Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli, la décision de la division générale sur la répartition de la rémunération en date du 11 février 2015 est rescindée et l’appel de l’Intimé devant la division générale sur la répartition de la rémunération est rejeté.

Introduction

[2] En date du 11 février 2015, la division générale du Tribunal a conclu que :

  • Les bénéfices nets d’une entreprise incorporée sous la loi du Québec, s’ils n’ont pas été versés par la déclaration d’un dividende aux actionnaires conformément à la loi applicable, ne peuvent pas être considérés comme une rémunération reçue par un prestataire au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi ») et ne peuvent pas être répartis conformément à l’article 36 du Règlement sur l’assurance-emploi (le « Règlement »).

[3] L’Appelante a déposé une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel en date du 13 mars 2015. Permission d’en appeler a été accordée par la division d’appel en date du 10 juin 2015.

Mode d'audience

[4] Le Tribunal a déterminé que l’audience de cet appel procéderait par téléconférence pour les raisons suivantes :

  • la complexité de la ou des questions en litige;
  • du fait que la crédibilité des parties ne figurait pas au nombre des questions principales;
  • du caractère économique et opportun du choix de l’audience;
  • de la nécessité de procéder de la façon la plus informelle et rapide possible tout en respectant les règles de justice naturelle.

[5] Lors de l’audience, l’Appelante était représenté par Me Stéphanie Yung-Hing et l’Intimé était présent et représenté par Me Jean-Guy Ouellet.

La loi

[6] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) la division générale a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) la division générale a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] Le Tribunal doit décider si la division générale a erré en droit ou en fait et en droit en concluant que les bénéfices nets d'une entreprise incorporée sous la loi du Québec, s'ils n'ont pas été versés par la déclaration de dividende aux actionnaires, ne pouvaient être considérés comme une rémunération en vertu de l’alinéa 35(10)c) du Règlement.

Arguments

[8] L’Appelante soumet les motifs suivants au soutien de son appel:

