Assurance-emploi (AE)

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Motifs et décision

Comparutions

L’appelant a comparu à l’audition de l’appel par téléconférence.

Introduction

[1] L’appelant a présenté une demande initiale de prestations régulières d’assurance-emploi (prestations d’assurance-emploi) le 6 août 2015. L’intimée, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission), a fait enquête sur le motif de cessation d’emploi de l’appelant et le 1er  septembre 2015, a rendu la décision que l’appelant n’était pas admissible à des prestations d’assurance-emploi parce qu’il avait quitté volontairement son emploi sans justification.

[2] Le 6 octobre 2015, l’appelant a demandé à la Commission de réexaminer sa décision, en mentionnant de nombreux motifs pour lesquels il a quitté son emploi et en déclarant qu’il n’avait pas d’autre choix que de quitter son emploi au moment où il l’a fait. Toutefois, le 27 novembre 2015, la Commission a maintenu sa décision selon laquelle l’appelant n’avait pas démontré qu’il était justifié de quitter son emploi quand il l’a fait.

[3] L’appelant a interjeté appel à la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale (le Tribunal) le 22 décembre 2015.

[4] L’audience a été tenue par téléconférence du fait que le mode d’audience respecte le besoin, en vertu du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Question en litige

[5] L’appelant devrait-il être exclu du bénéfice des prestations parce qu’il a quitté son emploi sans justification?

Droit applicable

[6] Le paragraphe 30(1) de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi) stipule que le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas

  1. a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;
  2. b) qu’il soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

[7] La question de savoir si un prestataire a une justification réside dans l’examen de l’alinéa 29c) de la Loi, qui prévoit que pour l’application des articles 30 à 33,

  1. c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :
    1. (i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,
    2. (ii) nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,
    3. (iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
    4. (iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,
    5. (v) nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent,
    6. (vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,
    7. (vii) modification importante de ses conditions de rémunération,
    8. (viii) excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci,
    9. (ix) modification importante des fonctions,
    10. (x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur,
    11. (xi) pratiques de l’employeur contraires au droit,
    12. (xii) discrimination relative à l’emploi en raison de l’appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,
    13. (xiii) incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi,
    14. (xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.

[8] Aux termes du paragraphe 30(2) de la Loi, l’exclusion vaut pour toutes les semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent son délai de carence. Il demeure par ailleurs entendu que la durée de cette exclusion n’est pas affectée par la perte subséquente d’un emploi au cours de la période de prestations.

[9] Le paragraphe 30(5) de la Loi prévoit que dans les cas où le prestataire qui a perdu ou quitté un emploi dans les circonstances visées au paragraphe (1) formule une demande initiale de prestations, les heures d’emploi assurable provenant de cet emploi ou de tout autre emploi qui précèdent la perte de cet emploi ou le départ volontaire et les heures d’emploi assurable dans tout emploi que le prestataire perd ou quitte par la suite, dans les mêmes circonstances, n’entrent pas en ligne de compte pour l’application de l’article 7 ou 7.1.

Preuve

[10] L’appelant a formulé une demande initiale de prestations d’assurance-emploi le 6 août 2015 (GD3-3 à GD3-17). Dans sa demande, l’appelant affirmait que son dernier de jour de travail chez 3 Woods Technical (3 Woods) a été le 17 juillet 2015 et a donné comme motif de cessation d’emploi « Départ volontaire » (GD3-6). L’appelant a rempli un questionnaire de départ volontaire à l’appui de sa demande (GD3-9 à GD3-11), dans lequel il affirmait avoir quitté son emploi d’apprenti électricien chez 3 Woods le 17 juillet 2015 [traduction] « pour de nombreuses raisons ». Il a notamment mentionné qu’il travaillait seul alors qu’il était censé être en formation avec un compagnon et qu’il était contraint d’utiliser son propre véhicule pour répondre aux appels de service et qu’il ne se faisait pas rembourser adéquatement ses frais afférents, ainsi que des problèmes liés aux heures, aux heures supplémentaires et à la tension rattachée au travail.

