Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Introduction

[1] L’appelante a présenté une demande de prestations d'assurance-emploi (AE) à la Commission de l’assurance-emploi du Canada (Commission) en juillet 2015. La Commission l'a avisée qu'elle ne se qualifiait pas aux prestations d'AE puisque 700 heures d'emploi assurable sont requises pendant la période de référence mais qu'elle n'en avait accumulé que 508. L'appelante a déposé une demande de révision et le 28 octobre 2015, la Commission l'a informée du fait que la décision initiale était maintenue.

[2] L’appelante a interjeté appel devant la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) le 24 novembre 2015. Elle a demandé au Tribunal d'accueillir son appel parce qu'il est injuste qu'elle ait versé des cotisations au programme d'assurance-emploi pour vingt ans et qu'il est également injuste qu'on lui refuse des prestations d'AE même si elle n'a pas perdu son emploi par sa faute.

[3] Le 21 janvier 2016, la DG a rejeté l'appel de façon sommaire sur le fondement que la période de référence de l'appelante constituait les 52 semaines précédant sa demande de prestations d'AE, soit du 20 juillet 2014 au 18 juillet 2015 et qu'il est incontestable que l'appelante a seulement accumulé 508 heures d'emploi assurable pendant sa période de référence alors qu'elle devait en accumuler 700. La DG a également conclu que la jurisprudence reliée à la Loi sur l'assurance-emploi (Loi sur l'AE) et la Cour d'appel fédérale jurisprudence n'accorde aucun pouvoir discrétionnaire en ce qui touche au nombre d'heures requis pour qu'un prestataire se qualifie à des prestations.

[4] L'appelante a déposé une demande d'appel à la division d'appel (DA) du Tribunal de la sécurité sociale le 7 mars 2016, en avisant qu'elle voulait interjeter appel de la décision de la DG. Ses motifs d'appel peuvent être résumés comme suit :

  1. Elle travaille depuis qu'elle a seize ans et n'a jamais nécessité d'AE;
  2. En 2015, elle a fait une demande d'AE, parce qu'elle s'est fait congédier de son emploi, mais non par sa faute;
  3. Elle a suffisamment contribué au programme d'AE pour être en mesure de recevoir des prestations.

[5] L'intimée a présenté des observations détaillées, qui peuvent être résumées ainsi :

  1. L'appel de l'appelante devant la DG n'a aucune chance raisonnable de succès et fût rejeté de façon sommaire;
  2. Les éléments de preuve son incontestés et démontrent que la période de référence de l'appelante était du 20 juillet 2014 au 18 juillet 2015, les 52 semaines ayant précédé sa période de prestations, que l'appelante a résidé dans la région d'Edmonton (47) où le taux de chômage régional, au moment où l'appelante a déposé sa demande, était de 5,9 %. Par conséquent, en vertu du paragraphe 7(2) de la Loi sur l'AE, l'appelante aurait dû accumuler 700 heures d'emploi assurable pour se qualifier à des prestations régulières;
  3. L'appelante n'avait accumulé qu'un total de 508 heures d'emploi assurable pendant sa période de référence;
  4. L'appelante avait accumulé des heures pendant la période de juin 2013 à juin 2014, ce qui précède sa période de référence. Ces heures font l’objet d’une demande antérieure;
  5. Ni la DG et la DA du Tribunal ne peut modifier les conditions de référence selon le paragraphe 7(2) de la Loi sur l'AE;
  6. La décision de la DG était raisonnable et compatible avec les éléments de preuve au dossier;
  7. Rien dans la décision de la division générale n’indique que cette dernière s’est montrée défavorable à l’égard de l’appelante ou qu’elle n’a pas fait preuve d’impartialité. De plus, rien ne prouve qu’il y a eu manquement aux principes de justice naturelle en l’espèce.

[6] Cet appel a été instruit sur la foi du dossier pour les raisons suivantes :

  1. L’absence de complexité de la question soulevée en appel;
  2. En vertu de l'alinéa 37a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, le membre de la DA a jugé qu'aucune audience n'était requise;
  3. L’exigence, en vertu du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Question en litige

[7] La DA doit déterminer si elle doit rejeter l’appel, rendre la décision que la DG aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la DG ou encore confirmer, infirmer ou modifier la décision.

Droit applicable et analyse

[8] L’appelante interjette appel d’une décision de la DG rendue le 21 janvier 2016, où elle rejette sommairement l'appel sur le fondement qu'elle est convaincue que l'appel n'avait aucune chance raisonnable de succès.

[9] Aucune permission d’en appeler n’est requise dans le cas des appels interjetés au titre du paragraphe 53(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), car un rejet sommaire de la part de la DG peut faire l’objet d’un appel de plein droit. Comme il a été établi qu’il n’est pas nécessaire de tenir une audience, une décision doit être rendue pour cet appel devant la DA, comme l’exige l’alinéa 37a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Norme de contrôle

[10] L’intimée fait valoir que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte et que la norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable : Pathmanathan c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 50 (paragraphe 15).

