Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Comparutions

  • Appelant : M. J.
  • Représentant de l’appelant : George Radanovics
  • Représentante de la l’intimée (Commission) : Luce Nepveu
  • Avocat de la personne mise en cause (employeur) : E. A.

Introduction

[1] Le 5 mars 2013, le conseil arbitral (conseil) a déterminé que le prestataire (appelant) n’avait pas de justification pour quitter volontairement son emploi en application des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE). L’appelant a assisté à l’audience du conseil en personne. Un représentant de l’employeur était présent. Personne n’y était pour le compte de la Commission. Les parties n’étaient pas représentées par des avocats.

[2] Le 9 avril 2013, un Avis d’appel devant un juge-arbitre a été déposé visant à porter en appel la décision du conseil. Il a été traité comme une demande de permission d’en appeler auprès de la division d’appel (DA) du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal); la permission d’en appeler a été accordée le 3 juillet 2015.

[3] Les documents suivants, qui n’étaient pas dans le dossier présenté au conseil et qui n’ont pas été présentés comme éléments de preuve au conseil, étaient joints à l’avis d’appel au juge-arbitre.

  1. Une déclaration dactylographiée signée par Benjamin van dem Ham le 17 mars 2013;
  2. Une déclaration dactylographiée signée par Alex Leidensdorf;
  3. Une déclaration écrite, signée par Joshua Taylor, datée le 26 mars 2013.

[4] Le Tribunal a tenu une audience par téléconférence pour les raisons suivantes :

  1. la complexité des questions en litige sous appel;
  2. le fait que l’appelant ou d’autres parties y seraient représentés;
  3. le besoin, en vertu du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement), de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Questions en litige

[5] Savoir si la division d’appel peut prendre en considération des éléments de preuve, sous la forme de déclarations écrites, qui n’avaient pas été présentés au conseil;

[6[ Savoir si le conseil n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence et s’il a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu’il a tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance.

[7] Savoir s’il convient pour la DA de rejeter l’appel, de rendre la décision que le conseil aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, ou encore de confirmer, d’annuler ou de modifier la décision du conseil.

Droit applicable

[8] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[9] En l’espèce, la décision du conseil est considérée comme une décision de la division générale.

[10] La permission d’en appeler a été accordée pour la raison que l’appelant avait exposé des motifs correspondant aux moyens d’appel énumérés et que l’un de ces motifs, au moins, conférait à l’appel une chance raisonnable de succès, en l’occurrence les motifs ayant trait aux moyens d’appel prévus aux alinéas 58(1)a) et c) de la Loi sur le MEDS.

[11] Le paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS prévoit les pouvoirs de la division d’appel.

[12] L’article 120 de la Loi sur l’AE, telle qu’il était avant les amendements de 2013, énonçait :

120. (1) La Commission, un conseil arbitral ou le juge-arbitre peut annuler ou modifier toute décision relative à une demande particulière de prestations si on lui présente des faits nouveaux ou si, selon sa conviction, la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait.

[13] L’alinéa 66(1)a) de la Loi sur le MEDS énonce actuellement :

66. (1) Le Tribunal peut annuler ou modifier toute décision qu’il a rendue relativement à une demande particulière :

  1. a) dans le cas d’une décision visant la Loi sur l’assurance-emploi, si des faits nouveaux lui sont présentés ou s’il est convaincu que la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait;

[14] Le paragraphe 66(4) de la Loi sur le MEDS prévoit que la DA peut modifier ou annuler une décision de la DA uniquement en fonction de faits nouveaux. Les articles 45 à 49 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement) prévoient un processus pour les demandes d’annulation ou de modification.

Observations

[15] L’appelant a fait valoir les arguments suivants :

  1. Ni lui ni son représentant n’étaient au courant qu’ils devaient s’assurer la présence d’autres employés du même employeur pour témoigner lors de l’audience;
  2. Ils s’attendaient à ce que la personne qui causait les problèmes sur les lieux de travail soit présente lors de l’audience du conseil;
  3. Après l’audience du conseil, il avait obtenu des déclarations de la part de trois ex-employés, ces déclarations ont été jointes à la demande de permission d’en appeler;
  4. Une affaire devant la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) attendait la décision du conseil;
  5. Après l’audience du conseil, une plainte avait été déposée auprès de la Commission ontarienne des droits de la personne, la CODP;
  6. Le conseil avait entendu ce qu’il voulait bien entendre, avait accepté ce qui lui convenait, qu’il s’agît de ouï-dire ou pas; cependant, certaines choses étaient interdites à l’appelant parce que c’étaient des ouï-dire;
  7. L’audience du conseil n’avait pas été enregistrée.

