Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Motifs et décision

Introduction

[1] Le 15 janvier 2016, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a rejeté de façon sommaire l’appel de l’appelant (le prestataire). La division générale (DG) a conclu que :

  1. Le prestataire s’est vu retirer son permis de conduire pour une période de 90 jours;
  2. Les autorités compétentes ont suspendu le permis de conduire du prestataire, car il avait, lors de son interpellation par les autorités compétentes, des capacités de conduite affaiblies;
  3. Détenir un permis de conduire est une condition essentielle pour exercer un emploi chez l’employeur du prestataire;
  4. La décision de conduire après avoir consommé de l’alcool, sachant que l’on peut, même sans le vouloir, enfreindre les dispositions de la loi et du Code criminel, est un acte volontaire; et
  5. L’appel n’a aucune chance raisonnable de succès; alors l’appel a été rejeté de façon sommaire.

[2] Cette décision a été communiquée à l’appelant le 18 janvier 2016 et a été reçue par l’appelant le 20 janvier 2016.

[3] L’appelant a interjeté appel à la division d’appel du Tribunal le 10 février 2016, à l’intérieur du délai prescrit. Les motifs évoqués sont qu’il existe une cause défendable et que l’appelant n’a pas pu présenter ses arguments en audience à la DG. L’avis d’appel récite cinq pages d’arguments et réfère aux faits de la perspective de l’appelant.

[4] L’intimée soutient que la DG n’a pas erré en prenant la décision de rejeter l’appel de façon sommaire.

[5] Le présent appel a été décidé sur la foi du dossier pour les raisons suivantes : la nécessité de procéder de la façon la plus informelle et rapide possible selon le Règlement du Tribunal en ce qui trait aux circonstances, l’équité et la justice naturelle.

Question en litige

[6] Le Tribunal doit décider s’il devrait rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale, confirmer, infirmer ou modifier la décision.

La loi et l’analyse

Dispositions législatives

[7] Le paragraphe 53(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social prévoit que la division générale doit rejeter un appel sommairement si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[8] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. (a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. (b) la division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. (c) la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[9] La division d’appel du Tribunal doit être en mesure de déterminer, conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, s’il existe une erreur de droit, de fait ou de compétence ou relative à un principe de justice naturelle dont la réponse pourrait mener à l’annulation de la décision attaquée.

Critère juridique pour un rejet sommaire

[10] La détermination initiale porte sur la demande (de prestations régulières de l’assurance- emploi) rejetée par l’intimée parce qu’elle a conclu que le prestataire n’avait pas droit aux prestations régulières car il avait cessé de travailler le 9 mars 2015 chez son employeur en raison de son inconduite.

[11] La première question pour la division d’appel à déterminer est si la DG a correctement identifié et appliqué le critère juridique pour rejeter sommairement l’appel.

[12] Les parties n’ont fait aucune observation en ce qui concerne le critère juridique pour un rejet sommaire.

[13] Bien que la Cour d’appel fédérale n’ait pas encore examiné la question des rejets sommaires dans le contexte du cadre législatif et réglementaire du Tribunal, elle a examiné la question à plusieurs reprises dans le contexte de sa propre procédure de rejet sommaire. Les décisions Lessard-Gauvin c. Canada (PG), 2013 CAF 147 et Breslaw c. Canada (PG), 2004 CAF 264 servent d'exemples représentatifs de ces jugements.

[14] Dans Lessard-Gauvin, la Cour d’appel fédérale a déclaré:

La norme pour rejeter de façon préliminaire un appel est rigoureuse. Cette Cour ne rejettera sommairement un appel que lorsqu'il est évident que le fondement de celui-ci n'a aucune chance raisonnable de succès et est manifestement voué à l'échec ...

[15] La Cour d’appel fédérale a exprimé des sentiments similaires dans l’affaire Breslaw, constatant que:

... le seuil lié au rejet sommaire d'un appel est très élevé, et bien que je doute sérieusement de la validité de la position de l'appelant, les observations écrites qu'il a déposées soulèvent une cause défendable. L'appelant est donc autorisé à poursuivre son appel.

[16] Je note que la détermination de rejeter sommairement un appel est un test seuil. Il ne convient pas d'examiner l'affaire sur le fond en l'absence des parties, puis de conclure que l’appel ne peut pas réussir. La question à se poser dans le cas d’un rejet sommaire est: est-il clair et évident sur la foi du dossier que l'appel est manifestement voué à l'échec?

[17] Pour plus de précision, la question à se poser n’est pas si l'appel doit être rejeté après une étude des faits, de la jurisprudence et des arguments des parties. Plutôt, il faut déterminer si l’appel est voué à l’échec, peu importe les preuves ou arguments qui pourraient être présentés lors d'une audience.

