Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Motifs et décision

Comparutions

  • Représentante de l’appelante : Rachel Paquette
  • L’intimée : D. B.
  • Représentant de l’intimée : Me Jean-Guy Ouellet

Introduction

[1] Le 17 avril 2013, le conseil arbitral a déterminé que des prestations d’assurance-emploi étaient payables.

[2] Une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel a été déposée le 3 mai 2013 et la permission d’en appeler a été accordée le 5 août 2015.

[3] Cet appel a procédé sous la forme d’une audience par voie de téléconférence pour les raisons suivantes :

  1. La complexité de la ou les questions en litige; et
  2. De la nécessité de procéder de la façon la plus informelle et rapide possible selon les critères des règles du Tribunal de la sécurité sociale en ce qui a trait aux circonstances, l’équité et la justice naturelle.

Question en litige

[4] Le Tribunal doit décider s’il devrait rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale, confirmer, infirmer ou modifier la décision.

Observations

[5] À l’appui de l’appel, l’appelante soumet que la décision du conseil arbitral est entachée des erreurs de droit et de fait.

[6] L’appelante et l’intimée ont soumis des observations écrites avant l’audience.

Le droit et l'analyse

Norme de contrôle

[7] Les observations de l’appelante sur la norme de contrôle sont :

  1. La norme de la décision raisonnable s’applique dans les circonstances. L’application du critère juridique aux faits de l’espèce est une question mixte de fait et de droit et la norme de contrôle en appel est celle du caractère raisonnable; et
  2. La question de savoir si la prestataire n’avait pas d’autre choix raisonnable que de quitter son emploi est une question mixte de fait et de droit. La norme de contrôle est celle du caractère raisonnable.

[8] Les observations de l’intimée sur la norme de contrôle sont que:

  1. C'est la norme de la décision raisonnable qui devrait, en principe, être suivie; et
  2. La décision du conseil arbitral est bien fondée, juste et raisonnable.

[9] Le Tribunal retient que la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de contrôle judiciaire applicable à une décision relativement aux questions de compétence ou de droit est la norme de la décision correcte – Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, cité par Atkinson c. Canada (PG), 2013 CAF 187. La norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit est celle du caractère raisonnable – Atkinson c. Canada (PG), 2013 CAF 187.

[10] Cependant, dans Canada (PG) c. Paradis; Canada (PG) c. Jean, 2015 CAF 242, la Cour d'appel fédérale a récemment suggéré que cette approche ne convient pas lorsque la division d'appel du Tribunal examine les appels des décisions en assurance-emploi rendus par la division générale.

[11] Cette divergence apparente devra être résolue, mais l'affaire actuelle concerne un appel d’une décision d'un conseil arbitral et non d'une décision de la division générale. Pour cesm raisons, je vais procéder sur la même base que les juges-arbitres: que la norme de contrôle applicable dépend de la nature des erreurs alléguées.

Dispositions législatives

[12] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, les seuls moyens d’appel devant la division d’appel sont les suivants :

  1. (a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. (b) la division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. (c) la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[13] Aux fins de cette analyse, une décision du conseil arbitral est considérée être une décision de la division générale.

[14] La division d’appel du Tribunal doit être en mesure de déterminer, conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, s’il existe une erreur de droit, de fait ou de compétence ou l’inobservation d’un principe de justice naturelle qui pourrait mener à l’annulation de la décision attaquée.

Décision du conseil arbitral

[15] La décision du conseil arbitral note :

Conclusions et application de la loi

En matière de départ volontaire, le Conseil doit évaluer si, en tenant compte de toutes les circonstances, le fait de quitter son emploi à ce moment constituait la seule solution raisonnable pour le prestataire.

Dans le présent dossier, le Conseil constate que la prestataire a quitté son emploi après que les autorités du Casino aient restructuré les modes de gestion de la circulation automobile, enlevant plusieurs préposés et superviseurs au stationnement.

Cette restructuration entraînait une insatisfaction d'une clientèle déjà surchauffée par l'activité entourant les jeux du casino.

Le jour de sa démission, le superviseur de la prestataire a pris certaines décisions qui précarisaient encore plus la sécurité des usagers et des travailleurs, d'où la décision de la prestataire de quitter les lieux.

Le Conseil considère que la prestataire n'avait d'autre choix que de démissionner comme elle l’a fait, pour préserver sa sécurité dans les circonstances.

Observations des parties

[16] L’appelante soutient que le conseil arbitral n’a pas correctement appliqué le critère juridique de départ volontaire. Le critère juridique consiste à déterminer si, eu égard à toutes les circonstances, selon la prépondérance des probabilités, la prestataire n’avait pas d’autre choix raisonnable que de quitter son emploi.