[16] L’intimée a fait valoir que :

  1. L’appelant ne peut présenter de nouveaux éléments de preuve devant la division d’appel, à moins que ceux-ci soient en lien avec des “ faits nouveaux ” tels que définis dans la législation et dans la jurisprudence;
  2. Pour être considérés comme des « faits nouveaux », ces faits doivent s’être produits après l’audience du conseil et ne pas avoir pu être découverts avant l’audience du conseil;
  3. Avant que le conseil ne rende sa décision, l’appelant aurait pu demander une prorogation afin d’obtenir des déclarations de témoins; après la décision du conseil, l’appelant aurait pu présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision;
  4. La jurisprudence de la Cour d’appel fédérale sur les circonstances exceptionnelles, où une preuve nouvelle peut être présentée en appel, se limite aux cas d’inconduite où il y a eu une entente de règlement qui contredit la conclusion d’inconduite par le conseil; l’affaire actuelle n’est pas un cas d’inconduite et il n’existe aucune entente de règlement;
  5. En guise d’alternative, si les nouveaux éléments de preuve étaient considérés comme des « faits nouveaux » l’affaire devrait être renvoyée à la division générale (DG) du Tribunal;
  6. La question principale est de savoir si l’appelant a quitté son emploi; personne ne conteste qu’il a effectivement quitté son emploi;
  7. L’appelant avait d’autres solutions raisonnables à son départ;
  8. L’appelant n’était pas fondé à quitter volontairement son emploi.

[17] L’employeur a fait valoir les arguments suivants :

  1. L’appelant avait invoqué la question de l’environnement de travail quelque temps avant l’audience pendant que la question se trouvait devant le conseil;
  2. Il n’avait pas demandé à interroger des personnes de son emploi précédent; il n’avait pas dit au conseil qu’il désirait interroger d’autres employés de son employeur;
  3. Personne n’était représenté par un avocat lors de l’audience du conseil; tous étaient libres de poser des questions et tous pouvaient témoigner;
  4. Un représentant de l’employeur était présent à l’audience; il avait participé de plein gré;
  5. L’appelant n’avait pas été privé d’une audience équitable ni de l’application des principes de justice naturelle;
  6. L’appelant n’indiquait rien dans la décision du conseil qui puisse constituer une erreur de faits;
  7. Il n’y a aucune erreur de faits ni d’erreurs mixte de faits et de droit;
  8. Après la décision défavorable du conseil, l’appelant s’est penché à nouveau sur l’affaire, puis s’est muni d’outils qui lui permettraient de surmonter les obstacles de la décision du conseil;
  9. L’appelant ne présente rien de neuf : la question de l’environnement de travail avait fait surface avant l’audience du conseil et la demande au CRTO ainsi que la plainte à la CDPO ont suivi de près la décision du conseil;
  10. Les déclarations présentées en appel ne sont pas des « faits nouveaux » et ne méritent pas qu’on y applique une exception afin d’admettre de nouveaux éléments de preuve à cette étape de l’appel.

Norme de contrôle

[18] Comme l’a déjà déterminé la Cour d’appel fédérale dans les décisions Canada (PG) c. Jewett, (2013) CAF 243, Chaulk c. Canada (PG), (2012) CAF 190 et d’autres décisions, la norme de contrôle applicable aux questions de droit et de compétence dans les appels relatifs à l’assurance-emploi auprès du Conseil arbitral est celle de la décision correcte, tandis que la norme de contrôle applicable aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit dans les appels relatifs à l’assurance-emploi est celle de la raisonnabilité.

[19] Cependant, dans les décisions Canada (Procureur général) c. Paradis, et dans Canada (Procureur général) c. Jean, (2015) CAF 242, la Cour d’appel fédérale (CAF) a suggéré que cette approche n’est pas appropriée lorsque la division d’appel du Tribunal révise les décisions en matière d’assurance-emploi rendues par la division générale.

[20] Je suis embarrassé face à ces divergences apparentes. Mais puisque l’affaire actuelle tient d’un appel contre la décision d’un conseil arbitral et non de la division générale, je vais procéder comme l’ont fait les juges-arbitres : je vais considérer que la norme de contrôle applicable dépend de la nature des erreurs alléguées en cause.

