrive à cette même conclusion. Je constate que l’appelant a été congédié de son emploi en raison de plusieurs incidents, mais que ceux-ci sont davantage attribuables à son inaptitude qu’à sa négligence.

[48] La jurisprudence nous apprend que la preuve de l’élément psychologique est nécessaire. La conduite du prestataire doit être délibérée ou à ce point insouciante qu’elle frôle le caractère délibéré (McKay-Eden A-402-96; Jewell A-236-94; Brissette A-1342-92; Tucker A-381-85; Bedell A-1716-83

[49] Je ne retrouve pas ici les éléments permettant de constater que la conduite de l’appelant était délibérée ou à ce point insouciante qu’elle frôle le caractère délibéré. De ce fait, la preuve de l’élément psychologique n’est pas faite.

[50] Le Tribunal conclut que l’appelant n’a pas perdu son emploi par inconduite aux termes des articles 29 et 30 de la Loi.

Conclusion

[51] L’appel est accueilli.

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