[11] Un relevé d’emploi a été fourni le 20 juillet 2015 par 3 Woods, qui a confirmé que l’appelant avait travaillé comme apprenti électricien jusqu’au 17 juillet 2015 et qui donnait comme motif de cessation d’emploi « Départ volontaire » (GD3-18).

[12] Le 31 août 2015, un agent de la Commission s’est entretenu avec le propriétaire de 3 Woods au sujet du motif de cessation d’emploi et a consigné le contenu de l’appel dans le document Renseignements supplémentaires concernant la demande de prestations (GD3-20). L’agent a noté les déclarations du propriétaire en réponse au questionnaire sur le départ volontaire de l’appelant, soit que l’appelant n’avait pas besoin d’autorisation pour ramasser des pièces lorsqu’il savait ce qui était nécessaire pour les ordres de travail et qu’il aurait dû s’occuper d’aller chercher les pièces au lieu de se rendre chez lui, que l’appelant a offert d’utiliser son propre véhicule, et que lorsque l’appelant s’est entretenu avec lui sur la possibilité d’élargir son expérience, il s’est assuré que l’appelant soit exposé à diverses expériences.

[13] Dans une lettre en date du 1er septembre 2015, la Commission a informé l’appelant qu’il ne recevrait pas de prestations d’assurance-emploi parce qu’il a quitté volontairement son emploi chez 3 Woods le 17 juillet 2015 sans justification (GD3-21 à GD3-22).

[14] Le 6 octobre 2015, l’appelant a demandé à la Commission de réexaminer sa décision de refuser la demande de prestations de l’appelant (GD3-23 à GD3-25), en affirmant qu’on lui demandait de travailler seul pour faire des branchements (ce qui était inapproprié pour une personne possédant son niveau de formation), qu’il a dû, lorsque le véhicule de la compagnie était brisé, conduire régulièrement son propre véhicule sur une distance de plus de 100 km par jour (à ses propres frais), que l’employeur ne le rémunérait pas en heures supplémentaires, et que le degré de tension ne lui permettait plus de travailler chez cet employeur.

[15] Le 27 novembre 2015, un agent de la Commission s’est entretenu avec l’appelant au sujet de sa demande de réexamen et a consigné le contenu de leur conversation dans le document Renseignements supplémentaires concernant la demande de prestations (GD3-28 à GD3-30). L’agent a noté que l’appelant a fait les déclarations suivantes :

  1. Il est apprenti électricien et a néanmoins rarement travaillé avec un compagnon. Il était envoyé au domicile de clients pour se consacrer seul à faire des branchements de câbles électriques, ce qui va à l’encontre des règles applicables à un apprenti. Quand l’appelant s’est fait demander s’il avait communiqué avec le conseil des apprentis pour se plaindre, il a déclaré qu’il ignorait comment ça fonctionnait et qu’il n’a pas envisagé de le faire parce qu’il voulait travailler.
  2. La fourgonnette de service de l’employeur a subi un bris et il a dû utiliser son camion pour répondre à des appels de service, ce qui lui coûtait de l’argent. Il devait payer l’essence et l’entretien du véhicule et en assumer l’usure. Quand il a soulevé la question à son employeur, celui-ci lui a donné le choix entre ne pas travailler et utiliser son véhicule. L’employeur était prêt à lui payer seulement une heure de plus par jour pour l’utilisation de son véhicule, ce qui ne couvrait pas les frais.
  3. L’employeur lui envoyait des messages texte ou l’appelait à n’importe quel moment pour discuter du travail de la journée ou du lendemain ou pour crier après lui pour quelque raison que ce soit. Ils s’obstinaient constamment et travailler pour lui s’est révélé un véritable cauchemar. Il l’a fait aussi longtemps qu’il a pu et lorsqu’il n’a plus été capable de le prendre, il a donné un préavis de deux semaines, mais au cours de cette période, il n’a pas été en mesure de trouver un autre emploi parce qu’il travaillait trop, ce qui l’empêchait de se rendre à une entrevue. Il a décidé de conserver son emploi. Il tentait de faire en sorte que ça fonctionne.
  4. Il y a eu un dernier incident lorsque le service de garde de sa fille ne pouvait être offert; il a alors été impossible pour lui d’aller travailler L’employeur lui a téléphoné et l’a vertement critiqué parce qu’il a coûté de l’argent à la compagnie en raison de son absence au travail ce jour-là. Après cet appel, l’appelant n’en pouvait plus et était très tendu. Il a donc démissionné. L’appelant n’a pas consulté un médecin au sujet de cette tension au travail.

