Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Comparution

[1] L’appelant est l’employeur, 9091-8558 Québec Inc (Services Avicoles JGL) représenté par le copropriétaire de l’entreprise, monsieur M. L.

[2] Deux témoins accompagnaient l’appelant. Monsieur M. J., propriétaire du garage J. et monsieur F. J., responsable de l'entretien pour Services Avicoles JGL.

[3] Le prestataire mis en cause, monsieur R. L., était présent, accompagné de son représentant Me Gaël Morin Greeen.

[4] L’intimée la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) n’était pas représentée.

[5] Cet appel a été instruit selon le mode d’audience en personne pour les raisons suivantes :

  1. Le fait que la crédibilité puisse être une question déterminante.
  2. Le fait que plus d’une partie assistera à l’audience.
  3. L’information au dossier, y compris la nécessité d’obtenir des informations supplémentaires.
  4. Le fait que plus d’un participant, tel un témoin pourrait être présent.

Introduction

[6] Dans ce dossier, après le congédiement du prestataire monsieur R. L., la Commission a accordé le bénéfice des prestations en déterminant que ce dernier n’avait pas perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.

[7] L’appelant-employeur a fait une demande de révision de cette décision. Le 29 juillet 2015, la Commission a maintenu sa décision initiale (pages GD3-32)

[8] L’employeur a contesté cette décision et a interjeté appel au Tribunal de la sécurité sociale le 26 août 2015 (Pages GD2-1 à GD2-9). Cependant, son dossier d’appel était incomplet. Il a été complété le 14 septembre 2015.

[9] Une audience avait été fixée au 15 décembre 2015. Elle a été reportée au 29 janvier 2016.

Question en litige

[10] Le Tribunal doit juger s’il accueille ou non l’appel de l’employeur sur la question en litige, déterminant par le fait même si le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi).

Droit applicable

[11] Les paragraphes 29a) et b) de la Loi prévoient que:

Pour l'application des articles 30 à 33 :

  1. a) « emploi » s'entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;
  2. b) la suspension est assimilée à la perte d'emploi, mais n'est pas assimilée à la perte d'emploi la suspension ou la perte d'emploi résultant de l'affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l'exercice d'une activité licite s'y rattachant;

[12] Le paragraphe 30(1) de la Loi quant à lui prévoit que:

Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s'il perd un emploi en raison de son inconduite ou s'il quitte volontairement un emploi sans justification.

Preuve

Preuve au dossier de la Commission

[13] Une demande initiale de prestations d’assurance-emploi a été établie à compter du 12 avril 2015 (pages GD3-3 à GD3-15).

[14] Le prestataire travaillait pour Services Avicoles JGL et a été congédié (page GD3-7).

[15] L’employeur a déclaré que le 7 avril 2015, il avait convoqué monsieur R. L. à une rencontre, car on lui reprochait deux manquements. Le premier étant une absence non motivée survenue le 12 mars 2015. L’autre fait reproché était d’avoir mal effectué un travail, soit l’inspection des véhicules et d’avoir donné un avis négatif injustifié.

[16] Monsieur R. L. s’est présenté au bureau sous l’influence de l’alcool et a fait preuve d’agressivité verbale. La Sureté du Québec a été appelée sur les lieux pour l’escorter hors du bureau. L’employeur a alors décidé de congédier le prestataire (page GD3-17, 20 et 29).

[17] L’employeur a déclaré que le prestataire avait reçu plusieurs avertissements par le passé et fourni le dossier (pages GD3-23 à 27).

[18] Selon la version du prestataire, il vivait des conflits au travail et était victime de harcèlement de la part de l’employeur. Ce dernier voulait l’obliger à falsifier sa feuille d’inspection signalant une défectuosité sur un camion de l’entreprise. Le prestataire a nié s’être présenté en état d’ébriété (page GD3-18 et 28).

Preuve de l’appelant-employeur lors de l’audience

[19] L’entreprise, Services Avicole JGL, est spécialisée dans la manipulation de volailles. Elle dessert 600 poulaillers au Québec, en Ontario et au Nouveau-Brunswick.

[20] L’entreprise emploie environ 70 personnes, en grande partie des travailleurs étrangers.