  • Un particulier qui exploite une entreprise est un travailleur indépendant et ce, soit à son compte, soit à titre d'associé ou de cointéressé;
  • La division générale a reconnu que l’Intimé était un travailleur indépendant cointéressé;
  • Les règles d'interprétation des articles de la Loi et du Règlement visant la répartition des revenus des travailleurs indépendants ont été précisées en 1997 dans l’arrêt Bernier;
  • Premièrement, le statut juridique de l'exploitation ou de l'entreprise à laquelle le travailleur autonome s'emploie n'importe pas. Deuxièmement, le temps plus ou moins important consacré à l’exploitation ou à l'entreprise ne change rien. Troisièmement, la réception présente, i.e. pendant l'état de chômage, de revenu venant de l'exploitation ou de l'entreprise n'est pas requise, seul un droit à tel revenu suffit;
  • Même si la Cour d'appel fédérale reconnait que ces constantes peuvent porter à la critique, il n'en demeure pas moins qu'avec le temps, elles ont été suivies et le sont encore à ce jour, et ce, même après la codification du principe de complémentarité entre le droit privé d'une province et une loi fédérale a laquelle réfère la division générale;
  • En 2003, dans l'arrêt Peter Lafave, la Cour a réparti les revenus d'entreprise du prestataire en vertu de l'alinéa 35(10)c) du Règlement, alors que le demandeur ne détenait, tout comme l’Intimé, qu'un tiers (1/3) des parts de la compagnie et que les dividendes n'avaient pas été versées; La Cour n’a pas été convaincu qu’il y avait lieu de s’écarter des principes établis et suivis dans les arrêts Drouin, Bernier et Viel;
  • La division générale a rendu une décision contraire à la jurisprudence actuelle en faisant du statut juridique de Les Constructions X Inc., une donnée fondamentale pour déterminer si les bénéfices nets de l'entreprise incorporée de l’Intimé, tels que présentés dans les états financiers, devaient faire partie du revenu intégral de l’Intimé;
  • Dans un système de justice hiérarchisé, la division générale se devait de donner effet aux jugements de la Cour d'appel fédérale. Elle ne pouvait décider de renverser la jurisprudence actuelle en donnant de l'importance au statut juridique de l'entreprise. Il ne lui revenait pas de tenter de réinterpréter ces dispositions;
  • L’Appelante soumet que l'état du droit demeure à l'effet que la nature juridique de l'entreprise est non pertinente dans la détermination de la rémunération à repartir et qu'en conséquence la division générale n’était pas justifiée d'écarter l'application de l'alinéa 35(10)c) du Règlement et d'avoir recours au principe de complémentarité. Ce faisant, elle a commis une erreur de droit qui justifie l’intervention de la division d’appel;
  • Une fois qualifié de travailleur indépendant, en vertu du paragraphe 30(2) du Règlement, le fait que l'alinéa 35(l)b) du Règlement ne contienne pas de définition des types d'entreprise n'est pas pertinent en la matière et n'est pas un motif pour avoir recours au prince de complémentarité; Ce faisant, la division générale a erré en droit;
  • De plus, l'Appelante soumet qu'une fois que le prestataire est considéré comme un travailleur indépendant n’exerçant pas une semaine complète de travail, le paragraphe 30(1) du Règlement ne trouve plus application, car il ne sert qu'à déterminer s'il y a eu « semaine entière de travail » dans les cas où une inadmissibilité a été imposée;
  • Dans le cas qui nous préoccupe, l'Appelante a statué que l'Intimé était un travailleur indépendant qui avait droit à des prestations d'assurance-emploi en vertu du paragraphe 30(2) du Règlement. Cette décision a été prise sans prendre en compte la nature de l’entreprise exploitée, conformément au Règlement et à la jurisprudence actuelle;
  • Les paragraphes 30(1) et 35(1) du Règlement n'étant pas pertinents pour la présente affaire, la division générale ne pouvait les invoquer pour justifier de recourir au principe de complémentarité. Ce faisant elle a commis une erreur de droit qui justifie l’intervention de la division d’appel;
  • La conclusion de la division générale statuant que les bénéfices nets d'une entreprise incorporée sous la Loi sur les sociétés par actions du Québec (LSAQ), s'ils n'ont pas été versés par la déclaration d'un dividende aux actionnaires conformément à la loi applicable, ne peuvent pas être considérés comme une rémunération au sens de la Loi, est erronée en droit;
  • Tel qu'indiqué dans l'arrêt Caron-Bernier de la Cour d'appel fédérale, la jurisprudence est constante à l'effet que la réception présente de revenu venant de l'exploitation ou de l'entreprise n'est pas requise, seul un droit à tel revenu suffit;
  • En 2003, dans l'arrêt Peter Lafave, et en 2013, dans l'arrêt Talbot, la Cour d'appel fédérale a reparti les revenus d'entreprise du prestataire en vertu de l'alinéa 35(10)c) du Règlement, alors que les demandeurs, tout comme l’Intimé, étaient actionnaires minoritaires et que les dividendes n'avaient pas été versés;
  • La Cour d'appel fédérale n'a jamais remis en question cette constante et ce, afin d'assurer une certaine cohérence au sein des décisions de la Cour et de favoriser la certitude du droit;
  • L'Appelante soumet que dans le présent dossier, il n’existait pas de circonstances exceptionnelles qui méritaient que l'on remette en question les constantes établies par le juge Marceau dans l'arrêt Bernier. La division générale, en ne suivant pas le courant jurisprudentiel actuel, a donc commis une erreur de droit qui justifie l'intervention de la division générale;
  • L'Appelante soumet que la division générale n'avait pas de motif de recourir au principe de complémentarité car le Règlement définit très clairement le revenu qui doit être réparti;
  • Étant donné que le Règlement vient spécifiquement préciser ce qu'il entend déduire comme rémunération dans le cas d'un travailleur indépendant qui exploite une entreprise, l’Appelante soumet que la division générale n'avait pas besoin d'avoir recours au principe de complémentarité afin de définir le revenu en fonction de la LSAQ;
  • Dans l'alternative, si la division d'appel considère que la division générale a eu raison d'appliquer le principe de complémentarité, l’Appelante soumet respectueusement que la division générale a erré en droit dans l'interprétation de la LSAQ;
  • Selon la Cour d'appel fédérale, seul un droit suffit, il n'est pas nécessaire que les dividendes aient été versés. Or, en vertu de la LSAQ, le droit à recevoir des dividendes provient en premier lieu de la catégorie de l'action que possède l'actionnaire et non du versement de dividendes;
  • Dans le cas de Les Constructions X Inc., étant donné qu'il n'y a qu'un seul type d'action, il faut en conclure que les actions émises contiennent les trois droits énumérés à l'article 47 de la LSAQ, ce qui comprend le droit aux dividendes;
  • L'Appelante soumet que les bénéfices nets de Les Constructions X Inc. correspondent au test de l'alinéa 35(10)c) du Règlement. En effet, ce montant provient des états financiers fournis par l'Intimé et représente le montant qu'il reste à l'entreprise une fois que les frais d'exploitation, les coûts directs et les taxes ont été déduites des revenus bruts de l’entreprise;
  • Une fois que l'Appelante a déterminé le montant de la rémunération, elle l'a repartie conformément au paragraphe 36(6) du Règlement.