[21] En l’espèce, on allègue un manquement à la justice naturelle et des erreurs de faits.

Analyse

Nouveaux éléments de preuve

[22] Le Tribunal doit d’abord déterminer si les nouveaux éléments de preuve que désire soumettre l’appelant sont recevables par la DA. Personne ne conteste que cette nouvelle preuve, les déclarations écrites, n’a pas été présentée devant le conseil.

[23] Des décisions de la Cour d’appel fédérale ont prescrit que :

  1. Les juges-arbitres ne devraient jamais admettre de nouveaux éléments de preuve : Canada (Procureur général) c. Taylor, (1991) A.C.F. no 508, Canada (Procureur général) c. Hamilton, (1995) A.C.J. no 1230, Brien c. Canada (CAE), (1997) A.C.F. no 492, Canada (Procureur général) c. Merrigan, (2004) CAF 253 et Karelia c. Canada (MRHDS), (2012) CAF 140;
  2. Les juges-arbitres pouvaient admettre de nouveaux éléments de preuve dans la mesure où il s’agissait de « faits nouveaux » en vertu de l’ancien article 120 de la Loi sur l’AE : Canada (MEI) c. Bartone, (1989) A.C.F. no 21, Canada (Procureur général) c. Wile, (1994) A.C.F. no 1852, Canada (Procureur général) c. Chan, (1994) A.C.F. no 1916;
  3.  Les juges-arbitres pouvaient considérer de nouveaux éléments de preuve, qui n’étaient pas des « faits nouveaux », s’ils concernaient un manquement à la justice naturelle : Velez c. Canada (Procureur général), (2002) CAF 343;
  4. Les juges-arbitres pouvaient, dans un cas exceptionnel, considérer une nouvelle preuve qui n’était pas des « faits nouveaux » en vertu de l’ancien article 120 de la Loi sur l’AE : Dubois c. Canada (CAE), (1988) A.C.F. no 768 et Canada c. Courchene, (2007) CAF 183.

[24] Dans la décision Rodger c. Canada (Procureur général), (2013) CAF 222, la Cour d’appel fédérale a dû faire face à un appelant qui a tenté de présenter de nouveaux éléments de preuve devant le juge-arbitre, il a tenté de présenter ces mêmes éléments comme des faits nouveaux en se fondant sur une demande d’annulation ou de modification de la décision du juge-arbitre original, puis a tenté de présenter une nouvelle preuve devant la Cour d’appel fédérale. La décision de la Cour d’appel fédérale a été maintenue :

26 Même si un plaideur ne comprend pas entièrement la procédure à laquelle il participe, ou ne saisit pas l’importance d’un élément de preuve en particulier, le rôle de notre Cour se limite à contrôler les décisions qui lui sont présentées en fonction des éléments de preuve dont disposait le décideur (Ray c. Canada, (2003) CAF 317 (CanLII), (2003) 4 C.T.C. 206, au paragraphe 5). Il ne s’agit pas en l’espèce d’un des rares cas appelant une exception, par exemple une affaire où la Cour doit décider s’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Le juge‑arbitre a tranché l’appel en fonction des éléments de preuve à sa disposition, qui consistait en tous les documents produits devant le conseil et les témoignages relevés dans la décision du conseil, puisqu’il n’y avait pas de transcription de l’audience. La Cour doit se servir du même dossier aux fins du contrôle de la décision du juge‑arbitre.

27 Lorsqu’il a présenté son premier appel devant le juge‑arbitre, le demandeur tentait de faire instruire de nouveau sa cause au fond. Malheureusement, le rôle du juge‑arbitre ne consistait pas à réexaminer, au fond, son appel de la décision de la Commission, pas plus que le rôle de la Cour, dans le cadre de la procédure en contrôle judiciaire, ne consiste à réexaminer, au fond, l’affaire ou les questions dont était saisi le juge-arbitre, comme je l’ai déjà expliqué.

43  Comme la Cour l’a observé par l’arrêt Canada (Procureur général) c. Chan, (1994) 178 N.R. 372 (CAF) au paragraphe 10 (Chan), le réexamen aux termes de cet article de la Loi doit demeurer une « mesure très peu fréquente » et le juge‑arbitre doit s’assurer que les « prestataires négligents ou malavisés » n’abusent pas de ce processus. Comme il est signalé de façon non équivoque dans l’arrêt Chan, une version différente plus détaillée des faits déjà connus du prestataire ou la constatation soudaine des conséquences d’actions passées ne constituent pas des faits nouveaux.

