Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Comparutions

L’appelante, Trillium Railway Co. Ltd., était représentée à l’audience en personne par Monsieur Kenneth R. Peel, avocat chez KRP Law, Mme K. E., présidente, et A. W., directeur général.

L’intimée n’y a pas participé.

La personne mise en cause ou le prestataire, Monsieur D. S. et son épouse, M me C. S., ont également assisté à l’audience à titre de témoins. Mme C. S. a aidé le prestataire au cours de l’audience. Cependant, elle n’a pas été appelée à témoigner par le prestataire.

Introduction

[1] Le 8 avril 2015, le prestataire a présenté une demande initiale de prestations régulières d’assurance-emploi après avoir été congédié par son employeur le 30 mars 2015.

[2] Le 15 mai 2015, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission) a refusé sa demande de prestations régulières d’assurance-emploi après avoir conclu qu’il avait perdu son emploi en raison de son inconduite.

[3] Le 21 mai 2015, le prestataire a demandé que la Commission révise sa décision. Le 5 juin 2015, après un examen approfondi du dossier, la Commission a rendu une décision en faveur du prestataire, infirmé sa décision initiale et accueilli la demande de prestations.

[4] Le 3 juillet 2015, l’appelante a interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal). Le 14 septembre 2015, le membre a mis en cause le prestataire dans l’instance (GD6).

[5] Le prestataire a demandé que l’audience du 9 février 2016 soit ajournée et le lieu changé; l’appelante a accepté la demande, et le membre a accordé l’ajournement et le changement de lieu (GD1A).

[6] L’appelante a demandé que l’audience du 11 février 2016 soit ajournée, et la demande a été accueillie (GD8 et GD9).

[7] Le membre a décidé de tenir l’audience en personne en raison des facteurs suivants : a) la complexité de la question en litige; b) le fait que la crédibilité puisse figurer au nombre des questions principales; c) le fait que plus d’une partie serait présente; d) les renseignements au dossier, y compris la nécessité d’obtenir des renseignements supplémentaires.

Question en litige

[8] Le membre doit déterminer si le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite et s’il doit être exclu du bénéfice des prestations pour une période de durée indéterminée, en application des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

Droit applicable

[9] Aux termes de l’article 29 de la Loi sur l’AE, pour l’application des articles 30 à 33 :

  1. a) « emploi » s’entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;
  2. b) la suspension est assimilée à la perte d’emploi, mais n’est pas assimilée à la perte d’emploi la suspension ou la perte d’emploi résultant de l’affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l’exercice d’une activité licite s’y rattachant;

[10] Le paragraphe 30(1) de la Loi sur l’AE prévoit que le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

  1. a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;
  2. b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

[11]  Aux termes du paragraphe 30(2) de la Loi sur l’AE, l’exclusion vaut pour toutes les semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent son délai de carence. Il demeure par ailleurs entendu que la durée de cette exclusion n’est pas affectée par la perte subséquente d’un emploi au cours de la période de prestations.

Preuve

[12] La prestataire a présenté une demande initiale de prestations régulières d’assurance-emploi le 8 avril 2015. Il a déclaré avoir été congédié par son employeur le 30 mars 2015 parce que l’employeur l’a accusé de commettre une infraction liée à la sécurité (laisser de l’équipement de façon à obstruer la voie adjacente), ce qui a causé des dommages à quatre wagons. L’incident s’est produit le 24 décembre 2014, à savoir trois mois avant son congédiement. Il a expliqué qu’il croyait que la voie était libre, alors, en tant que chef de train, il a dit à l’ingénieur de lui donner du jeu pour les wagons, mais que, durant le mouvement, ils ont été endommagés. Il a travaillé pendant le reste du quart les 29 et 30 décembre 2014 et il s’est absenté jusqu’au 6 janvier 2015. Son épouse et lui ont rencontré l’employeur cette semaine-là (quatre ou cinq jours plus tard) afin de comprendre la façon dont l’incident s’est produit étant donné les années d’expérience du prestataire. Le prestataire a déclaré qu’il a été décidé qu’il s’agissait d’une erreur sporadique, que son emploi était sauf et qu’il n’avait pas à se faire de soucis (GD3-9). Il a continué de travailler. Cependant, le 22 janvier 2015, il s’est cassé un os à la main au travail et il s’est absenté dans le cadre d’un congé prévu par la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail. À son retour le 30 mars 2015, il a été congédié. Le prestataire a déclaré qu’il était au courant de la politique en matière de sécurité et qu’il l’avait suivie (GD3-3 à GD3-14).