[9] L’Intimé soumet les motifs suivants à l’encontre de l’appel de l’Appelante:

  • L'exercice que la division générale a effectué prend acte de la modification de la loi d'interprétation, modification intervenue et dont la portée a été finalement reconnue après quelques tergiversations de façon explicite dans les décisions 9041-6868 Québec Inc. c Canada (Ministre du revenu national) et NCJ Educational Services Limited c. Ministre du revenu national, soit de codifier un principe de complémentarité entre le droit privé et une loi fédérale;
  • Ces décisions ont été rendues ultérieurement aux précédents énoncés au soutien de l'appel de l’Appelante;
  • Face à l'absence de définitions des types d'entreprise énumérés aux articles 30(1) et 35(1)b) du Règlement et aux importantes réserves énoncées par le juge Marceau dans la décision Caron-Bernier, la division générale se devait d'appliquer la règle de complémentarité;
  • Cette application ne constitue pas un exercice de préséance d'une loi provinciale sur une loi fédérale mais d'y attribuer son rôle de droit supplétif que lui reconnait la loi d'interprétation;
  • Ainsi, en référant à la preuve au dossier et aux règles régissant les sociétés par actions, la division générale se devait de conclure qu'aucun des Intimés ne s'étaient vus reconnaitre le droit à un tel revenu, soit de recevoir ou d'exiger une partie des bénéfices non reparties au cours des périodes en litige;
  • Une telle interprétation permet de plus une interprétation harmonieuse avec les articles régissant le caractère assurable d'un emploi;
  • L'Appelante ne fait que reprendre les énoncés de la décision Caron-Bernier alors qu'un de ces éléments a été contredit par la suite par la décision Leeming;
  • L'Appelante énonce qu'aucune preuve au dossier démontre que les Intimés n'avaient pas droit de recevoir leur dividende. Les règles, régissant une société comme la leur, imposent une décision du conseil d'administration impliquant minimalement une majorité des administrateurs. Aucun des défenseurs individuellement ne pouvait seul prendre une telle décision et rendre exigible le versement desdits bénéfices;
  • Une telle prétention invite le Tribunal à rendre une décision sans égard aux faits des dossiers, ce qui s'avère a l'opposé d'un exercice adéquat de sa compétence;
  • La preuve est claire (voir l'ensemble des bilans financiers déposés, les documents d'incorporation régissant les règles décisionnelles de la société, la législation applicable, l'interprétation doctrinale desdites règles), il n'y a pas eu de décisions de verser de dividendes au cours de toutes les années en litige;
  • Au contraire, les décisions prises ont été à l'effet contraire et ces décisions comme le rapporte la division générale n'ont rien eu à voir avec les règles présumées par l'Appelante (répartition des bénéfices non repartis), règles méconnues des Intimés;
  • Enfin, lorsque l'Appelante invoque que la division générale énoncerait que les bénéfices nets constitueraient une rémunération au sens de l'article 36 du Règlement, cette prétention est erronée; Le seul passage qui pourrait donner lieu à une telle affirmation semble être le paragraphe 82 de la décision et nous soumettons que la division générale ne fait que reprendre ou résume par cet énoncé la jurisprudence antérieure pour dans le même paragraphe énoncé qu'une telle interprétation s'avère contraire au principe de complémentarité et remettre en question l'intégrité des dispositions de la LSAQ;
  • De plus, l'Appelante énonce que la preuve non contestée au dossier démontre que les Intimés sont des travailleurs indépendants. Nous référons à la décision Childs déposée au soutien des observations complémentaires qui énonce le contraire.

