Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Introduction

[1] La demanderesse demande au Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal) la permission d’en appeler de la décision de la division générale (DG) rendue le 8 février 2016. La DG a accueilli l’appel de l’intimé alors que la Commission avait déterminé que l’intimé avait quitté volontairement son emploi sans motif valable en vertu des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’AE).

[2] L’intimé a demandé une révision de la décision de la Commission. La Commission a confirmé sa décision initiale.

[3] La demanderesse a déposé une demande de permission d’en appeler (Demande) devant la division d’appel le 26 février 2016. La Demande a été déposée dans le délai de 30 jours.

[4] Les moyens d’appel énoncés dans la Demande sont que la décision de la DG est entachée d’une erreur de droit et de fait pour les raisons suivantes :

  1. a) L’intimé a quitté son emploi, car il n’était pas satisfait des fonctions qu’il devait exercer dans le cadre de son travail;
  2. b) La DG a accueilli son appel, car elle a conclu que l’intimé avait des motifs valables aux termes du sous-alinéa 29c)(ix) de la Loi sur l’AE (« modification importante des fonctions »);
  3. c) Les éléments de preuve ne permettent pas de conclure que l’emploi de l’intimé était fondamentalement différent de l’emploi pour lequel il a été embauché;
  4. d) La DG a appliqué le mauvais critère juridique à la question de départ volontaire et de motif valable lorsqu’elle en est arrivée à la conclusion que l’intimé n’avait aucune autre solution raisonnable que de quitter son emploi;
  5. e) La DG s’est appuyée sur la jurisprudence sans expliquer comment celle-ci s’appliquait au cas présent;
  6. f) La décision de la DG va à l’encontre de la jurisprudence qui reconnaît qu’afin d’établir un motif valable pour avoir quitté un emploi en raison de mécontentement à l’égard des conditions de travail, le\la prestataire doit démontrer que les conditions étaient si intolérables qu’elles ne lui laissaient d’autre choix que de démissionner.

Question en litige

[5] Le tribunal doit trancher si l’appel a une chance raisonnable de succès.

Droit applicable et analyse

[6] Tel qu’il est prévu aux paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), « il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission » et « la division d’appel accorde ou refuse cette permission ».

[7] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS prescrit que « la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ».

[8] Selon le paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) La division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) La division générale a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou
  3. c) La division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[9] Le Tribunal doit être convaincu que les motifs d’appel se rattachent à l’un ou l’autre des moyens d’appel énumérés. Au moins un de ces motifs doit conférer à l’appel une chance raisonnable de succès avant que la permission d’en appeler puisse être accordée.

[10] Le Tribunal fait observer que l’intimé était présent à l’audience et qu’il a témoigné devant la DG, mais que la demanderesse a décidé de ne pas y assister.

Erreurs soutenues

[11] La DG a indiqué, aux pages 4 et 5 de sa décision, les éléments suivants :

[Traduction]
[14] Dans les cas de départ volontaire, en tenant compte de toutes les circonstances, le critère à appliquer se rapporte à la question de savoir si, selon la prépondérance des probabilités, le départ du prestataire constituait la seule solution raisonnable.

[15] Dans Canada (Procureur général) c. White, 2011 CAF 190, la Cour d’appel fédérale a confirmé le principe selon lequel une modification importante des fonctions de travail est un motif valable pour quitter volontairement son emploi.

[16] Dans cette affaire, la Cour a écrit qu’une solution raisonnable pour l’appelante aurait été de continuer à travailler tout en se cherchant un autre emploi.

[17] Dans la présente affaire, l’appelant a déclaré pendant l’audience qu’à son niveau, se chercher un emploi est une tâche à temps plein. Il ne pouvait pas à la fois aller travailler et effectuer toutes les tâches nécessaires à la recherche d’un nouvel emploi. Il a essayé de se chercher d’autres emplois pendant qu’il occupait toujours son emploi. L’une de ces tâches était d’être disponible pour assister à des entrevues d’emploi pendant les heures de travail. Il ne pouvait pas dire à son employeur qu’il avait besoin d’une journée de congé pour effectuer cette tâche, et cela, de façon récurrente. Aussi, il ne voulait pas devoir mentir au sujet de ses absences les jours où il avait des entrevues. Il a continué ses recherches d’emploi après avoir quitté cet emploi et a réussi à se trouver un autre emploi peu de temps après.