[16] Dans une lettre en date du 27 novembre 2015, la Commission a informé l’appelant que sa décision du 1er septembre 2015 était maintenue (GD3-31 à GD3-32).

À l’audience

[17] L’appelant a témoigné de ce qui suit :

  1. Il était en deuxième année de formation d’apprenti pour devenir électricien lorsqu’il a été recruté chez 3 Woods. Il a commencé le 1er mars 2015. Trois personnes travaillaient chez 3 Woods à l’époque : le propriétaire, un compagnon accrédité et l’appelant. Ses conditions d’emploi étaient 40 heures par semaine au tarif de 23 $ l’heure, de la supervision par le compagnon (et « des travaux faciles qu’il pouvait faire par lui-même »), et l’utilisation d’un véhicule de compagnie pour les appels de service.
  2. À son premier jour, l’appelant a dû répondre à un appel de service et a envoyé un message texte au propriétaire au sujet d’une décision pour laquelle il voulait des commentaires. Le propriétaire s’est fâché et lui a dit de trouver la réponse lui-même. Selon l’appelant, [traduction] « c’est ainsi que ça s’est passé à partir de ce moment » : l’appelant recevait peu de directives ou de conseils, était envoyé de plus en plus souvent seul pour répondre à des appels de service, et travaillait très peu souvent avec le compagnon. Le propriétaire s’attendait à ce que l’appelant travaille en autonomie et prenne des [traduction] « décisions majeures » qui avaient trait [traduction] « davantage à l’exploitation de l’entreprise du propriétaire qu’au travail d’électricien ». Le propriétaire l’appelait tard en soirée pour lui demander un compte-rendu de la journée et pour [traduction] « le semoncer au sujet d’une décision ou de la façon dont il aurait dû faire quelque chose ». L’appelant a dit qu’il se sentait comme s’il ne quittait jamais vraiment le travail parce qu’il savait que le propriétaire allait lui téléphoner après les heures, parfois même après qu’il se soit mis au lit, et qu’il était très tendu après lui avoir parlé.
  3. Comme apprenti électricien de deuxième année, l’appelant n’était pas qualifié pour effectuer les branchements. Néanmoins, le propriétaire l’a envoyé [traduction] « à de nombreuses reprises » pour des appels de service – seul – où il devait effectuer des branchements. L’appelant a mentionné : [traduction] « je me trouve dans la maison des gens, devant les clients, et ils croient que je suis un compagnon parce que je suis seul, à ramper dans les entretoits et à travailler dans les hauteurs ». Cependant, il n’était pas un compagnon et devait se former lui-même, en apprenant sur le tas devant les clients. Il n’était pas à l’aise dans ces situations qui lui occasionnaient beaucoup de tension. Il demandait sans cesse au propriétaire de l’envoyer travailler avec le compagnon, et le propriétaire réagissait toujours en se fâchant.
  4. L’appelant utilisait la fourgonnette de la compagnie pour les appels de service et bien qu’il n’avait pas de carte de crédit de compagnie pour mettre de l’essence, il était entièrement remboursé quand il présentait les reçus de pleins d’essence de la fourgonnette alors qu’il répondait aux appels.
  5. À la fin de mai ou au début de juin 2015, la fourgonnette de la compagnie que l’appelant utilisait pour les appels de service a subi un bris. Le propriétaire a informé l’appelant qu’il ne pourrait pas travailler de nombreuses heures tant que la fourgonnette de la compagnie ne serait pas réparée. L’appelant voulait travailler. Il était donc prêt à utiliser son propre véhicule (une camionnette F150 V8 Ford de 2006) pendant une courte période jusqu’à ce que la fourgonnette de la compagnie soit réparée. Le propriétaire lui a dit que la fourgonnette de la compagnie serait de nouveau mise à sa disposition d’ici au plus une semaine. L’appelant a demandé au propriétaire de défrayer ses dépenses liées au véhicule et de payer son kilométrage, mais le propriétaire lui a répondu qu’en raison des frais de réparation de la fourgonnette de la compagnie, il pouvait seulement donner à l’appelant une (1) heure de paie de plus par jour pour l’utilisation de son véhicule, soit 23 $ par jour.
  6. Après une semaine d’utilisation de son propre camion, l’appelant a demandé au propriétaire ce qui se passait avec la fourgonnette de la compagnie et s’est fait répondre [traduction] « Je m’en occupe ». L’appelant a continué à vérifier auprès du propriétaire à tous les deux ou trois jours ce qu’il en était de la fourgonnette de la compagnie, mais le propriétaire s’en débarrassait toujours, allant même jusqu’à demander à l’appelant de chercher une nouvelle fourgonnette de la compagnie. L’appelant a commencé à avoir l’impression que le propriétaire n’était [traduction] « pas pressé de faire réparer la fourgonnette ».