[25] Conformément à la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durables de 2012. article 19, paragraphes 266 — 267, le bureau du juge-arbitre a été remplacé par la division d’appel du Tribunal.

[26] Afin de déterminer si la DA peut recevoir de nouveaux éléments de preuve il convient d’analyser la question en quatre temps :

  1. La DA peut-elle annuler ou modifier une décision du conseil ?
  2. Les nouveaux éléments de preuve sont-ils des « faits nouveaux » ?
  3. Si les nouveaux éléments de preuve ne sont pas des « faits nouveaux » les nouveaux éléments de preuve sont-ils liés à un manquement à la justice naturelle ?
  4. Si les nouveaux éléments de preuve ne sont pas des « faits nouveaux » existe-t-il des circonstances exceptionnelles comme dans les affaires Dubois ou Courchene ?
a) La DA peut-elle annuler ou modifier une décision du conseil ?

[27] L’alinéa 66(1)a) de la Loi sur le MEDS est semblable, mais non identique à l’ancien article 120 de la Loi sur l’AE : les deux prévoient qu’une décision peut être annulée ou modifiée « si des faits nouveaux sont présentés » ou si le Tribunal (anciennement la Commission, le conseil, ou le juge-arbitre) est convaincu que la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou qu’elle a été fondée sur une erreur relative à un tel fait.

[28] Ils diffèrent en ceci : l’ancien article 120 (Loi sur l’AE) permettait à la Commission, le conseil ou au juge-arbitre d’annuler ou de modifier toute décision « relative à une demande particulière de prestations » alors que le paragraphe actuel 66(4) (Loi sur le MEDS) prévoit que le Tribunal peut annuler ou modifier une décision qu’il a rendue relativement à une demande particulière et qu’une décision est annulée ou modifiée par la même division qui l’a rendue.

[29] La DA peut annuler ou modifier une décision qu’elle a rendue, mais ne peut pas annuler ou modifier une décision de la division générale. Les décisions du conseil sont considérées comme des décisions de la division générale. Par conséquent, la DA ne peut pas annuler ou modifier une décision du conseil. Une demande d’annulation ou de modification devrait être présentée à la division générale du Tribunal pour ce faire.

[30] Étant donné le délai d’un an pour présenter la demande de permission d’annuler ou de modifier, il est peut-être trop tard pour l’appelant de présenter une demande à la division générale. Dans ces circonstances, je discuterai des autres questions en dépit de ma conclusion que la DA ne peut annuler ou modifier une décision du conseil.

b) Les nouveaux éléments de preuve sont-ils des « faits nouveaux » ?

[31] Dans l’affaire Chan, la Cour d’appel fédérale a affirmé que le réexamen d’une décision en se fondant sur faits nouveaux devrait se faire qu’en de rares occasions :

¶ 11  Le réexamen aux termes de cet article de la Loi doit demeurer une « mesure très peu fréquente » [Traduction] Les prestataires d’assurance-emploi disposent d’un grand nombre d’occasions pour mettre en question les décisions qui les affectent et le juge‑arbitre doit s’assurer que les « prestataires négligents ou malavisés » n’abusent pas de ce processus (…)

[32] Les nouveaux éléments de preuve que l’appelant cherche à présenter ont la forme de déclarations écrites par d’ex-employés de l’employeur. L’appelant invoque ces déclarations pour démontrer que lui et d’autres employés ont été mal traités. Il prétend qu’il n’était pas au courant qu’il devait s’assurer la présence de témoins lors de l’audience du conseil ni que son employeur refuserait que son ex-supérieur immédiat soit présent à l’audience. Il ne s’était rendu compte qu’après la décision du conseil que le témoignage d’ex-employés pourrait s’avérer utile dans son affaire.

[33] La question du mauvais traitement par la direction a été portée à l’attention du conseil et lors de l’audience. L’appelant avait fourni des éléments de preuve au conseil (dans le dossier du conseil) à l’appui de son mauvais traitement par les gérants de l’employeur. On trouve des références à ceci dans la décision du conseil aux pages 1, 2, 4, 5 et 6. Le conseil conclut à la page 6 de sa décision qu’il n’était pas convaincu que l’appelant avait produit la preuve d’une réprimande et d’une dévalorisation ni qu’il avait une relation antagoniste avec l’employeur.

