Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Motifs et décision

Comparutions

[1] L’appelante, madame S. F., était présente à l’audience en compagnie de deux témoins, sa sœur madame L. F. et son conjoint monsieur J. D.

[2] Cet appel a été instruit selon le mode d’audience Téléconférence pour les raisons suivantes :

  1. Le fait que la crédibilité puisse être une question déterminante.
  2. Le fait que l’appelante sera la seule partie à assister à l’audience.
  3. L’information au dossier, y compris la nécessité d’obtenir des informations supplémentaires.
  4. Ce mode d’audience est celui qui permet le mieux de répondre aux besoins d’adaptation des parties.

Introduction

[3] Dans ce dossier, la Commission de l’assurance-emploi (la Commission) avait déterminé que l’appelante avait quitté volontairement son emploi sans y être fondée au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi) et qu’elle n’avait pas droit aux prestations.

[4] L’appelante a demandé une révision de cette décision qui a été maintenue par la Commission le 21 octobre 2015 (page GD3-28 et 29).

[5] L’appelante a interjeté appel au Tribunal de la Sécurité sociale, le 13 novembre 2015 2015 (pièce GD-2).

Question en litige

[6] Le Tribunal doit décider si l’appelante était fondée à quitter son emploi au sens des articles 29 et 30 de la Loi et si l’inadmissibilité imposée était applicable.

Droit applicable

[7] Article 29 de la Loi. Pour l’application des articles 30 à 33 :

  1. a) « emploi » s’entend de tout emploi exercé par le prestataire au cours de sa période de référence ou de sa période de prestations;
  2. b) la suspension est assimilée à la perte d’emploi, mais n’est pas assimilée à la perte d’emploi la suspension ou la perte d’emploi résultant de l’affiliation à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs ou de l’exercice d’une activité licite s’y rattachant;
  3. b.1) sont assimilés à un départ volontaire le refus :
    1. (i) d’accepter un emploi offert comme solution de rechange à la perte prévisible de son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où son emploi prend fin,
    2. (ii) de reprendre son emploi, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment où il est censé le reprendre,
    3. (iii) de continuer d’exercer son emploi lorsque celui-ci est visé par le transfert d’une activité, d’une entreprise ou d’un secteur à un autre employeur, auquel cas le départ volontaire a lieu au moment du transfert;
  4. c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :
    1. (i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,
    2. (ii) nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,
    3. (iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
    4. (iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,
    5. (v) nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent,
    6. (vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,
    7. (vii) modification importante de ses conditions de rémunération,
    8. (viii) excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci,
    9. (ix) modification importante des fonctions,
    10. (x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur,
    11. (xi) pratiques de l’employeur contraires au droit,
    12. (xii) discrimination relative à l’emploi en raison de l’appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,
    13. (xiii) incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi,
    14. (xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.

Preuve

Preuve au dossier

[8] L’appelante travaillait comme éducatrice à la Garderie X, située à X. Elle a quitté volontairement son emploi en date du 15 juin 2015.

[9] Selon le rapport d’entrevue téléphonique, l’appelante a déclaré qu’elle a quitté son emploi en raison d’un déménagement. Elle habitait X et elle a déménagé à X avec son conjoint, sans rechercher d’emplois au préalable dans son nouveau lieu de résidence (page GD3-18).

[10] Dans sa demande de révision administrative, l’appelante a déclaré qu’elle avait déménagé à X pour suivre son conjoint. Ce dernier avait subi d’importants problèmes cardiaques et elle-même avait connu des épisodes de dépression. Elle ne pouvait parcourir l’aller-retour entre X et X, trajet de 150 kilomètres, pour maintenir son emploi.

[11] De plus le couple n’a qu’une seule auto et monsieur doit avoir une auto à sa disposition compte tenu de son état de santé. Le couple n’a pas les moyens de payer 2 loyers dans des villes différentes (pages GD3-23 et 24).

Preuve de l’appelante à l’audience

[12] Elle habite avec son conjoint, J. D. depuis 24 ans et le couple est marié depuis 18 ans.

[13] Elle est âgée de 56 ans et travaille dans le domaine des garderies depuis plus de vingt ans.

[14] Son époux a perdu son emploi et le couple éprouvait des problèmes financiers. Son conjoint a pris la décision de quitter X et d’aller s’établir à X où il possédait une maison de campagne.

[15] Il est faux de prétendre qu’elle n’a pas fait de démarche d’emploi avant de quitter X en juin 2015. Tel que mentionné dans un premier rapport d’entrevue. Elle avait postulé à la Garderie au pied de l’arc en ciel de X, mais sa candidature n’avait pas été retenue.

[16] Elle a fait plusieurs démarches d’emplois dans les localités voisines autant dans des CPE que dans des garderies privées. Récemment, elle a aussi postulé comme agent de recensement.

