Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est accueilli, la décision de la division générale en date du 30 juin 2015 est annulée, et l’appel de l’intimée devant la division générale est rejeté.

Introduction

[2] Le 30 juin 2015, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal) a établi ce qui suit :

  • L’intimée n’a pas perdu son emploi en raison de sa propre inconduite aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

[3] L’appelante a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel le 17 juillet 2015. La permission d’en appeler lui a été accordée le 12 septembre 2015.

Mode d'audience

[4] Le Tribunal a tenu une audience par téléphone pour les raisons suivantes :

  • La complexité de la question ou des questions portées en appel.
  • Le fait que l’on ne prévoit pas que la crédibilité des parties figure au nombre des questions principales.
  • Les renseignements figurant au dossier et le besoin de renseignements supplémentaires.
  • L’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent.

[5] L’appelante était représentée à l’audience par Carol Robillard. L’intimée était présente et représentée par Mark Crawford.

Droit applicable

[6] En vertu du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence ;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] Le Tribunal doit décider si la division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’intimée n’avait pas perdu son emploi à cause de son inconduite en application des articles 29 et 30 de la Loi sur l’AE.

Arguments

[8] L’appelante fait valoir les arguments suivants à l’appui de l’appel :

  • La division générale a tiré une conclusion de fait erronée lorsqu’elle a conclu que les actions de l’intimée n’étaient pas délibérées et lorsqu’elle a conclu que la perte d’emploi de l’intimée n’était pas due à une inconduite ;
  • La Cour d’appel fédérale confirme qu’il y a une inconduite lorsque la conduite du prestataire est délibérée, c’est-à-dire, que les actes qui ont mené au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels ; et le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié ;
  • La division générale a reconnu que le manquement allégué à une politique sur le harcèlement constituerait une inconduite et que, de l’aveu même de l’intimée, cette dernière a bel et bien contrevenu à la politique ;
  • La Cour d’appel fédérale a confirmé que de contrevenir sciemment aux dispositions du code de déontologie de l’employeur équivaut à une inconduite au sens de la Loi sur l’AE ;
  • La division générale a également commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’employeur a présenté de manière inexacte le nombre d’avertissements antérieurs et lorsqu’elle a accepté le témoignage de l’intimée selon lequel elle a été traitée injustement par l’employeur ;
  • Une bonne application du critère juridique aux faits pour une inconduite en l’espèce, peu importe si l’intimée a fait l’objet de mesures disciplinaires à deux reprises ou à seulement une reprise auparavant, mène à la conclusion raisonnable que l’intimée a perdu son emploi à cause du dernier acte d’abus verbal qu’elle a commis envers un collègue, ce qui constituait une violation directe de la politique de l’employeur sur le harcèlement ;
  • Suivre son collègue à l’extérieur et le traiter de [traduction] « tapette », peu importe si c’était en raison de frustrations, d’émotions ou du fait que le collègue ne répondait pas à ses questions, sont des actes qui (et elle indique elle-même qu’elle était au courant que ces actes pouvaient mener à son congédiement) étaient délibérés et qui constituaient une inconduite au sens du paragraphe 30(1) de la Loi sur l’AE ;
  • Le rôle de la division générale n’est pas de s’attarder à la conduite de l’employeur ayant mené au congédiement, mais de déterminer si l’intimée était coupable d’inconduite et si la perte de son emploi est due à une inconduite.

[9] L’intimée fait valoir les arguments suivants à l’encontre de l’appel :

  • Elle ne nie pas le fait qu’elle a employé un terme offensant pour insulter son collègue, et encore une fois, cela a été reconnu et admis ;
  • Elle était sous l’effet de la contrainte, et ses actes n’étaient pas délibérés ou intentionnés. Elle était contrariée et a laissé échapper l’insulte. Elle a regretté immédiatement ce qu’elle a dit, l’a immédiatement signalé à la direction et a ensuite essayé de s’excuser et d’expliquer ses actes au collègue dès le lendemain ;
  • Il s’agissait d’une réaction spontanée au fait que le collègue l’ignorait après qu’il l’ait poussé, et l’incident s’est produit à l’extérieur du lieu de travail ;
  • Elle a immédiatement pris des mesures pour se rétracter et elle avait des remords au sujet de ce qu’elle avait dit au collègue.