[34] Il existe une différence entre des faits nouveaux et de nouveaux éléments de preuve à l’appui de faits connus. Comme mentionné plus haut dans l’affaire Chan : « Une version différente des faits déjà connus de la prestataire, de simples réflexions après coup ou la constatation soudaine des conséquences d’actions passées ne sont pas des « faits nouveaux ».

[35] Des éléments de preuve disponibles au moment de l’audience du conseil, mais pas présentés au conseil, ne peuvent être considéré comme des faits nouveaux : Velez, supra.

[36] Les « faits nouveaux » doivent s’être produits après la décision ou avant celle-ci, à condition qu’ils aient été impossibles à révéler malgré la diligence : Chan, supra.

[37] La question n’est pas de savoir si l’appelant était au courant qu’il devait présenter les nouveaux éléments de preuve à l’audience du conseil, mais bien de savoir si l’appelant, en agissant de façon diligente, aurait pu présenter ces éléments de preuve : Canada (Procureur général) c. Hines (2011) CAF 252.

[38] En l’espèce, les nouveaux éléments de preuve que désire présenter l’appelant (les déclarations écrites) tendent à étayer des faits déjà connus qui auraient pu être présentés lors de l’audience du conseil.

[39] Les déclarations écrites que l’appelant cherche à présenter en appel à la DA ne constituent pas des « faits nouveaux » selon le critère juridique applicable. Par conséquent, la DA ne peut les admettre comme tels.

c) Les nouveaux éléments de preuve sont-ils liés à un manquement à la justice naturelle ?

[40] L’appelant invoque un manquement à la justice naturelle, notamment le droit d’être entendu, comme motif d’appel; la permission d’en appeler avait été accordée sur cette base, en partie.

[41] Lors de l’audience de la DA, le représentant de l’appelant a prétendu que le droit d’être entendu avait été violé parce que le conseil n’avait écouté que certaines parties du témoignage de l’appelant et qu’il avait classé certains éléments de preuve comme étant du ouï-dire alors qu’il n’a pas fait de même pour la preuve de l’employeur. La preuve, qui tenait du ouï-dire, que le conseil a admise avait trait aux absences de l’appelant au travail et au dommage au véhicule qu’on avait demandé à l’appelant de payer.

[42] L’intimée a soutenu que le conseil était le maître des faits et son rôle consistait à soupeser la preuve portée à sa connaissance et à établir les faits en fonction de la preuve qui lui est présentée. Dans ce processus, le conseil peut décider quels éléments de preuve il conserve et lesquels il rejette.

[43] La partie mise en cause a fait valoir que la décision du conseil n’avait rejeté aucun des éléments de preuve sur la base de ouï-dire et que la preuve admise sur le dommage au véhicule était basée sur des faits reconnus. Ce que l’appelant a peut-être cherché à présenter à l’audience du conseil, concernant les relations entre les autres employés et l’employeur, ne constituait pas un fait reconnu.

[44] En tous les cas, le représentant de l’appelant a été très clair au sujet des nouveaux éléments de preuve : il n’était pas venu à l’esprit de l’appelant de demander à d’autres personnes de témoigner lors de l’audience.

[45] Tout manquement à la justice naturelle doit être soulevé à la première occasion possible; le fait de ne pas s’y opposer au cours de l’audience doit être considéré comme une renonciation implicite à invoquer tout manquement perçu à l’équité Benitez et autres c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, (2006) CF 461, paragraphes 204-220. La première occasion qui est donnée au demandeur se présente lorsque celui-ci est informé des renseignements pertinents et qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il soulève une objection (ibid., paragraphe 221). Toutefois, la doctrine de la renonciation n’empêche pas un demandeur de faire valoir que la façon dont l’audience a été menée constitue un manquement à l’obligation d’équité du fait, par exemple, d’un contre-interrogatoire musclé (ibid., paragraphe 222).

[46] En aucun moment l’appelant n’a-t-il invoqué de manquement aux principes de justice naturelle à l’audience du conseil. L’appelant a allégué un manquement aux principes de justice naturelle pour la première fois dans sa demande de permission d’en appeler.

[47] J’en conclus que l’appelant n’a pas invoqué un manquement à la justice naturelle à la première occasion qui lui a été donnée. Toutefois, la doctrine de la renonciation n’empêche pas un demandeur de faire valoir que la façon dont l’audience a été menée constitue un manquement à l’obligation d’équité du fait d’un contre-interrogatoire musclé ou d’une autre forme d’intimidation similaire. La description par l’appelant de l’audience du conseil, ne démontre en rien que l’appelant a fait l’objet d’intimidation au cours de l’audience.