[21] Pour assurer le transport, l’employeur met à la disposition des travailleurs des véhicules de type mini-van pouvant accueillir en moyenne 6, 10, 12 et 15 personnes. L’employeur possède une flotte de 15 véhicules.

[22] Les groupes de travailleurs sont dirigés par un chef d’équipe.

[23] Le prestataire mise en cause, monsieur R. L., était chef d’équipe et il était aussi souvent le conducteur du véhicule.

[24] Le conducteur reçoit une prime qui s’ajoute à son salaire. Par mesure de sécurité, un autre employé est désigné comme second chauffeur et reçoit aussi une prime.

[25] Chaque conducteur doit effectuer une vérification de routine avant de prendre la route et signaler les problèmes le cas échant.

[26] L’entreprise emploie un responsable de l'entretien dans son propre garage et fait affaire avec un garage certifié pour l’entretien de ses véhicules.

[27] Le 19 janvier 2015, monsieur R. L. avait indiqué un problème avec le frein à main de la camionnette 18 (pièce GD9-15).

[28] Le 20 janvier 2015, l’ajustement aux freins a été effectué sur le véhicule en question.

[29] Par la suite, le prestataire a signalé le même problème avec le frein d’urgence, malgré les avis du garage certifiant que tout était dans l’ordre.

[30] Cette même situation s’était déjà produite à plusieurs reprises en 2014.

[31] L’employeur nie avoir demandé à R. L. de falsifier un rapport d’inspection d’un camion indiquant une défectuosité aux freins

[32] Le 12 mars 2015, le prestataire ne s’est pas présenté au travail et n’a pas motivé son absence. L’employeur l’a avisé qu’il lui remettrait un avis disciplinaire pour ce manquement.

[33] Le prestataire avait déjà reçu plusieurs avertissements.

[34] Le 7 avril 2015, le prestataire était programmé pour travailler. L’employeur l’a convoqué avant son quart de travail pour lui remettre l’avis disciplinaire en personne.

[35] Le prestataire est arrivé en état d’ébriété. Il fumait ouvertement dans le bureau et a fait preuve de grossièreté en sacrant et en insultant l’employeur. Il a aussi démontré de l’agressivité en proférant des menaces.

[36] L’employeur a appelé un témoin, monsieur F. J., pour constater la situation.

[37] Par la suite, il a appelé les policiers pour constater l’état d’ébriété et escorter le prestataire hors de l’enceinte de l’entreprise (pièce GD7).

Témoignage de monsieur F. J., responsable de l’entretien pour l’employeur.

[38] Monsieur M. L., l’a appelé à 14h00 le 7 avril 2015, pour constater l’état d’ébriété d’un employé, R. L.

[39] Ce dernier avait posé les pieds sur le bureau, fumait ouvertement, sacrait, injuriait l’employeur et proférait des menaces.

[40] Monsieur R. L. sentait fortement l’alcool, avait les yeux rouges et chancelait lorsqu’il s’est levé de sa chaise. Il s’abreuvait constamment à une bouteille d’eau qu’il tenait à la main.

[41] Il avait alors recommandé à monsieur R. L. de partir de lui-même afin d’éviter que la situation dégénère.

[42] Devant le refus de monsieur R. L., l’employeur a appelé les policiers qui ont constaté l’état d’ébriété de ce dernier et l’ont reconduit hors de l’entreprise.

[43] En ce qui concerne les plaintes répétées du prestataire concernant les freins non sécuritaires d’une camionnette, le témoin affirme qu’il fait toujours lui-même une vérification avant d’envoyer un véhicule au garage J.

[44] R. L. avait déjà fait des rapports signalant un problème de frein d’urgence. Pour sa part, il n’avait pas constaté de problème au système de freinage d’urgence des véhicules.

[45] En janvier 2015, le rapport concernait la camionnette 18. Après avoir changé les plaquettes du véhicule 18 et ajusté la tension du câble, le mécanicien lui avait expliqué qu’il ne pouvait faire mieux et qu’il n’y avait pas de problème.

[46] Il a discuté avec le prestataire, mais ce dernier refusait de reconnaître l’avis du garagiste et persistait à faire des rapports concernant les freins de cette camionnette.