  7. Au cours du mois suivant, l’appelant a parcouru entre 75 et 200 km par jour dans sa camionnette, [traduction] « dans toute la ville » pour répondre à des appels de service de clients. Il a reçu 23 $ par jour, ce qui [traduction] « ne couvrait absolument pas ses frais d’essence », et encore moins l’entretien et l’usure, comme l’aurait fait un [traduction] « véritable taux de kilométrage ». À un moment donné, la camionnette de l’appelant est tombée en panne lors d’un appel de service. L’employeur n’a aucunement contribué aux frais de ces réparations, que l’appelant a acquitté lui-même. L’appelant a ensuite recommencé à utiliser sa camionnette parce que le propriétaire n’avait encore ni fait réparer la fourgonnette de la compagnie ni acquis une autre fourgonnette. Au fil des semaines, l’appelant a informé le propriétaire que les 23 $ par jour ne couvraient pas les frais d’utilisation de son propre véhicule pour le travail, mais le propriétaire a constamment maintenu que c’est tout ce qu’il pouvait se permettre.
  8. Même si l’appelant utilisait maintenant son propre véhicule – à ses frais – pour offrir du service aux clients de l’employeur (et qu’il ne se faisait même pas rembourser l’essence – comme c’était le cas lorsqu’il utilisait la fourgonnette de la compagnie), le propriétaire a néanmoins continué à faire quotidiennement des appels hostiles chez l’appelant en soirée, et a continué à le ridiculiser et à le rabaisser pour différentes décisions alors qu’il n’avait donné à l’appelant ni conseils ni directives pour l’aider.
  9. Au début de juillet 2015, l’appelant était très tendu et en avait assez que le propriétaire profite de lui; il lui a donc remis son préavis de deux semaines. C’est alors que le propriétaire a dit à l’appelant qu’il était heureux de ne pas avoir fait réparer la fourgonnette de la compagnie ou acheté une nouvelle fourgonnette parce que l’appelant partait et que ce n’était plus nécessaire.
  10. L’appelant a passé les deux (2) semaines suivantes à chercher un autre emploi (pendant qu’il continuait à travailler chez 3 Woods). Quelques employeurs potentiels ont répondu à ses demandes, mais ils avaient besoin de lui le lendemain et il s’était engagé à respecter son préavis et à terminer le travail chez 3 Woods. À l’expiration des deux (2) semaines, il n’avait pas d’autre emploi et le propriétaire lui a dit qu’il pouvait rester chez 3 Woods, mais qu’il devrait continuer à utiliser sa camionnette pour les appels de service et qu’il continuerait à recevoir 23 $ par jour pour ce faire.
  11. Le dernier incident est survenu quelques jours plus tard, le 17 juillet 2015. Le service de garde de la fille de l’appelant n’était pas disponible ce jour-là et sa femme travaillait à l’extérieur de la ville et ne pouvait être à la maison avant midi. Dès qu’il a appris son urgence de gardiennage, l’appelant a fait parvenir un message texte au propriétaire pour l’informer qu’il pourrait commencer à travailler seulement en après-midi. Le propriétaire a répondu de manière hostile et il [traduction] « l’a fortement culpabilisé, en lui disant qu’il lui coûtait de l’argent ce jour-là ». Vers 13 h, l’appelant a envoyé un message texte au propriétaire pour lui dire qu’il pouvait commencer à travailler (sa femme étant maintenant à la maison), et le propriétaire lui a envoyé des bons de travail pour des appels de service. Au deuxième appel de service, l’appelant devait se procurer une pièce en particulier, qu’il a finalement trouvée dans le sud de Calgary. Comme  c’était alors le vendredi en fin d’après-midi, l’appelant a évalué qu’il faudrait 2,5 heures dans le trafic d’heure de pointe pour aller chercher la pièce. Il a donc appelé le propriétaire pour s’assurer qu’il voulait facturer au client le temps que l’appelant passerait dans la circulation intense, mais le propriétaire n’a pas répondu. Comme il prenait régulièrement lui-même ce genre de décision, l’appelant a décidé d’aller chercher la pièce le lundi et s’est rendu chez lui, étant donné que c’était la fin de la journée. Plus tard en soirée, il a reçu l’appel habituel du propriétaire, qui est devenu [traduction] « vraiment fâché » et qui a commencé à l’engueuler vertement en lui demandant pourquoi il n’était pas allé chercher la pièce pour cet appel de service. Il a accusé l’appelant de ne pas vouloir payer l’essence nécessaire pour aller chercher la pièce. Le propriétaire criait que l’appelant lui avait coûté beaucoup d’argent ce jour-là. Sachant très bien combien il lui en avait coûté personnellement d’utiliser son propre véhicule pour le travail, l’appelant [traduction] « n’en pouvait plus » et a dit au propriétaire qu’ils feraient mieux de se séparer. Le propriétaire était d’accord et a demandé à l’appelant de rapporter les outils de la compagnie qu’il avait en sa possession, ce qu’il a fait.

