Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Introduction

[1] Le demandeur présente une demande de permission d’en appeler portant sur la décision rendue par la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal) le 9 avril 2015. La DG avait accueilli l’appel du défendeur relatif au fait que la Commission avait déterminé que les sommes reçues devaient être comprises dans la « rémunération » et le « revenu intégral » du défendeur conformément aux articles 35 et 36 du Règlement sur l’assurance-emploi (Règlement) et à la Loi sur l’assurance-emploi (Loi).

[2] Le demandeur a déposé une demande de permission d’en appeler (demande) devant la division d’appel du Tribunal le 30 avril 2015. La demande a été présentée dans le délai prescrit de 30 jours.

[3] Les motifs d’appel invoqués dans la demande veulent que la DG ait commis une erreur de droit et fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, et sont formulés comme suit :

  1. La DG a conclu que la somme versée au défendeur par le Fonds de la santé et de la sécurité du travail (FSST) était un règlement définitif d’une demande d’indemnité pour accident du travail;
  2. Les faits au dossier montrent que la somme reçue avait été versée pour pallier une perte de salaire;
  3. La Cour d’appel fédérale a établi de façon claire qu’une victime d’un accident du travail qui reçoit des prestations de remplacement du revenu pour une période limitée et que ces indemnités prennent fin, alors qu’elle est capable d’occuper un emploi semblable, ce revenu ne constitue pas un « règlement définitif d'indemnités d'accident du travail » aux termes du Règlement.
  4. Le défendeur a touché des prestations de remplacement du revenu durant une période limitée (du 4 décembre 2012 au 14 décembre 2013);
  5. La DG a erré quand elle s’est livrée à une interprétation fautive de l’alinéa 35(2)b) du Règlement.

Question en litige

[4] Le Tribunal doit déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès.

Droit applicable et analyse

[5] Voici ce que prescrivent les articles 35 et 36 du Règlement :

  1. a) « revenu » Tout revenu en espèces ou non que le prestataire reçoit ou recevra d’un employeur ou d’une autre personne, notamment un syndic de faillite : par. 35(1);
  2. b) […] la rémunération qu’il faut prendre en compte […] est le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi, notamment […] b) les indemnités que le prestataire a reçues ou recevra pour un accident du travail ou une maladie professionnelle, autres qu’une somme forfaitaire ou une pension versées par suite du règlement définitif d’une réclamation : par. 35(2);
  3. c) La partie du revenu que le prestataire tire de l’une ou l’autre des sources suivantes n’a pas valeur de rémunération aux fins mentionnées au paragraphe (2) : a) une pension d’invalidité ou une somme forfaitaire ou une pension versées par suite du règlement définitif d’une réclamation concernant un accident du travail ou une maladie professionnelle : par. 35(7);
  4. d) […] la rémunération du prestataire, déterminée conformément à l’article 35, est répartie sur un nombre donné de semaines […] et elle constitue […] la rémunération du prestataire pour ces semaines : par. 36(1);
  5. e) Les versements suivants sont répartis sur les semaines pour lesquelles ils sont payés ou payables : d) les indemnités pour un accident du travail ou une maladie professionnelle, autres qu’une somme forfaitaire ou une pension versées par suite du règlement définitif d’une réclamation : par. 36(12).

[6] Aux termes des paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), « il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission » et la division d’appel « accorde ou refuse cette permission ».

[7] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS prescrit que « la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ».

[8] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[9] Le Tribunal doit être convaincu que les motifs d’appel se rattachent à l’un ou l’autre des moyens d’appel énumérés. L’un de ces motifs au moins doit conférer à l’appel une chance raisonnable de succès pour que la permission d’en appeler puisse être accordée.

[10] Le Tribunal note que le défendeur était présent et qu’il a témoigné à l’audience devant la DG, mais que le demandeur a décidé de ne pas y participer.

[11] La DG devait déterminer si les sommes versées au défendeur pour sa demande au FSST constituaient une « rémunération » et un « revenu » et si ces sommes correspondaient à « une somme forfaitaire ou [à] une pension versées par suite du règlement définitif d’une réclamation concernant un accident du travail ou une maladie professionnelle » en vertu du Règlement et de la Loi.

[12] Voici ce qu’a indiqué la DG aux pages 11 à 17 de sa décision :

[Traduction]

[40]   Le Tribunal est d’accord avec la Commission que les sommes reçues de la part du FSST ont été versées pour pallier une perte de salaire puisque l’avis de paiement du FSST indique que les sommes ont été versées à titre d’ « Indemnité de remplacement de revenue [sic] » (GD3 - 15 à 17). L’appelant n’a pas semblé contester ce fait. Il a même indiqué dans son témoignage qu’une partie de la somme qu’il a reçue de la FSSST avait été réduite en raison d’une rémunération qu’il avait perçue pour certains des emplois qu’il avait essayés. En effet, cela est cohérent avec la note figurant à GD3-17 sur l’avis de paiement du FSST et les documents déposés par l’appelant à GD6.

