Assurance-emploi (AE)

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Motifs et décision

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Introduction

[2] En date du 7 février 2014, la division générale du Tribunal a conclu que l’appelant avait quitté volontairement son emploi sans motif valable aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »).

[3] L’appelant a déposé une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel en date du 24 février 2014. Permission d’en appeler a été accordée le 23 mars 2015.

Mode d'audience

[4] Le Tribunal a déterminé que l’audience de cet appel procéderait par téléconférence pour les raisons suivantes :

  • la complexité de la ou des questions en litige;
  • du fait que la crédibilité des parties ne figurait pas au nombre des questions principales;
  • L’information au dossier, y compris la nécessité d’obtenir des informations supplémentaires;
  • de la nécessité de procéder de la façon la plus informelle et rapide possible tout en respectant les règles de justice naturelle.

[5] Lors de l’audience, l’appelant était absent mais représenté par Jessie Caron. L’intimée était représentée par Julie Meilleur.

La loi

[6] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) la division générale a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) la division générale a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[7] Le Tribunal doit décider si la division générale a erré en fait et en droit en concluant que l’appelant avait quitté volontairement son emploi sans justification aux termes des articles 29 et 30 de la Loi.

Arguments

[8] L’appelant soumet les motifs suivants au soutien de son appel:

  • Il a été congédié après avoir légitimement soulevé une situation assimilable a du harcèlement au travail;
  • II n'a pas choisi de quitter son emploi; il a quitté le chantier sur l'invitation insistante de son superviseur;
  • C'est son employeur qui a conclu à son départ volontaire et rompu la relation d'emploi. La division générale, comme l’intimée avant elle, a ignoré tous les éléments factuels pertinents à l'établissement de ce fait;
  • Avant de s'attarder aux « justifications » au sens de la Loi, il faut d'abord et avant tout décider si l’appelant a volontairement quitté son emploi;
  • La division générale a erré en droit en omettant de disposer de la question de la qualification de la fin d'emploi avant toute chose, puis a utilisé les mauvais faits et s'est par la suite appuyée sur des spéculations pour conclure au départ volontaire de l’appelant, tout en ignorant les éléments de faits probants et déterminants qui lui permettaient de conclure au contraire;
  • En statuant que l’appelant avait volontairement quitté son emploi, la division générale a rendu une décision déraisonnable;
  • L’appelant ayant été congédié, l’intimée avait le fardeau de prouver qu’il l'avait été en raison de son inconduite. Ceci n'ayant pas été fait, il y a lieu pour la division d’appel de déclarer l’appelant admissible aux prestations d'assurance-emploi;
  • L’appelant n'a pas quitté volontairement son emploi sans justification et il a droit aux prestations prévues par la Loi.

[9] L’intimée soumet les motifs suivants à l’encontre de l’appel de l’appelant:

  • La division générale n’a pas erré ni en droit ni en fait et elle a correctement exercé sa compétence;
  • L’appelant était présent et a pu donner sa version des faits. La division générale a rendu une décision relevant de sa compétence et la décision n’est manifestement pas déraisonnable à la lumière des éléments pertinents de la preuve;
  • Pour savoir si un prestataire est fondé à quitter son emploi, il faut se demander si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ constituait, selon la prépondérance des probabilités, la seule solution raisonnable dans son cas;
  • Dans cette affaire, l’appelant n’était pas fondé à quitter son emploi. Il aurait pu demander la permission à son superviseur pour s’absenter quelques jours afin d’aller rencontrer le patron directement en personne à 6 -7 heures de son lieu de travail au lieu de prendre la décision de quitter le chantier sur-le-champ par lui-même et sans permission. Il aurait pu contacter l’employeur par téléphone pour lui expliquer la situation et lui demander si un transfert de chantier était possible. Il aurait pu contacter son syndicat et déposer un grief contre son employeur s’il n’était pas satisfait de ses conditions de travail;
  • L’appelant a quitté le chantier après 4 jours de travail alors qu’il était inscrit pour travailler 10 jours de suite. L’employeur ne pouvait pas laisser le camion sans personne et a dû engager une autre personne vu qu’il est parti du chantier et ne s’est pas présenté à son poste de travail. L’employeur aurait pu évaluer un congédiement car il a quitté le chantier de travail sans permission mais a plutôt considéré la situation comme un départ volontaire;
  • Bien qu'un prestataire ait l'impression que les raisons de quitter son milieu de travail soient valables à cause des conditions de travail déplaisantes, cela n'est pas une justification au sens de la Loi;
  • L’appelant a soulevé un problème légitime à son employeur qui est arrivé à une seule occasion et qui ne lui était pas destiné directement en mentionnant qu’il n’aimait se faire parler de cette façon. L’employeur lui a répondu que s’il n’était pas content de s’en aller. Il ne lui a pas dit de partir et c’est lui qui a pris la décision de partir. Il aurait pu reprendre son poste et attendre de parler au grand patron ou à son syndicat pour régler le problème mais il a préféré quitter le chantier immédiatement;
  • Le Tribunal n’est pas habilité à juger de nouveau une affaire ni à substituer son pouvoir discrétionnaire à celui de la division générale. Les compétences du tribunal sont limitées par le paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS.
  • À moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'il ait erré en droit ou qu'il ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance et que cette décision est déraisonnable, le tribunal doit rejeter l'appel.
  • La division générale a bien évalué la preuve et sa décision est bien fondée.