Normes de contrôle

[10] L’appelante soumet que la norme de contrôle applicable aux questions de fait et de droit est celle du caractère raisonnable - Canada (Procureur général) c. Hallée, 2008 CAF 159. L’intimée n’a présenté aucune observation concernant la norme de contrôle applicable.

[11] Le Tribunal constate que la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, indique au paragraphe 19 de sa décision que lorsque la division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure.

[12] La Cour d’appel fédérale indique également que non seulement la division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la division générale du Tribunal de la sécurité sociale et n’est-elle donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale.

[13] La Cour a conclu en soulignant que lorsque la division d’appel entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, la division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi. Elle doit notamment déterminer si la division générale a « rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier » (alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS).

[14] Le mandat de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale décrit dans l’affaire Jean a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274.

Analyse

[15] Lorsqu’elle a accueilli l’appel de l’intimée, la division générale a tiré les conclusions suivantes [traduction] :

[45] L’intimée soutient que les gestes de la prestataire qui étaient de suivre le collègue à l’extérieur et de le traiter de [traduction] « tapette » constituaient une inconduite au sens de la Loi sur l’AE, parce qu’elle avait eu des avertissements/suspensions auparavant et elle savait que de nouveaux incidents pouvaient mener à son congédiement.

[46] La prestataire invoque l’argument qu’il y avait des circonstances atténuantes quant à l’incident du 27 octobre 2014. Elle a fourni un témoignage oral indiquant qu’elle assume l’entière responsabilité pour avoir fait le commentaire insultant au collègue, mais pour sa défense, le commentaire a été dit dans un moment où elle était complètement exaspérée, et elle a eu des remords immédiatement. Elle a témoigné qu’elle savait qu’elle avait reçu l’avertissement final et que ce commentaire pouvait lui coûter son emploi. Elle a témoigné qu’elle a avisé son gestionnaire de l’incident et qu’elle a tenté de s’expliquer et de s’excuser auprès du collègue.

[47] Le Tribunal estime que la prestataire a présenté des facteurs atténuants qui ont fait en sorte qu’elle soit devenue frustrée envers le collègue. Elle a témoigné que l’incident a été déclenché par le collègue. Elle a fourni un témoignage oral indiquant que lors de sa pause du dîner, elle a tenté de glisser sa carte dans l’horodateur et que le collègue lui est rentré dedans. Elle lui a demandé pourquoi il a fait cela, mais ce dernier ne lui a pas répondu. La prestataire a témoigné qu’elle a continué à le lui demander, et que lorsqu’il a quitté la pièce, elle l’a suivi en continuant de le lui demander. Le collègue a tout de même refusé de lui répondre, et elle a laissé échapper le mot [traduction] « tapette ».

[48] Le Tribunal constate que la preuve au dossier provenant de l’employeur appuie la version des faits de la prestataire lorsqu’ils indiquent que le collègue a bien dit [traduction] « excusez-moi » pour ensuite peut-être pousser la prestataire (GD3-17). Cependant, le Tribunal constate que l’employeur a pris uniquement le parti du collègue, et qu’il se pourrait que la prestataire ne l’ait pas entendu. Il n’y a aucun élément de preuve pour déterminer si l’employeur a demandé à la prestataire si elle l’avait entendu dire [traduction] « excusez-moi ». Le Tribunal estime que les déclarations faites par le collègue, qui a admis être rentré dans la prestataire, auraient dû contenir une explication du fait qu’il n’a pas répondu à la prestataire et de pourquoi il a laissé la situation s’aggraver au point que la prestataire a dû le suivre à l’extérieur.

[49] Le Tribunal constate qu’un élément essentiel d’une inconduite qui justifie le congédiement est que l’inconduite doit avoir été délibérée et sans tenir compte des répercussions sur le rendement au travail.