[13] Selon le relevé d’emploi, le prestataire a été employé par l’appelante pendant plus de 14 ans et il a été congédié le 30 mars 2015 (GD3-15).

[14] À la Commission, l’appelante a déclaré que le prestataire a été congédié pour avoir manqué aux règles 114 et 115 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF), qu’une enquête était en cours depuis le 24 décembre 2014, qu’ils avaient rencontré le prestataire à plusieurs reprises, y compris au cours de la semaine du 6 janvier 2015. Le prestataire connaissait la raison pour laquelle l’incident s’était produit et il a déclaré que cela ne s’était produit qu’une seule fois. Il a été informé que l’enquête était en cours et que l’issue serait une autre mesure disciplinaire pouvant aller jusqu’au congédiement (GD3-16).

[15] L’employeur a présenté ce qui suit :

  1. rapport d’incident du 24 décembre 2014 (GD3-18 à GD-20);
  2. rapport d’incident ferroviaire du Bureau de la sécurité des transports rempli par le directeur général (GD3-21 à GD3-23);
  3. notes personnelles de la présidente de la rencontre du 10 janvier 2015 avec le prestataire et son épouse (GD3-24);
  4. lettre envoyée au prestataire de la part de l’appelante et datée du 22 janvier 2015 pour l’informer de l’enquête en cours et du fait qu’il était en probation jusqu’à ce qu’une autre mesure disciplinaire puisse être prise (GD3-25);
  5. Selon la lettre de congédiement du 30 mars 2015, le prestataire a été congédié parce qu’il a manqué aux règles 114 et 155 du REF lorsqu’il a donné les instructions à la locomotive de commencer à déplacer les wagons dans un secteur qui n’avait pas été correctement vérifié ou dégagé. Même s’il a admis son erreur, ses gestes constituaient un grave manquement aux règles élémentaires du domaine ferroviaire qui ne peut être pardonné ou ignoré d’une manière quelconque (GD3-26).

[16] Le prestataire a déclaré à la Commission qu’il a simplement fait une erreur lorsqu’il n’a pas vérifié si la voie était dégagée (GD3-27).

[17] Le 15 mai 2105, la Commission a rejeté la demande de prestations du prestataire. Elle a conclu que le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite (GD3‑28).

[18] Le 21 mai 2015, le prestataire a demandé que la Commission révise sa décision en déclarant que l’appelante l’avait rassuré après l’incident qu’aucune mesure disciplinaire ne serait prise. Ce n’est qu’après sa blessure à la main le 22 janvier 2015 que l’appelante a informé le prestataire qu’il était maintenant en probation. Il a été congédié à son retour au travail le 30 mars 2015 (GD3-21 à GD3-32).

[19] Le 5 juin 2015, la Commission a révisé les circonstances de l’espèce, a tranché en faveur du prestataire et a infirmé sa décision initiale du 15 mai 2015 (GD3-33 à GD3-36).