[18] Quand l’appelant a été interrogé au sujet de la déclaration faite par le propriétaire à l’agent de la Commission selon laquelle le propriétaire tentait de faire bénéficier l’appelant de diverses expériences après que celui-ci se soit dit mécontent de travailler seul, l’appelant a nié que ce soit arrivé. L’appelant a témoigné qu’il avait demandé de travailler avec le compagnon dès le début et que c’est l’un des sujets sur lesquels il s’est disputé avec le propriétaire. D’après l’appelant, il a peut-être travaillé avec le compagnon dans un ou deux projets tout au plus.

[19] L’appelant a déclaré que l’emploi chez 3 Woods ne correspondait pas à ce qu’il avait souhaité et qu’il commençait à avoir moins d’heures lorsqu’il a quitté son emploi le 17 juillet 2015. Toutefois, quand le propriétaire l’a accusé de façon hostile de ne pas vouloir utiliser sa propre essence dans le trajet de 2,5 heures et de lui coûter de l’argent – alors que dans les faits, pendant plus de six (6) semaines, l’appelant avait dû dépenser beaucoup d’argent pour utiliser sa propre camionnette comme véhicule de compagnie – l’appelant s’est rendu compte de toute la mesure dans laquelle il était utilisé par le propriétaire, que le propriétaire n’entendait pas remédier à la situation, et qu’il n’avait pas d’autre choix que de quitter son emploi.

Observations

[20] L’appelant a fait valoir qu’il était fondé à quitter son emploi chez 3 Woods, notamment à cause des situations dangereuses dans lesquelles il était contraint d’effectuer des branchements sans supervision et de l’exploitation par l’employeur qui forçait l’appelant à utiliser son propre véhicule pour les appels de service sans lui rembourser ses frais. L’appelant a également fait valoir qu’il a tenté de se trouver un autre emploi avant de quitter son poste chez 3 Woods mais qu’il n’y est pas parvenu, et que l’employeur profitait de lui, ce qui lui a occasionné tellement de tension que c’en était insupportable. Il n’avait donc pas le choix de quitter son emploi au moment où il l’a fait.