[41] Par conséquent, le Tribunal juge que ses sommes semblent, à première vue, constituer une rémunération  d’après la première partie des alinéas 35(2)b) et 36(12)d) du Règlement et la définition large des termes « revenu » et « rémunération » se trouvant dans la loi et la jurisprudence (McLaughlin 2009 CAF 365).

[…]

[43] Cependant, le Tribunal estime qu’en examinant de plus près les termes employés aux alinéas 35(2)b) et 36(12)d) du Règlement, et ce conjointement à l’alinéa 35(7)a), il devient clair que les sommes que l’appelant a reçues du FSST sont exclues des définitions de « rémunération » et de « revenu » figurant au Règlement parce qu’elles correspondent à « une somme forfaitaire ou [à] une pension versées par suite du règlement définitif d’une réclamation concernant un accident du travail ou une maladie professionnelle » au sens donné à ces termes conformément à la Loi, au Règlement et à la jurisprudence.

[44] Le Tribunal juge que le libellé du paragraphe 35(7)a) est clair et non équivoque. Le Règlement a été conçu avec l’intention d’exclure la répartition des indemnités pour un accident du travail ou une maladie professionnelle, qui peuvent être décrites comme « une somme forfaitaire ou une pension versées par suite du règlement définitif d’une réclamation ». Cette intention est renforcée par le libellé des secondes parties des alinéas 35(2)b) et 36(12)d).

[…]

[49] Le Tribunal estime que quoique sa conclusion puisse sembler contredire la philosophie du paragraphe 35 du Règlement et, plus précisément, l’idée selon laquelle il faut tenir compte du revenu intégral d’un appelant aux fins de déduction et de répartition (McLaughlin 2009 CAF 365) et le principe voulant qu’il faille éviter une double compensation, les termes employés dans le Règlement sont clairs et la conclusion du Tribunal doit être conforme à l’intention du Règlement (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re),1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 RCS 27, au par. 21; Untel c. Ontario (Finances),2004 CSC 36; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2014 CSC 40; Picard, 2014 CAF 46; Abrahams c. Procureur général du Canada, 1983 CanLII 17 (CSC), [1983] RCS 2, à la page 10).

[…]

[54] En examinant les articles 35 et 36 du Règlement et la définition large des termes « revenu » et « rémunération » dans la loi et la jurisprudence, il ne fait aucun doute que l’évitement d’une double compensation est une fin accessoire de cette partie du Règlement (Walford, A-263-78). Cependant, plusieurs parties de la Loi et du Règlement ont été formulées par le législateur de façon à y insérer des exceptions pour une raison ou une autre, ou appuient des motifs stratégiques dans des cas exceptionnels et sont contraires aux autres principes et objectifs de la Loi. (Par exemple, le paragraphe 55(1) du Règlement, qui prescrit des exceptions claires à l’interdiction générale de se trouver à l’étranger, énoncée à l’alinéa 37b) de la Loi (Elyoumni 2013 CAF 151; Picard 2014 CAF 46)).

[55] Le Tribunal ne connaît pas le fondement stratégique de l’exclusion prescrite à l’alinéa 35(7)a). Cependant, elle s’expliquerait possiblement par le fait qu’une compensation définie comme un « règlement définitif » permet de satisfaire à un objectif d’efficacité administrative et de rendre les prestations disponibles rapidement puisqu’elle peut être définie et classifiée aisément et réputée comme n’étant pas sujette à répartition de manière plutôt définitive (Abrahams c. Procureur général du Canada, 1983 CanLII 17 (CSC), [1983] RCS 2; Picard,2014 CAF 46).

[56]   Si le fondement de ses exclusions n’est pas évident, il est cependant clair qu’il existait l’intention d’exclure ces types de versements même s’ils pouvaient autrement correspondre à un revenu ou à une rémunération. Le Tribunal note, entre parenthèses, que son interprétation et son application du Règlement semblent être cohérentes avec le chapitre 5.4.0 du Guide de la détermination de l’admissibilité (ce guide ne lie pas le Tribunal et guide la Commission (Picard,2014 CAF 46)). L’extrait du guide ci-dessous suggère que la majorité des paiements versés par des commissions des accidents du travail constituent une rémunération, que seules les sommes forfaitaires ou les pensions versées par suite du règlement définitif d'une réclamation concernant un accident de travail ou une maladie professionnelle sont explicitement exclues, et que les « sommes » versées par les commissions des accidents du travail à titre de sommes forfaitaires ou des pensions versées par suite du règlement définitif d'une réclamation concernant un accident de travail ou une maladie professionnelle afin d'indemniser un prestataire pour la perte de revenu ne constituent pas une rémunération :