[17] L’appelante soumet que:

  1. La Cour d’appel fédérale a statué qu’une solution raisonnable, pour une personne qui éprouve des craintes à cause des conditions dangereuses de son travail, «serait d’explorer auprès de son employeur la possibilité que les conditions de travail de son emploi soient modifiées pour palier à ses inquiétudes»;
  2. Les faits au dossier démontrent que la prestataire n’a pas communiqué avec son employeur pour tenter de résoudre le problème. Elle a choisi de démissionner le soir même;
  3. La prestataire n’a pas démontré que ses conditions de travail étaient si intolérables qu'elles ne lui laissaient d'autre choix que de démissionner;
  4. Une solution raisonnable aurait été d’en discuter avec son employeur «Garda Gestion de Stationnement Inc. », et d’attendre la réponse de son employeur concernant sa plainte. Alternativement, elle aurait pu demander un congé en attendant que le problème soit résolu ou de se trouver un autre emploi avant de quitter. Le conseil a commis une erreur déraisonnable en n’appliquant pas ces principes dans l’analyse de la justification au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi);
  5. le conseil a d’abord énoncé l’argument de la prestataire à l’effet qu’elle avait quitté son emploi au motif qu’elle avait fait l’objet d’un abus de pouvoir de la part du régulateur. Toutefois, la décision du conseil ne conclut pas à un abus de pouvoir dans ses conclusions. Le conseil a plutôt jugé que la prestataire n’avait d’autre choix que de démissionner pour préserver sa sécurité. La Commission soutient qu’il est difficile de voir en quoi les faits au dossier constituent un abus de pouvoir pouvant constituer une justification de la part de la prestataire de quitter son emploi. Concernant l’allégué portant sur sa sécurité, hormis la position de la prestataire devant le conseil, sa sécurité n’a pas été compromise le jour de son départ; et
  6. conformément au paragraphe 49(2) de la Loi, le bénéfice du doute est accordé uniquement si les éléments de preuve présentés de part et d'autre sont équivalents. Dans ce cas, la Commission soutient que le paragraphe 49(2) ne s'applique pas puisque compte tenu de toutes les circonstances, la Commission soutient que le départ ne constituait pas la seule solution raisonnable dans le cas de la prestataire.

[18] L’intimée soutient que :

  1. L’intimée avait un problème avec un employé du Casino qui était son supérieur plutôt qu’un problème avec son employeur ou de ses superviseurs chez Garda;
  2. Les membres du conseil, qui ont seuls eu l'opportunité de mesurer la crédibilité de la travailleuse, ont cru qu'elle ait pu se sentir en danger ce soir-là aussi bien que de penser que la clientèle elle-même pouvait l’être;
  3. Les membres du conseil ont conclu que la décision de quitter prise ce soir-là par la travailleuse n'avait d'autre motif que son souci pour sa sécurité incluant celle des autres et que, dans les circonstances, l’intimée croyait n'avoir d'autre solution que de démissionner comme elle l'a fait;
  4. Cette décision n'était d'aucune manière déraisonnable;
  5. Les membres du conseil ont appliqué le bon test, celui de la seule solution raisonnable dans les circonstances, pour conclure en faveur de l’intimée et que contrairement aux prétentions de la Commission, ils n'ont d'aucune manière erré ni en faits ni en droit; et
  6. Les membres du conseil ont appliqué de façon juste les principes de la loi au cas de démissions à la lumière des faits qui leur ont été soumis par témoignage et par preuve documentaire et qu'il est de leur entière discrétion d'accorder ou non-crédibilité au témoignage rendu à l’audience par la travailleuse, étant les seuls juges des faits.

Critiques de la décision du conseil arbitral

[19] Le conseil arbitral n’a pas cité de la jurisprudence, mais a énoncé le bon test légal en ce qui concerne un départ volontaire : si, en tenant compte de toutes les circonstances, le fait de quitter son emploi à ce moment constituait la seule solution raisonnable pour le prestataire.

[20] Le conseil arbitral a conclu que : « la prestataire n'avait d'autre choix que de démissionner comme elle l’a fait, pour préserver sa sécurité dans les circonstances».

[21] La Cour d’appel fédérale a imposé, dans la plupart des cas, au prestataire l’obligation de tenter de résoudre les conflits de travail avec l’employeur ou de démontrer qu’il a fait des efforts pour trouver un autre emploi avant de prendre la décision unilatérale de quitter son emploi : Canada (PG) c. White, 2011 CAF 190.

[22] L’intimée dit avoir quitté son emploi pour des raisons de sécurité. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a statué qu’une solution raisonnable, pour une personne qui éprouve des craintes à cause des conditions dangereuses de son travail, «serait d’explorer auprès de son employeur la possibilité que les conditions de travail de son emploi soient modifiées pour palier à ses inquiétudes» : Canada (PG) c. Hernandez, 2007 CAF 320.