Témoignage de madame L. F.

[17] Elle est la sœur de l’appelante. Elle habite X, le village voisin de X.

[18] Elle travaille comme secrétaire juridique et aide sa sœur dans ses démarches.

[19] Elle a refait le CV de l’appelante et l’aide dans ses recherches d’emploi à X et dans les localités voisines.

[20] Elle peut témoigner du fait que sa sœur souffre d’anxiété et aurait été incapable de faire le trajet aller-retour X X chaque jour.

Témoignage de monsieur J. D.

[21] Il est âgé de 67 ans et travaillait depuis 24 ans comme chauffeur de taxis à X. Il n’était pas propriétaire du véhicule, mais travaillait comme chauffeur pour monsieur M. T. qui avait trois (3 ) voitures –taxis.

[22] Au printemps 2015, le propriétaire des taxis monsieur M. T. est décédé. Les licences et les véhicules ont été rachetés par un autre entrepreneur qui avait déjà ses propres chauffeurs. Il a été mis à pied en juin 2015.

[23] Il a essayé de retrouver du travail à X, mais à son âge c’est très difficile et ses recherches ont été vaines.

[24] Il a une condition cardiaque préoccupante et doit éviter le stress.

[25] Il avait acquis une petite maison de campagne à X en 2013. Il avait comme projet de rénover cette maison et éventuellement y habiter. Plusieurs membres de sa belle- famille sont de la région de X.

[26] Compte tenu de son incapacité à se retrouver du travail, des difficultés financières à vivre avec un seul salaire et du coût de la vie élevé à X, il a pris la décision de déménager à X.

[27] Il compte se trouver de l’emploi à X ou dans les environs.

[28] Il ne pouvait concevoir vivre seul à X et le couple n’avait pas les moyens de supporter deux (2) lieux de résidence.

Arguments des parties

[29] L’Appelante a fait valoir essentiellement les arguments que nous retrouvons à la pièce GD-5, argumentaire que l’appelante avait fait parvenir au tribunal avant l’audience :

  1. La Loi permet de quitter volontairement son emploi pour suivre son conjoint dans un nouveau lieu de résidence ;
  2. il est exact que son mari et elle-même ont connu des problèmes de santé. Cependant la principale raison de son départ découle de la décision de son époux de déménager à X, décision imputable principalement à sa perte d’emploi et à une condition financière précaire ;
  3. elle a quitté son emploi pour suivre son époux dans un nouveau lieu de résidence situé à X. Après tant d’années de vie commune, elle ne pouvait envisager de vivre séparée de son époux.

[30] La Commission intimée a soutenu que :

  1. Afin de déterminer si de quitter son emploi constituait la seule solution raisonnable, il faut examiner les circonstances entourant le déménagement. La prestataire et son conjoint ont décidé de changer de lieu de résidence pour des raisons personnelles. Le conjoint a lui aussi quitté son emploi pour déménager à X. Il ne s’agit pas d’un transfert ou d’une mutation ni d’un nouvel emploi puisqu’il ne travaille pas dans la nouvelle localité. Le couple n’a pas déménagé parce qu’il devait se rapprocher des grands centres pour subir des traitements médicaux. Que la décision d’acheter une maison et d’y déménager ait été prise par la prestataire, le conjoint ou par le couple, cela importe peu;
  2. dans le cas présent, la prestataire a pris l’initiative de son départ, la situation est considérée comme un cas de départ volontaire. Le conjoint de la prestataire, avec qui elle est mariée, a pris possession d’une maison dans la localité de X parce que le prix des maisons était plus abordable dans cette région. Il s’agit d’une décision pour des raisons personnelles parce qu’elles ne sont pas liées au travail. La prestataire et son conjoint ont quitté leur emploi pour déménager dans une autre localité sans motif lié à leur travail;
  3. la prestataire a souligné qu’elle était en dépression pendant cette période et prenait une médication. La prestataire aurait dû prendre un congé pour maladie chez l’employeur et obtenir un certificat médical à cet effet. Toutefois, si la raison du départ volontaire provenait de son état de santé, la prestataire aurait dû obtenir un certificat médical appuyant sa décision de démissionner, mais elle a souligné dans sa déclaration, que la raison de sa démission n’était pas reliée à sa santé. Le départ volontaire ne représente pas un motif valable au sens de la loi parce qu’il s’agit d’un choix personnel de quitter leur emploi pour déménager dans une ville où le prix des maisons est plus abordable.
  4. Dans ce cas, la Commission a conclu que la prestataire n’était pas justifiée de quitter son emploi le 15 juin 2015 puisqu’elle n’a pas démontré avoir épuisé toutes les solutions raisonnables avant de quitter. Compte tenu de toutes les circonstances, une solution raisonnable aurait été de s’assurer d’un autre emploi avant de démissionner. Conséquemment, la prestataire n’a pas réussi à prouver qu’elle était justifiée de quitter son emploi au sens de la Loi.