[47] Le même scénario se reproduisait souvent. Monsieur R. L. faisait aussi ces mêmes rapports de freins défectueux concernant d’autres véhicules.

Témoignage de monsieur M. J., propriétaire du garage J.

[48] Il est mécanicien diplômé.

[49] Son garage est une entreprise familiale en affaires depuis 40 ans.

[50] Il dessert Services Avicoles JGL depuis 10 ans et s’occupe de réparer le matériel roulant.

[51] Il peut témoigner que Services Avicoles JGL n’a jamais lésiné sur l’entretien de ses véhicules.

[52] Il a vérifié le 20 janvier 2015, le véhicule 18, à la suite d’un rapport de monsieur R. L. qui signalait un problème avec le frein à main. Il a procédé à un ajustement pour mettre plus de tension sur le câble et changé les plaquettes de freins qui étaient rouillées. Il s’agissait d’un entretien normal.

[53] Par la suite, à plusieurs reprises monsieur R. L. a renvoyé le même rapport, et souvent en lien avec le même véhicule 18, en signalant toujours un problème avec le frein à main. Cela s’était aussi produit par le passé.

[54] Il avait expliqué de vive voix au copropriétaire monsieur M. L. et au responsable de l'entretien monsieur F. J. que les freins étaient adéquats. Ce que monsieur R. L. constatait c’est que même lorsque le frein d’urgence est actionné, si le véhicule était embrayé il pouvait avancer sur une courte distance, mais avec de la grande résistance. Ces véhicules sont équipés de moteurs V6 assez puissants, si le moteur tourne vite, un frein d’urgence n’est pas efficace à 100%.

[55] Il avait aussi notifié sur son rapport d’examen qu’il ne pouvait faire mieux et qu’il n’y avait pas de problème.

Preuve du prestataire mis en cause, monsieur R. L., en cours d’audience

[56] Il travaillait pour Services Avicoles JGL depuis presque 9 ans, comme chef d’équipe.

[57] Ses tâches comprennent la formation aux nouveaux employés, il est conducteur pendant les transports et il dirige les employés pour effectuer le travail chez les clients.

[58] Le 11 mars, il avait mal au tibia, il avait pris une dizaine de comprimés d’aspirine et consommé des boissons apaisantes afin de réduire la douleur. Il a dormi 12 heures d’affiliés et a manqué son quart de travail du 12 mars 2015.

[59] Le 7 avril 2015, il a reçu un appel du copropriétaire, monsieur M. L., lui enjoignant de se présenter à une rencontre avant de commencer son quart de travail.

[60] Monsieur M. L. l’a alors menacé de lui couper sa paie et de le suspendre s’il ne venait pas le rencontrer.

[61] Il a compris qu’il était suspendu. Il était découragé.

[62] Il admet avoir consommé de l’alcool avant de se présenter chez l’employeur. La rencontre s’est mal déroulée et il a été congédié.

[63] Il nie avoir proféré des menaces à l’endroit de son employeur.

[64] Il dénonce depuis longtemps la condition non sécuritaire de certains des véhicules de la compagnie et c’était mal vu de l’employeur.

[65] Il a fait plusieurs rapports et l’employeur n’en tenait pas compte.

[66] Il a été congédié parce que l’employeur ne voulait plus entendre parler des problèmes de freins et de sécurité.

Arguments des parties

[67] L’employeur-appelant a fait valoir que :