[21] La Commission a soutenu que le milieu de travail de l’appelant le rendait malheureux et insatisfait, mais qu’il n’était pas fondé à quitter un emploi sans d’abord se pencher sur les autres choix raisonnables. L’appelant s’est porté volontaire pour utiliser son véhicule dans l’exercice de ses fonctions et l’employeur l’a dédommagé. L’appelant n’a pas fait part de ses préoccupations de sécurité au travail à l’employeur ou au conseil provincial des apprentis. L’appelant n’a pas fourni de preuves médicales pour justifier qu’il était tenu de quitter son emploi à cause de la tension, ni qu’il a tenté de s’entendre avec l’employeur au sujet des conditions de travail. L’appelant n’a pas prouvé que la situation fût tellement intolérable qu’il devait quitter son poste lorsqu’il l’a fait. Pour l’appelant, il aurait été raisonnable, plutôt que de quitter son emploi, de demeurer en poste jusqu’à ce qu’il trouve un nouvel emploi.

Analyse

[22] L’article 30 de la Loi prévoit qu’un prestataire qui quitte volontairement son emploi est exclu du bénéfice des prestations sauf s’il peut établir qu’il avait une justification pour le faire.

[23] Il est bien établi qu’il existe une justification si, eu égard à l’ensemble des circonstances, selon la prépondérance des probabilités, le prestataire n’avait d’autre choix raisonnable que de quitter son emploi (White 2011 CAF 190, Macleod 2010 CAF 301, Imram 2008 CAF 17, Astronomo A-141-97, Tanguay A-1458-84). La liste des circonstances dressée à titre de justification à l’alinéa 29c) n’est ni restrictive ni exhaustive, mais indique le type de circonstances devant être prises en compte (Campeau 2006 CAF 376; Lessard 2002 CAF 469).

[24] Il incombe d’abord à la Commission de prouver que l’appelant a quitté son emploi volontairement; une fois que c’est fait, il incombe à l’appelant de prouver qu’il était fondé à quitter son emploi (White, (précité); Patel A-274-09).

[25] Le Tribunal conclut que l’appelant a quitté volontairement son emploi chez 3 Woods. Il est incontesté que l’appelant a pris l’initiative de rompre le lien d’emploi lorsqu’il a quitté son emploi le 17 juillet 2015 alors que l’employeur avait encore du travail pour lui.

[26] Il y a alors renversement du fardeau de la preuve. C’est à l’appelant de prouver qu’il n’avait d’autre choix raisonnable que de quitter son emploi quand il l’a fait (White, (précité), Patel, (précité)).

[27] Le Tribunal doit prendre en compte le critère énoncé aux articles 29 et 30 de la Loi et les circonstances mentionnées à l’alinéa 29c) de la Loi et déterminer si l’une ou l’autre de ces circonstances était présente quand l’appelant a quitté son emploi. Ces circonstances doivent être évaluées telles qu’elles étaient à cette date (Lamonde A-566-04), soit celle de son départ volontaire, le 17 juillet 2015.

[28] Il n’est pas essentiel que l’appelant cadre avec précision dans l’un des facteurs énumérés à l’alinéa 29c) de la Loi pour que l’on conclue à l’existence d’une justification. Le critère approprié consiste à déterminer, selon la prépondérance des probabilités, si l’appelant n’avait pas de choix raisonnable autre que de quitter son emploi, compte tenu de l’ensemble des circonstances, notamment celles qui figurent aux sous-alinéas 29c)(i) à (xiv) de la Loi (Canada (Procureur général) c. Landry (1993) 2 C.C.E.L. (2d) 92 (CAF)).

[29] L’alinéa 29c)(vii) de la Loi prévoit qu’une modification importante des conditions salariales constitue l’une des circonstances à prendre en compte pour déterminer si l’appelant n’avait d’autre choix raisonnable que de quitter son emploi et donc s’il était justifié de quitter volontairement un emploi. Pour les motifs énoncés ci-après, le Tribunal conclut à l’existence de ces circonstances pour l’appelant.