Normes de contrôle

[10] L’appelant soumet que la question de déterminer ce qui constitue un congédiement est soumise à la norme de la décision correcte et que les questions de fait de même que les questions mixtes ne sont révisables que si elles sont déraisonnables.

[11] L’intimée soumet que l’interprétation du concept juridique de "motif valable " pour avoir volontairement quitté un emploi est une question de droit et la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. L’application du critère juridique aux faits de l’espèce est une question mixte de fait et de droit et la norme de contrôle est celle du caractère raisonnable. Canada (PG) c. Richard, 2009 CAF 122.

[12] Le Tribunal constate que la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (PG) c. Jean, 2015 CAF 242, mentionne au paragraphe 19 de sa décision que lorsque la division d’appel « agit à titre de tribunal administratif d’appel eu égard aux décisions rendues par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, la division d’appel n’exerce pas un pouvoir de surveillance de la nature de celui qu’exerce une cour supérieure ».

[13] La Cour d’appel fédérale poursuit en soulignant que « non seulement la division d’appel a-t-elle autant d’expertise que la division générale du Tribunal de la sécurité sociale et qu’elle n’est donc pas tenue de faire preuve de déférence, mais au surplus, un tribunal administratif d’appel ne saurait exercer un pouvoir de contrôle et de surveillance réservé aux cours supérieures provinciales ou, pour les « offices fédéraux », à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale ».

[14] La Cour d’appel fédérale termine en soulignant que « lorsque la division d’appel entend des appels conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l'Emploi et du Développement social, la division d’appel n’a d’autre mandat que celui qui lui est conféré par les articles 55 à 69 de cette loi ».

[15] Le mandat de la division d’appel du Tribunal décrit dans l’arrêt Jean a par la suite été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Maunder v. Canada (AG), 2015 FCA 274.

[16] En conséquence, à moins que la division générale n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'elle ait erré en droit ou qu'elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, le Tribunal doit rejeter l'appel.

Analyse

[17] Lorsqu’elle a rejeté l’appel de l’appelant, la division générale a conclu ce qui suit :

« [25] Dans ce cas, les faits démontrent que le prestataire n’a pas prouvé qu’il ait un motif valable pour quitter le chantier de travail et ne pas travailler. Le prestataire avoue qu’il a pris la décision de quitter le travail car il n’avait pas à endurer un superviseur qui ne pouvait pas lui parler avec allure.

[26] Tenant compte de tous les circonstances, il est évident que le prestataire a quitté les lieux de travail car il avait un conflit de personnalité avec un superviseur. La jurisprudence démontre que dans la plupart des cas, le prestataire a l'obligation de tenter de résoudre les conflits de travail avec l'employeur ou de démontrer qu'il a fait des efforts pour trouver un autre emploi avant de prendre la décision unilatérale de quitter son emploi (White 2011 CAF 190; Murugaiah 2008 CAF 10; Hernandez 2007 CAF 320; Campeau 2006 CAF 376).

[27] Le Tribunal est de l'avis que dans sa situation, le prestataire aurait dû demeurer au travail et que sa situation n'était pas si intolérable qu'il n'avait pas d'autre choix raisonnable que de quitter son emploi. S'il trouvait personnellement qu'il ne pouvait pas continuer de travailler dans une telle situation, le prestataire avait l'obligeance de se trouver un autre emploi avant de mettre fin à l'emploi qu'il avait. Il1 n'a tout simplement pas prouvé qu'il n'existe aucune autre solution raisonnable que de quitter son emploi. »

[18] L’appelant reproche vigoureusement à la division générale d’avoir conclu de la preuve qu’il y avait eu départ volontaire de sa part plutôt qu’un congédiement par l’employeur.  Il plaide qu’il n’a en aucun temps mis fin à son emploi.