  1. Le prestataire avait derrière lui une longue feuille de route d’avertissements divers ;
  2. l’employeur avait déjà été avisé que le prestataire avait déjà conduit un véhicule de l’entreprise après avoir consommé de l’alcool. Mais personne ne voulait témoigner de ce fait, les travailleurs avaient peur des représailles;
  3. le travail de Services Avicoles JGL est difficile. Lorsqu’un employé fait l’affaire, on se montre tolérant pour le conserver, ce qui était arrivé dans le passé avec monsieur R. L. Mais dans le présent cas, ce dernier avait dépassé les bornes.
  4. Services Avicoles JGL emploie des travailleurs étrangers. Il y a 4 ans un accident routier était survenu provoquant des pertes de vies. Bien que la responsabilité de l’entreprise n’ait jamais été mise en cause, l’employeur a redoublé d’efforts pour assurer la parfaite condition de ses équipements roulants. Jamais il n’aurait permis à une camionnette de prendre la route en sachant qu’il y a avait des problèmes de freins ;
  5. jamais il n’a dit au prestataire qu’il refusait de faire réparer un système de freinage parce que cela coûtait trop cher compte tenu de l’ancienneté du véhicule ;
  6. contrairement aux affirmations du prestataire, ce dernier n’a pas été suspendu au téléphone. Il devait se présenter au travail pour travailler, il était aussi le 2ième chauffeur désigné. Mais avant d’amorcer son quart de travail, il devait se présenter à une rencontre pour recevoir un avis disciplinaire ;
  7. le prestataire s’est présenté au travail intoxiqué par l’alcool, menaçant et arrogant ;
  8. après son congédiement, le prestataire a porté plainte à la CSST pour dénoncer de soi- disant conditions de travail dangereuses pour la santé. Le rapport de la CCSST a démontré que les conditions de santé et sécurité au travail étaient respectées rigoureusement. Le seul élément à corriger était qu’une poubelle était placée devant une porte de garage.

[68] Au soutien de son propos, l’employeur soumet les documents que nous retrouvons en pages GD-14-6, GD14-8, GD14-9, GD14-11, GD14-11, factures, GD14-15, 19 GD14-20. 21, 22, 23 rapports du garage, rapport de la CSST, GD14-32-33.

[69] Le représentant du prestataire mis en cause a fait valoir que :

  1. Le prestataire compte plusieurs années d’ancienneté dans son travail. Il est un bon travaillant et il était apprécié des clients. D’ailleurs son bon travail a déjà été notifié ;
  2. le prestataire avait par le passé exigé une rencontre avec le patron, monsieur M. L., pour le sensibiliser à l’état de certains camions. C’est alors que le patron lui avait dit que ce type de réparations coutait près de 1 200$. Compte tenu de l’âge et de l’état du camion, le propriétaire estimait les couts de réparations trop onéreux et l’avait exhorté à ne plus inscrire les problèmes de freins sur ses rapports;
  3. lorsque l’employeur l’a appelé avant d’aller travailler le 7 avril 2015, monsieur R. L. s’est senti intimidé et agressé par le ton de la discussion.
  4. monsieur R. L. était découragé et avait compris qu’il était suspendu. Il a cédé à ses émotions. Il a bu du vin avant d’aller rencontrer son employeur, il croyait qu’il ne travaillait pas;
  5. son client a certainement mal agi de se présenter chez l’employeur en ayant consommé de l’alcool, mais son degré d’intoxication n’a jamais été prouvé.
  6. ce jour-là le prestataire n’agissait pas comme chef d’équipe et n’était pas le conducteur. Il ne devait pas conduire et n’aurait pas bu s’il savait qu’il devait conduire;
  7. le prestataire subissait une pression constante pour arrêter de souligner le problème relatif aux freins d’urgence des véhicules;
  8. d’ailleurs la rencontre a été programmée peu de temps après qu’il ait à nouveau souligné ce problème dans un rapport d’inspection. Le véritable motif du congédiement est que l’employeur voulait se débarrasser d’un employé qui dénonçait une problématique qu’il ne voulait pas traiter;
  9. on ne retrouve pas dans la conduite du prestataire l’élément répétitif d’une conduite volontairement insouciante qui caractérise l’inconduite;
  10. monsieur R. L. n’a pas agi pour provoquer son congédiement. Au contraire, il souhaitait conserver son emploi. Il a d’ailleurs déposé une plainte à la Commission des normes du travail afin de contester son congédiement.

[70] Au soutien de son propos, le représentant du prestataire dépose plusieurs documents (pièces GD-14) composés notamment d’une note d’appréciation d’un client à l’endroit de monsieur R. L., d’une copie de certaines pages du guide Conduire un poids lourd portant sur la vérification du véhicule et des fiches du conducteur. Également, plusieurs jurisprudences sont soumises lors de l’audience.