[50] En l’espèce, le Tribunal est d’avis que la prestataire est un témoin crédible et qu’elle a fourni des éléments de preuve qui ont convaincu le Tribunal qu’elle a subi beaucoup de stress, qu’elle était émotive, qu’elle avait l’impression que son emploi était à risque et que ses collègues tentaient de lui rendre la vie encore plus difficile, et lorsque le collègue lui est rentré dedans, cela l’a mis sur la défensive. Les éléments de preuve au dossier et le témoignage oral de la prestataire indiquent qu’elle tenté sérieusement de corriger la situation en avisant immédiatement son gestionnaire, le syndicat et le collègue. Le Tribunal conclut, à la lumière de ces éléments, que l’emploi de ce terme par la prestataire était dû à une réaction spontanée, et que ses actes immédiats pour tenter de préserver son emploi ne peuvent pas être considérés comme ayant été posés de façon délibérée ou avec insouciance.

[51] Le Tribunal constate que la Commission a failli à l’acquittement du fardeau prouvant l’inconduite de l’appelante au sens de la Loi sur l’AE. Par conséquent, avec la preuve devant lui, le Tribunal détermine que l’appelante ne devrait pas être exclue du bénéfice des prestations, car son congédiement n’a pas été causé par sa propre inconduite : Meunier c. Canada (Procureur général) A-130-96 ; et Choinière c. Canada (Procureur général) A-471-95.

(Souligné par mes soins)

[16] Très respectueusement, la décision de la division générale ne peut pas être maintenue.

[17] La notion d’inconduite délibérée n’implique pas qu’il soit nécessaire que le comportement fautif résulte d’une intention coupable ; il suffit que l’inconduite soit consciente, voulue ou intentionnelle. Le fait que l’intimée a commis une erreur de jugement et qu’elle a accompli de sérieux efforts pour tenter de corriger la situation en avisant immédiatement son gestionnaire, le syndicat et le collègue n’est pas pertinent pour déterminer si sa conduite constitue une inconduite – Canada (Procureur général) c. Hastings, 2007 CAF 372.

[18] De plus, il est évident que la division générale a fondé sa décision sur le comportement de l’employeur. Cependant, le rôle de la division générale est de déterminer si la conduite de l’employé constituait une inconduite au sens de la Loi sur l’AE et non pas de déterminer si la sévérité de la sanction imposée par l’employeur était justifiée ou non ou si le geste de l’employé constituait un motif valable de congédiement – Canada (Procureur général) c. Lemire, 2010 CAF 314.

[19] Finalement, la division générale a commis une erreur en droit lorsqu’elle a accordé le bénéfice du doute à la prestataire. Le paragraphe 49(2) de la Loi sur l’AE ne s’applique que lorsque les éléments de preuve sont équivalents de part et d’autre, ce qui n’est manifestement pas le cas dans le présent dossier.

[20] Puisque la division générale a commis les erreurs de droit susmentionnées, le Tribunal est justifié d’intervenir et de rendre la décision qui aurait dû être rendue.

[21] La preuve non contestée présentée à la division générale démontre que l’intimée a suivi le collègue à l’extérieur et l’a traité de [traduction] « tapette », car il ne répondait pas à ses questions. En agissant ainsi, l’intimée a enfreint la politique de tolérance zéro relative à la discrimination et au harcèlement de l’entreprise. L’intimée connaissait très bien la politique avant l’incident qui a mené à son congédiement. La politique, qui a pour but d’offrir un milieu de travail exempt de violence, de harcèlement et de discrimination, s’applique clairement en milieu de travail ainsi qu’à l’extérieur du lieu de travail si cela implique des collègues de travail. L’intimée a constaté que la gravité de ses actes pourrait mener à son licenciement et qu’elle pourrait perdre son emploi, car elle est retournée à l’intérieur et a immédiatement avisé la direction de ce qu’elle venait de faire, et elle s’est excusée de son comportement.

[22] Malheureusement pour l’intimée, ses actes qui étaient de suivre le collègue à l’extérieur et le traiter de [traduction] « tapette », ce qui était contraire à la politique de l’entreprise, constituent de l’inconduite au sens de la Loi sur l’AE. En agissant ainsi, l’intimée savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’elle soit congédiée.

[23] Pour les motifs susmentionnés, l’appel sera accueilli.

Conclusion

[24] L’appel est accueilli, la décision de la division générale en date du 30 juin 2015 est annulée, et l’appel de l’intimée devant la division générale est rejeté.

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