[19] Il fonde essentiellement sa position sur les propos tenus par le contremaître le matin du 8 avril 2013, qui dit-il, laissent peu de place à l'interprétation. Plus spécifiquement, il réfère le Tribunal à la page AD1A-30 des transcriptions de l’audience devant la division générale qui mentionne ce qui suit :

« R : J'essaie de lui parler puis ce n'est pas mieux que la veille là. J'ai dit:

«C'est pas la manière de parler au monde ... »

j’ai dit . . .

« ... je m'en sacre de toi, fais ce que tu veux, je m'en calisse. Crisse ton camp, je veux pas te voir.»

C’est ça, c'est de même qu'il me parle, drette de même.

Q : Donc la, qu'est-ce que vous faites?

R : Bien c'est mon boss, il faudrait quand même qu'il me parle un peu là, ça n'a pas d'allure.

Q : Puis qu'est-ce que vous lui dites, comment vous, vous répondez à ça?

R : Bien, je dis:

«Je vais aller voir M. B. puis on va régler ça.»

Q :  Puis M. B., lui, il est où?

S : Amos.

Q : Puis comment il réagit, C. A., quand vous lui dites que vous allez aller voir M. B.?

R : Il s'en sacre :

«Fais ce que tu veux, je veux rien savoir, je m'en crisse.»

[20] Avec respect, le Tribunal ne voit aucunement dans cet échange une indication quelconque que c’est l’employeur qui met un terme à l’emploi de l’appelant. Au contraire, il ressort de la preuve que le contremaître ne veut visiblement pas discuter de la situation et laisse à l’appelant le choix de faire ce qu’il veut même après avoir été informé que ce dernier désirait porter l’affaire devant son supérieur.

[21] L’appelant plaide également qu’il n’a pas quitté son emploi mais qu’il a tout simplement quitté le chantier afin de tenter de régler la situation conflictuelle en discutant avec son superviseur. Or, l’appelant aurait très bien pu reprendre son poste et attendre de parler à son supérieur à la fin de son séjour de 10 jours ou il aurait pu communiquer avec lui ou avec son syndicat par téléphone. Il a préféré quitter le chantier immédiatement au lieu de travailler laissant ainsi l’employeur à court d’un chauffeur dans une région éloignée.

[22] La preuve devant la division générale ne démontre pas que les conditions d’emploi de l’appelant étaient si intolérables qu’il devait quitter son emploi immédiatement. Certes l’atmosphère était désagréable mais il n’y avait aucune urgence pour l’appelant de quitter le chantier. Au surplus, l’appelant n’a pas cherché un autre emploi avant de quitter son emploi.

[23] Il ressort donc clairement de la preuve devant la division générale que c’est l’appelant, et non l’employeur, qui a initié la perte de l’emploi car il a quitté son chantier de travail au lieu de travailler et son départ ne constituait pas la seule solution raisonnable.

[24] Même si le Tribunal devait considérer l’argument de l’appelant à l’effet qu’il a été congédié, il est bien établi dans la jurisprudence que lorsqu’un prestataire ne retourne pas à son poste de travail sans avoir préalablement obtenu l’autorisation de son employeur, cela constitue de l’inconduite au sens de la Loi. Il est manifeste pour le Tribunal que l’absence non autorisée de l’appelant sur le chantier a nui au bon fonctionnement de l’employeur et que ceci constitue de l’inconduite au sens de la Loi.

[25] La Cour d’appel fédérale a répété à maintes reprises qu'il est de l'essence même du régime d'assurance-emploi « que l'assuré ne crée pas ou n'accroisse pas délibérément le risque » - Smith c. Canada (PG),[1998] 1 RCF 529. L'appelant dans le présent dossier a manifestement créé le risque en s’absentant du chantier et il ne peut faire supporter au fonds d’assurance-emploi le poids économique de sa décision.

[26] Le Tribunal en vient à la conclusion que la décision de la division générale repose sur les éléments de preuve portés à sa connaissance, et qu’il s’agit d’une décision conforme aux dispositions législatives et à la jurisprudence.

[27] Rien ne justifie l’intervention du Tribunal.

Conclusion

[28] L’appel est rejeté.

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