[48] Bien que l’appelant n’ait pas soulevé de questions relatives à l’équité lors de l’audience du conseil et que, de ce fait, il soit réputé avoir renoncé à invoquer tout manquement perçu à l’équité, le Tribunal se penchera sur le ou les manquements allégués aux principes de justice naturelle.

[49] L’appelant a allégué qu’il s’était vu refuser le droit de se faire entendre pleinement. Plus précisément, il soutient que le témoignage qu’il tentait de rendre a été qualifié de ouï-dire.

[50] Tout appelant a droit à une audience équitable où il a pleinement l’occasion de présenter son cas à un décideur impartial : Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1999) 2 RCS 817, paragraphes 21-22).

[51] J’ai examiné en détail le dossier d’appel porté à la connaissance du conseil; il est clair que le conseil avait le dossier documentaire à sa disposition, notamment la demande de l’appelant, les questionnaires et les autres déclarations, ainsi que sa demande de réexamen et des documents concernant des entrevues avec l’employeur. Dans sa décision écrite, le conseil a également résumé le témoignage de l’appelant au sujet de son historique de travail chez cet employeur et ses raisons de quitter cet emploi. L’opportunité de plaider son affaire ne dépendait pas uniquement du témoignage oral à l’audience du conseil.

[52] Dans l’arrêt Arthur c. Canada (Procureur général), (2001) CAF 223, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’une allégation de partialité ou de préjugé portée à l’encontre d’un tribunal est une allégation sérieuse. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. L’obligation d’agir équitablement comporte deux volets, soit le droit d’être entendu et le droit à une audition impartiale.

[53] Même si je tenais pour avérées les allégations de l’appelant au sujet des commentaires sur les ouï-dire formulés à l’audience par le conseil, elles figurent au paragraphe 41 ci-dessus, la preuve ne montre pas que le conseil n’a pas suffisamment donné l’occasion à l’appelant d’être entendu ou qu’il s’est fondé sur des préjugés ou a fait preuve de partialité. Bien que l’appelant puisse avoir l’impression de n’avoir pas été entendu, la preuve ne démontre pas que le conseil a, par son comportement, dérogé aux normes entourant le droit d’être entendu et le droit à une audience équitable.

[54] Pour les motifs susmentionnés, je conclus que le conseil n’a pas manqué aux principes de justice naturelle en n’accordant pas une audience équitable à l’appelant.

[55] Par conséquent les nouveaux éléments de preuve que l’appelant cherche à présenter ne se rapportent pas à un manquement à la justice naturelle et ne peuvent être admis par la DA en vertu de l’exception de l’affaire Velez.

d) Existe-t-il des circonstances exceptionnelles comme dans les affaires Dubois ou Courchene ?

[56] Dans l’affaire Canada (PG) c. Courchene, (2007) CAF 183, la Cour d’appel fédérale s’est prononcée sur une demande de contrôle judiciaire fondée sur une affaire dans laquelle le juge-arbitre avait décidé d’admettre en preuve le procès-verbal de transaction (c’est-à-dire d’entente de règlement) à titre de « fait nouveau » ou fait essentiel qui n’était pas connu du conseil arbitral lorsqu’il a rendu sa décision en vertu de l’ancien article 120 de la Loi sur l’AE. La Cour a alors dit ceci :

¶ 3 Le demandeur soutient que le juge‑arbitre ne peut admettre en preuve le procès‑verbal de transaction, car celui‑ci existait avant l’audience du conseil arbitral. Peu importe que le procès‑verbal de transaction constitue un « fait nouveau » ou un fait essentiel qui n’était pas connu du conseil arbitral lorsqu’il a rendu sa décision, le juge‑arbitre pouvait décider de l’admettre en preuve conformément à l’article 120 de la Loi. En ce qui concerne l’approche à adopter à l’égard de l’admission de nouveaux éléments de preuve par un juge‑arbitre, nous renvoyons à l’arrêt rendu par la Cour dans Dubois c. La Commission de l’assurance emploi du Canada et le procureur général du Canada, (1998) A.C.F. no 768, 231 N.R. 119, aux pages 119 à 121, où le juge Marceau affirme :

Il suffit de dire que l’arbitre a refusé de recevoir la preuve nouvelle par application rigide des principes dégagés par les tribunaux à l’effet qu’en matière d’appel ou de révision judiciaire, preuve nouvelle implique preuve inconnue de la partie impliquée au moment de l’audition en première instance ou alors impossible à produire.

