Assurance-emploi (AE)

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Contenu de la décision



Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Introduction

[2] Le 29 mai 2015, la division générale du Tribunal a conclu ce qui suit :

  • L’appelant ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait, c’est-à-dire démontrer qu’il avait, durant toute la période écoulée, un motif valable justifiant le retard de sa demande initiale de prestations, conformément au paragraphe 10(4) de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

[3] L’appelant a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel le 6 juillet 2015. La permission d’en appeler a été accordée par la division d’appel le 13 septembre 2015.

Mode d’audience

[4] Le Tribunal a tenu une audience par téléphone pour les raisons suivantes :

  • la complexité de la question en litige sous appel;
  • le fait que l’on ne prévoit pas que la crédibilité des parties figure au nombre des questions principales;
  • les renseignements figurant au dossier et le besoin de renseignements supplémentaires;
  • l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[5] Lors de l’audience, l’appelant était présent et représenté par Sarah Eadie. The L’Intimée était représentée par Stéphanie Yung-Hing. L’interprète était Sadhu Singh.

Droit applicable

[6] Selon le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] Le Tribunal doit décider si la division générale a commis une erreur en concluant ce qui suit :

a) L’appelant ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait, c’est-à-dire démontrer qu’il avait, durant toute la période écoulée, un motif valable justifiant le retard de sa demande initiale de prestations, conformément au paragraphe 10(4) de la Loi.

Arguments

[8] L’appelant fait valoir les arguments suivants à l’appui de son appel :

  • L’ignorance de la loi en soi n’est pas un motif valable pour justifier le retard à présenter une demande de prestations d’assurance-emploi.
  • L’arrêt de principe dans ce domaine demeure Canada (PG) c. Albrecht, [1985] 1 C.F. 710 (C.A.). La Cour a conclu que l’ignorance de ses droits aux prestations d’assurance-emploi par un demandeur ne constitue pas un motif valable pour demander une antidatation s’il réussit à démontrer qu’il a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s’assurer des droits et obligations que lui impose la Loi.
  • Cela signifie que chaque cas doit être jugé suivant ses faits propres et, à cet égard, il n’existe pas de principe clair et facilement applicable; une appréciation en partie subjective des faits est requise, ce qui exclut toute possibilité d’un critère exclusivement objectif.
  • Le fait de se fonder sur le principe général selon lequel l’ignorance de loi ne peut pas servir d’excuse, et ce sans examiner attentivement la situation de l’appelant, équivaudrait à un échec dans la mise en oeuvre adéquate de l’analyse subjective de la situation de l’appelant nécessaire pour déterminer si l’appelant a fait ce qu’une personne raisonnable se trouvant dans la même situation aurait fait pour se renseigner sur ses droits et obligations en vertu de la Loi.
  • En l’espèce, l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale et nommé De Jesus et al. c. Canada (PG), 2013 CAF 264 est d’une grande utilité. Cet arrêt concernait des travailleurs étrangers temporaires, comme c’est le cas en l’espèce. Dans l’arrêt, la Cour conclut que les conseils arbitraux (à l’époque) doivent tenir compte de l’incidence du travail et des autres conditions des demandeurs du Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS) sur leur capacité à accéder aux renseignements concernant leurs prestations afin d’évaluer l’existence d’un motif valable pour un retard.
  • En l’espèce, l’appelant a présenté une preuve selon laquelle il n’avait aucune capacité d’accéder aux renseignements concernant de possibles prestations, sauf par l’intermédiaire d’un ami et au moyen de toute information offerte en pendjabi sur Internet. Il a déclaré que, bien qu’il ait cherché à obtenir des renseignements sur les étapes habituelles à suivre au moyen de ces sources, il n’a jamais eu connaissance de l’existence du programme d’assurance-emploi.