[18] L’appelant a discuté de la situation avec le propriétaire avant de quitter son emploi. Il n’y avait pas d’autres postes au sein de la compagnie auxquels il aurait pu être transféré. À ce moment, il n’y avait pas d’autres postes au sein de la compagnie où il aurait pu assumer les fonctions de directeur de la logistique, emploi pour lequel il avait postulé.

[19] Dans Chaoui c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 66, la Cour d’appel fédérale a confirmé le principe selon lequel, dans cette affaire, l’appelant a quitté volontairement son emploi, car la nature des fonctions qui lui ont été assignées n’était pas celle dont son employeur et lui-même avaient convenu au départ.

[20] Le Tribunal conclut que l’appelant a essayé de se trouver un autre emploi lorsqu’il occupait toujours son ancien poste. Il a constaté que ce n’était pas possible, pour un emploi à son niveau, de travailler tout en se cherchant un emploi. Puisqu’il a discuté avec le propriétaire et qu’il ne pouvait pas être transféré à un autre département et qu’il n’y avait pas d’autre emploi où il aurait pu assumer les fonctions de directeur de la logistique, l’appelant a quitté son emploi.

[21] Le Tribunal conclut que les fonctions du poste de préposé à la réception et au traitement des offres constituent un changement significatif par rapport aux fonctions du poste pour lequel il a été embauché.

[22] Le Tribunal conclut que l’appelant avait un motif valable pour quitter volontairement son emploi aux termes du sous-alinéa 29c)(ix) de la Loi.

[12] Sur le fondement de ces conclusions, la DG a accueilli l’appel de l’intimée.

[13] Bien que la DG ait énoncé les dispositions législatives pertinentes aux questions soulevées en appel et cité la jurisprudence pertinente, la demanderesse fait valoir que la décision de la DG était erronée, car elle a appliqué le mauvais critère, n’a pas expliqué comment la jurisprudence citée s’appliquait à l’affaire et a rendu une décision qui va à l’encontre de la jurisprudence applicable.

Conclusions de fait erronées

[14] La demanderesse fait valoir que l’intimé a quitté son emploi parce qu’il était mécontent des fonctions pour lesquelles il a été embauché. Je note, cependant, que la DG a examiné les éléments de preuve et a conclu que ce n’était pas la raison pour laquelle l’intimé a quitté volontairement son emploi. La DG a déterminé que l’intimé a quitté son emploi, car il ne pouvait pas exercer les fonctions du poste pour lequel il a été embauché (c.-à-d. que les fonctions de son poste ont changé considérablement). Ensuite, la DG a étudié la question à savoir si l’appelant avait une autre solution raisonnable au lieu de quitter son emploi.

[15] L’intimé a assisté à l’audience par téléconférence et y a témoigné. Il a fourni un témoignage oral dans lequel il a expliqué que l’emploi pour lequel il a été embauché n’a jamais été celui qu’il a eu le droit d’exercer, car le propriétaire a insisté sur le fait que la priorité était différente. Il a déclaré qu’environ cinq pour cent de ses tâches correspondent à celles du poste pour lequel il a été embauché, c’est-à-dire, celui de directeur de la logistique. La majeure partie de son témoignage oral portait sur ce sujet et la plupart des questions du membre de la DG à l’intimé portaient également sur ce sujet.

[16] La DG a conclu qu’il y a eu une modification importante des fonctions de l’intimé (ce pour quoi il a été embauché comparé aux fonctions qu’il exerçait réellement), et qu’une modification importante des fonctions est un motif valable pour quitter volontairement son emploi.

[17] La demanderesse soutient que les éléments de preuve ne permettent pas de conclure que l’emploi de l’intimé était fondamentalement différent de celui pour lequel il a été embauché.

[18] La demanderesse était invitée à l’audience auprès de la DG, mais a décidé de ne pas y assister. Ses observations écrites ainsi que le dossier d’appel avaient été soumis à la DG. Par son absence, la demanderesse n’a pas pu contre-interroger l’intimé. Si la demanderesse décide de ne pas assister à une audience auprès de la DG, elle ne doit pas penser qu’elle peut simplement appeler de la décision de la DG si elle n’en est pas satisfaite.