. . .

Nous tenons à exprimer des réserves sérieuses à l’égard de l’application par un arbitre de règles formelles dégagées pour la bonne marche des tribunaux judiciaires. L’arbitre est un échelon dans le processus d’administration de la Loi sur l’assurance-chômage, une loi d’ordre éminemment social, où les prestataires agissent d’eux-mêmes la plupart du temps sans représentations et où les arbitres au niveau de la première instance n’ont même pas de formation juridique. Les principes de justice suggèrent l’introduction d’un libéralisme total au niveau de l’acceptation des représentations des prestataires à tous les niveaux, libéralisme que demande d’ailleurs l’article 86 [maintenant l’article 120] de la Loi.

Sur cette base, la Cour d’appel fédérale a conclu que la décision du juge-arbitre dans l’affaire Courchene était raisonnable.

[57] L’intimée a fait valoir à l’audience de l’appel, que l’affaire Courchene se distingue de la présente affaire parce qu’elle concernait une inconduite et une entente de règlement entre le prestataire et l’employeur qui contredisait la conclusion d’inconduite du prestataire.

[58] Dans la situation actuelle, on s’entend pour dire que l’appelant a quitté son emploi chez cet employeur. L’inconduite n’était pas le motif de la cessation de son emploi. Il n’y a pas eu d’entente de règlement entre l’appelant et la partie mise en cause.

[59] De plus, dans les affaires Dubois et Courchene les décisions ont été rendues en vertu de l’ancien article 120 de la Loi sur l’AE, dans le cadre d’un régime qui permettait à un juge-arbitre d’annuler ou de modifier une décision du conseil. Comme mentionné plus haut, la DA ne peut pas annuler ou modifier une décision de la DG ou du conseil.

Conclusion sur les nouveaux éléments de preuve

[60] Après avoir examiné la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale sur les nouveaux éléments de preuve à ce stade-ci des procédures, je conclus que la DA ne peut pas admettre les nouveaux éléments de preuve de l’appelant.

Manquement à la justice naturelle

[61] Dans son appel, l’appelant a invoqué unmanquement à la justice naturelle, nommément qu’il n’avait pas eu le droit d’être entendu à cause du classement comme ouï-dire de certains éléments de preuve que l’appelant cherchait à présenter. J’ai conclu aux paragraphes [40] à [55], ci-haut, que le conseil n’a pas manqué à un principe de justice naturelle concernant l’évaluation de la preuve, ni concernant ses conclusions tirées sur le fondement de son examen de cette preuve.

[62] L’appelant a également fait valoir que le conseil n’avait pas enregistré son audience. Il n’y a pas eu d’arguments sur le fond sur cette question, mais il a été suggéré qu’il s’agissait d’une erreur sujette à révision. Par conséquent, je m’en tiendrai à considérer si le conseil n’a pas observé un principe de justice naturelle parce qu’il n’y a pas d’enregistrement de l’audience.

[63] La Cour suprême du Canada (CSC), dans l’arrêt S.C.F.P., section locale 301 c. Québec (Conseil des services essentiels), (1997) 1 R.C.S. 793 (répertorié Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville)), a déterminé que l’absence d’un enregistrement ne constitue pas nécessairement un manquement à la justice naturelle s’il n’y a pas d’obligation légale d’effectuer un enregistrement. La CSC a statué qu’en l’absence d’un droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande. Si c’est le cas, l’absence d’une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle. Dans cette affaire, la CSC a conclu que la preuve déposée eu égard à la demande de révision judiciaire fournissait un dossier plus que suffisant pour réviser les conclusions de fait du décideur (le Conseil des services essentiels) et déterminer si la prétention de l’intimée (le Syndicat) était fondée.

[64] Le conseil n’avait aucune obligation légale d’enregistrer ses audiences. L’avis d’audience reçue par chacune des parties indiquait que l’appelant pouvait demander l’enregistrement de l’audience. L’appelant ne l’a pas demandé.

[65] La Cour d’appel fédérale (CAF), dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Scott, (2008) CAF 145, a statué que le juge-arbitre ne pouvait pas utiliser l’absence de transcription comme motif pour annuler la décision du conseil arbitral, à moins qu’il ne soit démontré que l’absence de l’enregistrement ou de la transcription avait de fait privé la défenderesse de son droit d’appel devant le juge-arbitre. Comme cela n’avait pas été établi, la CAF a annulé la décision du juge-arbitre.