[20] L’employeur a présenté une preuve documentaire supplémentaire (GD10) :

  1. rapports d’incident (3) datés de janvier 2005 (déraillement de wagons en raison d’un recours insuffisant aux freins à main), de mars 2008 (déraillement en raison de l’utilisation du mode réversible par l’équipage) et d’octobre 2010 (radiocommunication, collision d’un wagon dans une barrière) -- le prestataire était mécanicien de locomotive au moment de ces incidents;
  2. lettre d’avertissement au prestataire datée de décembre 2010 lui imposant une probation de trois mois en raison d’un comportement inapproprié (propos et tons agressifs et menaçants à l’égard de collègues);
  3. lettre relative à une augmentation de salaire et datée du 15 décembre 2010 qui reconnaît qu’il est en probation et qui souligne les conditions d’emploi;
  4. lettre d’offre relativement à une augmentation de salaire à l’intention du prestataire datée du 28 novembre 2008;
  5. factures pour les réparations des véhicules impliqués dans l’incident qui concerne le litige.

Témoignages

Monsieur A. W., directeur général

[21] Monsieur A. W. a déclaré que le prestataire a reçu une formation sur le REF à l’embauche, qu’il a passé des évaluations et qu’il a été certifié à plusieurs reprises. Le prestataire était le chef de train le 24 décembre 2014. Il prend les décisions quant au contrôle et il les communique à l’ingénieur par radio ou signaux à main. Monsieur A. W. a déclaré que le prestataire a manqué aux règles 114 (savoir que l’itinéraire est libre) et 115 (être en position d’observer le mouvement lorsqu’il se produit). Il a déclaré qu’il s’agit des responsabilités du prestataire.

[22] Monsieur A. W. a déclaré avoir rencontré le prestataire après l’incident et que le prestataire a déclaré ne pas avoir vérifié afin de s’assurer que les wagons étaient dégagés. Monsieur A. W. a déclaré qu’il s’agissait d’une journée à la visibilité dégagée et froide sans chute de neige, que le prestataire aurait dû marcher 200 pieds pour vérifier s’il y avait une obstruction et que rien n’a empêché celui-ci de le faire. Il a déclaré que le prestataire n’avait aucune explication relativement à sa conduite, qu’il était visiblement bouleversé et secoué, et qu’il a demandé s’il serait renvoyé. Monsieur A. W. a déclaré avoir répondu [traduction] « pas aujourd’hui » parce qu’il n’avait pas l’autorité de le faire, mais qu’il doit remplir un rapport d’incident (voir GD3‑20). Monsieur A. W. a déclaré qu’il n’a pas rassuré le prestataire en lui disant qu’il n’y aurait aucune conséquence ou qu’il ne perdrait pas son emploi. Il a déclaré avoir rédigé GD3-21 conformément au règlement lorsqu’un wagon-citerne est endommagé. Il a également rédigé le GD3-22 sur place, il a pris des photographies, et le prestataire a passé en revue ce qu’il a fait avec lui. Monsieur A. W. a déclaré qu’ils ont tous deux conclu que le prestataire ne pouvait pas voir si la voie était dégagée depuis l’endroit où il se trouvait.

[23] Monsieur A. W. a déclaré qu’il a été incapable d’obtenir une estimation des dommages causés aux wagons avant le 23 février 2015 et il a confirmé que les coûts concernant les wagons étaient exacts (GD10-20).

[24] Monsieur A. W. a déclaré qu’il était présent aux rencontres du 6 janvier 2015 et du 30 mars 2015. Il a affirmé que le prestataire a été informé qu’il était en probation le 22 janvier 2015 et que, à la rencontre de congédiement du 30 mars 2015, il n’a offert aucune explication pour l’incident du 24 décembre 2015.