[71] Dans son argumentaire soumis avant l’audience, la Commission intimée a soutenu que :

  1. Lors de l'entrevue du 7 avril 2015, le ton a monté de part et d'autre. Le prestataire affirme que l'employeur lui criait après et l'employeur affirme que le comportement du prestataire était inacceptable. Les deux partis nient les déclarations de l'autre;
  2. la Commission a donc donné la crédibilité au prestataire, car il n’existe aucune preuve selon laquelle le prestataire était en état d’ébriété et aucune mesure de gradation des sanctions. L’employeur ne prouve pas l’inconduite du prestataire;
  3. pour déterminer si l’inconduite pourrait mener à un congédiement, il doit exister un lien de causalité entre l'inconduite reprochée au prestataire et son emploi; l’inconduite doit donc constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail. Canada (PG) c. Doucet, 2012 CAF 105; Canada (PG) c. Gagne, 2010 CAF 237; Canada (PG) c. Lemire, 2010 CAF 314.

Analyse

[72] Il n’y a pas de définition d’inconduite dans la Loi. La jurisprudence l’a toutefois définie ainsi : «Pour constituer de l’inconduite, l’acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que l’employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement du travail. » (Tucker A-381-85).

[73] La Cour d’appel fédérale a défini la notion juridique d’inconduite au sens du paragraphe 30(1) de la Loi comme une inconduite délibérée dont le prestataire savait ou aurait dû savoir qu’elle était de nature à entrainer son congédiement. «Pour déterminer si l’inconduite pourrait mener à un congédiement, il doit exister un lien de causalité entre l'inconduite reprochée au prestataire et son emploi; l’inconduite doit donc constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail» (Canada (PG) c. Lemire, 2010 CAF 314).

[74] Dans l’affaire Mishibinijima c. Canada (P.G.), 2007 CAF 36, la Cour d’appel fédérale écrit : «il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié».

[75] Une conduite répréhensible ne constitue pas nécessairement une inconduite. L’inconduite est un manquement d’une portée telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’il serait susceptible de provoquer son congédiement (Locke 2003 CAF 262; Cartier 2001 CAF 274; Gauthier A-6-98; Meunier A 130 96).

[76] Il incombe à la Commission et/ou à l’employeur (seulement si l’employeur est l’appelant) de prouver (selon la prépondérance des probabilités) que le prestataire a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. Pour ce faire, le Tribunal doit être convaincu que l’inconduite était le motif et non l’excuse du congédiement, et pour satisfaire à cette exigence, il doit arriver à une conclusion de fait après avoir examiné attentivement tous les éléments de preuve (BartoneA-369-88; Davlut A-241-82, [1983] C.S.C.R. 398).

[77] La preuve de l’élément psychologique est nécessaire. La conduite du prestataire doit être délibérée ou à ce point insouciante qu’elle frôle le caractère délibéré (McKay-Eden A-402-96; Jewell A-236-94; Brissette A-1342-92; Tucker A-381-85; Bedell A-1716-83).

[78] C’est à la lumière de ces principes que doit décider le Tribunal de la présente affaire; à savoir le prestataire a-t-il eu l’attitude qu’on lui reproche et cela constitue-t-il de l’inconduite au sens de la Loi?

[79] Au départ, je disposerai de l’argument de la Commission voulant qu’aucune preuve ne soutienne les affirmations de l’employeur concernant l’état d’ébriété du prestataire sur les lieux de son travail le 7 avril 2015.

[80] Cet argument résultait du fait que le prestataire avait d’abord nié s’être présenté en état d’ébriété le jour de son congédiement (page GD3-28).

[81] La preuve de la consommation d’alcool du prestataire a été faite par l’employeur. Il a déposé, en date du 7 octobre 2015, l’information à cet effet provenant de la Sureté du Québec (page GD7-2). On peut y lire que le 7 avril 2015, monsieur R. L. avait été reconduit chez lui par les policiers, intoxiqué par l’alcool, après avoir refusé de quitter le bureau de l’employeur.

[82] Le prestataire l’a d’ailleurs admis à l’audience, en attribuant sa consommation aux émotions éprouvées lorsque son employeur l’a convoqué pour lui remettre un avis disciplinaire avant son quart de travail.