Normes de contrôle

[10] L’Appelante soumet que la norme de contrôle applicable à la décision d’un conseil arbitral (maintenant la division générale) et d’un juge-arbitre (maintenant la division d’appel) relativement à des questions de droit est la norme de décision correcte et que la norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit est celle du caractère raisonnable (AD4-15-16) - Chaulk c. Canada (PG), 2012 CAF 190.

[11] L’Intimé soumet que les erreurs de droit alléguées ne font pas partie des catégories exceptionnelles reconnues, il ne s’agit pas d’une instance où un tribunal administratif et une cour de justice peuvent être appelés à trancher la même question en première instance et les facteurs consacrés par la jurisprudence ensemble, ne militent pas en faveur de la norme de la décision correcte. Il existe une présomption que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Quant aux erreurs de fait alléguées ou aux erreurs d’application des dispositions de la loi aux faits de l’espèce, ces erreurs sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable - Canada (PG) c. Jean, 2015 CAF 242, Thibodeau c. Canada (PG), 2015 CAF 167, Atkinson c. Canada (PG), 2014 CAF 187.

[12] Le Tribunal constate que la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Jean mentionne au paragraphe 19 de sa décision que lorsque la division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure.

[13] La Cour d’appel fédérale poursuit en soulignant que non seulement la division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la division générale du Tribunal de la sécurité sociale et qu’elle n’est donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale.

[14] La Cour d’appel fédérale termine en soulignant que lorsque la division d’appel entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l'Emploi et du Développement social, la division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi. Elle doit notamment déterminer si la division générale a « rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier » (alinéa 58(1)b) de la Loi sur le ministère de l'Emploi et du Développement social).

[15] Le mandat de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale décrit dans l’arrêt Jean a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Maunder v. Canada, 2015 FCA 274.

Analyse

[16] Le présent appel ne porte que sur la question de savoir si la division générale a erré en droit ou en fait et en droit en concluant que les bénéfices nets d'une entreprise incorporée sous la Loi sur les Sociétés par actions du Québec (la « LSAQ »), s'ils n'ont pas été versés par la déclaration d'un dividende aux actionnaires, ne peuvent pas être considérés comme une rémunération reçue par un prestataire et par conséquent repartis.

[17] L’Intimé est un employé, propriétaire et actionnaire de la compagnie « Les Constructions X Inc. ». La compagnie existe depuis environ 1989. C'est une entreprise en construction et rénovation qui est ouverte à l'année longue, selon les contrats, mais dont les activités diminuent en hiver. Il y a trois actionnaires qui possèdent chacun 33 1/3% des parts. Les actionnaires sont l’Intimé, J. T. et L. L.

[18] L'Intimé a fait une demande de prestations d'assurance-emploi prenant effet le 19 décembre 2010. Suite à un réexamen des périodes de prestations de l'Intimé, l'Appelante a déterminé que ce dernier avait omis de déclarer les bénéfices nets de son entreprise. Elle a alors reparti ces bénéfices nets comme gains provenant du travail de l'Intimé sur chaque semaine ayant fait l'objet d'une demande de prestations de ce dernier et l'en a avisé le 14 novembre 2013.

[19] L’Intimé a présenté une demande de révision administrative de la décision de l’Appelante, laquelle a maintenu sa position. L’Intimé a alors fait appel de la décision de l’Appelante devant la division générale. La division générale a accueilli l'appel de l’Intimé et a conclu que les bénéfices nets d'une entreprise incorporée ne pouvaient être considérés comme une rémunération reçue par l’Intimé s'ils n'avaient pas été versés par la déclaration d'un dividende.