  • Bien que la preuve de l’appelant ait été examinée par la division générale, elle a été mal interprétée, comme il est établi dans le document accompagnant la demande de permission d’en appeler.
  • Dans l’arrêt De Jesus, la Cour souligne que les désavantages propres aux travailleurs temporaires sont bien connus. Ils comprennent « l’inadmissibilité à de nombreuses prestations sociales, y compris la plupart des prestations d’assurance‑emploi; l’exclusion de nombreuses mesures légales de protection des travailleurs (y compris la représentation par un syndicat); le faible niveau de scolarité, l’analphabétisme fonctionnel et une connaissance insuffisante du français ou de l’anglais; l’isolement social et le manque d’accès à des téléphones, à des ordinateurs et à des centres urbains; des horaires de travail longs et ardus qui laissent peu de temps libre; et la crainte de représailles de l’employeur et de l’expulsion du pays » [au paragraphe 13. Même si la Cour faisait référence plus particulièrement aux travailleurs agricoles dans ce paragraphe, la plupart de ces désavantages s’appliquent indifféremment aux travailleurs étrangers temporaires qui travaillent à l’extérieur du secteur agricole].
  • Aux fins du contrôle de la décision du juge-arbitre, la Cour d’appel fédérale souligne et prend en défaut la conclusion du juge-arbitre selon laquelle les « les conditions de travail des demandeurs et, dans certains cas, l’incapacité à parler, à lire ou à comprendre le français ou l’anglais ne les empêchaient pas de faire certains efforts pour obtenir de l’information sur leur admissibilité aux prestations d’assurance‑emploi ».
  • Ce type de raisonnement s’est également produit en l’espèce devant la division générale. Le membre du Tribunal a conclu que, même s’il y avait une[traduction] « preuve étayant les allégations selon lesquelles les conditions de travail des demandeurs n’étaient pas idéales et qu’ils se sont heurtés à des obstacles similaires aux travailleurs du PTAS » [au paragraphe 28], le demandeur, après avoir quitté son emploi, [traduction] « n’était plus empêché de s’informer des options qui pouvaient s’offrir à lui afin d’obtenir un emploi ou de l’aide financière pouvant lui être offerte alors qu’il se trouvait au chômage » [au paragraphe 27, voir également le paragraphe 30].
  • En laissant entendre que rien n’empêchait l’appelant de se renseigner, le membre du Tribunal a omis de prendre en considération la preuve de l’appelant concernant son incapacité totale de communiquer en anglais, sa crainte de représailles, son isolation sociale presque totale, son faible niveau de scolarité et son faible niveau de sensibilisation à l’égard des droits offerts même aux citoyens canadiens au pays.
  • Dans l’arrêt De Jesus, la Cour a conclu que l’échec du juge-arbitre à tenir adéquatement compte « des obstacles auxquels se heurtaient les travailleurs du PTAS et qui les empêchaient de réclamer des prestations d’assurance-emploi, et des obstacles auxquels se heurtait M. Cruz de Jesus en particulier » [au paragraphe 36] constituait une erreur de droit.
  • En l’espèce, bien que le membre du Tribunal ait mentionné les critères énoncés dans l’arrêt Albrecht et les paragraphes de l’arrêt De Jesus qui ont été portés à sa connaissance par la représentante de l’appelant, les nombreuses erreurs de fait dans la décision démontrent son incapacité de tenir compte de l’énormité des obstacles auxquelles se heurte l’appelant.
  • La décision de la division générale contient de nombreuses erreurs de fait commises sans tenir compte adéquatement de la preuve portée à la connaissance du décideur. De plus, l’appelant soutient que l’échec du membre du Tribunal à tenir compte de l’incidence de la situation de l’appelant, accompagné de sa conclusion défavorablement quant à la crédibilité de l’appelant en raison d’un problème relatif à la traduction à l’audience devant la division générale du Tribunal, a abouti à une crainte inévitable de partialité, ce qui entache la procédure.