[83] Dans la présente affaire, il revenait à l’employeur d’établir que le prestataire avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. Pour ce faire, le Tribunal devait être convaincu que l’inconduite est la véritable raison du renvoi et non une excuse. Il s’agit d’une question de faits qui doit être évaluée après avoir pesé tous les éléments de preuve.

[84] Le prestataire prétend qu’il était un employé donnant satisfaction alors que l’employeur prétend le contraire.

[85] Selon la version du prestataire, il est victime de l’employeur qui avait pris ombrage de ses rapports relatifs à la non-sécurité du système de freinage de secours de plusieurs de ses véhicules.

[86] L’employeur nie cette version des faits et déclare que l’attitude du prestataire a conduit à son congédiement.

[87] J’ai examiné les documents fournis par l’employeur en GD3-25 et 25, soit le dossier de monsieur R. L. Je remarque que de 2014 jusqu’au 7 avril 2015, pas moins de 35 incidents sont rapportés. Ces incidents vont de notes concernant de la perte de matériel, à la plainte de clients insatisfaits en passant jusqu’à des absences non motivées.

[88] Pour sa part, le représentant de monsieur R. L. a soumis une note d’appréciation d’un client(page GD14-2).

[89] La prépondérance de la preuve est en faveur de l’employeur. Je retiens le témoignage de ce dernier, à savoir que le prestataire monsieur R. L., avait derrière lui une feuille de route d’avertissements divers.

[90] J’écarte l’argument de la Commission qui, suivant en cela la prétention du prestataire, estime que sans dossier disciplinaire, il n’y a pas eu gradation des sanctions et que l’employeur n’avait pas de bonnes raisons de le congédier.

[91] Il est utile de rappeler que ce n’est pas le congédiement qui est en cause dans le présent appel, mais de déterminer si le congédiement résulte de l’inconduite de l’employé.

[92] Il est possible que ce dernier n’ait pas fait l’objet de sanction disciplinaire, mais pour autant cela n’implique pas l’absence de dossier ou l’absence de motifs d’insatisfaction.

[93] Et dans le cas qui nous occupe, je retiens que des motifs d’insatisfactions existaient avant le dernier incident reproché le 7 avril 2015. Je retiens aussi que le prestataire, monsieur R. L., était au fait de cette situation.

[94] Je me suis penchée sur les prétentions du prestataire voulant que l’employeur néglige l’entretien de son matériel roulant, qu’il ait pris ombrage de ses rapports fréquents sur ce sujet et que cela représente la vraie raison de son congédiement.

[95] La preuve documentaire à cet effet démontre que de janvier 2014 à avril 2015 (pièce GD- 9), monsieur R. L. a rempli au moins une dizaine de fiches indiquant qu’un problème était constaté au système de freinage d’urgence.

[96] Je remarque qu’un suivi a été apporté pour chacune de ces fiches par le Garage J. et que la situation a été soit corrigée ou soit évaluée comme étant normale ou satisfaisante et ne pouvant faire l’objet d’amélioration. Je note aussi que des vérifications mécaniques étaient effectuées régulièrement par la Société de l’assurance automobile du Québec.

[97] J’ai apprécié les témoignages du responsable de l’entretien, monsieur F. J., et du propriétaire du garage chargé de l’entretien de la flotte de l’employeur, monsieur M. J. Leurs explications ont été claires et minutieuses. J’accorde crédibilité à leur témoignage.

[98] La démonstration est faite que les fréquentes réclamations de monsieur R. L. avaient été traitées consciencieusement et que le problème qu’il relevait concernant le système de freinage d’urgence des véhicules avait été abordé et traité. Je retiens que des explications avaient été fournies à monsieur R. L. concernant les problèmes qu’il soulignait. Je retiens aussi de leurs témoignages que l’employeur entretenait sa flotte de véhicule et qu’il ne lésinait pas sur son entretien.

[99] En vertu de ce qui précède, j’accepte aussi les déclarations de l’employeur concernant sa préoccupation en regard de la sécurité des travailleurs qu’il doit transporter. De facto, j’écarte donc les déclarations de monsieur R. L. lorsqu’il m’affirme que l’employeur lui aurait dit qu’il refusait de faire réparer un système de freinage parce que cela coûtait trop cher compte tenu de l’ancienneté du véhicule.