[11] Dans les arrêts Canada (Procureur général) c. Jewett, 2013 CAF 243, et Chaulk c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 190, entre autres, la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de contrôle applicable aux questions de droit et de compétence pour des appels du conseil arbitral en matière d’assurance-emploi est celle de la décision correcte, tandis que la norme de contrôle applicable aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable.

[12] Jusqu’à tout récemment, la DA considérait que les décisions de la DG pouvaient être révisées selon les mêmes normes applicables aux décisions du conseil arbitral.

[13] Cependant, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Paradis; Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, la Cour d’appel fédérale a suggéré que cette approche ne convient pas lorsque la DA du Tribunal révise les décisions en matière d'AE rendues par la DG.

[14] La Cour d’appel fédérale, dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Maunder, 2015 CAF 274, a fait référence à Paradis, supra et a déclaré qu’il n’était pas nécessaire que la Cour se penche sur la question de la norme de contrôle que la DA doit appliquer aux décisions de la DG.

[15] Je ne sais pas trop comment concilier ces divergences apparentes. À ce titre, je vais me pencher sur ce dossier en me référant aux dispositions de la Loi sur le MEDS applicables à l’appel.

[16] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS énonce comme suit les moyens d’appel admissibles :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence ;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier ;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[17] L'appelante ne conteste pas les conclusions de faits de la DG. Elle allègue que le résultat est injuste parce qu'elle n'a pas perdu son emploi par sa faute, que c'est la première fois qu'elle demande de l'AE et qu'elle a versé des cotisations au programme d'AE pendant plusieurs années.

Critère juridique relatif aux rejets sommaires

[18] Le paragraphe 53(1) de la Loi sur le MEDS permet à la DG de rejeter sommairement un appel si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[19] Entre autres pouvoirs qui sont conférés à la DA, il y a celui de substituer sa propre opinion à celle de la DG. Aux termes du paragraphe 59(1) de la Loi sur le MEDS, la DA peut rejeter l’appel, rendre la décision que la DG aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la DG pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la DG.

[20] En l’espèce, la DG a correctement énoncé le fondement législatif sur lequel il lui était loisible de rejeter l’appel de façon sommaire, en citant le paragraphe 53(1) de la Loi sur le MEDS aux paragraphes 5 et 16 de sa décision.

[21] Toutefois, il n’est pas suffisant de reprendre le libellé du paragraphe 53(1) de la Loi sur le MEDS traitant des rejets sommaires si l’on n’applique pas cette disposition comme il se doit. Après avoir déterminé le fondement législatif, la DG doit déterminer le bon critère juridique applicable puis appliquer le droit aux faits.

[22] La DG a appliqué le critère de savoir [traduction] « si l’échec de l’appel est inéluctable, peu importe les éléments de preuve ou arguments pouvant être présentés à l’audience » au paragraphe 22 de sa décision.

[23] Bien que l’expression « aucune chance raisonnable de succès » n’ait pas été définie plus avant dans la Loi sur le MEDS aux fins de l’interprétation du paragraphe 53(1) de cette loi, le Tribunal fait observer que c’est une notion qui est utilisée dans d’autres domaines du droit et qui a fait l’objet de décisions antérieures de la DA.

[24] Il semble y avoir trois catégories d’affaires dans la jurisprudence de la DA relative aux appels rejetés sommairement par la DG :

  1. Exemples AD-13-825 (2015 TSSDA 715), AD-14-131 (2015 TSSDA 594), AD-14-310 (2015 TSSDA 237) et AD-15-74 (2015 TSSDA 596) : le critère juridique consistait à déterminer s’il ressort clairement à la lecture du dossier que l’appel est voué à l’échec, quels que soient les éléments de preuve ou les arguments qui pourraient être présentés à l’audience. Il s’agit du critère énoncé par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Lessard-Gauvin c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 147; Sellathurai c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CAF 1;et Breslaw c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 264.
  2. Exemples AD-15-236 (2015 TSSDA 974), AD-15-297 (2015 TSSDA 973) et AD-15-401 : la DA s’est posé les questions de savoir s’il y a une « question donnant matière à procès », c’est-à-dire s’il y a une question à trancher, et s’il y a un fondement quelconque à la demande, et ce, en qualifiant les causes d’« absolument sans espoir » (c.-à-d. vouées à l’échec) et de « faibles », pour déterminer s’il était approprié de rejeter l’appel de façon sommaire. Tant qu'il y avait un fondement factuel adéquat en appui à l'appel et que la conclusion n'était (traduction) « manifestement pas claire », alors il n'aurait pas été approprié de rejeter l'appel de façon sommaire. Il ne serait pas convenable d'appliquer des dispositions sommaires, puisque ces dernières impliquent l'évaluation du fondement de l'affaire et l'examen des éléments de preuve et de soupeser leurs poids.
  3. Exemple AD-15-216 (2015 TSSDA 929) : la DA n’a pas formulé de critère juridique hormis la citation du paragraphe 53(1) de la Loi sur le MEDS.

