Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Introduction

[2] Le 3 juin 2015, la division générale du Tribunal a déterminé ceci :

  • L'appelant avait reçu des prestations parentales conformément à l’article 23 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi). Les prestations parentales ont été versées pendant la période visée de 52 semaines conformément au paragraphe 23(2) de la Loi. L'appelant ne satisfaisait pas aux exigences de l’exception pour bénéficier d’une prolongation ou d’un report de la période de prestations en vertu du paragraphe 23(3) de la Loi, puisque l’enfant n’avait pas été hospitalisé.

[3] L’appelant a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel le 2 juillet 2015. La permission d’en appeler a été accordée par la division d’appel en date du 12 janvier 2016.

Mode d’audience

[4] Le Tribunal a tenu une audience par téléphone pour les raisons suivantes :

  • La complexité de la question en litige portée en appel;
  • Le fait que l’on ne prévoit pas que la crédibilité des parties figure au nombre des questions principales;
  • Les renseignements figurant au dossier et le besoin de renseignements supplémentaires;
  • Le besoin, en vertu du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, de veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[5] Lors de l’audience, l’appelant était présent et représenté par James Struthers. L’intimée était représentée par Carole Vary.

Droit applicable

[6] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) prévoit que les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Questions en litige

[7] Le Tribunal doit décider des questions en litige suivantes :

  1. Est-ce que la division générale a refusé d'exercer sa compétence en ce qui a trait à une question reliée à la Charte canadienne des droits et libertés (Charte)?
  2. Sinon, est-ce que l'appelant peut soulever une question reliée à la Charte pour la première fois devant la division d'appel?

Arguments

[8] L’appelant fait valoir les arguments suivants à l’appui de son appel :

  • Le principe énoncé clairement à l’article 23 de la Loi sur l’AE veut que, si le parent ne peut prendre son enfant à sa naissance pour une raison légitime (attente d’adoption, séjour à l’hôpital ou si le parent est parti à la guerre), la période visée ne débute que lorsque le parent prend effectivement son enfant.
  • Plutôt que de refléter ce principe, la Loi ne permet que trois choses, toute autre situation est exclue, ce qui est injuste et discriminatoire pour ceux qui échappent à la règle.
  • Le Tribunal a reçu un avis selon lequel le demandeur avait l’intention de contester la validité constitutionnelle des paragraphes 23 (1) et (2) de la Loi, qu’il juge discriminatoire et contraire au paragraphe 15(1) de la Charte, en particulier ence qui a trait au droit aux mêmes protection et prestation que prévues dans la loi, et le droit à des mesures de redressement selon le paragraphe 24 (1) de la Charteet selon la partie VII, paragraphe 52 (1) de la Loi constitutionnelle de 1982;
  • Le but des prestations parentales est de permettre aux parents de prendre soin et de tisser des liens avec leur enfant. Selon les dispositions des paragraphes 23(1) et (2) de la Loi, les parents biologiques sont inutilement traités de façon différente si leur enfant n'est pas placé sous leur garde à la naissance, ce qui en vient à de la discrimination;
  • Même s'il n'a pas directement soulevé la question reliée à la Charte à l'audience devant la division générale, il n'a pas indirectement soulevé la question de discrimination;
  • Le représentant de l'appelant accepte totalement la responsabilité de son omission à soulever directement à la division générale la question reliée à la Charte et par conséquent, l'appelant n'a pas eu droit à une audience juste et à l'occasion de présenter son cas de façon complète. La réparation appropriée dans ces circonstances est de renvoyer cette affaire à la division générale pour qu’elle prenne une nouvelle décision au sujet de l'argument relié à la Charte;
  • Si la division d'appel n'a pas la compétence pour instruire une question reliée à la Charte pour la première fois, le dossier devrait être renvoyé à la division générale.

[9] L’intimée soumet les motifs suivants à l’encontre de l’appel :

  • Les arguments reliés à la Charte ne devraient pas être soulevés pour la première fois lors d'un appel devant la division d'appel;
  • La question de discrimination n'apparaît pas dans les observations écrites de l'appelant et de l'intimée présentées à la division générale;
  • Le 2 juillet 2015, l’appelant a déposé devant la division d'appel une demande pour interjeter appel de la décision de la division générale. Cette demande fut considérée par la division d'appel comme étant une demande de permission d'en appeler. Les observations écrites de l'appelant contenaient la phrase suivante « toute autre situation est exclue ce qui est réellement injuste et discriminatoire envers toute personne ne répondant pas à ces critères »;
  • Bien qu'il y ait de la jurisprudence qui suggère qu'un argument constitutionnel pourrait être soulevé pour la première fois en appel et non à la première instance, il est rare que les circonstances dans lesquelles ceci est autorisé s’y prêtent. La compétence d'une cour pour le faire n'est pas exercée de façon routinière ou légère;
  • Lorsque la question en litige n’a pas été correctement soulevée dans le cadre des instances antérieures, elle relève du pouvoir discrétionnaire de la cour, compte tenu de l’ensemble des circonstances, dont la teneur du dossier, l’équité envers toutes les parties, l’importance que la question soit résolue par la cour, le fait que l’affaire se prête ou non à une décision et les intérêts de l’administration de la justice;
  • Le fondement de l'argument relié à la Charte invoqué par l'appelant devrait être appuyé par une preuve documentaire;
  • De plus, si la division d'appel devait conclure à un manquement envers la Charte, l'intimée subirait un préjudice du fait qu'elle n'a pas été en mesure de présenter des éléments de preuve auprès de la division générale voulant qu'il y ait bien eu manquement en vertu de l'article 1 de la Charte.