K. E., présidente

[25] Mme K. E. a déclaré avoir été informée de l’incident du 24 décembre 2015 après les vacances des Fêtes. Elle a rencontré le prestataire pendant la semaine du 6 janvier 2015 et une autre fois le 10 janvier 2015 avec son épouse. Mme K. E. a déclaré que le prestataire était honnête et ouvert et qu’il a réitéré ce qu’il avait écrit dans sa déclaration. Il n’avait aucune explication pour l’incident. Il disait seulement que cela ne se reproduirait pas et il a demandé s’il perdrait son emploi. Mme K. E. a déclaré qu’elle a dit au prestataire qu’il pourrait perdre son emploi et que la situation devait faire l’objet d’une évaluation. Il l’a rassurée qu’il n’y avait rien de mal, que tout allait bien, qu’il n’y a eu aucune distraction et qu’il était enthousiaste à l’égard des vacances des Fêtes. Mme K. E. a déclaré que ses notes (GD3-24) ont été rédigées après sa rencontre avec le prestataire et son épouse et qu’elles étaient exactes. Mme K. E. a déclaré qu’ils étaient tous au courant de la gravité de l’incident et que le prestataire savait qu’il s’exposait à de graves conséquences. Elle a confirmé avoir rencontré le prestataire le 22 janvier 2015 et l’avoir mis en probation pendant que Monsieur A. W. essayait encore d’obtenir une estimation des dommages. Le prestataire avait besoin du revenu et, même si elle savait qu’il devait suivre les règles, elle l’a autorisé à continuer de travailler.

[26] Mme K. E. a déclaré qu’il y a eu un délai entre le 2 janvier 2015 et le 30 mars 2015 parce que le prestataire était absent du travail en raison d’une blessure à la main. La décision a été prise pendant son absence, mais elle a attendu que le prestataire retourne au travail pour lui donner la lettre de congédiement. Les motifs du congédiement figurent dans la lettre. Son congédiement n’avait rien à voir avec sa blessure à la main. Mme K. E. a déclaré qu’il était difficile de prendre cette décision, mais qu’elle ne pouvait pas ignorer le fait que le prestataire avait manqué à une règle importante en matière de sécurité et la première et plus importante règle du REF. Il a été honnête et il a déclaré à maintes reprises que l’incident avait seulement était cause par le fait qu’il n’avait pas vérifié si la voie était libre afin d’y déplacer les wagons. Il lui incombait de contrôler ces trains.

Monsieur D. S., prestataire

[27] Monsieur D. S. a déclaré que Monsieur A. W. l’a rassuré lorsqu’ils étaient sur les lieux qu’il ne perdrait pas son emploi. En réponse aux incidents antérieurs présentés par l’employeur, le prestataire a déclaré ce qui suit : [traduction] « Je n’ai jamais eu d’incidents de la sorte, je n’ai jamais mal jugé d’un dégagement dans l’ensemble de ma carrière. »

[28] Le membre a demandé au prestataire d’expliquer son observation (GD7) selon laquelle il n’est pas d’accord avec certaines déclarations formulées par l’appelante aux pages GD2-7, au paragraphe 7, ainsi qu’aux pages GD2-19, GD2-20 et GD3-22, paragraphe j). Le prestataire a déclaré qu’il ne comprenait pas pourquoi il avait fallu autant de temps pour que l’employeur soit mis au courant du coût des dommages aux wagons alors que cela s’est fait beaucoup plus rapidement dans le passé (GD2-7). En ce qui concerne GD2-19 et GD2-20, le prestataire a déclaré que, à la rencontre avec Mme K. E., son épouse et lui ont été informés que l’incident était [traduction] « de l’histoire ancienne », qu’il était le meilleur employé et que son emploi était sauf. À la page GD3-22), il n’est pas vrai wagon [traduction] « obstruait la voie […] sur une distance d’environ dix pieds ». Le prestataire a commis une erreur pour une distance d’environ 6 à 8 pouces. Le prestataire a fait les déclarations suivantes: [traduction] « J’ai commis une erreur; c’est tout ce que je peux dire », [traduction] « Je me sens mal quand j’y pense », [traduction] « Les dommages auraient pu être pires », et [traduction] « Je pensais avoir raison, mais je me trompais gravement ».

[29] Monsieur D. S. a déclaré que, le 24 décembre 2015, il se sentait très bien, car c’était la veille de Noël. Il a déclaré qu’il avait un plan, qu’il était certain que les wagons étaient dégagés et que, même lorsqu’il est allé au dispositif d’aiguillage, il ne pensait pas qu’il avait commis une erreur de 6 à 8 pouces. Monsieur D. S. a fait les déclarations suivantes : [traduction] « Non, je ne me suis pas mis en position », et [traduction] « Selon mon expérience, je pensais que la voie était dégagée ».