[9] L’intimée fait valoir les arguments suivants à l’encontre de l’appel :

  • La division générale n’a commis aucune erreur de droit en concluant que l’ignorance de la loi par l’appelant n’était pas un motif valable pour le dépôt tardif de la demande de prestations (paragraphe [45]).
  • Le jurisprudence maintient qu’un demandeur ne peut pas simplement prétendre qu’il ne connaît pas le programme d’assurance-emploi ou qu’il n’est pas au courant de son admissibilité aux prestations. Il doit se renseigner au sujet de ses droits et de ses obligations en vertu de la Loi.
  • En l’espèce, l’appelant n’a pris aucune mesure pour déterminer ses droits et ses obligations en vertu de la Loi. Par conséquent, il n’a pas agi comme l’aurait fait une personne raisonnable et il n’a pas établi le motif valable de son retard à présenter une demande de prestations pendant toute la période écoulée.
  • Le dépôt tardif d’une demande de prestations en raison de l’ignorance de la loi ou de l’incompréhension des droits et des obligations prévus par la loi ne correspond pas à des [traduction] « circonstances exceptionnelles » pour l’antidatation d’une demande.
  • Il est également soutenu que, pour démontrer l’existence d’un motif valable, un demandeur n’est pas tenu de démontrer l’existence de circonstances hors de son contrôle l’ayant empêché de présenter une demande à une date antérieure. Le bon critère est la question de savoir si le demandeur peut démontrer qu’il a agi comme toute personne raisonnable l’aurait fait dans les mêmes circonstances pour s’acquitter de leurs obligations et faire valoir leurs droits en vertu de la Loi.
  • De plus, la bonne application du critère juridique concernant le motif valable aux faits en l’espèce mène à la conclusion raisonnable que l’appelant ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de justifier le motif valable du dépôt tardif entre le 5 juillet 2012 et le 21 juin 2014 parce qu’on ne l’a pas empêché de présenté une demande de prestations et parce qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour se renseigner sur son admissibilité aux prestations d’assurance-emploi.
  • En rejetant l’appel, le Tribunal a conclu que l’appelant n’a pas agi comme une personne raisonnable et prudente l’aurait fait dans la même situation.
  • Le Tribunal a appliqué le bon critère juridique aux faits de l’espèce et il a tiré des conclusions qui concordent aux éléments de preuve qu’il a acceptés. Il est également soutenu que la conclusion du Tribunal selon laquelle les motifs de l’appelant justifiant le délai d’environ deux ans pour présenter une demande de prestations ne constitue pas un « motif valable » au titre du paragraphe 10(4) de la Loi durant toute la période écoulée était une conclusion raisonnable conforme à la Loi et à la jurisprudence établie.
  • Rien dans la décision de la division générale n’indique que cette dernière s’est montrée défavorable à l’égard de l’appelant ou qu’elle n’a pas fait preuve d’impartialité. Rien non plus ne prouve qu’il y a eu manquement aux principes de justice naturelle en l’espèce.

Norme de contrôle

[10] L’appelant fait valoir que la norme de contrôle qui s’applique aux questions de justice naturelle est celle de la décision correcte et que la norme de contrôle qui s’applique aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable. L’intimée affirme que la norme de contrôle applicable pour les questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable (Smith c. Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

[11] Le Tribunal constate que la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, indique au paragraphe 19 de sa décision que lorsque la division d’appel agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure.

[12] La Cour d’appel fédérale poursuit en soulignant que non seulement la division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la division générale du Tribunal de la sécurité sociale et qu’elle n’est donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale.

[13] La Cour d’appel fédérale termine en soulignant que lorsque la division d’appel entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi.

[14] Le mandat de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale décrit dans la décision Jean a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Maunder c. Canada (PG), (2015) CAF 274.

[15] À moins que la division générale n’ait pas observé un principe de justice naturelle, qu’il ait erré en droit ou qu’il ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l’appel.

Analyse

[16] Le 25 juin 2014, l’appelant a présenté une demande d’assurance-emploi. Le 8 août 2014, l’intimée a rejeté la demande de prestations de l’appelant parce qu’il n’avait pas démontré qu’il avait un motif valable justifiant le dépôt tardif de sa demande de prestation entre le 5 juillet 2012 et le 21 juin 2014. Le 25 août 2014, l’appelant a présenté une demande de révision. Le 17 octobre 2014, l’intimée a maintenu sa décision initiale, et l’appelant a interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada. Le 29 mai 2015, la division générale a rejeté l’appel de l’appelant.

[17] L’appelant prétend que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Plus particulièrement, l’appelant fait valoir que la décision contient des conclusions de fait erronées relativement à des faits essentiels pour bien comprendre les arguments que le demandeur a plaidés devant la division générale. Il soutient que la, si la division générale avait examiné la preuve dont elle disposait, la décision aurait été différente. Une décomposition des prétendues erreurs factuelles a été présentée au Tribunal par l’appelant afin d’étayer son appel (AD5-1 à AD5-5).

[18] Compte tenu de la position de l’appelant mentionnée plus haut, le Tribunal estime important de reproduire les conclusions que la division générale a tirées lorsqu’elle a rejeté l’appel de l’appelant :

[43] Le Tribunal doit appliquer les principes juridiques établis dans l’arrêt Canada (P.G.) c. Albrecht, CF 170, il est statué que l’ignorance de la loi constituait un motif valable, mais le Tribunal ne voit pas Dans cet arrêt, il est conclu que, lorsqu’un prestataire n’a pas formulé sa demande dans le délai imparti et qu’en dernière analyse, l’ignorance de la loi est le motif de cette omission, on devrait considérer qu’il a prouvé l’existence d’un « motif valable » s’il réussit à démontrer qu’il a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s’assurer des droits et responsabilités que lui impose la Loi.

[44] La question dont le tribunal est saisi est de savoir si le prestataire a un motif valable pour le délai pendant toute la période écoulée et s’il a agi comme une personne raisonnable l’aurait fait dans sa situation.

