Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Introduction

[1] Le 21 juillet 2015, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a rejeté la demande de l’appelant visant à obtenir la révision d’une décision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission).

[2] La Commission (intimée) avait rejeté la demande de prestations d’assurance-emploi présentée par l’appelant après avoir établi que ce dernier avait quitté volontairement son emploi sans justification. Sa demande avait été rejetée à l’étape de la révision.

[3] La DG a rejeté son appel, concluant que l’appelant avait quitté son emploi volontairement sans démontrer une justification aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

[4] L’appelant a reçu la décision de la DG le 29 juillet 2015. Il a présenté une demande de permission d’en appeler auprès de la division d’appel du Tribunal le 18 août 2015 dans le respect du délai de trente jours.

[5] L’intimée a soumis des observations écrites reconnaissant le bien-fondé de l’appel et recommandant que la permission d’en appeler soit accordée et que l’appel soit accueilli.

Questions en litige

[6] Les parties demandent, de la part de la DA, une décision qui se fonde sur une concession déposée par l’intimée. Le rôle de la division d’appel consiste à déterminer si la concession proposée par l’intimée répond aux exigences de la loi.

[7] La division d’appel doit déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès.

[8] S’il est établi que l’appel a une chance raisonnable de succès, la division d’appel doit décider de rejeter l’appel, de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen, ou encore de confirmer, d’infirmer ou de modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

Droit applicable et analyse

[9] Aux termes des paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le MEDS, « il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission » et « la division d’appel accorde ou refuse cette permission ».

[10] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS indique que « la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. »

[11] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS indique que les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[12] Le paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS énonce les pouvoirs de la division d’appel. Il affirme :

La division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

[13] Selon le sous-alinéa 29c)(ii) de la Loi, le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, y compris une modification importante des fonctions, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas, notamment la nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence.

Demande de permission d’en appeler

[14] Avant qu’une permission d’en appeler puisse être accordée, le Tribunal doit être convaincu que les motifs d’appel se rattachent à l’un ou l’autre des moyens d’appel admissibles et que l’un de ces motifs au moins confère à l’appel une chance raisonnable de succès.

[15] L’appelant invoque des erreurs de droit et des erreurs de conclusions de fait. Il soutient plus particulièrement que  :

  1. La DG n’a pas tenu compte ou a écarté la jurisprudence à l’appui de l’appel;
  2. La DG a fondé ses décisions sur des conclusions de fait erronées, particulièrement aux paragraphes [18], [37] et [38] de sa décision; ces conclusions ayant été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance;

[16] Les motifs d’appel de l’appelant se rattachent aux moyens d’appel prévus aux alinéas 58(1)b) et c) de la Loi sur le MEDS.

[17] L’intimée convient que la permission d’en appeler doit être accordée et, qui plus est, que l’appel doit être accueilli. L’intimée fait valoir notamment que :

  1. À la lumière de la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale concernant la décision d’accompagner un conjoint vers une autre résidence, les observations de la DG étaient erronées en concluant que l’appelant devait s’être assuré un nouvel emploi avant de quitter son emploi, pour que sa décision soit considérée comme solution raisonnable à son départ.
  2. La conclusion de la DG « il ne serait pas déraisonnable que l’épouse déménage à X et que le prestataire la rejoigne aussitôt qu’il se serait trouvé un nouvel emploi comme technicien en pharmacie à X ou dans la région environnante. » était erronée;
  3. La jurisprudence du Tribunal appuie la position de l’appelant à savoir qu’il est fondé à quitter son emploi volontairement en vertu de l’alinéa 29c)(ii) de la Loi sur l’AE (nécessité d’accompagner un époux)
  4. La DG a commis une erreur en ne considérant pas et en n’appliquant pas les principes établis dans la jurisprudence et soumis par le représentant de l’appelant;
  5. Pour ce qui est de la question de savoir que l’appelant n’a pas accumulé suffisamment d’heures d’emploi assurables requis par l’article 7 de la Loi sur l’AE, vu qu’il a quitté volontairement son emploi sans justification, la Commission suggère que si la DA admet la concession, cette question ne se pose plus.

[18] Compte tenu de la possible erreur dans les conclusions de fait (que la DG aurait tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance), d’une possible erreur de droit et de mon examen de la décision de la DG et du dossier, je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

[19] J’accueille, par conséquent, la demande de permission d’en appeler.

Bien-fondé de l’appel

[20] L’intimée a fait valoir que la norme de contrôle applicable pour les questions mixtes de fait et de droit est celle de son caractère raisonnable.