[30] Le prestataire a déclaré qu’il connaissait la règle et il a fait les déclarations suivantes : [traduction] « Je sais qu’il s’agit d’une règle », et [traduction] « Tout le monde commet ces erreurs, et il s’agit de la raison pour laquelle ils créent ces règles [...] ».

Observations

[31] L’appelante / l’employeur a formulé les observations suivantes :

  1. Le prestataire a été congédié pour avoir manqué à une règle élémentaire en matière de sécurité (règles 114 et 115 du REF) ainsi qu’à l’obligation de diligence. Il n’a pas vérifié si la voie était dégagée ni veillé à ce que l’équipement ferroviaire puisse passer de façon sécuritaire sans heurter d’autres wagons. Il avait l’obligation de le faire, et il ne s’est pas conformé à la règle. Il s’agissait d’un grave manque en matière de jugement, de conformité et d’obligation de diligence. Son congédiement n’avait rien à voir avec la blessure à la main du 22 janvier 2015.
  2. Le prestataire n’avait aucune explication pour ses gestes. Il ne pouvait pas fournir de raisons concernant le manquement aux règles du REF.
  3. Le prestataire était un chef de train de formation, qualifié et expérimenté et il connaissait les règles du REF. Il a admis son erreur et qu’il ne pouvait pas se permettre de perdre son emploi. Par conséquent, il était au courant de la gravité de l’incident. Le prestataire avait été impliqué dans d’autres incidents ferroviaires en 2005, en 2008 et 2010. Il savait et comprenait que le manquement aux règles entraînait des conséquences / mesures disciplinaires (il a été suspendu dans le passé). Mis à part cela, il s’agit d’une question de crédibilité, car le prestataire n’en était pas à son premier incident, comme il l’a déclaré à la Commission (GD3-8).

[32] L’intimée / la Commission a initialement soutenu que le prestataire n’a pas perdu son emploi en raison de son inconduite, car ses gestes n’ont pas été jugés comme étant de mauvaise foi, volontaires ou délibérés. Il est raisonnable de supposer que le prestataire n’a pas libéré des wagons consciemment en sachant que la voie n’était pas dégagée.

[33] L’intimée / la Commission concède le bien-fondé de la question en litige (GD11) et formule les observations suivantes :

  1. Elle n’a pas effectué une recherche des faits auprès de l’une des parties pendant le processus de révision et, par conséquent, elle n’a pas demandé les antécédents pertinents de mesures disciplinaires antérieures ainsi que les politiques et procédures connexes en matière de sécurité que l’employeur a maintenant présentés dans le cadre des observations relatives à l’appel.
  2. Elle a commis une erreur dans son interprétation de l’élément intentionnel. Elle s’est concentrée sur la question de savoir si les gestes du prestataire étaient [traduction] « de mauvaise foi ou volontaires », et non sur la définition complète de l’inconduite selon l’arrêt Tucker, A-381-85.
  3. L’incident final qui a mené au congédiement du prestataire n’était certainement pas volontaire, c’est-à-dire qu’il n’a pas essayé délibérément de causer un accident, mais qu’il a été fondamentalement négligent ou insouciant d’une manière qui frôle le caractère délibéré. Il n’a pas regardé si la voie était dégagée et, par conséquent, il a manqué au principe le plus élémentaire des protocoles en matière de sécurité.
  4. Le prestataire était un chef de train expérimenté. Il était conscient des protocoles et des risques en matière de sécurité et il avait des antécédents d’incidents antérieurs. Il était donc bien au courant du fait que le congédiement était une possibilité. Par conséquent, le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite.