[45] En l’espèce, le Tribunal estime que le prestataire n’a pas prouvé qu’il a agi comme une personne normale l’aurait fait dans sa situation pour s’acquitter de ses responsabilités et faire valoir ses droits en vertu de la Loi et qu’il n’a pas prouvé le motif valable du délai pendant toutes les périodes écoulées : son argument fondé sur l’ignorance de la loi est donc invalide et injustifié.

[46] Le Tribunal estime que le prestataire a attendu presque deux ans pour présenter une demande d’assurance emploi, soit bien après avoir été victime d’abus de la part de son employeur précédent. Le Tribunal estime, d’après la preuve versée au dossier, que le prestataire a démontré avant la cessation de son emploi qu’il était capable de prendre ses propres dispositions de voyage, de retenir les services d’un comptable pour préparer sa déclaration de revenus au cours de plusieurs années et d’obtenir une carte de crédit. Le tribunal estime que, à la suite du refus, le prestataire était capable de vivre de ses économies et de chercher les services d’un conseiller en immigration, Normes du travail et bureau à l’intention des travailleurs étrangers temporaires, et que sa diligence a entraîné une déclaration contre son employeur. Il a également été capable d’étudier et de se rendre en Saskatchewan pour passer un examen d’anglais et de faire des recherches en vue d’obtenir son certificat Sceau rouge..

[47] Le Tribunal estime que la preuve n’étaye pas l’allégation selon laquelle la situation du prestataire était exceptionnelle après qu’il a quitté son emploi. Le Tribunal estime que la preuve permet de conclure que le prestataire a fait le choix personnel de se fier à son oncle pour obtenir de l’aide et que, durant cette période, il s’est concentré sur la poursuite contre son employeur précédent; ce n’est que durant ce processus qu’il a entendu parler du programme d’assurance-emploi. Le prestataire a également fait le choix personnel de vivre de ses économies et de continuer à chercher un autre emploi.

[48] Le Tribunal cite l’arrêt Canada (P.G.) c. Scott, 2008 CAF 145, qui statue qu’il n’est pas inutile de rappeler que le paragraphe 10(4) de la Loi n’est pas le produit d’un simple caprice législatif. Il renferme une politique, sous forme d’exigence, qui participe d’une saine et efficiente administration de la Loi. Car d’une part, cette politique permet de « veiller à la bonne gestion et au traitement efficace des demandes de prestations » ainsi qu’à la Commission « de vérifier constamment l’admissibilité continue des prestataires à qui des prestations sont versées » : voir les CUB 18145, le 29 juin 1999 par le juge-arbitre Joyal et CUB 23803, le 27 juin 1994 par le juge-arbitre Rouleau. Le fait d’antidater la demande de bénéfices peut porter atteinte à l’intégrité du système en ce qu’il accorde à un prestataire un octroi rétroactif et inconditionnel du bénéfice des prestations, sans possibilité de vérification des critères d’admissibilité durant la période de rétroactivité : voir les CUB 13007, le 12 décembre 1986 et CUB 14019, le 7 août 1987 par le juge-arbitre Joyal.

[49] Le Tribunal compatit à la situation du prestataire alors qu’il était employé, mais aucun élément de preuve ne montre qu’il existait des circonstances exceptionnelles qui l’auraient empêché d’agir comme l’aurait faire une personne raisonnable dans sa situation pendant toute la période du retard. La jurisprudence démontre clairement que l’ignorance de la loi ne peut pas justifier l’attente de presque deux ans pour présenter une demande de prestations.

[50]  Le Tribunal considère que le prestataire n’a pas démontré avoir agi comme toute autre personne raisonnable l’aurait fait dans les mêmes circonstances pour s’acquitter de ses obligations et faire valoir ses droits et que, en conséquence, même s’il semblait respecter les conditions d’admissibilité aux prestations à la date du 5 juillet 2012, il n’avait pas de motif valable au sens de l’article 10(4) de la Loi pour retarder la présentation de sa demande.

[19] Pour établir l’existence d’un motif valable aux termes du paragraphe 10(4) de la Loi, un prestataire doit réussir à démontrer qu’il a fait ce que toute personne raisonnable se trouvant dans la même situation aurait fait pour se renseigner sur ses droits et obligations en vertu de laLoi. La Cour d’appel fédérale a réaffirmé à de nombreuses reprises que les prestataires ont le devoir de se renseigner sur leurs droits et obligations et sur les mesures à prendre pour protéger une demande de prestations : Canada (PG) c. Kaler, 2011 CAF 266; Canada (PG) c. Dickson, 2012 CAF 8.