[20] La division générale, après avoir souligné dans sa décision que les décisions de la Cour d’appel fédérale créent des précédents (AD1-22, par. 74), conclut ce qui suit :

«[77] Dans les présents cas, comme le Règlement sur l’assurance-emploi ne contient pas de définitions des types d’entreprise énumérés aux articles 30(1) et 35(1)b) et comme l’article 35(10)c) ne spécifie pas que le revenu qu’un travailleur indépendant tire de son entreprise inclut des bénéfices nets d’une entreprise incorporée, le Tribunal se doit d’appliquer la règle de complémentarité énoncée par la Cour d’appel fédérale et de se reporter aux règles du droit civil du Québec applicables.

[78] Rappelons que l’entreprise opérée par les appelants est une entreprise incorporée au Québec, dont ils sont administrateurs et actionnaires à 33 1/3% chacun. L’entreprise, pour les périodes en litige, a généré des bénéfices nets sans qu’ils soient versés à quiconque par quelque dividende. La Commission a réparti ces bénéfices nets, à titre de rémunération reçue par les appelants durant leurs périodes de prestations, en proportion du pourcentage d’actionnariat de chacun.

[79] La Loi sur les Sociétés par actions du Québec, RLRQ ch. S-31.1, consacre la séparation du patrimoine de l’entreprise de ceux de ses actionnaires. Pour que la propriété des bénéfices nets d’une entreprise incorporée devienne celle de ses actionnaires, ces bénéfices doivent être distribués par le versement d’un dividende aux actionnaires.

[80] Sous réserve de l’existence d’une convention unanime des actionnaires, l’article 112 de cette Loi énonce les pouvoirs du conseil d’administration et l’article 118(6) prévoit que le conseil d’administration ne peut déléguer le pouvoir de déclarer des dividendes. De plus, l’article 104 de cette même Loi indique que le versement d’un dividende ne peut être fait s’il y a des motifs de croire que la corporation ne peut ou ne pourrait, de ce fait, acquitter son passif à échéance.

[81] Les appelants ont témoigné à l’effet qu’il n’existait pas de convention unanime des actionnaires de Les Constructions X Inc. et qu’aucun versement de dividendes n’a été effectué pour les périodes en litige. Quant au test de solvabilité de l’article 104 de la Loi sur les Sociétés par actions du Québec, le Tribunal ne dispose pas du témoignage d’un expert sur ce point.

[82] Il est à noter que la constante élaboré par la jurisprudence sur la répartition de rémunération selon l’article 36 du Règlement sur l’assurance-emploi et disant que seul un droit à tel revenu suffit (soit les bénéfices nets d’une entreprise incorporée) pour le répartir, l’a été avant que la Cour d’appel fédérale se prononce sur le principe de complémentarité des systèmes juridiques applicables. Ignorer ce principe remettrait en cause l’intégrité des dispositions de la Loi sur les sociétés par actions du Québec.

[83] Le Tribunal doit conclure que les bénéfices nets d’une entreprise incorporée sous la loi du Québec, s’ils n’ont pas été versés par la déclaration d’un dividende aux actionnaires conformément à la loi applicable, ne peuvent pas être considérés comme une rémunération reçue par un prestataire au sens de la Loi sur l’assurance-emploi et ne peuvent pas être répartis conformément à l’article 36 du Règlement sur l’assurance-emploi

[21] Avec égard, la décision de la division générale ne peut être maintenue puisqu’elle va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale et de l’état du droit.

[22] Un individu qui exploite une entreprise, même comme cointéressé, est un travailleur indépendant et le revenu qu'il en retire doit être réparti conformément au paragraphe 36(6) du Règlement.

[23] En l’espèce, la division générale a reconnu que l’Intimé était cointéressé à titre d’actionnaire de Les Constructions X Inc.et que le terme « cointéressé » servait à déterminer si un prestataire pouvait être qualifié de travailleur indépendant aux fins de la Loi (AD1-20, par. 69).