[30] Le Tribunal a d’abord pris en compte les déclarations diverses de l’appelant à la Commission et celles qui se trouvent dans son témoignage à l’audience sur son sentiment d’avoir été contraint à utiliser son propre véhicule dans le cadre de son emploi. Le Tribunal a ensuite tenu compte de l’observation de la Commission selon laquelle l’appelant s’est porté volontaire pour utiliser son véhicule pour le travail et a été dédommagé par l’employeur. Bien que l’agent de la Commission ait consigné que le propriétaire a déclaré que la fourgonnette de la compagnie a subi un bris et qu’il a dit à l’appelant qu’il devrait le mettre à pied, ce à quoi l’appelant a répondu en offrant d’utiliser son propre véhicule (GD3-20), l’employeur n’a soumis aucune preuve que l’appelant a été dédommagé pour l’utilisation de son véhicule.

[31] Le Tribunal privilégie le témoignage de l’appelant sur l’utilisation de son propre véhicule parce que son témoignage était franc, direct, détaillé et cohérent avec ses déclarations à la Commission (GD3-28).  Le Tribunal accepte que le témoignage de l’appelant en lien avec la panne de la fourgonnette de la compagnie et l’utilisation de son propre véhicule est complètement crédible et conclut que :

  1. a) L’appelant avait notamment comme condition d’emploi de pouvoir utiliser la fourgonnette de la compagnie pour répondre aux appels de service.
  2. b) L’appelant s’est servi de la fourgonnette de la compagnie au cours des trois premiers mois de son emploi et était alors entièrement remboursé par l’employeur lorsqu’il mettait de l’essence dans la fourgonnette.
  3. c) Quand la fourgonnette de la compagnie a subi un bris, l’appelant a offert d’utiliser son propre véhicule pendant une courte période, ce qui d’après les représentations du propriétaire devait correspondre à seulement une (1) semaine, soit le temps prévu pour la réparation de la fourgonnette de la compagnie.
  4. d) Dans les faits, l’appelant a fini par utiliser son propre véhicule dans le cadre de son travail pendant une période d’au moins six (6) semaines, au cours desquelles aucune démarche n’a été faite pour faire réparer la fourgonnette de la compagnie ou pour en acquérir une nouvelle.
  5. e) Le seul dédommagement de l’appelant à cet égard a été le paiement d’une heure de salaire de plus par jour, soit 23 $, ce qui n’était même pas proche de couvrir les frais engagés par l’appelant pour l’essence, l’entretien, ou l’usure de son véhicule.
  6. f) L’utilisation de son propre véhicule au cours de son emploi pendant au moins six (6) semaines a fait en sorte que l’appelant a subi des pertes financières importantes à cause de son emploi, ce qui a réduit directement et considérablement sa rémunération pour cet emploi.

[32] Le Tribunal conclut que l’omission constante par l’employeur de fournir une fourgonnette de la compagnie à l’appelant (après la semaine de réparations prévue) constituait une modification importante des conditions d’emploi de l’appelant. Le Tribunal conclut en outre que le défaut de l’employeur de rembourser complètement à l’appelant les frais qu’il a engagé pour utiliser son véhicule dans le cadre de son emploi (lui occasionnant des pertes financières importantes en raison de cet emploi) représentait une modification importante des conditions salariales de l’appelant au sens du sous-alinéa 29c)(vii) de la Loi.

[33] L’analyse du Tribunal bénéficie du soutien de la Cour d’appel fédérale qui affirme le principe général selon lequel lorsque les conditions d’emploi sont modifiées considérablement, un prestataire sera justifié de quitter son poste : Lapointe c. C.E.I.C. A-133-95.

[34] L’analyse du Tribunal bénéficie également du soutien de la jurisprudence abondante qui a jugé qu’un prestataire a une justification si l’employeur a agi unilatéralement de manière à modifier fondamentalement les conditions d’emploi telles qu’elles existaient avant la cessation d’emploi (CUB 18960, 18009, 17495, 26973 (confirmées par la décision Lapointe, précitée)). De même, le refus de respecter les conditions d’emploi rend inappropriée l’exclusion du bénéfice des prestations pour avoir quitté un emploi sans justification (CUB 17491); et il a été jugé que le fait de nier le salaire à verser équivaut à une exploitation injuste, à une tromperie ou à un congédiement injustifié d’un prestataire et à fournir une justification pour quitter un emploi  (CUB 12252, 12402, 23480).

