Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Introduction

[1] Le 10 mars 2016, la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal) a rejeté l'appel du demandeur à l'encontre de la décision de la Commission de l'assurance-emploi du Canada (Commission). La Commission a jugé la demanderesse inadmissible aux prestations à la suite d’une demande de prestations déposée en juillet 2015, la Commission ayant déterminé qu’elle avait perdu son emploi en raison de son inconduite. La demanderesse a interjeté appel devant la DG du Tribunal.

[2] La demanderesse et son représentant ont participé à l’audience devant la DG, laquelle a été tenue par téléconférence le 10 mars 2016. La défenderesse ne s’y est pas présentée.

[3] La DG a déterminé que :

  1. La demanderesse était crédible, ouverte et cohérente dans ses commentaires et réponses aux questions;
  2. La demanderesse n'a pas volontairement enfreint la politique du bureau propre de l'employeur, c'était plutôt une erreur;
  3. Les agissements de la demanderesse n'étaient pas délibérés;
  4. Les agissements de la demanderesse étaient volontaires puisqu'ils constituaient un manquement à sa responsabilité envers le maintien de la politique du bureau propre et puisqu'elle fut la dernière à partir;
  5. Il y a donc inconduite lorsque la conduite du prestataire est délibérée, c’est-à-dire que les actes qui ont mené au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels;
  6. Il y a inconduite lorsque le demandeur savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur, de sorte qu’il était réellement possible qu’il soit congédié;
  7. La demanderesse a perdu son emploi à la suite de son inconduite, en vertu du paragraphe 30(1) de la Loi sur l'assurance-emploi.

[4] La DG a rejeté l’appel d’après ces conclusions.

[5] La demanderesse a présenté une demande de permission d’en appeler (demande) à la division d’appel (DA) du Tribunal le 18 avril 2016. La demande indiquait que la demanderesse a reçu la décision de la DG le 16 mars 2016.

Question en litige

[6] La demande a-t-elle été reçue dans le délai de 30 jours prévu?

[7] Sinon, déterminer si une prorogation du délai doit être accordée.

[8] L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès ?

Droit applicable et analyse

[9] Aux termes de l'alinéa 57(1)a) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), la demande de permission d’en appeler doit être présentée à la DA dans les 30 jours suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision qu’il entend contester.

[10] Aux termes des paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le MEDS, « il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission » et la division d’appel « accorde ou refuse cette permission ».

[11] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS prescrit que « la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. »

[12] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

La demande a-t-elle été déposée dans le délai de 30 jours?

[13] La demande a été présentée le 18 avril 2016. La décision de la DG, accompagnée d'une lettre datée du 11 mars 2016, fut envoyée à la demanderesse qui l'a reçue le 16 mars 2016.

[14] Si l’on compte trente jours après le 16 mars 2016, on arrive au 15 avril 2016, ce qui était un samedi. Par conséquent, la période de 30 jours s'est terminée le lundi 18 avril 2016. Alors la demande fut bel et bien déposée à l'intérieur du délai prévu de 30 jours.

[15] Il n'est donc pas nécessaire de déterminer si une prorogation du délai sera requise.

Permission d'en appeler

[16] Les moyens d'appel de la demanderesse sont les suivants : la DG a commis une erreur de droit en arrivant à sa décision puisqu'elle n'a pas utilisé le critère juridique pertinent pour inconduite, et, le membre de la DG n’a pas fait preuve d’impartialité. Son représentant a fourni huit pages d'observations qui appuient ces moyens d'appel. Ils peuvent être résumés ainsi :