[19] Les observations de la demanderesse sur les erreurs de fait alléguées sont affectées par sa décision de ne pas assister à l’audience. Il est difficile pour la demanderesse de présenter un argument convaincant pour démontrer qu’une conclusion de fait erronée a été « tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance » si cette dernière choisit de ne pas être présente au moment où tous les éléments de preuve sont présentés à la DG, ce qui comprend les témoignages et les observations à l’audience. La demanderesse ne semble pas avoir consulté l’enregistrement de l’audience afin de confirmer tous les faits portés à la connaissance de la DG puisque les observations de la demanderesse ne soulèvent pas certaines parties du témoignage de l’intimé.

[20] À titre de membre de la division d’appel du Tribunal, dans le cadre d’une demande de permission d’en appeler, il ne m’appartient pas d’examiner et d’évaluer les éléments de preuve dont disposait la DG dans l’optique de remplacer les conclusions de fait qu’elle a tirées par mes propres conclusions. Mon rôle consiste plutôt à déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès en se fondant sur les motifs et les moyens d’appel invoqués par la demanderesse : conclusions de fait erronées fondées sur les éléments de preuve présentés à la DG lesquels faits, aux termes de l’alinéa 581)(c) de la Loi sur les MEDS, ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance (souligné par la soussignée).

Erreurs de droit

[21] L’autre motif d’appel invoqué par la demanderesse est que la DG a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, car elle aurait omis d’appliquer le critère juridique relatif au départ volontaire, se serait appuyé sur la jurisprudence sans expliquer comment celle-ci s’applique à cette affaire et aurait rendu une décision qui va à l’encontre de la jurisprudence existante.

[22] Le paragraphe [14] de la décision de la DG précise que : « [Traduction] Dans les cas de départ volontaire, en tenant compte de toutes les circonstances, le critère à appliquer se rapporte à la question de savoir si, selon la prépondérance des probabilités, le départ du prestataire constituait la seule solution raisonnable ». Les observations écrites de la demanderesse présentées à la DG ont décrit le test de la façon suivante : tenir compte de toutes les circonstances, à savoir si le prestataire avait une autre solution raisonnable au lieu de quitter son emploi au moment qu’il l’a fait. Par conséquent, la demanderesse ne conteste pas le critère juridique relatif au départ volontaire énoncé par la DG.

[23] La position de la demanderesse est que la DG a commis une erreur en n’appliquant pas ce critère comme il se doit.

[24] La décision de la DG fait référence à Canada (Procureur général) c. White, 2011 CAF 190, en ce qui a trait au principe selon lequel une modification importante des fonctions de travail est un motif valable pour quitter volontairement son emploi. Je note que les observations écrites de la demanderesse présentées à la DG font également référence au cas White, mais à titre d’exemple pour un autre principe.

[25] Le fait que la DG ait fait référence à White, supra, n’était pas une erreur de droit. La Cour d’appel fédérale, dans White, a constaté que le conseil arbitral n’a pas été en mesure de trouver une solution exhaustive aux allégations de Mme White portant sur une « modification importante des fonctions » et a conclu qu’aucune modification importante des fonctions n’a été imposée. La Cour a également constaté que le juge-arbitre a conclu qu’une modification importante de ses fonctions est un motif valable pour avoir quitté son emploi et que l’appel a été accueilli. La Cour d’appel fédérale reconnaît qu’une modification importante des fonctions est l’un des motifs valables pour quitter son emploi, mais elle en est venue à la conclusion que le juge-arbitre n’a pas fait preuve de la moindre déférence envers les conclusions du Conseil et qu’il a substitué son point de vue pour celui du Conseil, ce qui est une erreur susceptible de révision.

[26] La décision de la DG fait référence à Chaoui c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 66 dans lequel la Cour d’appel fédérale a confirmé le principe selon lequel l’appelant de cette affaire a quitté volontairement son emploi en raison de la nature de ses fonctions qui étaient différentes de celles sur lesquelles lui et son employeur s’étaient initialement entendues.