« Même si seules les sommes forfaitaires ou les pensions versées par suite du règlement définitif d'une réclamation concernant un accident de travail ou une maladie professionnelle sont explicitement exclues de la rémunération, ce ne sont pas toutes les indemnités versées par les commissions des accidents du travail qui constituent une rémunération. Aux fins des prestations, la rémunération ne correspond qu'aux sommes versées pour un travail ou à celles qui y sont assimilées. Les sommes versées par les commissions des accidents du travail afin d'indemniser un prestataire pour la perte de revenu due à une incapacité et qui ne représentent pas des sommes forfaitaires ou des pensions versées par suite du règlement définitif d'une réclamation entrent clairement dans cette catégorie. »

[13] La DG a également conclu, en l’espèce, que le versement était une somme forfaitaire versée par suite du règlement définitif d'une réclamation concernant un accident de travail ou une maladie professionnelle. Par conséquent, la DG a conclu que les sommes touchées par le défendeur étaient exclues des définitions de « rémunération » et de « revenu » du Règlement.

[14] D’après ces conclusions, la DG a accueilli l’appel interjeté par le défendeur.

[15] Quoique la DG a fait référence à Côté c. C.E.I.C. [1986], A.C.F. no 447, un arrêt de la Cour d’appel fédérale sur lequel la Commission a fondé la thèse voulant que la Commission a le pouvoir de déterminer que des prestations de maladie ou d’invalidité constituent une rémunération, elle a estimé que la décision de la Commission concernant ce qui constitue une rémunération doit être conforme à la Loi et au Règlement.

[16] Dans sa décision, la DG fait également référence à CUB74258, une décision sur laquelle s’est fondée la Commission et que celle-ci a distinguée de la présente affaire.

[17] La DG a également distingué d’autres affaires de la Cour d’appel fédérale et décisions CUB touchant les paragraphes 35(7) et 36(12) du Règlement et où les indemnités versées pour un accident du travail ou une maladie professionnelle étaient sujettes à des examens périodiques ou sur d’autres bases.

[18] Le demandeur mentionne la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale qui indique que lorsqu’une victime d’un accident du travail reçoit une prestation de remplacement de revenu pour une période limitée et que ces indemnités prennent fin, alors qu’elle est capable d’occuper un emploi semblable, ce revenu ne constitue pas un « règlement définitif d'indemnités d'accident du travail » aux termes du Règlement.

[19] Le demandeur fait valoir que le défendeur a touché une prestation de remplacement de revenu pour une période limitée et qu’il était capable d’occuper un emploi semblable à ce moment-là, et que, par conséquent, le revenu qu’il a touché ne constitue pas un « règlement définitif d'indemnités d'accident du travail », contrairement à ce qu’a conclu la DG. Ainsi, la décision de la DG contredit la jurisprudence ayant force exécutoire.

[20] Le demandeur soutient également qu’aucune preuve ne montre que les sommes aient été versées au défendeur après la signature d’une quittance. Il n’a pas été contesté que les sommes ont été versées pour pallier une perte de salaire. Par conséquent, le demandeur allègue que les sommes n’auraient pas pu constituer un « règlement définitif d'indemnités d'accident du travail ».

[21] Dans Canada (Procureur général) c. Vernon (1995), 189 N.R. 308 (CAF), la Cour d’appel fédérale fait observer que la définition de rémunération, dans le Règlement, est très générale et que, selon cette définition, la rémunération est simplement le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi. Le revenu est défini à son tour comme s’entendant de tout revenu en espèces ou non que le prestataire reçoit d’un employeur ou d’une autre personne. Vu cette formulation générale, c’est dans la jurisprudence qu’on doit tirer le sens spécifique de la rémunération.

[22] Il faut également tenir compte de la jurisprudence relative aux paragraphes 35(7) et 36(12) du Règlement.

[23] Étant donné les circonstances, il faudra procéder à un examen plus approfondi pour déterminer si la DG a commis une erreur de droit ou une erreur de fait et de droit dans sa décision.

[24] Bien qu’un demandeur n’est pas tenu de prouver les moyens d’appel aux fins d’une demande de permission d’en appeler, il doit à tout le moins énoncer certains motifs qui se rattachent aux moyens d’appel énumérés. En l’espèce, le demandeur a énoncé des moyens et des motifs d’appel qui relèvent des moyens d’appel énumérés.

[25] Je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès sur le moyen voulant qu’il puisse y avoir une erreur mixte de fait et de droit.

Conclusion

[26] La demande est accueillie.

[27] La présente décision qui accorde la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

[28] J’invite les parties à présenter des observations écrites sur la pertinence de tenir une audience et, si une audience s’avère nécessaire, sur le mode d’audience préférable, et à présenter également leurs observations sur le bien-fondé de l’appel.

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