Décision de la division générale

[18] La DG a envoyé un avis de son intention de procéder par rejet sommaire le 17 décembre 2015. L’avis dit :

« Parce que l’inconduite peut être la violation d’une loi qui peut faire en sorte qu’une condition essentielle à l’emploi cesse d’être satisfaite et ce, même si les gestes causant l’inconduite ont été posés en dehors des heures de travail.

Parce que pour constituer de l’inconduite, les actes du prestataire devaient constituer un manquement à une obligation résultant expressément de son contrat de travail.

Parce que la possession du permis de conduire était une condition indispensable de son emploi. »

Si vous estimez que cet appel ne devrait pas être rejeté de façon sommaire, vous devez transmettre au Tribunal vos observations écrites détaillées expliquant pourquoi votre appel a une chance raisonnable de succès, et ce, au plus tard le 15 janvier 2016.

[19] Par lettre datée du 13 janvier 2016, reçue par le Tribunal le 14 janvier 2016, l’appelant s’est opposé à cet avis en faisant référence à cinq pages d’observations écrites.

[20] La division générale a rejeté l’appel de façon sommaire le 15 janvier 2016.

[21] Le membre de la DG a revu les articles et les paragraphes des lois applicables, la jurisprudence, la preuve au dossier, la demande d’appel et les observations de l’appelant en ce qui concerne l’avis de rejet sommaire et il a conclu que :

[15] Étant donné la preuve et les soumissions contenues au dossier, l’appel du prestataire n’a aucune chance raisonnable de succès. En effet, la preuve au dossier démontre que les autorités compétentes ont suspendu le permis de conduire du prestataire, car il avait, lors de son interpellation par les autorités compétentes, avait des capacités de conduite affaiblies (pièce GD3-24). Découlant de son interpellation, le prestataire s’est vu retirer son permis de conduire pour une période de 90 jours (pièce GD3-24). Dans cette cause, l’employeur affirme que ses employés signent une déclaration de validité du permis de conduire et s’engage à informer sans délai l’employeur de toute modification ou suspension de permis de conduire (pièce GD3-36). Au surplus, l’employeur indique que le fait de détenir un permis de conduire est une condition essentielle pour exercer un emploi chez l’employeur (pièce GD3-36).

[16] Aux termes du paragraphe 30(1) un prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite. Le Tribunal s’appuie aussi sur l’arrêt Brissette (A-1342-92), une cause similaire à celle-ci, où la Cour indique très clairement que la décision de conduire après avoir consommé de l’alcool, sachant que l’on peut, même sans le vouloir, enfreindre les dispositions de la loi et du Code criminel, est un acte volontaire. En outre, encore dans Brissette (A-1342-92), la Cour explique que pour que l’inconduite soit commise, il n’est pas nécessaire que les gestes aient été commis sur les lieux de travail ou dans le cadre d’une relation de travail avec l’employeur. La Cour indique alors que pour que l’inconduite soit commise, un prestataire doit être à l’emploi de l’employeur et que le geste reproché, soit la perte du permis dans la cause en question, constitue un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail du prestataire.

Erreur de la division générale

[22] La DG a examiné l'affaire sur le fond en l'absence des parties, puis elle a conclu que l’appel ne peut pas réussir.

[23] La DG a conclu que l'appel doit être rejeté après une étude des faits, de la jurisprudence et des arguments des parties. Elle n’a pas déterminé si l’appel est voué à l’échec, peu importe quels éléments de preuve ou arguments pourraient être présentés lors d'une audience.

[24] La DG n'a pas appliqué le bon critère pour conclure que l’appel devait être rejeté sommairement. Cela constitue une erreur de droit, et une erreur de droit est révisable selon paragraphe 58(1)(b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.

[25] Je note que le Parlement a adopté un cadre législatif et réglementaire qui ne permet pas à la section de l’assurance-emploi de la DG de rendre des décisions sur la foi du dossier, même si la section de la sécurité du revenu de la DG est autorisée à le faire.

[26] Comme le législateur ne parle pas en vain, je dois conclure que le Parlement voulait assurer que les appelants(es) devant la section de l’assurance-emploi de la DG aient, règle générale, l’occasion d'être entendu. Le rejet sommaire ne devrait pas être étiré afin de contourner cette intention.

[27] Comme la DG n'a pas appliqué le bon critère, j’accorde l’appel. Il est approprié d’accorder l’appel et de renvoyer cette cause à la DG du Tribunal.

Conclusion

[28] L’appel est accordé et la cause est renvoyée devant un autre membre de la DG du Tribunal pour sa reconsidération selon les présents motifs.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.