[21] Comme l’a déjà déterminé la Cour d’appel fédérale dans les décisions Canada (PG) c. Jewett, (2013) CAF 243, Chaulk c. Canada (PG), (2012) CAF 190 et dans d’autres décisions, la norme de contrôle applicable aux questions de droit et de compétence dans les appels relatifs à l’assurance-emploi est celle de la décision correcte, tandis que la norme de contrôle applicable aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit dans les appels relatifs à l’assurance-emploi est celle de son caractère raisonnable.

[22] Cependant, dans les décisions Canada (Procureur général) c. Paradis, Canada (Procureur général) c. Jean, (2015) CAF 242, la Cour d’appel fédérale a suggéré que cette approche n’est pas appropriée lorsque la DA du Tribunal révise les décisions en matière d’assurance-emploi rendues par la DG.

[23] Je suis dans l’embarras quant à la façon de résoudre ces divergences apparentes. Qui plus est, l’intimée soutient que la norme de contrôle applicable est celle qui a été proposée précédemment dans les arrêts de la Cour suprême du Canada tels que Smith c. Alliance Pipeline Ltd., (2011) CSC 7 (paragraphe 26) et Dunsmuir c. New Brunswick, (2008) CSC 9 (paragraphes 51 et 53-54).

[24] Je note également qu’en général, la Cour suprême du Canada semble pencher dans le sens du caractère raisonnable dans la plupart des cas, à moins que le régime législatif applicable n’indique autrement : Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp, (2014) CSC 53, Tervita Corp. c. Canada (commissaire à la Concurrence), (2015) CSC 3, et CBC c. SODRAC (2003) Inc., (2015) CSC 57.

[25] Le régime législatif du Tribunal ne mentionne aucune norme de contrôle lorsqu’il s’agit du réexamen d’une décision de la DG par la DA.

[26] Étant donné que la Cour d’appel fédérale a conclu dans plusieurs affaires que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est la correction, je vais examnienr la décision de la DG en me fondant sur la correction du droit applicable et sur le caractère raisonnable de la décision pour ce qui est des questions mixtes de fait et de droit.

Décision de la division générale

[27] La décision de la DG précise :

[35] Le représentant de l’appelant a invoqué des décisions de la Cour d’appel fédérale et de celles des juges arbitres à l’appui de sa position à savoir que le prestataire avait l’obligation de suivre son épouse. Le Tribunal estime, cependant, que la jurisprudence invoquée ne reflète pas les faits de cette affaire. Ce prestataire et son épouse avaient décidé de déménager pour des raisons personnelles et le prestataire n’avait donc aucune obligation de suivre son épouse.

[36] Le Tribunal est guidé par la Cour d’appel fédérale dans la décision Canada (PG) c. White, (2011) CAF 190, où la Cour a confirmé le principe selon lequel il incombe à un prestataire qui quitte volontairement son emploi de prouver qu’il n’avait d’autre solution raisonnable que de le quitter lorsqu’il l’a fait. Le Tribunal estime que le prestataire n’a pas fait la démonstration qui lui incombait.

[37] Le prestataire a affirmé que son épouse travaillait de 2 à 7 semaines dans des régions éloignées du nord de la C.B.. Il est donc logique de présumer qu’ils ont vécu des périodes de séparation. Par conséquent, il ne serait pas déraisonnable que l’épouse déménage à X et que le prestataire la rejoigne aussitôt qu’il se serait trouvé un nouvel emploi comme technicien en pharmacie à X ou dans la région environnante. Les éléments de preuve démontrent que le prestataire a quitté son emploi le 12 juin 2104 et a été embauché par une pharmacie dans la région de X le 18 août 2014. Bien que cette séparation a duré environ 8 semaines, une semaine de plus que requis par le travail de l’épouse, ces périodes de séparation avaient été consenties régulièrement par le prestataire et son épouse.

[38] Le Tribunal estime que toute personne a le droit de quitter son emploi et de déménager quand elle le désire. Aux yeux du Tribunal, il est clair que ce déménagement a été le résultat d’un choix personnel, bien que fondé sur plusieurs bonnes raisons. Par conséquent, le prestataire ne peut s’attendre à ce que l’assurance-emploi (le contribuable) prenne en charge les risques associés à son choix personnel.

[39] Compte tenu de toutes les circonstances, le Tribunal conclut que le prestataire n’a pas démontré qu’il était « fondé » à quitter son emploi au Vancouver Coastal Health au sens de la Loi.

