Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Introduction

[1] La demanderesse souhaite obtenir de la part du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal) la permission d’en appeler de la décision de la division générale (DG) du Tribunal rendue le 5 février 2015. La DG a accueilli l’appel de l’intimé alors que la Commission avait refusé d’antidater sa demande en application du paragraphe 10(4) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

[2] La demanderesse a déposé une demande de permission d’en appeler (Demande) à la division d’appel du Tribunal le 25 février 2015. La Demande a été déposée dans le délai prescrit de 30 jours.

[3] Les moyens d’appel énoncés dans la demande sont que la décision de la DG est entachée d’une erreur de droit et de fait, comme suit :

  1. L’intimé a présenté une demande de prestations régulières avec une demande d’antidatation de sa demande;
  2. La demanderesse a refusé la demande d’antidatation au motif que le prestataire n’avait pas démontré de motif valable pour un retard de huit mois;
  3. La DG a déterminé que l’intimé, n’étant pas au courant de l’existence du programme d’AE, avait agi en personne raisonnable et que le fait de n’être pas au courant n’équivaut pas à ignorer la loi;
  4. Une personne raisonnable dans cette situation n’aurait pas attendu huit mois avant de se renseigner sur la façon de procéder;
  5. La Cour d’appel fédérale (CAF) a affirmé que les prestataires ont le devoir de se renseigner sur leurs droits et obligations et que seules des circonstances exceptionnelles justifieraient de ne pas le faire;
  6. Il n’y avait pas de circonstances exceptionnelles dans ce cas-ci.

Question en litige

[4] Le Tribunal doit décider si l’appel a une chance raisonnable de succès.

Droit applicable et analyse

[5] Conformément aux paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), « il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission » et la division d’appel « accorde ou refuse cette permission ».

[6] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS indique que « la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. »

[7] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS indique que les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[8] Le Tribunal doit être convaincu que les motifs d’appel se rattachent à l’un ou l’autre des moyens d’appel énumérés. L’un de ces motifs au moins doit conférer à l’appel une chance raisonnable de succès avant que la permission d’en appeler puisse être accordée.

[9] Le Tribunal note que l’intimé avait été présent et qu’il avait témoigné à l’audience devant la DG, mais que la demanderesse a décidé de ne pas y assister.

[10] La DG a conclu ce qui suit aux paragraphes [5] et [6] de sa décision :

[24] Le Tribunal estime que le prestataire était crédible durant son témoignage sous serment à l’audience, en ce qu’il était ouvert et constant dans ses commentaires et ses réponses aux questions.

[25] Le Tribunal estime que le prestataire avait un motif valable pour le retard de sa demande de prestations d’AE parce qu’il était relativement nouveau venu au Canada et peu familier avec le programme d’AE et que de tels programmes n’existaient pas dans les pays où il avait vécu. Le prestataire a déclaré que s’il avait connu l’existence du programme d’AE, il aurait fait une demande dès qu’il avait perdu son emploi.

[26] Bien que la loi ne définisse pas le « motif valable justifiant le retard », la jurisprudence a établi un critère permettant de l’établir, qui consiste à déterminer si le prestataire a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s’assurer de ses droits et obligations. Il ne suffit pas pour un prestataire d’invoquer son ignorance de la loi, car on s’attend généralement à ce qu’il prenne des mesures concrètes pour vérifier son admissibilité en vertu de la Loi.

  • Canada (Procureur général) c. Albrecht, A-172-85; Canada (Procureur général) c. Carry, (2005) CAF 367;
  • Canada (Procureur général) c. Scott, (2008) CAF 145; Canada (Procureur général) c. Beaudin, (2005) CAF 123;
  • Canada (Procureur général) c. Somwaru, (2010) CAF 336; Canada (Procureur général) c. Innes, (2010) CAF 341

[27] La jurisprudence a confirmé que l’inexpérience du programme d’AE peut suffire pour établir un motif valable (CUB 17601).

[28] Le Tribunal conclut que le prestataire a agi de façon raisonnable puisqu’il ne connaissait pas l’existence du programme d’AE, d’où son motif valable. Le Tribunal estime que la non-connaissance du programme d’AE n’est pas équivalente de l’ignorance de la loi, qui n’est pas un motif valable.

[29] Le Tribunal conclut que le prestataire avait un motif valable pour présenter en retard sa demande de prestations d’assurance-emploi pour la période du 16 novembre 2013 au 12 juillet 2014, et, pour ce motif, d’antidater sa demande, aux termes du paragraphe 10(4) de la Loi.

[11] Sur le fondement de ces conclusions, la DG a accueilli l’appel de l’intimé.

[12] Bien que la DG ait cité les décisions de la Cour d’appel fédérale pour déterminer le critère juridique applicable au « motif valable pour un retard » — à savoir si le prestataire a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s’assurer de ses droits et obligations, — cependant, elle a appliqué la décision d’un juge-arbitre pour conclure au motif valable.

[13] La DG ne semble pas voir que les décisions de la Cour d’appel fédérale constituent la jurisprudence alors que les décisions des juges-arbitres ne le sont pas (bien qu’elles puissent être persuasives).

[14] Ce qui plus est, dans l’affaire Howard c. Canada (Procureur général), (2011) CAF 116, la Cour d’appel fédérale a affirmé que la décision d’un juge-arbitre à l’effet qu’un retard à présenter une demande fondée sur l’espoir de se trouver un emploi ou sur une confiance, de bonne foi, de se trouver du travail en comptant sur ses propres ressources ne constituent pas un « motif valable »”. Le tribunal a également affirmé que bien que le Conseil arbitral avait tenu compte des « circonstances atténuantes » du demandeur, aucun élément de preuve suggérant que ces circonstances justifieraient tout le retard, n’apparaît dans le dossier.

[15] Que la DG a fondé sa décision sur une mauvaise application de la jurisprudence requiert une révision.

[16] Bien qu’un demandeur ne soit pas tenu de prouver les moyens d’appel pour les fins d’une demande de permission, il devrait à tout le moins fournir quelques motifs qui se rattachent aux moyens d’appel énumérés. En l’espèce, le demandeur a énoncé un moyen et un motif d’appel qui relève de l’un des moyens d’appel énumérés.

[17] Sur le moyen d’appel selon lequel il y aurait eu une erreur de droit, des conclusions de fait erronées ou des erreurs mixtes de faits et de droit, je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Conclusion

[18] La demande est accueillie.

[19] La présente décision d’accorder la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

[20] J’invite les parties à présenter des observations écrites sur la pertinence de tenir une audience et, si elles jugent qu’une audience est appropriée, sur le mode d’audience préférable, et à présenter également leurs observations sur le bien-fondé de l’appel.

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