[24] Dans la première décision de la Cour d’appel fédérale sur le groupe de dispositions relatives au travailleur indépendant, Laforest c. C.E.I.C. et al, A-296-86, décision rendue le 2 février 1988, le prestataire avait mis sur pied pendant sa période de chômage une boutique de vêtements pour dames et était devenu seul et unique propriétaire d'une compagnie connue sous la raison sociale "Boutique Daniel Laforest Inc." Le prestataire avait alors plaidé qu’il n’avait pas lieu de soulevé le voile corporatif et que les bénéfices non répartis d’une compagnie ne constituait pas une rémunération.

[25] La Cour d’appel fédérale, après avoir déterminé que les bénéfices nets non distribués de ce commerce pouvaient être considérés comme des revenus au sens du Règlement, procéda à rejeter la demande de contrôle judiciaire de la décision du juge- arbitre Pierre Denault, lequel avait préalablement conclu comme suit :

« Il faut donc examiner l'activité dans laquelle est engagé le prestataire et il importe alors peu que son commerce soit enregistré ou incorporé. Il est vrai que normalement on tire d'une compagnie un revenu soit sous forme d'un salaire si on y travaille, soit sous forme d'un dividende s'il s'agit d'un investissement et que la compagnie a décidé de le verser aux actionnaires. A cet égard, des bénéfices non répartis appartiennent à la compagnie et non à l'actionnaire, fût-il unique. Mais la portée de l'article 57(6)(c) ci-haut relaté ne saurait être limitée par des considérations ayant trait au cadre corporatif. »

[26] Dans l’affaire subséquente, Canada (PG) c. Bernier, A-136-96, décision rendue le 27 février 1997, la prestataire présenta une demande de prestations peu après avoir été mise en chômage. Elle faisait valoir deux relevés d'emploi, l'un de la Commission scolaire de la Mitis et l'autre de La Ferme Duregard Inc., une corporation propriétaire d'une entreprise de production laitière où elle avait travaillé comme journalier du 4 juillet au 21 octobre. L'Intimée détenait 40% des actions de la corporation, son mari la balance.

[27] La Cour, sous la plume du Juge Marceau, souligne ce qui suit :

«Il s'est dégagé avec le temps dans la jurisprudence arbitrale certaines "constantes" qui ont rendu l'application des dispositions plus constantes et moins aléatoire. Premièrement, le statut juridique de l'exploitation ou de l'entreprise à laquelle le travailleur autonome s'emploie n'importe pas. Deuxièmement, le temps plus ou moins important consacré à l'exploitation ou à l'entreprise ne change rien.

Troisièmement, la réception présente, i.e. pendant l'état de chômage, de revenus venant de l'exploitation ou de l'entreprise n'est pas requise, seul un droit à tel revenu suffit. Ces constantes ont certes été influencées par la seule décision de cette Cour rendue en la matière (à ma connaissance), celle de Laforest c. C.E.I.C. et al, dossier no A-296-86, rendue le 2 février 1988 (CUB-12019), mais elles se sont imposées surtout, je crois, par ce qui fut perçu comme la volonté du législateur de rejoindre tout revenu rattaché directement ou indirectement au travail, par opposition au revenu de pur placement.»

[28] Dans l'arrêt Canada (PG) c. Drouin, A-348-96, décision également rendue le 27 février 1997, le juge Marceau revenait sur les constantes qu'il avait établies dans l'arrêt Bernier en précisant que même si elles pouvaient prêter flanc à la critique, elles constituaient néanmoins, l'état du droit concernant l'application des dispositions relatives à la répartition des revenus des travailleurs autonomes.

[29] Dans l’affaire Viel c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), 2001 CAF 9, décision rendue le 9 février 2001, la prestataire était propriétaire de 20% des actions "D" qui avait droit aux dividendes de l'entreprise mais n'avait rien perçu des revenus qu'on voulait lui répartir et l'entreprise n'avait pas déclaré ni partagé quelque dividende que ce soit. La Cour d’appel fédérale procéda à réitérer qu’aucune circonstance exceptionnelle ne justifiait que la Cour reconsidère la décision rendue dans l'affaire Bernier.