[28] La jurisprudence invoquée par la DG comprenait les décisions Tanguay (A-1458-84), Landry (A-1210-92), Canada (Procureur général) c. White, (2011) CAF 190, Devuyst (CUB 45378).

Erreur de la division générale

[29] La DG n’a pas pris en considération la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale qui affirme que les décisions des juges-arbitres selon lesquelles, dans les situations où un époux déménageait pour accompagner l’autre, le principe qui consiste à juger raisonnable la solution de ne pas déménager avant de s’être assuré un autre emploi, ne tient plus : Canada (Procureur général) c. Rust, (1996) Carswell Nat. 436 et Canada (Procureur général) c. Mullin, (1996) Carswell Nat. 434.

[30] Dans la décision Rust, supra, la prestataire avait volontairement quitté son emploi pour accompagner son mari à la retraite qui avait déménagé pour des raisons de santé. Le juge-arbitre avait estime que, malgré la politique de la Commission selon laquelle un époux ne peut invoquer comme justification un déménagement obligé aux termes de l’article 28(4)b) de la Loi sur l’AE tel qu’elle était à ce moment – « nécessité de changer de lieu de résidence pour accompagner un époux ou un enfant à charge dans un autre lieu de résidence »  - à moins que l’époux ne soit déménagé pour des raisons liées à son emploi, une interprétation libérale de cette disposition couvrait l’obligation de déménagement pour accompagner son époux de la prestataire, et elle n’a pas eu besoin de démontrer qu’elle avait déménagé pour des raisons liées à l’emploi. La Cour d’appel fédérale a confirmé cette décision.

[31] Dans la décision Mullin, supra, la prestataire avait quitté son emploi volontairement pour suivre son mari qui avait déménagé afin de chercher du travail dans une autre province. Le conseil avait décidé qu’elle était fondée à le faire et il avait cité la disposition « nécessité de changer de lieu de résidence afin d’accompagner son époux ». Le juge-arbitre avait rejeté l’appel de la Commission en affirmant  :

Dans les circonstances de cette affaire, cependant, je ne me soucie pas du caractère raisonnable de la décision de déménager de M. Mullin, peu importe qu’il ait pris cette décision seul ou, ce qui est probable, après en avoir discuté avec son épouse.

La question est de savoir si, la décision de M. Mullin étant prise, la décision de madame Mullin d’accompagner son mari avait une justification. La « nécessité » mentionnée à l’alinéa 28(4)b) de la Loi reconnaît, je l’espère, la norme qui veut que les époux vivent ensemble.

Je ne peux pas conclure que le conseil a commis une erreur de droit.

La Cour d’appel fédérale a confirmé cette décision du juge-arbitre.

[32] Le principe établi dans ces affaires est celui où, lorsqu’un prestataire établit qu’il a l’obligation d’accompagner son époux, son conjoint de fait, ou un enfant dont il a la charge vers un nouveau lieu de résidence, il n’est pas nécessaire de considérer s’il existe une autre solution raisonnable (précisément, de ne pas changer de résidence avant de s’être assuré d’un autre emploi).

[33] La DG n’a pas pris ce principe en considération. Au contraire, la DG a conclu que : « il ne serait pas déraisonnable que l’épouse déménage à X et que le prestataire la rejoigne aussitôt qu’il se sera trouvé un nouvel emploi comme technicien en pharmacie à X ou dans la région environnante. »

[34] Je conclus que la DG a commis une erreur de droit en omettant de considérer la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale et le principe établi dans ces décisions, en outre, elle a commis des erreurs mixtes de fait et de droit en tirant cette dernière conclusion.

[35] Par conséquent, la division d’appel est tenue, en vertu de la norme de la décision correcte, de procéder à sa propre analyse (Housen c. Nikolaisen, [2002] RCS 235, (2002) CSC 33 (CanLII), paragraphe [8], et de décider de rejeter l’appel, de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, de renvoyer l’affaire à la division générale, ou encore de confirmer, d’infirmer ou de modifier la décision.

[36] Je conclus que les décisions Rust et Mullin s’appliquent à la situation actuelle et que la décision de l’appelant d’accompagner son épouse et de déménager à X est fondée.

[37] Compte tenu de l’ensemble des éléments susmentionnés et des observations des parties, j’accueille l’appel.

Conclusion

[38] La demande de permission d’en appeler est accueillie.

[39] L’appel est accueilli et l’exclusion pour avoir quitté volontairement un emploi est retirée.

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