[23] L’intimée a porté plainte auprès du chef de Garda présent le soir en question, mais n’a pas attendu d’avoir une réponse de l’employeur sur sa plainte avant de quitter. Selon l’intimée, avant le jour en question, le régulateur (contre qui elle a porté plainte) a été responsable des décisions qui ont causé un risque pour la sécurité des employés. Le conseil a conclu que l’intimée n'avait d'autre choix que de démissionner comme elle l’a fait, pour préserver sa sécurité dans les circonstances.

[24] L’appelante soutient que l’intimée devait établir que ses conditions de travail étaient si intolérables qu'elles ne lui laissaient d'autre choix que de démissionner immédiatement sans discuter ou tenter de résoudre la situation avec son employeur.

[25] C’est ce que le conseil arbitral a conclu. L’intimée soutient que c’était inhérent dans cette conclusion que quitter son emploi à ce moment constituait la seule solution raisonnable.

[26] Les défauts de la décision du conseil arbitral identifiés par l’appelante sont possiblement le résultat des motifs peu détaillés. L’appelante soumet en effet que les motifs ne sont pas suffisamment détaillés.

[27] Le paragraphe 54(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social exige que la division générale rende une décision motivée par écrit. Dans ce cas, une décision du conseil arbitral est considérée être une décision de la division générale. Le conseil arbitral a rendu une décision motivée par écrit.

[28] Dans l’affaire Roberts c. La Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, [1985] FCJ No. 413, la Cour d’appel fédérale a statué que :

  1. Le conseil arbitral, après avoir formulé sa conclusion sur la principale question de faits pertinents à sa décision, n'était pas strictement tenu d'énoncer en plus ses conclusions sur toutes les sous-questions; et
  2. Les audiences devant le conseil de même que les décisions rendues par ce dernier se veulent un processus informel visant à résoudre les problèmes de gens ordinaires, et ses motifs ne devraient pas être examinés à la loupe.

[29] Même si le conseil arbitral n’a pas repris tous les mots clés et n’a pas énoncé ses conclusions sur toutes les sous-questions, il ressort clairement de ses brefs motifs qu'il estimait que la prestataire avait quitté son emploi le soir en question pour des raisons de sécurité et qu’elle n'avait d'autre choix que de démissionner comme elle l’a fait. Mais, sur la question de faits concernant l’existence ou non d’autre solution raisonnable, le conseil arbitral n’a pas formulé une conclusion.

[30] Le conseil arbitral a cité le critère juridique, à la page 3 de sa décision. Cependant, le conseil n’a pas fait d’analyse en ce qui concerne l’existence ou non d’une autre solution raisonnable. Il n’a pas analysé si l’intimée a tenté de résoudre les conflits de travail ou a fait des efforts pour trouver un autre emploi avant de quitter son emploi (White, supra) ou si elle a exploré auprès de son employeur la possibilité que les conditions de travail de son emploi soient modifiées pour palier à ses inquiétudes (Hernandez, supra).

Erreur et norme de contrôle

[31] L’appelante soutient que le conseil arbitral a commis une erreur déraisonnable en n’appliquant pas ces principes. L’intimée soutient que le conseil a appliqué de façon juste les principes de la loi au cas de démissions à la lumière des faits qui leur ont été soumis. Je ne suis pas d’accord avec ces observations.

[32] Il est insuffisant de simplement énoncer le critère juridique sans bien l’appliquer. Ne pas appliquer le critère juridique est une erreur de droit, qui est une erreur révisable en vertu du paragraphe 58(1)(b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.

[33] Compte tenu l’erreur de droit et en vertu de la norme de la décision correcte, la division d’appel peut faire sa propre analyse et substituer sa propre opinion : Housen c. Nikolaisen, [2002] S.C.R. 235, 2002 SCC 33 (CanLII) au para. 8.

[34] L’intimée soutient qu’elle a témoigné à l’audience du conseil arbitral à propos de l’absence d’autres solutions raisonnables. Toutefois, le conseil arbitral n’a pas résumé cette preuve dans sa décision et il n’y a pas d’enregistrement audio disponible afin d'examiner le témoignage qui a été donné à cet égard. Le témoignage à l’audience résumé dans la décision du conseil (pages 1 et 2) décrit les évènements du 12 janvier 2013 et le risque à la sécurité de l’intimée, mais ne contient pas de l’information concernant d’autres solutions.

[35] Compte tenu des observations des parties, ma révision de la décision du conseil arbitral et du dossier d'appel, j’accorde l’appel. Dans les circonstances, je suis incapable de donner la décision que le conseil arbitral aurait dû donner.

[36] En arrivant à cette conclusion, je reconnais que le départ de l’intimée de son emploi date de 2013. Néanmoins, comme il sera nécessaire de présenter des preuves, une audience devant la division générale est appropriée.

Conclusion

[37] L’appel est accordé et la cause est renvoyée devant la division générale du Tribunal pour une audience de novo.

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