[100] J’estime plausible que l’employeur ait été agacé par les fréquents rapports du prestataire qu’ils considéraient comme injustifiés.

[101] Que l’employeur souhaite voir se régler cette situation est une chose. Mais l’intention de l’employeur de congédier le prestataire en raison de ses dits rapports n’a pas été démontrée. J’écarte cette prétention.

[102] Le prestataire, monsieur R. L. ne m’a pas convaincu et j’accorde une valeur prépondérante au témoignage de l’employeur corroboré par 2 témoins.

[103] En pièce GD-9, monsieur R. L. dans sa demande de participation à l’audience, stipule qu’il serait très important d'exiger de l’employeur, qu'il fournisse le rapport de la CSST, suite à sa plainte déposée après son congédiement. Ce document avait, semble-t-il, un lien direct avec cette cause.

[104] J’ai examiné le rapport de la CSST que nous retrouvons en pièce GD-14. La seule problématique à corriger résidait dans le fait qu’une porte était bloquée par une poubelle (page GD14-33).

[105] Si monsieur R. L. espérait me convaincre ainsi de la négligence de son employeur, il a échoué. Je ne relève rien de probant dans ce rapport pour soutenir ses affirmations.

[106] Le représentant de l’appelant soumet également que lorsque monsieur R. L. s’est présenté au bureau de l’employeur le 7 avril 2015:

  • Son degré d’intoxication par l’alcool n’était pas prouvé;
  • il croyait qu’il était suspendu, donc il n’avait pas l’intention d’aller travailler après avoir consommé;
  • de plus, il n’était pas le premier conducteur désigné, il n’avait pas à prendre la route;
  • il était sous pression et a cédé à ses émotions.

[107] J’écarte ces arguments. Monsieur R. L. savait que son employeur était insatisfait et que la rencontre à laquelle il était convoqué avant d’aller travailler portait sur la remise d’un avis disciplinaire.

[108] Dûment convoqué par son employeur, il devait se présenter à cette rencontre dans une condition acceptable. Cette rencontre, faut-il le rappeler, s’inscrivait dans le cadre de son travail, il ne s’agissait pas d’une rencontre fortuite ou d’un évènement social.

[109] Monsieur R. L. a décidé de consommer de l’alcool avant d’aller rencontrer son employeur. Personne ne l’a forcé à boire, il s’agit d’un geste volontaire. Qui plus est, lorsqu’il s’est présenté sur les lieux du travail, intoxiqué par l’alcool, sa conduite a été répréhensible au point où l’employeur a fait appel aux forces de l’ordre. Les policiers ont dû l’escorter à son domicile parce qu’il refusait de quitter les lieux.

[110] Je retiens le témoignage de monsieur F. J. et de l’employeur, monsieur M. L., sur l’état de monsieur R. L. et sur son comportement. J’écarte la version des faits de monsieur R. L. qui minimise ses propres agissements.

[111] Je retiens que Monsieur R. L. devait travailler cette journée-là. Qu’il soit le conducteur en fonction ou non, cela a peu d’effet. Un employé ne peut exécuter sa prestation de travail en état d’ébriété, qu’il doive ou non conduire un véhicule.

[112] Il n’est pas utile ici de déterminer le degré d’intoxication de monsieur R. L. Il suffit de comprendre qu’il a délibérément choisi de faire en sorte que son comportement soit altéré et qu’il ne puisse ainsi remplir une condition essentielle à l’emploi; soit celle d’assurer une prestation de travail et de se conduire sur les lieux de son travail de manière à ne pas affecter son lien d’emploi.

[113] Le Tribunal estime que la preuve présentée par l’employeur est suffisamment détaillée pour déterminer comment le prestataire avait agi et si son comportement était répréhensible.

[114] Selon la Cour d’appel fédérale, l’inconduite existe lorsqu’un prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié.

[115] Après avoir analysé la preuve et apprécié les faits, le Tribunal conclut que le prestataire a agi de façon délibérée avec une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire qu’il a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son emploi, ce qui caractérise l’inconduite.

[116] Le Tribunal accueille l’appel de l’employeur sur la question en litige déterminant par le fait même que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite aux termes des articles 29 et 30 de la Loi.

Conclusion

[117] L’appel est accueilli.

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