  1. La DG n'a pas appliqué le critère approprié en ce qui a trait à l'inconduite en concluant que la demanderesse était crédible et que ses agissements n'étaient pas intentionnels, et d'un autre côté, elle a conclu que la demanderesse avait agi de façon volontaire;
  2. Dans l'arrêt Mishibinijima c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 36, auquel la DG s'est référée, a défini le terme volontaire comme « conscients, voulus ou intentionnels », la conduite de la demanderesse ne pouvait être volontaire puisqu'il fut déterminé que ses agissements n'étaient pas intentionnels ou délibérés, mais qu'il s'agissait d'une erreur, et son témoignage était crédible;
  3. L'arrêt Mishibinijima était distinct en raison des faits;
  4. La DG n'a pas considéré toutes les parties du critère juridique pour inconduite, mais elle aurait du :
    1. Déterminer la nature de la conduite identifiée comme une inconduite alléguée;
    2. Déterminer si l'inconduite dont on accuse la demanderesse était en fait une inconduite;
    3. Et si elle l'était, est-ce que l'inconduite a mené à la perte d'emploi de la demanderesse?
  5. La DG ne s'est pas concentrée sur les parties (i) et (iii) uniquement à la partie (ii);
  6. Le fardeau revient à la Commission ou à l'employeur de prouver que la conduite de la demanderesse était bien de l'inconduite, mais il n'y a aucun élément de preuve de l'employeur qui décrit ou explique en détail le dernier incident allégué comme étant de l'inconduite;
  7. Le seul élément de preuve au sujet du dernier incident était le témoignage de la demanderesse à l'audience, qui n'a pas été réfuté et lequel fut déterminé par la DG comme crédible et cohérent;
  8. La demanderesse a réfuté le fait que le dernier incident aurait été un manquement au maintien de la politique de bureau propre de l'employeur; et en tant que tel, il ne pouvait constituer une inconduite;
  9. La DG n'a pas considéré si la perte d'emploi de la demanderesse fut le résultat du dernier incident même si la demanderesse a fourni des éléments de preuve démontrant d'autres motifs pour lesquels elle fut congédiée;
  10. Le membre de la DG a fait des déclarations durant l'audience qui n’étaient pas impartiales et qui allaient à l'encontre de la demanderesse.

[17] Parmi les arguments précis de la demanderesse, beaucoup sont reliés à des conclusions de fait et au fait de soupeser des éléments de preuve. [23] Le rôle de la DG en tant que juge des faits consiste à soupeser la preuve et à tirer des conclusions en s'appuyant sur une appréciation de cette preuve. La DA ne juge pas des faits.

[18] À titre de membre de la division d’appel du Tribunal, dans le cadre d’une demande de permission d’en appeler, il ne m’appartient pas d’examiner et d’évaluer les éléments de preuve dont disposait la DG dans l’optique de remplacer les conclusions de fait qu’elle a tirées par mes propres conclusions. Mon rôle consiste à déterminer si l’appel a une chance raisonnable de succès sur la foi des raisons et motifs d’appel du demandeur.

Erreur de droit

[19] Aux pages 3 à 6, 7 et 8 de sa décision, la DG a invoqué les bonnes dispositions juridiques ainsi que la jurisprudence applicable pour considérer la question de l’inconduite.

[20] Pour ce qui est de l'inconduite, la DG s'est référée au critère énoncé dans l'arrêt Mishibinijima qui indique :

... il y a inconduite lorsque la conduite du prestataire est délibérée, c’est-à-dire que les actes qui ont mené au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels.

[21] La DG s'est également référée aux affaires Tucker A-381-85 et Locke c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 262 pour le principe :

... il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur, de sorte qu’il était réellement possible qu’il soit congédié.

[22] La DG a conclu que la demanderesse était crédible pendant l'audience et qu'elle était ouverte et cohérente au niveau de ses commentaires et réponses aux questions. Elle a accepté qu'elle n'avait pas volontairement enfreint la politique du bureau propre, mais qu'il s'agissait plutôt d'une erreur. Je juge que ses agissements n'étaient pas intentionnels. Toutefois, la DG a déterminé que ses agissements étaient volontaires puisqu'elle savait ou aurait du savoir que le fait d'enfreindre la politique du bureau propre de l'employeur constituait un manquement à son obligation envers l'employeur, et qu'il aurait pu mener à son congédiement (voir les paragraphes 33 à 36 de la décision de la DG).