Décision de la DG

[25] La décision de la DG a mis en application le critère prévu au paragraphe [24] a) ci-dessus, même s'il est présenté en de différents termes. La DG a expliqué comme suit les raisons pour lesquelles elle a rejeté l’appel de façon sommaire :

[17] L’appelante a été informée par écrit de l’intention du Tribunal de rejeter de façon sommaire l’appel et, en application de l’article 22 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, s’est vu accorder un délai raisonnable pour présenter d’autres observations. Aucune observation ne fut reçue.

[18] Pour recevoir des prestations régulières d'AE, l'appelante doit se conformer aux exigences de l'article 7 de la Loi sur l'AE.

[19] Dans cette affaire, il n'est pas contesté que l'appelante devienne ou redevienne membre de la population active en vertu du paragraphe 7(4) de la Loi sur l'AE. Par conséquent, le paragraphe 7(2) s'applique à sa demande et l'appelante doit se conformer aux exigences minimales prévues à l'alinéa 7(2)b) de la Loi sur l'AE. Étant donné que l'appelante demeure la région économique d'assurance-emploi d'Edmonton, où le taux de chômage était de 5,9 % la semaine précédant la période de prestations, l'appelante nécessite 700 heures d'emploi assurable pendant sa période de référence pour se qualifier à des prestations d'AE, comme prévoit l'alinéa 7(2)b) de la Loi sur l'AE.

[20] La période de référence de l'appelante constitue les 52 semaines précédant sa demande de prestations d'AE, soit du 20 juillet 2014 au 18 juillet 2015. Malheureusement, les preuves montrent que la prestataire n’a accumulé que 508 heures d’emploi assurable au cours de sa période de référence.

[21] Le Tribunal comprend la frustration de l'appelante quant au fait qu'elle ne peut recevoir de prestations d'AE pendant son année difficile. Toutefois, la Loi sur l'AE n'accorde aucun pouvoir discrétionnaire en ce qui touche le nombre d'heures requis pour qu'un prestataire se qualifie à des prestations d'AE, et le Tribunal n'a pas le pouvoir de modifier le langage clair de la loi, peu importe les circonstances atténuantes. La Cour fédérale d'appel fédérale confirme que le décideur ne peut à sa discrétion modifier le principe des conditions minimales énoncé à l’article 7 de la Loi, même s’il manque une heure au prestataire pour remplir les conditions d'admissibilité requises (Procureur général du Canada c. Levesque, 2001 CAF 304). Ce principe s’applique quelques impérieuses que soient les circonstances (Pannu 2004 CAF 90). Le Tribunal est appuyé dans son analyse par la déclaration de la Cour suprême du Canada, dans Granger c. Canada (CEIC), [1989] 1 RCS 141, selon laquelle le juge est lié par la loi et ne peut, même pour des raisons d’équité, refuser de l’appliquer.

[22] Dans la présente affaire, l’échec de l’appel est inéluctable, quels que soient les éléments de preuve ou arguments pouvant être présentés à une audience.

[26] J’estime que le membre de la DG a bel et bien énoncé l’un des critères juridiques applicables pour établir s’il y avait lieu ou non de rendre une décision de rejet sommaire et je souscris aux conclusions qu’il a tirées aux paragraphes [17] à [22] de la décision de la DG.

[27] Qui plus est, j’estime que l’application des deux critères cités au paragraphe [24] de cette décision aboutit au même résultat dans la présente affaire, à savoir que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. Il est évident et manifeste, sur la foi du dossier, que l’appel est voué à l’échec, peu importe les éléments de preuve ou arguments qui pourraient être produits à une audience. Il est également évident qu’il ne s’agit pas ici d’une affaire au fondement « faible », mais bien d’une affaire « sans aucun espoir » de succès, une évaluation du bien-fondé de l’affaire ou un examen de la preuve n’étant pas requis en l’espèce.

[28] La GD ou la DA du Tribunal ne peuvent modifier les conditions d'admissibilité prévues au paragraphe 7(2) de la Loi sur l'AE, quelque impérieuses que soient les circonstances.

[29] Après avoir examiné l’appel de l’appelante, le dossier et la décision de la DG ainsi que les décisions antérieures de la DA au sujet des rejets sommaires, je conclus que la DG a appliqué correctement la loi aux faits dans cette affaire. De plus, rien n’indique que la DG a omis d’observer un principe de justice naturelle ou qu’elle ait autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence lorsqu’elle a rendu sa décision. Pour ces raisons, je rejette l’appel.

Conclusion

[30] L’appel est rejeté.

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