Analyse

[31] Le critère visant à déterminer si le prestataire est fondé à quitter son emploi aux termes de l’article 29 de la Loi consiste à se demander si, eu égard à toutes les circonstances, selon la prépondérance des probabilités, le prestataire n’avait pas d’autre choix raisonnable que de quitter son emploi (White 2011 CAF 190; Macleod 2010 CAF 301; Imran 2008 CAF 17; Astronomo A-141-97).

[32] La question ne consiste pas à savoir s’il était raisonnable pour le prestataire de quitter son emploi, mais bien à savoir si la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, était qu’il quitte son emploi (Laughland 2003 CAF 129).

[33] Il incombe à la Commission de prouver que le départ était volontaire et il appartient au prestataire de démontrer qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi (Green 2012 CAF 313; White 2011 CAF 190; Patel 2010 CAF 95).

[34] La prépondérance de la preuve révèle que l’appelante a quitté son emploi. C’est ce qui est inscrit sur le relevé d’emploi et qui ressort de l’ensemble de la preuve au dossier.

[35] J’ai donc examiné ce dossier en regard des paramètres de la Loi et des enseignements jurisprudentiels en matière de départ volontaire.

[36] Sur cette question en litige, le test à appliquer est de déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances, la seule solution raisonnable dans le cas de l’appelante était qu’elle quitte son emploi au moment où elle l’a fait.

[37] Rappelons que la Loi permet des exemptions pour quitter volontairement son emploi, notamment celles énumérées à l’article 30(3) Parmi celles-ci on remarque :

(ii) nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,

[38] A l’audience, le témoignage du conjoint de l’appelante a été éclairant. Ce dernier m’a expliqué comment il avait perdu son emploi, les difficultés de se retrouver un travail après 65 ans et les difficultés financières éprouvées par le couple. Ces précisions ont dissipé un certain flou entourant les motifs du déménagement du couple de X à X.

[39] De toute évidence, le coût de la vie est beaucoup plus élevé à X qu’à X. De plus, outre sa condition cardiaque stable, mais préoccupante, l’époux de l’appelante devait composer avec une double problématique, une perte d’emploi dont il n’est pas responsable et la difficulté de trouver un autre travail à son âge (plus de 65 ans).

[40] Dès lors, que monsieur ait pris la décision d’aller habiter à X dans une propriété lui appartenant depuis 2013 pour stabiliser sa situation financière et améliorer sa qualité de vie ne m’apparaît pas déraisonnable. D’autant plus que monsieur J. D. a aussi fait valoir qu’il comptait se retrouver de l’emploi à X plus facilement qu’à X. J’accorde crédibilité à son témoignage.

[41] L’appelante m’a expliqué qu’elle avait recherché de l’emploi avant de quitter X et qu’elle continuait à faire les démarches nécessaires pour obtenir un emploi dans la région de X. Je retiens son témoignage.

[42] Dans une telle situation, j’estime qu’on ne peut raisonnablement demander à un couple vivant ensemble depuis 24 ans de se séparer.

[43] Ainsi j’écarte les arguments de la Commission voulant que l’appelante et son époux aient tous deux quitté leur emploi respectif sans motifs valables.

[44] D’ailleurs, le sous-alinéa 29c)(ii) de la Loi ne pose pas pour condition que le conjoint qu’accompagne le prestataire doive avoir trouvé un emploi à son nouveau lieu de résidence, bien que ce fait puisse être également une circonstance à prendre en considération. L’arrêt Mullin A- 466-95 a confirmé ce principe dans une cause similaire à la présente. Dans cette affaire, le mari de la prestataire, ayant perdu son emploi, a déménagé dans une autre province où il avait une maison et avait quelque espoir de trouver du travail. La prestataire avait quitté son emploi et a déménagé à son tour afin d’être avec son mari et leurs enfants

[45] De plus, rappelons que la préservation de l’unité familiale entre les époux et les enfants à charge est maintenant officiellement reconnue (il s’agissait autrefois d’une simple politique; ce n’est plus le cas dans le contexte de l’alinéa 29c) de la Loi (Kuntz A-1485-92). Bien que dans ce dossier, le couple n’ait pas d’enfants à charge, il n’en demeure pas moins qu’ils constituent une famille, ils sont conjoints depuis 24 ans et mariés depuis 18 ans.

[46] Après examen des faits au dossier et avoir apprécié le témoignage de l’appelante, le Tribunal conclut qu’elle était fondée de quitter son emploi au sens des articles 29 et 30 de la Loi et que son départ, compte tenu de toutes les circonstances, constituait la seule solution raisonnable dans son cas. Dans pareil cas, aucune inadmissibilité ne s’impose et l’appelante avait droit à ses prestations.

Conclusion

[47] L’appel est accueilli.

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