[23] Il semble que la DG a énoncé deux critères juridiques pour l'inconduite et qu'elle a mis en application le principe provenant des affaires Tucker et Locke plutôt que le critère qu'elle a retenu de l'affaire Mishibinijima.

[24] Étant donné que la DG a jugé que la conduite de la demanderesse n'était ni volontaire ni intentionnelle et que son témoignage était crédible, il est curieux que la DG a conclu que sa conduite était volontaire à la lumière de la définition de « volontaire » dans l'affaire Mishibinijima.

[25] Dans les circonstances, il me faut examiner de façon plus approfondie si la DG a erré en droit en rendant sa décision.

Justice naturelle : impartialité

[26] Tout appelant a droit à une audience équitable où il a pleinement l’occasion de présenter son cas à un décideur impartial Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1999) 2 RCS 817, aux paragraphes [21] - [22].

[27] En l'espèce, la demanderesse conteste le fait que la DG n'a pas agi de façon impartiale, mais que le membre de la DG a plutôt agi de façon partiale. En particulier, la demanderesse mentionne le traitement du membre au sujet de la question de savoir si la demanderesse fut congédiée en raison de son inconduite ou s’il y avait une autre raison expliquant son congédiement.

[28] La demanderesse se réfère à des moments au cours de l'audience où le membre de la DG aurait prétendument déclaré :

  1. a) « ... l'employeur, ce qu'il a fait et n'a pas fait, autre que le fait de l'avoir congédiée, devient non pertinent au processus décisionnel »;
  2. b) « ... elle a évidemment fait quelque chose puisqu'elle a perdu son emploi »;
  3. c) « ... il ne semble pas y avoir d'élément de preuve qui démontre qu'elle fut congédiée pour d'autres motifs ».

[29] Le représentant de la demanderesse fait valoir que l'employeur pourrait l'avoir congédiée pour éviter un paiement en vertu de la Loi sur les normes d'emploi ou un paiement pour cessation d'emploi sans justification en vertu de principes de droit généraux, pour un environnement de travail hostile, ou pour d'autres motifs.

[30] Dans l’affaire Arthur c. Canada (Procureur général), (2001) CAF 223, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’une allégation de partialité ou de préjugé portée à l’encontre d’un tribunal est une allégation sérieuse. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. L’obligation d’agir équitablement comporte deux volets, soit le droit d’être entendu et le droit à une audition impartiale.

[31] Même en considérant les affirmations de la demanderesse comme prouvées - selon lesquelles le membre de la DG a fait des déclarations qui auraient prétendument eu lieu au cours de l'audience - elles sont insuffisantes pour démontrer que la DG n’a pas fait preuve d’impartialité ou qu'elle a fait preuve de préjugés.

[32] Bien qu’un demandeur ne soit pas tenu de prouver les moyens d’appel aux fins d’une demande de permission d’en appeler, il doit à tout le moins énoncer certains motifs qui font partie des moyens d’appel énumérés. En l’espèce, la demanderesse a énoncé des motifs d’appel qui relèvent des moyens d’appel énumérés.

[33] Au motif qu’une erreur de droit a pu être commise, je suis convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

[34] En ce qui a trait aux autres motifs affirmés par la demanderesse, l'appel n'a aucune chance raisonnable de succès.

Conclusion

[35] La demande est accordée, mais limitée à l'alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS.

[36] Cette décision donnant la permission d’interjeter appel ne présume pas du résultat de l’appel sur le fond de l’affaire.

[37] J’invite les parties à présenter des observations écrites sur la pertinence de tenir une audience et, si elles jugent qu’une audience est appropriée, sur le mode d’audience préférable, et à présenter également leurs observations sur le bien-fondé de l’appel.

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