[30] Le Tribunal constate de la jurisprudence précitée que l’argument de la séparation des patrimoines et du non partage des bénéfices avec les actionnaires n’est pas nouveau. Avec le temps, même après la codification au mois de juin 2001 du principe de complémentarité entre le droit privé d’une province et une loi fédérale à laquelle se réfère la division générale dans sa décision, la Cour d’appel fédérale a maintenu l’application de ces constantes.

[31] En février 2003, dans l'arrêt Peter Lafave c. Canada (PG), 2003 CAF 66, le juge Desjardins a reparti les revenus d'entreprise du prestataire alors que le demandeur ne détenait, tout comme l’Intimé en l’espèce, qu'un tiers (1/3) des parts de la compagnie et que les dividendes n'avaient pas été versés.

[32] La Cour n’avait pas été convaincue qu’il y avait lieu de s'écarter des principes établis dans les arrêts Drouin, Bernier et Viel, dont la permission d'en appeler à la Cour suprême du Canada a été refusée le 4 octobre 2001, soit après la codification du mois de juin 2001.

[33] Et en 2013, dans l'arrêt Canada (PG) c. Talbot, 2013 CAF 53, affaire dont le prestataire et son père étaient actionnaires à parts égales d'une compagnie dont l'activité se limitait au déneigement.

[34] Le Tribunal est d’avis que la division générale a erré en l’espèce dans l’application de la première et troisième constante. Elle a en effet accordé à tort de l’importance au statut juridique de l’entreprise de l’Intimé et a erré en refusant de reconnaitre le droit aux bénéfices de l’Intimé.

[35] La Cour d’appel fédérale a confirmé à maintes reprises que la portée de l'article 35(10)(c) du Règlement ne saurait être limitée par des considérations ayant trait au cadre corporatif.

[36] Il est vrai que les actionnaires ne perçoivent aucun dividende jusqu'à ce qu'il y ait des profits nets à partir desquels ils peuvent être payés et jusqu'à ce que les directeurs déterminent qu'ils doivent être payés. Cependant, selon la troisième constante dégagée par la Cour d'appel fédérale, seul un droit aux dividendes suffit et il n'est pas nécessaire que les dividendes soient effectivement versés.

[37] Il y a donc lieu selon le Règlement et les précédents de la Cour d’appel fédérale de répartir les sommes attribuables à l’Intimé, peu importe le statut juridique de l’entreprise et les décisions qui ont été prises par les actionnaires de Les Constructions X Inc. quant à la distribution ou non du bénéfice.

[38] Tel que souligné par la Cour d’appel fédérale dans Bernier précité, les constantes se sont imposées par la perception de la volonté du législateur de rejoindre tout revenu rattaché directement ou indirectement au travail, par opposition au revenu de pur placement.

[39] La Cour d’appel fédérale a également rappelé qu’elle ne satisferait pas aux exigences et aux fins de la justice si elle s'employait à remettre en cause, et peut-être contrer, ces constantes que l'application de ces dispositions relatives aux travailleurs indépendants a permis de dégager.

[40] Le Tribunal est d’avis qu’afin d’arriver à sa conclusion, la division générale a ignoré la jurisprudence continue et bien fixée de la Cour d’appel fédérale sur les dispositions relatives au travailleur indépendant. La division générale a donc rendu une décision entachée d’une erreur de droit.

[41] Puisque le Tribunal est justifié d’intervenir, il rendra la décision qui aurait dû être rendue en l’instance. Compte tenu de la preuve devant la division générale, le Tribunal en vient à la conclusion que les bénéfices nets de Les Constructions X Inc. représentent une rémunération en vertu de l'alinéa 35(10)c) du Règlement et cette rémunération doit être repartie en vertu du paragraphe 36(6) du Règlement.

Conclusion

[42] L’appel est accueilli, la décision de la division générale sur la répartition de la rémunération en date du 11 février 2015 est rescindée et l’appel de l’Intimé devant la division générale sur la répartition de la rémunération est rejeté.

[43] Les bénéfices nets de Les Constructions X Inc. représentent une rémunération en vertu de l’alinéa 35(10)c) du Règlement et cette rémunération doit être répartie en vertu du paragraphe 36(6) du Règlement.

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