[27] Dans l’affaire Chaoui, le prestataire s’est appuyé sur une « modification importante des fonctions » et a soutenu que quitter son emploi constituait la seule solution raisonnable. Le conseil arbitral a accueilli son appel, mais le juge-arbitre a annulé la décision du Conseil. La Cour d’appel fédérale a déclaré que le juge-arbitre a eu raison d’intervenir, car le Conseil n’a pas demandé s’il y avait une autre solution raisonnable et s’il y a eu une « modification importante des fonctions » aux termes de la Loi sur l’AE. La Cour a également déclaré que le juge-arbitre n’avait pas le droit d’accepter la version des faits de l’employeur puisqu’elle a été ignorée par le Conseil. La Cour a affirmé que le juge-arbitre aurait dû se demander si la version des faits du prestataire permettait de conclure qu’il y a eu une « modification importante des fonctions », ce qu’il n’a pas fait. La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel et a envoyé l’affaire devant le juge-arbitre en chef pour une nouvelle détermination « [Traduction] pour répondre à la question suivante : est-ce que la version des faits du prestataire permet de conclure qu’il y a eu une “modification importante des fonctions” au sens du sous-alinéa 29c)(ix), et si la réponse est oui, est-ce que le départ volontaire du prestataire constituait la seule solution raisonnable au sens de l’alinéa 29c)? ».

[28] La DG a vérifié si la version des faits de l’intimé permettait de conclure qu’il y a eu des modifications importantes de ses fonctions au sens du sous-alinéa 29c)(ix) de la Loi sur l’AE et si le départ volontaire du prestataire constituait la seule solution raisonnable au sens de l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE. La DG a répondu par l’affirmatif à ces deux questions.

[29] Je note que dans Chaoui, la Cour d’appel fédérale a également déclaré ce qui suit :

[Traduction] En outre, en déclarant que le prestataire aurait du « garder son emploi jusqu’à ce qu’il s’en trouve un autre qui concorde mieux avec ses ambitions » et en déclarant qu’il n’y avait « pas de preuve que les conditions de travail étaient intolérables », le juge-arbitre est allé au-delà des exigences de l’alinéa 29c) et a imposé un fardeau qui, au bout du compte, rend l’alinéa dénudé de sens.

[30] Le dernier motif d’appel énuméré dans la Demande est que l’intimé doit démontrer que les conditions étaient si intolérables qu’elles ne lui laissaient d’autre choix que de démissionner. Pour reprendre les termes de la Cour d’appel fédérale dans Chaoui, cela va au-delà des exigences de l’alinéa 29c) de la Loi sur l’AE et impose un fardeau qui, au bout du compte, rend l’alinéa dénudé de sens.

[31] La demanderesse soutient aussi que la décision de la DG « [Traduction] va à l’encontre de la jurisprudence existante qui reconnaît qu’afin d’établir un motif valable pour avoir quitté son emploi en raison de son mécontentement à l’égard de ses conditions de travail, le prestataire doit démontrer que les conditions étaient si intolérables qu’elles ne lui laissaient d’autre choix que de démissionner ». Ceci est l’une des raisons de l’appel mentionnées immédiatement ci-dessus.

[32] J’ai lu et examiné soigneusement la décision de la DG ainsi que le dossier. Les conclusions de fait de la DG n’ont pas été tirées sans égard aux éléments portés à sa connaissance. La décision fait expressément allusion à la preuve testimoniale et documentaire sur laquelle s’est fondée la DG pour en arriver à ses conclusions de fait. En outre, les conclusions de fait, jugées par la demanderesse comme étant erronées n’ont pas été tirées de façon abusive ou arbitraire.

[33] Il n’est aucunement prétendu que la DG n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence pour en arriver à sa décision. La demanderesse n’a pas relevé d’erreurs de droit sur lesquelles la DG aurait fondé sa décision.

[34] Bien qu’un demandeur ne soit pas tenu de prouver les moyens d’appel aux fins d’une demande de permission d’en appeler, il doit à tout le moins énoncer certains motifs qui font partie des moyens d’appel énumérés.

[35] La Demande est déficiente à cet égard et la demanderesse ne m’a pas convaincue que l’appel avait une chance raisonnable de succès.

Conclusion

[36] La Demande est refusée.

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