Norme de contrôle

[10] L’appelant n’a pas présenté d’observations concernant la norme de contrôle applicable.

[11] L'intimée déclare qu'un appel devant la division d'appel ne constitue pas un contrôle judiciaire, mais plutôt une révision circonscrite de la décision de la division générale. Les moyens de révision sont limités au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS - Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242. Les moyens de révisions sont limités au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS – Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242. Jean, 2015 FCA 242.

[12] Le Tribunal constate que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242, indique au paragraphe 19 de sa décision que lorsque la division d’appel agit « à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure ».

[13] La Cour d’appel fédérale poursuit en soulignant que, « non seulement la division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la division générale du Tribunal de la sécurité sociale et qu’elle n’est donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les ** offices fédéraux **, à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale ».

[14] La Cour termine en soulignant que lorsque la division d’appel « entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi ».

[15] Le mandat de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale décrit dans la décision Jean a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Maunder c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 274.

[16] À moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l'appel.

Analyse

[17] En l'espèce, l'appelant ne conteste plus la décision de la division générale et son interprétation de l'article 23 de la Loi, mais fait valoir que conformément à l'article 15 de la Charte, son droit a été violé en tant que membre d'un groupe de personnes étant parents biologiques qui sont incapable de s'occuper de leurs enfants à la naissance.

[18] Par conséquent, les questions en litige devant le Tribunal sont comme suit :

  1. Est-ce que la division générale a refusé d'exercer sa compétence en ce qui a trait à une question reliée à la Charte?
  2. Sinon, est-ce que l'appelant peut soulever une question reliée à la Charte pour la première fois en appel?

Est-ce que la division générale refuse d'exercer sa compétence au sujet d'une question reliée à la Charte?

[19] Le Tribunal a demandé une copie de l'enregistrement de l'audience devant la division générale pour pouvoir vérifier si la division générale avait refusé d'exercer sa compétence en ce qui a trait à la Charte.  Malheureusement, le Tribunal fut avisé par la division générale que l'enregistrement n'était pas disponible. Les parties furent informées de la situation et invitées à déposer des observations supplémentaires avant le 10 juin 2016. Le Tribunal a reçu des observations supplémentaires des deux parties et les a examinées.

[20] Devant la division générale, l'appelant a vigoureusement fait valoir que la question fondamentale était le placement de l'enfant dans une famille d'accueil spécialisée était similaire au besoin d'être hospitalisé et que l'article 23 de la Loi devrait être interprété de façon plus libérale pour comprendre les circonstances exceptionnelles telles que celles vécues par l'appelant.

[21] Lorsque le Tribunal lui a demandé s'il avait soulevé une question reliée à la Charte devant la division générale, le représentant a déclaré à plus d'une occasion qu'il n'avait pas soulevé de question reliée à la Charte devant la division générale et que s'il avait su à ce moment qu'il pouvait le faire, il l'aurait fait. À ce moment, il n'était pas au courant qu'il pouvait argumenter un manquement à l'article 15 de la Charte, mais il a fait valoir qu'il l'avait fait de façon indirecte en déclarant que l'appelant avait été traité différemment et non comme un parent adoptif ou militaire.

[22] Malheureusement pour l'appelant, le Tribunal n'est pas convaincu des déclarations susmentionnées selon lesquelles la question reliée à la Charte avait probablement été soulevée devant la division générale et que cette dernière a refusé d'exercer sa compétence.

Est-ce que l'appelant peut soulever une question reliée à la Charte pour la première fois en appel?

[23] Suivant le principe général, sauf en cas d’urgence, les questions constitutionnelles ne peuvent être soulevées pour la première fois devant la juridiction de révision si le décideur administratif avait le pouvoir et la possibilité pratique de les trancher  - Erasmo c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 129.

[24] Aucun doute ne persiste à savoir que la division générale avait le pouvoir et la possibilité pratique de trancher la question constitutionnelle en l'espèce. Le Tribunal conclut qu'il n'y a aucune urgence dans la présente affaire, comme il est indiqué dans la jurisprudence, qui justifierait une dérogation au principe général.

[25] Aux paragraphes 38 à 40 de l'affaire Okwuobi c. Commission scolaire Lester-B.-Pearson; Casimir c. Québec (Procureur général); Zorrilla c. Québec (Procureur général), [2005] 1 RCS 257, 2005 CSC 16, la Cour suprême du Canada a fortement confirmé que les questions constitutionnelles devaient d'abord être déposées devant une entité administrative qui a la compétence pour les instruire. Comme, en l'espèce, une entité administrative peut instruire et rendre des décisions sur des questions de nature constitutionnelles, que la compétence ne devrait pas être court-circuitée en soulevant la question de nature constitutionnelle pour la première fois en appel.

[26] Le Tribunal est également d'avis que la preuve documentaire aurait dû être soumise à la division générale puisqu’elle représente l'endroit où il convient de présenter des fondements factuels pour de tels arguments. En ce faisant, le procureur général aurait eu l'occasion de contribuer au dossier factuel sans causer de préjudice à ni l'une ni l'autre des parties.

[27] En opposition aux observations de l'appelant, le Tribunal conclut que la preuve documentaire devant la division d'appel est tout simplement insuffisante pour rendre une décision en ce qui a trait à une question en vertu de l'article 15 de la Charte.

Conclusion

[28] Puisque cet appel repose uniquement sur une question reliée à la Charte, l'appel est rejeté.

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