[34] La personne mise en cause / le prestataire a formulé les observations suivantes :

  1. Il a simplement commis une erreur lorsqu’il n’a pas vérifié si la voie était dégagée. Il s’agit d’une erreur sporadique qui ne se reproduira jamais.
  2. Il compte 25 ans d’expérience et il n’a jamais connu ce type d’accident ou d’incident auparavant.

Analyse

[35] L’article 30 de la Loi sur l’AE prévoit que le prestataire est exclu du bénéfice des prestations pour une période indéterminée s’il a été congédié en raison de son inconduite.

[36] La membre prend acte que le critère juridique à appliquer en cas d’inconduite consiste à déterminer si les actes étaient volontaires ou, du moins, procédaient d’une insouciance ou d’une négligence telle que l’on pourrait dire que l’employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son travail (McKay-Eden, A-402-96; Tucker, A381-85). Autrement dit, il s’agit de déterminer si les actes qui ont mené au congédiement étaient conscients, délibérés ou intentionnels, c’est-à-dire si le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié (Lassonde, A-213-09; Mishibinijima, A-85-06; Hastings, A-592-06).

[37] Par ailleurs, le membre prend acte qu’il revient à l’employeur et à la Commission de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite (Larivee, A-473-06; Falardeau, A-396-85).

[38] Le membre souligne que, tout d’abord, il doit être établi que les gestes du prestataire ont été à l’origine de son congédiement (Luc Cartier, A-168-00; Brisette, A-1342-92). En l’espèce, la preuve non contestée démontre que l’appelante a congédié le prestataire le 30 mars 2015 parce qu’il a manqué à des règles élémentaires en matière de sécurité ferroviaire (règles 114 et 115 du REF) ainsi qu’à l’obligation de diligence (GD3-26).

[39] Le membre a ensuite pris acte du fait que, pour qu’il y ait inconduite, il doit d’abord être établi que le prestataire a bien commis les infractions prétendues. Autrement dit, le prestataire a‑t-il manqué aux règles 114 et 155 du REF en demandant à l’ingénieur / la locomotive de commencer le mouvement des wagons sans vérifier adéquatement/visuellement si l’endroit était dégagé? L’appelante a soutenu que le prestataire a ni vérifié si la voie était dégagée ni veillé à ce que les wagons puissent passer de façon sécurité sans heurter d’autres wagons. Il avait l'obligation de le faire et il ne s'est pas conformé à cette obligation. La preuve démontre que le prestataire a été honnête et ouvert avec l’appelante, la Commission et le Tribunal en affirmant qu’il n’était pas en position de voir si la voie était suffisamment dégagée pour libérer les wagons, mais qu’il a demandé à l’ingénieur de commencer à les déplacer. Il a déclaré qu’il a simplement commis une erreur et que cela ne se reproduira jamais (GD3-7, GD3-20, GD3-22 et GD3-27). À l’audience, le prestataire a déclaré qu’il ne s’est pas mis en position pour constater que les wagons allaient se dégager. Il croyait, selon son expérience, qu’ils allaient se dégager. Le directeur général, Monsieur A. W., a déclaré que le prestataire a manqué aux règles 114 et 115 du REF lorsqu’il ne s’est pas mis en position pour observer le mouvement au moment où il se produisait et savoir que la voie était dégagée. Par conséquent, le membre estime que le prestataire a commis l’infraction prétendue.

[40] Toutefois, pour qu’il y ait inconduite, la Commission et l’appelante doivent démontrer que le geste ayant mené au congédiement était conscient, délibéré ou intentionnel et que le prestataire savait que sa conduite était telle qu’elle nuirait à l’exécution de ses fonctions pour l’employeur et qu’il était réellement possible qu’il soit congédié. En l’espèce, le membre estime que les gestes posés par le prestataire étaient conscients et qu’il a agi d’une manière si négligente qu’il peut être raisonnablement conclu que ses gestes étaient volontaires.