[66] Dans Patry c. Canada (PG), (2007) CAF 301, le conseil arbitral n’avait pas fourni d’enregistrement audio de l’audience. Le juge-arbitre a jugé que le fait que le conseil arbitral n’eut pas remis un enregistrement n’invalidait pas l’instance qui s’était déroulée devant le conseil arbitral. La CAF a confirmé la décision du juge-arbitre.

[67] Sur la foi de la jurisprudence citée ci-haut, l’absence d’un enregistrement de l’audience du conseil, ne constitue pas en soi un manquement à la justice naturelle.

[68] L’appelant n’a pas allégué que l’absence d’enregistrement l’avait effectivement privé de son droit d’en appeler ou que le dossier de l’appel ne permettait pas à la DA de déterminer si son appel est fondé.

[69] Les nouveaux éléments de preuve que l’appelant cherchait à présenter ne concernent pas l’absence de l’enregistrement, ou les conséquences de celle-ci, mais bien la question du traitement que l’appelant aurait subi de la part de son employeur.

[70] Je conclus que le dossier de l’appel est suffisamment complet pour que je me penche sur les conclusions du conseil afin de déterminer si l’appel est fondé et afin de trancher correctement cet appel. Par conséquent, l’absence d’un enregistrement de l’audience du conseil ne constitue pas un manquement à la justice naturelle.

Les erreurs de fait ou mixtes de droit et de faits sont :

[71] Dans son avis d’intention d’en appeler, l’appelant a fait valoir que le conseil avait fondé sa décision sur des erreurs, plus particulièrement sur la conclusion liée au traitement que lui aurait fait subir l’employeur dans le milieu de travail.

[72] Pour qu’une décision du conseil soit sujette à révision à cause d’une conclusion de fait erronée, il faut que le conseil ait tiré cette conclusion de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[73] Au sujet des éléments de preuve et arguments que le demandeur a présentés devant le conseil concernant les mauvais traitements dont il aurait été victime sur les lieux de travail, il est noté, aux pages 9 et 10 de la décision du conseil, ce qui suit :

  1. Le prestataire déclare avoir été réprimandé et dévalorisé […]. L’exemple qu’il fournit […] semble relativement bénin;
  2. Le Conseil n’est pas convaincu que le prestataire a produit la preuve d’une réprimande et d’une dévalorisation ni qu’il avait une relation antagoniste avec l’employeur;
  3. Le Conseil considère que le prestataire était généralement insatisfait de son emploi et de sa progression personnelle […].

[74] Pour en arriver à chacune de conclusions, le conseil a tenu compte des éléments portés à sa connaissance. Il a pris en considération et s’est référé aux éléments de preuve compris au dossier ainsi qu’aux témoignages de l’audience, sans compter les observations des parties. Ces conclusions n’ont pas été tirées de façon abusive ou arbitraire.

[75] Le conseil a appliqué le bon critère juridique, à savoir si l’appelant avait ou non d’autres solutions raisonnables de quitter son emploi, nommément.

[76] Dans l’affaire Guay c. Canada (Procureur général), (1997) CanLII 5521 (CAF), la cour Cour d’appel fédérale a dit ceci :

“ De toute façon, dans tous les cas, c’est le Conseil arbitral « le pivot de tout le système mis en place par la Loi pour ce qui est de la vérification des faits et de leur interprétation » " qui est celui qui doit apprécier. [Traduction] Par conséquent, la Commission maintient que la décision du conseil est tout à fait compatible avec la preuve qui a été mise à sa connaissance et que le prestataire n’a pas démontré que sa décision de quitter volontairement son emploi constituait la seule solution raisonnable dans les circonstances. »

[77] Dans l’appel actuel, bien que l’appelant allègue des erreurs dans la décision du conseil, il n’a pas réussi à indiquer une erreur susceptible de contrôle aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS. En l’absence d’une telle erreur susceptible de contrôle, la loi ne permet pas à la DA d’intervenir. Le rôle de la DA n’est pas de reprendre de novo l’instruction de l’affaire.

[78] À la lumière des observations des parties et à l’issue de mon examen de la décision du Conseil et du dossier d’appel, je conclus que la décision du conseil sur le départ volontaire de son emploi par l’appelant était raisonnable.

Conclusion

[79] L’appel est rejeté.

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