[20] L’appelant ne conteste pas en l’espèce que l’ignorance de la loi en soi n’est pas un motif valable pour le dépôt tardif d’une demande de prestations d’assurance-emploi. Il soutient que l’arrêt de principe dans ce domaine demeure Canada (PG) c. Albrecht, [1985] 1 C.F. 710 (C.A.). La Cour a conclu que l’ignorance de ses droits aux prestations d’assurance-emploi par un demandeur ne constitue pas un motif valable pour demander une antidatation s’il réussit à démontrer qu’il a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable dans la même situation pour s’assurer des droits et obligations que lui impose la Loi.

[21] L’appelant se fonde grandement sur le récent arrêt De Jesus c. Canada (PG), 2013 CAF 264, pour appuyer sa position selon laquelle l’inaction peut constituer un motif valable de délai dans des circonstances exceptionnelles.

[22] Dans l’arrêt De Jesus, la Cour a souscrit à la conclusion du conseil arbitral selon laquelle l’isolation des travailleurs du PTAS les empêchait d’avoir accès aux organismes gouvernementaux pour qu’ils puissent connaître leurs droits et responsabilités en matière d’assurance-emploi. Elle a conclu que les circonstances des travailleurs du PTAS étaient exceptionnelles, en ce sens que l’inaction et la soumission étaient compréhensibles. Le conseil a conclu a tenu pour avéré qu’on avait gravement empêché De Jesus de se renseigner sur ses droits et obligations en matière de prestations et de les comprendre pour les raisons suivantes :

  1. Il ne pouvait pas lire, ni écrire, ni comprendre l’anglais.
  2. Il craignait de perdre son emploi.
  3. Il n’a pas eu le temps d’accéder aux renseignements en raison de son horaire de travail chargé.
  4. Son employeur n’a pas fourni promptement un relevé d’emploi à moins qu’une demande soit faite et il n’a pas expliqué les déductions de son chèque de paie.

[23] La division générale, qui reconnaît que les circonstances susmentionnées auraient pu exister durant la période d’emploi, a conclu selon la preuve qu’il n’existait plus de circonstances exceptionnelles lorsque l’appelant a quitté son employeur en juillet 2012 qui pourraient expliquer son délai de deux ans pour présenter une demande de prestations d’assurance-emploi.

[24] La division générale a conclu selon la preuve que l’appelant a attendu presque deux ans pour présenter une demande d’assurance emploi, soit bien après avoir été victime d’abus de la part de son employeur précédent. La division générale a conclu que l’appelant, loin d’être isolé, a eu l’occasion de se fier sur son oncle pour recevoir une aide et chercher les services d’un conseiller en immigration, Normes de travail et bureau à l’intention des travailleurs étrangers temporaires. Elle a conclu que l’appelant avait mis l’accent sur la poursuite contre son employeur précédent. La division générale a jugé que l’appelant a également été capable d’étudier et de se rendre en Saskatchewan pour passer un examen d’anglais et de faire des recherches en vue d’obtenir son certificat Sceau rouge.

[25] Le Tribunal estime que les circonstances de l’arrêt De Jesus concernant des travailleurs du PTAS sont très différentes de celles en l’espèce. En l’espèce, l’appelant, qui travaillait au Canada depuis 2008 avant de présenter une demande de prestations d’assurance-emploi en 2014, pouvait compter sur oncle, avait accès à des téléphones, à des ordinateurs, à Internet et à des organismes gouvernementaux, et il n’était pas gravement empêché de connaître et comprendre ses droits et obligations en matière de prestation après avoir été renvoyé par son employeur.

[26] Après examen de l’ensemble de la preuve présentée à la division générale, le Tribunal estime que la division générale n’a pas commis d’erreur en concluant que l’appelant n’a pas agi comme une personne prudente l’aurait fait dans la même situation pour se renseigner sur ses droits et obligations, et pris les mesures nécessaires pour protéger sa demande de prestations en vertu de la Loi. Le Tribunal est d’avis que la division générale a bien appliqué le critère subjectif objectif établi dans l’arrêt Albrecht.

[27] De plus, le Tribunal n’est pas convaincu que la division générale avait un parti pris contre l’appelant de quelque façon que ce soit, ou qu’elle n’a pas agi de manière impartiale. Rien ne démontre qu’il y a eu manquement aux principes de justice naturelle en l’espèce.

[28] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, le dossier d’appel, la décision de la division générale, les observations des parties, les dispositions législatives applicables et la jurisprudence pertinente, le Tribunal ne relève aucune preuve étayant que l’un des moyens d’appel présentés par l’appelant ou tout autre moyen d’appel possible.

[29] Par conséquent, le Tribunal doit rejeter l’appel.

Conclusion

[30] L’appel est rejeté.

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