[41] Le membre a tenu compte du fait que le prestataire était un chef de train de formation, expérimenté et qualifié qui connaissait le REF. Le prestataire n’a pas contesté le témoignage du directeur général selon lequel il était formé et qu’il s’est qualifié pour ce poste à maintes reprises. En fait, le prestataire a déclaré qu’il était expérimenté et qu’il se fiait sur cette expérience lorsqu’il croyait que les wagons se dégageraient. Le prestataire a également affirmé qu’il connaissait le REF et il a reconnu son importance. Le membre convient avec le prestataire que les incidents et avertissements précédents ne démontrent pas qu’il a été impliqué dans un incident semblable dans le passé. Cependant, le membre convient avec l’appelante que, même si cela n’est pas lié à cet incident, le fait que le prestataire a été impliqué dans des incidents antérieurs de manquement à des règles (en matière de sécurité ou autre), qu’il a reçu des avertissements et qu’il a été suspendu (GD10-16) démontre qu’il savait et comprenait que le manquement aux règles entraînerait une certaine forme de mesures disciplinaires. Le membre convient avec la Commission que le prestataire n’a pas intentionnellement causé des dommages à la propriété de l’appelante et il croit le prestataire lorsque celui-ci déclare qu’il [traduction] « pensait » que les wagons se dégageraient. Cependant, le membre estime que le prestataire a consciemment décidé de manquer à une règle élémentaire et connue en matière de sécurité en ne se déplaçant pas à un endroit où il pourrait visuellement veiller à ce que les wagons n’entrent pas en collision. Le membre convient avec l’appelante que l’industrie ferroviaire est dangereuse et très réglementée et que, en tant que chef de train expérimenté et ingénieur depuis 25 ans qui a reçu une formation sur le REF à maintes reprises, le prestataire devrait avoir su qu’un manquement à une règle en matière de sécurité pourrait entraîner son congédiement.

[42] Le membre comprend que le prestataire croit qu’il a commis une grave erreur et qu’il a beaucoup de remords. Cependant, le membre doit tenir compte des gestes du prestataire au moment de son congédiement et décider si ces gestes correspondent à une inconduite selon la Loi sur l’AE. La question de savoir si les représentants de l’appelante l’ont rassuré qu’il ne perdrait pas son emploi au moment où l’incident faisait l’objet d’une enquête n’est pas pertinente en l’espèce. Le membre souligne que la loi est claire : pour déterminer si les actions d’un prestataire constituent de l’inconduite, le membre doit considérer les actions du prestataire et non celles de l’employeur. Il n’est pas de la compétence du tribunal d’offrir un commentaire, à savoir si les sanctions de l’employeur sont appropriées; il ne peut non plus commenter le comportement ou la manière de l’employeur. Il ne s’agit pas de savoir si l’employeur s’est rendu coupable d’inconduite en congédiant le prestataire d’une manière qui constituait un congédiement injuste, mais de déterminer si le prestataire était coupable d’inconduite et si cette inconduite lui a fait perdre son emploi (McNamara, 2007 CAF 107; Fleming, 2006 CAF 16).

[43] Finalement, le membre souligne également que, même si l’appelante a présenté au membre des copies d’autres décisions du Tribunal en matière d’inconduite, celles-ci ont fait l’objet d’un examen à titre d’information seulement et n’ont pas préséance (le membre a reçu l’appel numéro GE-13-294, GE-13-374, GE-13-726, GE-13-1967/1968, GE-13-2174, GE‑13‑2312 et GE-13-2746).

[44] Le membre estime que l’appelante et la Commission se sont acquittées du fardeau qui leur incombait de démontrer que les gestes du prestataire ayant mené à son congédiement étaient conscients et qu’il savait ou devait savoir que sa conduite était telle qu’il était réellement possible qu’il soit congédié.

[45] Le membre conclut donc, selon la prépondérance des probabilités, que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite et qu’il doit être exclu du bénéfice des prestations pour une période indéterminée, conformément aux articles 29 et 30 de la Loi sur l’AE.

Conclusion

[46] L’appel de l’appelante est accueilli.

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