[35] L’utilisation d’une fourgonnette de la compagnie était une condition d’emploi de l’appelant chez 3 Woods et, par extension, l’appelant n’était jamais censé subir des pertes financières en raison de frais associés à des déplacements pour des appels de service dans le cadre de son emploi (comme en fait foi le remboursement complet effectué lorsque l’appelant payait pour mettre de l’essence dans la fourgonnette de la compagnie). L’employeur et l’appelant ont fonctionné dans ces conditions au cours des trois premiers mois de l’emploi de l’appelant chez 3 Woods. La fourgonnette de la compagnie a alors subi un bris et, confronté à la possibilité de ne pas travailler (et donc de ne toucher aucun revenu), l’appelant a offert d’utiliser son propre véhicule pendant une courte période au cours de la réparation. Le propriétaire a accepté l’offre de l’appelant, lui a dit que ce serait seulement pendant une semaine et qu’il pouvait lui verser seulement 23 $ par jour en raison de ses dépenses de réparation de la fourgonnette de la compagnie. Au mieux, c’était une variation brève et temporaire des conditions d’emploi de l’appelant. Il ne s’agissait aucunement d’une renégociation des conditions ni d’une entente modifiée sur les conditions pour l’avenir.

[36] L’employeur n’a pris aucune mesure pour faire réparer la fourgonnette ou pour fournir un autre véhicule de compagnie. Il s’est plutôt excusé et a fait en sorte que l’appelant utilise son véhicule pendant au moins six (6) semaines jusqu’à ce qu’il quitte finalement son emploi. Comme l’accusation explosive de l’employeur l’a démontré lors de l’incident final (à savoir que l’appelant ne voulait pas utiliser sa propre essence, ce qui coûtait de l’argent au propriétaire), cette situation se justifie du fait que l’employeur était plutôt heureux que l’appelant utilise sa propre camionnette sur des distances variant entre 75 et 200 km par jour pour servir les clients de l’employeur alors que l’appelant payait l’essence, les réparations et les frais d’usure (sans parler des coûts d’assurance du véhicule), tandis que l’employeur évitait de payer la réparation de la fourgonnette de la compagnie ou d’en acheter une autre (et épargnait également les frais d’assurance). En outre, l’employeur effectuait seulement un paiement nominal pour les dépenses liées au véhicule de l’appelant. Toutefois, un employé n’est pas tenu de prendre en charge ou de subventionner les affaires d’un propriétaire, et c’est exactement ce qui se produisait dans le cas de l’appelant.

[37] Le Tribunal estime que le défaut de l’employeur de remplacer le véhicule de compagnie pour permettre à l’appelant de l’utiliser et le défaut de l’employeur de rembourser adéquatement à l’appelant les frais qu’il a engagé en utilisant son propre véhicule dans le cadre de son emploi sont de l’exploitation et font en sorte que l’appelant était justifié de quitter son emploi chez 3 Woods.

[38] De plus, comme le propriétaire a reconnu un mois après que l’appelant ait commencé à utiliser son propre véhicule qu’il ne s’était pas donné la peine de faire réparer la fourgonnette de la compagnie ou d’en acheter une nouvelle, il est clair que le propriétaire était plutôt heureux de la situation telle qu’elle était et n’avait pas l’intention de fournir une fourgonnette de la compagnie ou de rembourser adéquatement à l’appelant ses frais d’utilisation de son propre véhicule. Le Tribunal conclut donc que le fait de continuer à travailler tout en cherchant un autre emploi n’aurait eu pour effet que d’entraîner pour l’appelant de plus grandes pertes financières pour l’utilisation de son véhicule dans le cadre de son emploi (peu ou pas de perspectives de remboursement) et ne constituait donc pas un choix raisonnable pour l’appelant.

Conclusion

[39] Compte tenu de l’ensemble des circonstances mentionnées précédemment, le Tribunal juge que l’appelant a prouvé qu’il n’avait d’autre choix raisonnable que de quitter son emploi chez 3 Woods le 17 juillet 2015. Le Tribunal conclut que l’appelant a prouvé qu’il était fondé à quitter volontairement son emploi chez 3 Woods et qu’il n’est donc pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi en vertu de l’article 30 de la Loi pour ce faire.

[40] L’appel est accueilli.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.